Départ de M. Necker et de Madame de Gouges


DÉPART
DE M. NECKER
ET
DE MADAME DE GOUGES ;
OU
LES ADIEUX
DE MADAME DE GOUGES
À M. NECKER.



Nous partons, Monsieur, et nous allons vous et moi, quitter Paris, après avoir, quelques instans, occupé la scène, vous dans un poste élevé, moi dans un rang terre-à-terre ; c’est déjà une petite ressemblance entre nous deux. Mais si nos opinions tendoient au même but, elles n’en différoient pas moins dans leur marche. Vous, en changeant les principes des François, vous avez prétendu les éclairer sur leurs plus pressans intérêts, et, par-là leur donner une plus mâle existence : moi, au contraire, j’ai voulu conserver leur véritable esprit, déraciner seulement les abus et consolider la monarchie françoise pour le bonheur de tous mes concitoyens ; voilà en quoi nous différons. Cependant nous avons travaillé pour des ingrats ; nous avons perdu tous deux le fruit de nos peines ; voilà en quoi nous nous ressemblons.

Flegmatique par caractère, républicain par naissance, vous êtes venu chez un peuple gai, aimable, fidèle à ses rois, soumis aux loix, pour lui enseigner les élémens d’une liberté qui ne convient nullement à la nature de son gouvernement ; moi, vive comme une languedocienne, et née françoise, connoissant la tête des françois, je leur ai conseillé de ne point toucher à l’arbre antique et sacré de la monarchie, mais d’en élaguer seulement les branches parasytes et gourmandes, et celles qui, arrachées avec tant de violence, n’ont pu qu’entraîner avec leur chûte celle de la France ; voilà où nous différons. Vous avez jugé les ressources de la France inépuisables ; je l’ai cru, ainsi que vous ; voilà où nous nous ressemblons.

L’amour de la gloire a soutenu votre courage ; le patriotisme seul m’a fait affronter tous les dangers ; voilà où nous différons. Vous êtes découragé, moi de même ; voilà où nous nous ressemblons.

Vous avez huit cents mille livres de rente et vous êtes malade ; et moi, tout mon bagage tiendroit à présent dans un chausson, mais j’ai une santé à toute épreuve ; voilà où nous différons. Nous quittons tous deux la France en déplorant la perte de nos peines et de nos travaux ; voilà où nous nous ressemblons.

Vous partez la bourse abondamment garnie, dans une berline bien douce et bien suspendue ; et moi, presque ruinée par mes imprimeurs, je pars, juchée dans une cariole rude et mal attelée, entourée de ma chère collection dramatique et patriotique, semblable, à cet égard, au divin Homère, qui gagnoit, dit-on, sa vie en récitant de ville en ville les vers de son poëme immortel ; ah ! voilà le point où nous différons de beaucoup. Vous emportez un porte-feuille plein d’excellens projets qui n’ont pas réussi ; je vais, moi, faire connoître à l’étranger les écrits d’une femme qui auroient peut-être sauvé la patrie, si on ne les eût pas d’abord dédaignés et calomniés, mais qu’on ne suit pas moins actuellement ; voilà encore où nous différons le plus.

Ne croyez cependant pas, Monsieur, que je veuille profiter de la défaveur dont le public, aujourd’hui moins enthousiasmé, vous accable ; je me suis permis quelquefois de vous donner des avis, dans le temps que vous étiez le Dieu de la France ; avis que vous avez mal saisis et auxquels vous n’avez pas même daigné répondre, quoi que vous les ayez mis en usage trop tard l’année suivante. Eh bien ! je n’ai point de rancune, et je veux encore vous donner un conseil ; si vous refusez de nouveau de m’écouter, tant pis pour vous ; le plus grand homme ne s’abaisse point en recevant les avis d’une femme, quand ils ne tendent qu’à l’élever.

Vous reçûtes le premier l’hommage de mon projet d’une caisse patriotique ; tous les ministres m’en firent leurs remercîmens, et quoique, dans cet écrit, je n’épargnâsse pas les hommes en place, leur caractère despote s’étoit du moins contraint jusqu’à répondre le plus poliment possible au zèle d’une femme et au but louable de ses écrits.

