De l’Équitation (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
De l’ÉquitationHachetteTome 1 (p. De l'équitation-326).



DE L’ÉQUITATION[1].


CHAPITRE PREMIER.


Des moyens de connaître la bonté d’un jeune cheval.


Une longue pratique de l’équitation nous donnant à penser que nous en avons quelque expérience, nous voulons indiquer aux jeunes gens de nos amis la méthode que nous croyons la meilleure pour bien manier un cheval. Un traité d’équitation a été publié avant le nôtre par Simon[2], qui a érigé, à Athènes, le cheval d’airain qu’on voit dans l’Éleusinium[3], et qui a gravé ses faits et gestes sur la base. Tous les points où nous serons d’accord avec lui, nous ne les supprimerons pas dans notre ouvrage ; nous aurons, au contraire, le plus vif plaisir à les présenter à nos amis, convaincu que nous inspirerons plus de confiance, toutes les fois que l’opinion de ce célèbre écuyer sera conforme à la nôtre : quant à ce qu’il a omis, nous essayerons d’y suppléer.

Et d’abord nous allons indiquer le moyen de n’être pas trompé dans l’achat des chevaux. Il est clair que l’on doit commencer par examiner le corps du poulain à dompter que l’on achète, car il ne donne pas encore d’indices de son caractère, n’ayant jamais été monté. Nous disons donc que, dans le corps, les pieds sont le premier objet à considérer. En effet, de même qu’une maison ne sera d’aucune utilité, quelle que soit la beauté des étages supérieurs, si les fondations ne sont pas construites comme il faut, ainsi un cheval de guerre ne servira de rien, fût-il bon pour tout le reste, s’il a de mauvais pieds ; ce vice rend inutiles les autres qualités. Pour juger du pied, il faut d’abord examiner la corne. Épaisse, le cheval aura de meilleurs pieds que si elle est mince. Ensuite, il ne faut pas oublier de voir si le sabot est haut en avant comme en arrière, ou bien s’il est bas : haut, il éloigne de terre la partie appelée la sole ; bas, le cheval appuierait également sur les parties dures et sur les parties molles du pied, comme les hommes cagneux. Simon dit que les chevaux qui ont de bonnes jambes se reconnaissent au bruit de leur marche ; il a raison : un sabot bien évidé résonoe sur le sol comme une cymbale.

Puisque nous avons commencé d’en bas, nous allons suivre en remontant le reste du corps. Il faut que les os[4] qui sont au-dessus de la corne et au-dessous du boulet ne soient point droits comme ceux d’une chèvre ; ce qui provoque des réactions trop dures pour le cavalier et des inflammations aux jambes ainsi faites ; mais il ne faut pas non plus que ces os soient inclinés, parce que le boulet perdrait ses poils et s’écorcherait, quand on lancerait le cheval dans les terres labourées ou dans les endroits pierreux.

Les canons[5] doivent être épais, vu qu’ils sont les colonnes du corps ; mais cette épaisseur ne doit provenir ni des veines, ni de la chair. Autrement, sur un terrain dur, ces parties se remplissent forcément de sang, il survient des varices, la jambe grossit, et la peau se détache ; or, souvent, quand ce relâchement arrive, le péroné[6] se déplace et rend le cheval boiteux.

Si, en marchant, le jeune cheval fléchit mollement le jarret, vous pouvez présumer que, sous le cavalier, il aura les jambes souples : car tous les chevaux, avec l’âge, fléchissent le genou avec plus de souplesse. On a raison, d’ailleurs, d’estimer les mouvements moelleux : un cheval qui les a bronche moins et fatigue moins le cavalier que celui qui a la jambe roide. Quand la partie de la jambe placée sous l’omoplate est charnue, elle offre apparemment, comme chez l’homme, plus de force et plus de grâce. Plus le poitrail est large, plus cette disposition est heureuse sous le rapport de la beauté comme de la vigueur, et parce qu’elle donne aux jambes un écartement qui empêche l’embarras de l’allure. Au sortir de la poitrine, le cou ne doit pas pencher comme celui d’un sanglier, mais il doit remonter en ligne droite comme chez le coq, et être évidé à l’endroit de la flexion. La tête doit être sèche et la ganache[7] petite, de sorte que l’animal ait son cou devant le cavalier, et qu’il voie bien à ses pieds. Un cheval dans cette attitude ne forcera jamais la main, quelque fougueux qu’on le suppose : car ce n’est pas en se ramenant, mais en tendant le cou et la tête, que les chevaux essayent de s’emporter. Il faut encore examiner si les deux barres[8] sont sensibles, dures ou inégales : car d’ordinaire les chevaux qui les ont inégales ont la bouche fausse[9].

