Désespoir (Petrus Borel)
DÉSESPOIR.
Toujours un vent de feu sous son haleine active,
Prend plaisir à courber mon âme convulsive.
Comme une louve ayant fait chasse vaine,
Grinçant les dents, s’en va par le chemin ;
Je vais, hagard, tout chargé de ma peine,
Seul avec moi, nulle main dans ma main ;
Pas une voix qui me dise : À demain.
Pourtant bout en mon sein la sève de la vie ;
Femmes ! mon pauvre cœur est pourtant bien aimant,
J’ai vingt ans, je suis beau, je devrais faire envie,
J’aurais dû plaire au moins, moi, si courtois amant ;
Toutes m’ont repoussé… Fatal isolement !
Ce long tourment me ronge et me déchire,
M’abîme entier ! Que le sort m’est cruel !
Même aujourd’hui, riant de mon délire,
Pour retremper mon âme dans le fiel,
Il m’a fait voir un jeune ange du ciel.
Ah ! quel air ravissant, quelle voix langoureuse !
Sur ses pas gracieux j’aspirais le bonheur.
Je baisais son manteau d’une bouche amoureuse ;
Puis, ivre du parfum que jetait cette fleur,
Je sentais lentement s’épanouir mon cœur.
Que cet instant fut court ! hélas ! qu’horrible
Fut mon réveil ! je la cherchais en vain
De mon regard dévorant et terrible,
Elle avait fui… Rends-la moi, ciel d’airain !
Jette à mon cœur cette proie… il a faim !…
Mon dépit, ma fureur bouleversent mon âme ;
À mes désirs lascifs je voudrais tout plier :
Égaré par mes sens, j’irais… ah ! c’est infâme !
Arracher une femme au bras d’un cavalier,
J’arracherais !… mais, non, je ne puis m’oublier !
Désirs poignants, silence ! il faut vous taire.
De feux en vain je me sens embrasé,
Allons gémir sur mon lit solitaire ;
Baigné de pleurs mon corps est épuisé :
À ce combat tout mon cœur s’est brisé !
Ma jeunesse me pèse et devient importune !
Ah ! que n’ai-je du moins le calme d’un vieillard.
Qu’ai-je à faire ici-bas ?… traîner dans l’infortune ;
Lâche, rompons nos fers !… ou plus tôt ou plus tard.
— Mes pistolets sont là… déjouons le hasard ! ! !