De l’Église gallicane dans son rapport avec le souverain pontife/I/10

H. Goemaere (Œuvres de Joseph de Maistre, IVp. 144-145).



CHAPITRE X.


RELIGIEUSES DE PORT-ROYAL.


Mais qu’a-t-on vu dans ce genre d’égal au délire des religieuses de Port-Royal ? Bossuet descend jusqu’à ces vierges folles ; il leur adresse une lettre qui est un livre, pour les convaincre de la nécessité d’obéir. La Sorbonne a parlé, l’Église gallicane a parlé, le Souverain Pontife a parlé, l’Église universelle a parlé aussi à sa manière, et peut-être plus haut, en se taisant. Toutes ces autorités sont nulles au tribunal de ces filles rebelles. La supérieure a l’impertinence d’écrire à Louis XIV une lettre où elle le prie « de vouloir bien considérer s’il pouvait en conscience supprimer, sans jugement canonique, un monastère légitimement établi pour donner des servantes à J.-C. dans la suite de tous les siècles[1].

Ainsi, des religieuses s’avisent d’avoir un avis contre une décision solennelle des deux puissances, et de protester qu’elles ne peuvent obéir en conscience ; et l’on s’étonne que Louis XIV ait très-sagement et très-modérément dispersé les plus folles (dix-huit seulement sur quatre-vingts) en différents monastères, pour éviter le contact si fatal dans les moments d’effervescence. Il pouvait faire plus sans doute ; mais que pouvait-il faire de moins ?

Racine, qui nous a raconté ces grands événements, est impayable avec son pathétique. « Les entrailles de la mère Agnès, dit-il, furent émues, lorsqu’elle vit sortir ces pauvres filles (des pensionnaires) qu’on venait enlever les unes après les autres, et qui, comme d’innocents agneaux, perçaient le ciel de leurs cris, en venant prendre congé d’elle et lui demandant sa bénédiction[2]. »

En lisant cette citation détachée, on serait porté à croire qu’il s’agit de quelque scène atroce de l’Histoire ancienne, d’une ville prise d’assaut dans les siècles barbares[3], ou d’un proconsul du quatrième siècle, arrachant des vierges chrétiennes aux bras maternels pour les envoyer à l’échafaud, en prison ou ailleurs ; — mais non : c’est Louis XIV, qui, de l’avis de ses deux conseils d’État et de conscience, enlève de jeunes pensionaires[4] au monastère de Port-Royal, où elles auraient infailliblement achevé de se gâter l’esprit, pour les renvoyer — chez leurs parents.

…Quis talia fando,
Temperet à lacrymis… ?

Voilà ce qu’on nommait et ce qu’on nomme encore persécution. Il faut cependant avouer que celle de Dioclétien avait quelque chose de plus sombre.

  1. Racine, ibid., pag. 212. Qui ne rirait de la suite de tous les siècles ? Cependant il ne suffit pas de rire, il faut encore voir, dans ce passage, l’orgueil de la secte, immense sous le bandeau de la mère Agnès, comme sous la lugubre calotte d’Arnaud ou de Quesnel. Observons en passant que si le Père général des Jésuites s’était permis, en 1762, d’écrire au roi Louis XV une lettre semblable par le style, mais un peu mieux motivée pour le fond des choses, on aurait crié de tous côtés à la folie, peut-être même à la Majesté lésée !
  2. Racine, ibid., pag. 215.
  3. Tum pavidæ tectis matres ingentibus errant,
    Amplexæque tenent postes, atque oscula figunt.

    (Virg., Æn. II, v. 490 et 491.)

    Pour les mères de Troie, l’affaire était un peu plus sérieuse ; cependant c’est à peu près le même style.

  4. Racine n’en nomme que deux, mesdemoiselles de Luynes et de Bagnols.