De Pissarro à Sisley
L’éclatant succès de l’exposition Pissarro, organisée au Musée de l’Orangerie des Tuileries pour commémorer le centenaire de la naissance du maître impressionniste est une démonstration nouvelle de la curiosité passionnée que suscite l’art moderne dans un public de plus en plus étendu. On peut suivre à cette exposition tout le développement d’une technique d’abord très voisine de celle de Corot, parfois aussi de Courbet puis s’attachant à noter, à décrire les réactions de lumière sur les objets, préoccupation parallèle à celle des premiers romanciers naturalistes. Le plus ancien des tableaux exposés est de 1863 année du fameux Salon des Refusés, où trois peintures de Pissarro figurèrent. D’année en année après cela, l’influence de Corot sensible encore dans un morceau comme le Paysage à La Varenne Saint-Hilaire, qui est de 1866, s’amoindrissant. La matière se fait plus grasse (Nature morte, de 1867 de la collection du Dr Viau). Les tons neutres diminuent en nombre sur la palette, remplacés petit à petit par toute une gamme de tons purs, par des jaunes, des vermillons, des verts émeraude, des laques. Dès 1872 le métier est renouvelé, l’esprit même des motifs attestant un sentiment plus aigu de la vie. Alors est atteinte cette date décisive de 1874, où se révélèrent les liens qui unissaient quelques artistes travaillant séparément, et qu’une critique ignare, ayant Albert Wolff à sa tête, jeta dans le même sac à invectives, les désignant aux quolibets, aux injures des gens que scandalise toute tentative d’évasion hors de la voie commune : l’Impressionnisme était né.
Cent quarante peintures, plus de cinquante gouaches, pastels, aquarelles, racontent tout au long, à l’exposition Pissarro, l’histoire de cette école d’art qui fit si brillante la seconde moitié du dix-neuvième siècle. On y a joint une partie de la collection des eaux-fortes que Pissarro — à qui l’État n’acheta jamais rien — offrit au Musée du Luxembourg. L’ensemble ainsi formé est d’un intérêt innombrable.
En même temps qu’était inaugurée à l’Orangerie cette belle rétrospective de Pissarro, une exposition d’un autre grand impressionnisme Sisley (1839-1899) s’ouvrait chez Durand-Ruel. Soixante-cinq peintures de toutes les époques de ce charmant maître, le plus nuancé des paysagistes du groupe, se recommandant par une distinction où le goût français le plus pur s’allie à une sorte de dandysme de l’expression par quoi se décèle l’origine anglaise de l’artiste. Ainsi le public et les amateurs pourront, en passant d’une exposition à l’autre étudier, comparer deux productions bien différentes, où, à travers des tempéraments se discerne le même idéal d’art. Jamais l’Impressionnisme ne s’était vu à pareille fête.