À l’heure des mains jointes (1906)/Dans le Havre

À l’Heure des Mains jointesAlphonse Lemerre (p. 103-104).


DANS LE HAVRE



Lasse comme les flots, lasse comme les voiles,
J’entre dans le bon port plein d’embruns et d’étoiles.

J’ai fui les pays clairs et les riants climats
Pour dormir dans ce havre où reposent les mâts.

J’ai perdu le désir des libertés sauvages,
Et je ne connais plus la soif des longs voyages.

Tant de songes dorés viennent vous décevoir.
Que l’on se sent moins de jeunesse vers le soir.


Vainement, j’ai côtoyé les terres charmantes
Qui m’ont trahie, ainsi que le font les amantes.

J’y croyais voir des fruits de rubis et d’or bleu,
Des fleuves d’escarboucle et des roses de feu.

Mais j’ai su qu’un soleil banal était sur elles,
Et que l’éloignement trompeur les rendait belles.

Ici, je trouverai la paix nocturne… Ici,
Les ténèbres sont d’un violet adouci…

Et, dans ce havre, où se reflètent les étoiles,
Je verrai sans regret partir les autres voiles.