VIII

Il est une époque où il en coûte beaucoup d’aimer. Quand on a un peu vu et étudié les femmes, on acquiert une certaine dureté, qui permet d’approcher sans danger des plus belles et des plus séduisantes. On avoue sans détour l’admiration qu’elles inspirent, mais c’est une admiration d’artiste, un enthousiasme sans tendresse. On a, d’ailleurs, une clairvoyance cruelle pour saisir, à travers tous les artifices de la coquetterie, ce que vaut la soumission qu’elles étalent, la douceur qu’elles affectent, l’ignorance qu’elles jouent. Avec tout cela, soyez épris, si vous pouvez !

C’est d’ordinaire entre trente et trente cinq ans que le cœur de l’homme d’esprit se ferme ainsi à la sympathie et commence à se pétrifier. Cependant, il est possible que chez lui les feux de la jeunesse se rallument, et qu’il vienne à éprouver un amour aussi pur, aussi fervent, aussi naïf que dans les fraîches années de l’adolescence. Loin d’avoir perdu les troubles, les saisissements, les transports de l’âme amoureuse, il les ressent avec une émotion plus profonde, et il les estime à un prix d’autant plus haut qu’il est moins sûr de les voir renaître. Oh ! alors, plaignez le pauvre insensé ! Le voilà — contraint de s’agenouiller devant une femme pour qui le mérite n’est rien, de marcher pas à pas dans son ombre, de faire l’exercice autour de sa jupe, de s’extasier devant sa broderie, de vanter ses colifichets. Hélas ! ces longs supplices le révoltent, et, Pygmalion désespéré, il s’éloigne de la Galathée dont il n’a pu animer le marbre.

Ces infortunes de l’âge sont inconnues au sot, car chaque jour qui passe ne lui fait pas trouver dans l’amour un bien plus cher et plus difficile à conquérir. Les hasards de la vie ne Payant ni amélioré ni endurci, continuant à voir les femmes du même œil qu’autrefois, il leur exprime ses ardeurs avec les mêmes larmes et les mêmes soupirs qui lui ont servi à peindre ses anciens tourments. Et comme il n’a pas appris à exiger d’elles autre chose que les apparences de la passion, il vient aisément à bout de se persuader qu’on l’aime. Loin de s’enfuir, il persévère — et il triomphe.