Vous seul, Monsieur, avez paru me dédaigner, et vous me forcez à vous en faire un reproche public ; mais que dis-je ! ce n’est point le ressentiment de votre conduite qui m’anime aujourd’hui, c’est l’amour de ma patrie ; et quand les hommes sont véritablement grands, je sais leur rendre hommage ; quand ils ne paroissent pas tels à mes yeux, une louange fausse et intéressée ne peut sortir de ma bouche.

Voilà mon caractère ; mes écrits et ma conduite l’ont fait connoître assez. Ainsi, Monsieur, vous ne pouvez, ni vous fâcher, ni même vous plaindre d’une franchise que j’avois manifestée dans un temps où l’assemblée nationale n’avoit pas encore établi l’homme dans tous ses droits. Nous vous devons en partie, je le sais, ce bonheur ; et nous vous le devrions peut-être en entier, si Jean-Jacques ne nous avoit appris que le philosophe qui voit agir les hommes dans un petit cercle, les verroit agir bien différemment, quand ils sont en grand nombre, mêlés confusément. N’en recevez pas moins mes remercîmens pour ce bienfait.

Qu’il est cependant dangereux, Monsieur, de détourner les hommes de leurs habitudes ordinaires, quand ils ont pris un certain à-plomb ! Il en est des gouvernemens policés comme des ruches d’abeilles ; approchez-vous de ces ruches sans précaution, vous dérangez les abeilles de leur travail, elles s'échappent ; elles vous piquent ; l’essaim se disperse ; il est perdu. Voilà, ce me semble, l’allégorie la plus vraie de notre situation.

J’ai, Monsieur, des idées bien bizarres ou bien originales en ce moment, quand je pense que l’égalité parmi les hommes ne peut avoir lieu que quand l’ignorance est égale : eh ! où est cette universelle ignorance ? cette universelle égalité ? tout, dans la nature, est subordonné ; tout est soumis à une certaine supériorité dans ses trois règnes.

Mais ce n’est point de la philosophie dont je veux embellir mes adieux ; souffrez un bavardage plus utile à ma patrie et à vous-même, Monsieur ; oui, un bavardage, je tranche le mot ; car souvent la multitude de mes idées m’égare, et j’ai alors bien de la peine à me retrouver ; c’est ce qui a fait dire souvent à mes lecteurs : « si cette femme n’avoit pas de fusées dans la tête, elle nous diroit quelquefois d’excellentes choses ». Prenez donc mes adieux tels qu’ils seront ; je suis, dans mes écrits, l’élève de la nature ; je dois être, comme elle, irrégulière, bizarre même ; mais aussi toujours vraie, toujours simple.

Quel est donc, direz-vous, quel est donc le but de cet écrit ? Ah ! sans doute, j’en ai plus d’un, et tous, j’ose le dire, sont bien louables. Je voudrois que le roi de France remontât sur son trône ; que la nation reconnût qu’il en est descendu pour le malheur de la France ; que les françois, quittant le sabre et la giberne, se réunissent à la tête de leurs affaires ; que les districts ne fûssent composés que de vieux pères de famille, de ces respectables patriarches qui ne sont plus propres qu’à donner de sages avis à leurs enfans ; que la garde nationale non-soldée ne fût sous les armes que dans des circonstances véritablement orageuses pour la tranquillité publique, comme dans celle-ci, où l’effervescence du peuple sembloit vouloir se joindre à la discussion de l’assemblée nationale. Que de réflexions à faire à ce sujet !..............................................................................................

