Dans la bruyère/Sur la Côte Bretonne

Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 49-53).
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SUR LA COTE BRETONNE


À Guy Ropartz


Ce n’était qu’une lande immense et solitaire,
Océan sans murmure aux horizons ternis,
Déroulant sa broussaille et ses mornes granits
Sous le ciel attristé par un vague mystère.

Au loin rien n’arrêtait le regard désolé,
Que des oiseaux fuyant les rafales prochaines ;
Çà et là, le roulis des sapins et des chènes,
Et quelques frissons d’or sur un sillon de blé.


On sentait la nature avare de tendresse :
Sur le seuil de l’abîme où plonge l’occident,
Pour résister au choc du flot toujours grondant,
Elle avait jeté là cet écueil en détresse.

Les peuples primitifs, dans leur marche en avant,
Avaient dû faire halte au bord des mers sauvages :
Mais ils avaient semé ces sinistres rivages
De noirs autels battus par la vague et le vent.

Le voyageur, perdu dans cette solitude,
Au milieu du silence infini du passé,
Ne voyait que le sol à jamais affaissé
Sous le roc immobile en sa morne attitude.

S’il était las de vivre et d’espérer en vain,
Il maudissait l’attrait du rouge crépuscule,
Car dans Ja profondeur où le soleil recule
Il n’avait pu surprendre un inconnu divin.


Essayant d’assembler ses espoirs éphémères,
Il marchait à pas lents à travers les menhirs :
Mais la voix qui montait des lointains souvenirs
Lui parlait du néant des célestes chimères.

Il demandait aux cieux la foi des jours nouveaux :
Sur la lande et la mer l’ombre tendait ses toiles
Où s’allumaient, au loin, d’impassibles étoiles,
Comme des lampes d’or dans la nuit des caveaux.


Et maintenant, hélas ! toujours l’Océan roule
Ses flots mystérieux vers les mêmes rochers ;
Et, parmi la bruyère et les menhirs penchés,
Ruine d’un autre âge, une chapelle croule.

Quel immense tombeau que ce pays d’Armor !
Chaque siècle en fuyant laisse une trace sombre ;
Et le temple du Christ, bientôt recouvert d’ombre,
Sera tel qu’un menhir d’un autre culte mort.


Oh ! sinistres couchers des froids soleils d’automne !
Une lande toujours, toujours des flots géants,
Et, sépulcre pieux du plus grand des néants,
Cette tour en ruine où dort la Foi bretonne !

Les paysans qui vont par les profonds labours
Ne sont plus revêtus des costumes celtiques ;
On n’entend plus dans l’air les carillons mystiques
Qui, du haut des clochers, s’égrenaient sur les bourgs.

Les poètes, errants dans cette plaine immense
Où les cultes détruits ont laissé leurs sillons,
Pleurent ce monde mort sous les négations
Et doutent tristement du monde qui commence.

L’homme ne connaît plus l’amour du sol natal.
Le vent qui dispersa les dieux et les patries,
Avec les vains espoirs et les feuilles flétries,
Dans l’insondable abîme emporta l’Idéal.


Et cependant, songeurs, sur le sable des grèves,
Derniers prêtres d’un peuple austère disparu,
Nous poursuivons encore, à l’horizon décru,
Cette forme du Dieu qu’enfantèrent nos rèves.

Et la chapelle est là, parmi les rochers sourds,
Evoquant aux regards de nos âmes moroses,
Hélas ! un deuil de plus, dans le grand deuil des choses,
Et des doutes nouveaux, dans le néant des jours !