De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel/02

De Stéphane Mallarmé
au prophète Ezéchiel


et essai d’une théorie du réalisme symbolique[1]


Quelques personnes se sont demandé si, au milieu des catastrophes que le monde vient de vivre, les questions d’art n’étaient pas inopportunes. C’est méconnaître la fonction de l’art. La fonction de l’art, j’aurais aimé à vous en entretenir, du point de vue sociologique, le seul où vingt ans de travaux d’érudition me permettent (Je me placer. Mais il n’est aucunement possible de réduire une étude de cette importance aux dimensions d’un avant-propos.

Je dirai donc simplement ceci :

L’art n’est évidemment pas une entreprise d’amusement pour après-dîners.

L’art n’est pas davantage une jonglerie de virtuose ou une amulette de dilettantes.

Je ne crois pas, par contre, que l’objet de l’art soit de défendre des idées, même justes, de prêcher une morale, d’enseigner des vérités ; à chacun son métier ; l’enseignement de la morale, la propagation des vérités relèvent d’autres disciplines.

La fonction essentielle de l’art semble être bien plutôt, d’abord, de libérer les hommes du servage des intérêts égoïstes ; ensuite, de les élever à une conception sociale, c’est-à-dire à une conception supérieure du monde.

Si jamais, en tous cas, quelque chose peut dans ce monde de bassesse et de tristesse purifier les intelligences, ennoblir les cœurs, élever les âmes, c’est l’art, tel que nous le comprenons ici, tel que, chacun selon nos humbles forces, nous essayons de le réaliser, tel que nous l’a enseigné le grand homme dont je voudrais vous parler tout d’abord, Stéphane Mallarmé.

  1. Conférence prononcée (sauf un petit nombre de coupures) au Théâtre du Vieux-Colombier, le 26 mai 1918 ; certaines parties en ayant déjà été exposées dans des conférences antérieures.

    Publié dans les numéros de mars, avril-mai et août-septembre 1919 des Cahiers Idéalistes Français.

    L’auteur a, dans la présente publication, maintenu la forme « conférence », qui justifiera ou du moins excusera tout ce que la rédaction en a de cursif, sinon d’improvisé.