Depuis huit mois je n’entends parler que de complots d’ennemis de la patrie ; et pour détruire ces vains fantômes, tous les citoyens depuis quatre mois sont, jour et nuit, en faction ; et ce grand combat qui devoit être le fruit de tant de travaux, s’est terminé par un supplice ; quel supplice !… j’ose l’avancer avec fermeté, honteux à la nation. Je puis prendre ce ton, Monsieur, puisqu’il est assez généralement connu que je ne suis d’aucun parti. Je l’atteste encore ici moi-même. Ce n’est point un moyen, je le sais, de me faire des partisans, des prôneurs et des amis ; il faut, dit-on, être nécessairement enrôlé sous quelque bannière, pour se faire louer, chanter et porter jusqu’aux nues ; mais comment une ame droite, un cœur désintéressé pourroient-il se ranger dans un de ces deux partis qu’on appelle aristocratique et démocratique ? Quant à moi, Monsieur, je les trouve anti-patriotiques ; tous deux m’ont navré le cœur, et tous deux ont été tour-à-tour le sujet de mes plaintes. Je n’ai rien négligé pour les ramener au vrai ; quelle qu'ait été la foiblesse de mes écrits, ils ont eu au moins le mérite rare d’avoir osé fronder la force et la violence de ces deux partis extrêmes.

M. le duc d’Orléans m'a donné une preuve bien sensible de son ressentiment, et ne m’a point pardonné. Mon fils étoit placé dans un des départemens de ses apanages, et mon fils, par son ordre, a aussi-tôt été rayé de son emploi. Que je sais gré à ce prince de ce ressentiment, puisqu’il m’a convaincue que mes soupçons n’étoient point déplacés ! Ce n’étoit donc pas assez de m’être ruinée en impressions pour essayer d’éclairer ma patrie ; je lui ai encore sacrifié le sort de mon fils. Je ne me repens de rien, et mes seuls regrets sont de n’avoir pu parvenir à détourner les maux que j’avois prévus depuis long-tems, et que j’avois manifestés dans mes écrits, avant la convocation même des états-généraux ; mais M. le duc d’Orléans a été un instant le bienfaiteur de mon fils, je dois m’arrêter là à son sujet ; et d’ailleurs, il est trop la victime de son ambition, pour que j’ajoute à sa véritable infortune, mes plaintes, quelques justes qu’elles soient ; mais un jour je ferai retomber ce ressentiment sur les courtisans coupables qui ont perdu ce prince[1]. Pourquoi, Monsieur, les grands et les hommes en place n’ont-ils jamais d’yeux pour voir le bien qu’on leur desire, et par une fatalité constante ont-ils toujours trop d’oreilles pour écouter ceux qui les induisent en erreur, et qui les trompent sans cesse ? M. le duc d’Orléans est une grande preuve de cette cruelle vérité. Si cet écrit va jusqu’à lui, il regrettera peut-être les avis d’une femme qui ne mettoit ni prétention d’esprit, ni intérêt personnel à les lui donner.

Quant à M. de Favras, il est la victime d’un héroïsme, louable sans doute, et qu’on devoit, il me semble, respecter. Il croyoit son roi en danger, et son projet fut de l’y soustraire. Son attachement inviolable pour son prince, et son zèle peu commun l’ont conduit au supplice. Je le loue, et je ne le blâme que de ne pas s’être montré tout entier dans ses interrogatoires ; oui, Monsieur, à sa place j’aurois répondu à mes juges avec fermeté : « Dressez vos potences, j’ai voulu sauver mon roi, voilà mon crime, et je m’en fais gloire ; mais ce projet que je méditois en silence, et qui, malheureusement, n’a point eu d’effet, vous paroît-il plus criminel que celui de ces infâmes brigands, qui ont assailli et repoussé les gardes-du-corps, enfoncé les portes du palais de nos rois, égorgé, sans pitié, des sentinelles qui devoient mourir dans leur poste, violé l’appartement du souverain, et poursuivi la reine jusque dans son lit ? Cependant, ces misérables attentats demeurent impunis, et moi..., on me mène à la mort »...

