Désenchantement
Nous demandons des sourires au berceau,
et des pleurs à la tombe !
(Chateaubriand)
Quand un lis virginal penche et se déclore,
Par un ciel brûlant desséché,
Sous l’urne qui l’arrose il peut renaître encore ;
Mais quand un ver rongeur dans son sein est caché,
Quel remède essayer contre un mal qu’on ignore ?
(Casimir Delavigne)
DÉSENCHANTEMENT
Tu me disais, un jour, avec ton doux sourire,
Qui peint si bien ton âme où la beauté respire,
Tu me disais : « Ami, fais donc une chanson !
« Tu prodigues tes chants, et jamais aucun son
« Ne s’échappe pour moi de ta lyre plaintive ! »
Et moi, je t’écoutais d’une oreille attentive ;
J’admirais en secret ta naïve candeur,
Qui croyait que la joie, ainsi que dans ton cœur,
Résidait dans mon âme où la mélancolie
Est le seul aliment qui lui donne la vie ;
Où la sombre pensée étend son voile noir,
Où le bonheur éteint n’a pas laissé d’espoir !
Ah ! je voudrais pour toi que cette âme épuisée
Exhalât quelques chants, mais ma lyre est brisée !
Brisée !… et pour toujours par la main du malheur,
Qui torture ma vie et rit de ma douleur,
Vampire dévorant, d’infernale nature,
Dont l’homme est, ici-bas, l’éternelle pâture.
Et crois-tu donc, enfant, que je doive chanter,
Quand tout sert dans ma vie à la désenchanter ?
J’ai marché longtemps dans ce désert aride,
Vaste océan de maux, sans compagnon, sans guide.
Au milieu du chemin, triste et désespéré,
De doute en doute errant, je me suis égaré.
Épuisé de fatigue et couvert de poussière,
Enfin je suis tombé, maudissant la lumière ;
Le vent de la douleur et de l’adversité
A desséché mon cœur de son souffle irrité….
Je me suis relevé, j’ai cru que ma souffrance
Allait bientôt cesser ; l’arbre de l’espérance,
Avec son vert feuillage, apparut à mes yeux,
Comme au nocher qui sombre, un phare radieux.
De loin, j’ai salué ce consolant ombrage,
J’ai cru pouvoir l’atteindre, ô mensonger mirage !
Prestige décevant ! il pâlit et s’enfuit
Comme une ombre douteuse, au milieu de la nuit.
Alors, en gémissant, j’ai poursuivi ma route ;
Bientôt j’aurai franchi cet espace, sans doute,
Car j’aperçois déjà, comme un gouffre béant,
Le tombeau qui m’attend, pour me rendre au néant.
Que m’importe, après tout ? grain perdu de poussière,
Ignoré de la foule, et jeté sur la terre ;
Qu’importe que le vent ou que la main de Dieu
M’enlève de ce monde, où pas un mot d’adieu
Ne sera prononcé, quand l’heure solennelle
Sonnera mon trépas dans la nuit éternelle ?…
Sans crainte, sans désir, sans regret, sans remord,
Je m’en retourne à Dieu, sur l’aile de la mort.
Toi qui veux remonter les cordes de ma lyre,
Et qui, dans ce moment, exhumes mon délire,
Il te faut des chansons, des romances d’amour,
Il faut pour embaumer le sentier de ta vie,
Les parfums des plaisirs que la vieillesse envie ;
Avant que l’âge vienne on doit les respirer ;
Le midi de nos jours les voit s’évaporer.
Oh ! demande des vers, des bijoux, des parures,
Des gazes, des fichus, des rubans, des ceintures,
Des robes de satin aux brillantes couleurs,
Des fêtes et des jeux, des guirlandes de fleurs,
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Enfant ! enivre-toi de tes moments heureux ;
Dix-sept printemps à peine ont doré tes cheveux,
C’est l’âge où le plaisir nous couvre de son aile,
Et dispute nos jours à la Parque cruelle ;
C’est l’âge où tout sourit, où la vie est en fleurs,
Où l’on ne connaît pas les larmes, les douleurs ;
Âge d’heureuse paix, de rêves d’espérance,
Le plus beau, le plus pur de toute l’existence,
Et que le temps, hélas ! dans sa rapidité,
Nous ravit d’un coup d’aile, et pour l’éternité.
Jeune fille, pour toi la vie est sans alarmes ;
La douce illusion, ce prisme plein de charmes,
De riantes couleurs revêt ton avenir,
Que la réalité, plus tard, viendra ternir.
Jouis de ton printemps, jouis de ton aurore ;
La fleur, quand vient midi, pâlit, se décolore,
Se flétrit et s’effeuille avant la fin du jour,
En jetant à sa tige un long regard d’amour.
Oui, c’est la destinée, immuable, profonde ;
Il faut que tout s’écoule et s’efface en ce monde,
Le papillon léger, l’aigle et le rossignol,
Et la femme et la fleur ; tous par un même vol,
Retournent à celui qui d’un souffle suprême
Les avait animés, et les éteint de même.
Décembre 1839