L’œil à fleur de tête est plus vif que l’œil enfoncé, et la vue a plus d’étendue. Les naseaux ouverts annoncent plus d’haleine, et donnent au cheval une expression plus terrible que des narines resserrées : c’est, en effet, lorsqu’il est irrité contre un autre, ou lorsqu’il s’anime contre le cavalier, qu’il ouvre davantage les naseaux.

Le front large, les oreilles petites, caractérisent mieux la tête du cheval. Le garrot élevé offre au cavalier une assiette plus sûre, ainsi que le moyen de mieux se lier aux épaules. Les reins doubles sont plus doux pour le cavalier[10] qu’une épine saillante et sont plus agréables à l’œil. La côte ample et un peu arrondie vers le ventre contribue à donner au cheval de l’agrément, du fonds et de la facilité d’entretien. Plus le rein sera large et court, plus le cheval aura d’aisance à enlever le devant et à engager l’arrière-main[11]. En outre, le flanc en paraîtra plus court, tandis que, lorsqu’il est long, il défigure le cheval et lui donne l’air faible et pesant. La croupe doit être large et charnue, afin de répondre aux reins et au poitrail.

Si l’ensemble est fort, il donnera plus de légèreté pour la course et rendra le cheval plus agile. Les cuisses, au-dessous de la queue, doivent être séparées par une large raie : de la sorte, les jambes de derrière étant bien espacées, le cheval y gagnera de la légèreté et de la force dans ses aplombs et dans ses allures, et son ensemble sera parfait. La preuve en est chez l’homme : s’il veut enlever de terre un fardeau, c’est en écartant les jambes et non en les rapprochant qu’il essaye d’y parvenir[12]. Il ne faut pas que le cheval ait les testicules grands ; ce qu’on ne peut apercevoir dans le poulain. Quant aux jarrets, aux canons, aux boulets et aux pieds de derrière, on peut y appliquer ce que nous avons dit de l’avant-main.

Je veux indiquer à présent le moyen de ne pas se tromper de beaucoup sur la taille future d’un jeune cheval. Le poulain qui, en naissant, a les jambes longues, annonce qu’il sera très-grand : car, avec les années, les jambes des quadrupèdes ne prennent pas beaucoup d’accroissement, mais c’est le reste du corps qui s’accroît pour se mettre en harmonie avec elles.

Ceux qui font ces observations en achetant un poulain auront, je crois, un jour un cheval bien chaussé, robuste, étoffé, bien fait et d’une bonne grandeur. Quoiqu’il y en ait qui changent dans la crue, les avis que je donne n’en sont pas moins sûrs, car on voit plus de poulains difformes devenir de beaux chevaux qu’on n’en voit se déformer en grandissant.



  1. J’ai eu pour me guider dans ce traité tout à fait technique, outre les secours de l’érudition classique, tels que l’édition spéciale de Zeune, la traduction de P. L. Courier et celle du baron de Curnieu, le livre tout moderne de M. le comte Savary de Lancosme-Brèves, intitulé : Guide de l’ami du cheval, t. I, année 1855. C’est à ce judicieux et savant écrivain que j’emprunterai une grande partie de mes annotations, emprunts que je marquerai des lettres L. B.
  2. Il était d’Athènes. Pline l’Ancien en fait mention dans son Hist. nat., XXXIV, xix, 15. On croit que l’ouvrage qu’il avait composé se nommait Hipposcopique ou Le parfait maréchal.
  3. Temple de Cérès et de Proserpine, dans celui des deux Céramiques qui était à l’intérieur d’Athènes.
  4. Les paturons.
  5. Partie de la jambe comprise entre le boulet et le genou. C’est ce manque d’épaisseur qui produit ce qu’on nomme tendon failli, défaut ordinaire des chevaux fins. L. B.
  6. La cheville.
  7. La mâchoire inférieure. La petitesse et la sécheresse de la tête sont un signe de légèreté et de beauté. L. B. — Cf. Virgile, Géorg., II, 5 et suivants.
  8. Parties extérieures de la bouche.
  9. Nous verrons au chapitre m ce qu’on entend par bouche fausse.
  10. On conçoit que, montant à poil, l’épine saillante devait présenter un siège peu commode au cavalier. L. B.
  11. Le train de derrière.
  12. Cela prouve que Xénophon savait que plus la base de sustentation d’un corps a de largeur par rapport à sa hauteur, plus le corps est solidement établi sur le sol. L. B.