Favras est mort, Monsieur, en grand homme ; mais il a dissimulé la vérité à ses juges, et voilà son seul tort à mes yeux. Je ferois moi-même aujourd’hui ce qu’il a fait, si je croyois, comme lui, que les jours de mon roi ne fussent pas en sûreté ; mais souvenez-vous, Monsieur, de la séance royale aux états-généraux. On a dit que vous aviez guidé cette démarche ; et votre exil vous en a dérobé le blâme, et vous partîtes couvert de gloire. La cour, par cet acte de rigueur, fit un pas rétrogradé, et je la vis perdue dès ce moment. Avertie, par les plus grands hasards, que le projet de vous renvoyer, et de faire approcher l’armée vers Paris, se machinoit dans les ténèbres, j’osai par un écrit, aussi-tôt imprimé que conçu, avertir sa majesté du danger où la présence des troupes, et votre départ, alloient la précipiter. Un zèle, sans doute plus fort que la timidité de mon sexe, me fit monter au château avec la plus grande intrépidité ; mais aussitôt des personnages que je ne nommerai point, voulurent me détourner de ma résolution. Il n’y auroit eu que la force qui m’auroit pû faire abandonner mon entreprise ; mais ce projet échoua de lui-même, parce que le roi ne sortit point de son appartement. En vain, je fis répandre cet écrit dans le palais, en vain trois mille exemplaires furent-ils distribués dans Versailles ; aucun, sans doute, ne pénétra jusqu’au cabinet du monarque. Cependant le parti de la cour, alors tout puissant, n’ignorant point ma démarche et l’existence de mon ouvrage, n’appesantit pas sur moi son pouvoir ; mon zèle lui parut sans doute une excuse, et les portes de la Bastille, qui s’ouvroient facilement alors, restèrent fermées pour moi. J’avois vraisemblablement à cette époque, en excitant les craintes de la cour, mérité son ressentiment, et je ne pouvois que lui paroître importune et même odieuse ; mais, Monsieur, comme vous le savez, la cour pouvoit être prodigue et menaçante, mais elle n’étoit pas meurtrière ; et quand le parti démocrate s’est vu le plus fort, a-t-il pu savourer pendant trois mois les préparatifs de la mort d’un homme qu’il a condamné au supplice, avant qu’aucun decret de l’assemblée nationale eût prononcé sur la nature de sa faute ?

On assure que dans l’instant horrible où le bourreau exerçoit la plus cruelle des fonctions, on lui crioit de toutes parts, bis, bis. Tant de barbarie avoit été jusqu’en ce moment étrangère aux François ; ah ! Monsieur, (permettez-moi cet élan, c’est le cri de la nature ;) je ne suis plus françoise, si mes concitoyens sont devenus si féroces.

Quoi ! M. de la Fayette, cet homme si puissant sur l’esprit du peuple, n’a point cherché à exciter la compassion générale ! une telle grace étoit digne d’être obtenue par un guerrier si magnanime. Jusqu’à présent j’avois pensé que son cœur étoit sans reproche ; je me plais à croire qu’il l’est encore ; mais Favras est mort entouré de la garde nationale qu’il commandoit.

Plusieurs personnes ont cru que j’avois voulu persifler M. de la Fayette, dans les éloges que j’ai fait si sincèrement de son mérite. Voici quelle a toujours été mon opinion sut le compte de ce général ; l’avenir la justifiera ou me fera reconnoître mon erreur.

J’ai cru, pour le bien du roi, de la nation, et de tous les citoyens, que M. de la Fayette avoit accepté cette place dans la seule intention de les réunir un jour. Rien n’étoit respecté, la subordination avoit disparu, et le désordre lui avoit succédé. Les brigands, mêlés parmi les bons patriotes, excitoient la confusion et le désespoir ; la flamme étoit prête à s’allumer, et les citoyens paisibles en danger. M. de la Fayette, comme un Dieu tutélaire, se met à la tête de cet amas confus ; le désordre disparoît, les esprits s’appaisent, une douce confiance rassure tous les cœurs, et M. de la Fayette est enfin nommé généralissime. Quant à moi, je pense qu’il quitteroit avec plaisir sa place, si l’émulation de l’industrie et du commerce pouvoient faire disparoitre cette émulation militaire, infructueuse, ruineuse pour les citoyens, et les ramener à leur maison et à leurs affaires.

À ce sujet, je vais vous faire part, Monsieur, d’une anecdote, quoiqu’un peu gaillarde pour être racontée par une femme, mais une femme qui s’est fait homme depuis long-tems pour trouver une manière de tout dire.

Un marchand étoit occupé ces jours derniers à terminer un marché ; il entend battre la caisse ; aussi-tôt il se lève, court au tambour, revient dans sa maison, culbute les chaises et les gens qui se trouvoient devant lui : « Vite, ma femme, s’écrie-t-il, mon habit d’uniforme, mon sabre, mon fusil, mes pistolets ; les ennemis sont au Palais-Royal, et nous allons voir beau jeu. Sa femme avoit beau lui répéter : mais, mon ami, terminez avec Monsieur ; nos affaires sont plus pressées ; laissez les ennemis au Palais-Royal ; d’ailleurs, vous le savez, ils ne sont plus à craindre puisqu’ils n’ont plus de chef. — Qu’appelez-vous, ma femme, reprit le marchand (harnaché et armé jusqu’aux dents) pour qui prenez-vous les aristocrates ? jour de Dieu ! Tant que l’ame me battra dans le corps, je poursuivrai cette maudite engeance. Quoi, lui dit sa femme en pleurant, à chaque instant du jour tu désertes la maison, et tu n’y rentres que pour prendre de l’argent ou faire du bruit ! où est le tems que tu vivois si bien avec moi ? où tu craignois tant de me quitter ? — Cette peur, lui dit-il, m’a bien passé ; depuis la révolution, mon front est à toute épreuve ; la gloire seule a droit de l’orner. Cette femme ne se connoît plus. — Ne menais pas parler, lui dit-elle en fureur, car si je disois tout, tu verrois que tu n’y trouverois plus de place pour y poser une seule feuille de laurier. — Va, mon enfant ; (lui dit le mari magnanime,) si tous les C… étoient aristocrates, la contre-révolution se seroit faite depuis long-tems ». Mais l’acquéreur s’en fut sans rien acheter, et se promettant bien de ne plus revenir dans cette boutique. Voilà le danger.

Cette anecdote est au fond exacte, Monsieur, mais comme on dit, une anecdote en amène une autre, écoutez celle-ci.

Je passois avant hier, dans un carosse de place, par la rue Coquillère, au moment où un garde national blanchissoit, à sa porte, sa veste d’ordonnance ; la poussière que répandoit l’espèce de craie dont il la frottoit formoit un nuage, qui, sans exagérer, remplissoit la moitié de la rue ; personne ne pouvoit se distinguer, et les passans pestoient de bon cœur contre la grande propreté de M. le garde national. Mon cocher ne manqua pas, comme un autre, de dire son petit mot ; et le petit mot de ces gens-là ne va pas sans invectives et sans injures. Arrivée chez moi, je lui demandai pourquoi il avoit insulté un homme qui paroissoit si dévoué à la patrie, aux dépens même des yeux de ses concitoyens : « — Ah ! les B... que ces gardes nationaux, la plupart nous rossent et nous paient fort mal, et par là-dessus nous mourons de faim. J’avions six voitures bien attelées, et j’en avons vendu quatre pour faire rouler les deux autres qui nous restent. J’étions bien démocrates dès le commencement de la révolution, croyant qu’il y avoit queuq’chose à gagner ; mais je sommes actuellement aristocrates comme un chien ».

Voilà, direz-vous, une aristocratie bien mal attelée ; passons. Mais que d’embarras, que de bruit, que de tems perdu pour une veste de munition !

Certains papiers publics nous apprennent, Monsieur, qu’une fille vierge, toute en Dieu, et de la part de Dieu, nous prédit de grands événemens, la guerre civile, et la contre-révolution ; et moi j’annonce, de la part du bon sens, à tous mes concitoyens que cette contre-révolution aura lieu peut-être, mais sans la guerre civile, sans les efforts des puissances étrangères, et qu’elle s’opérera naturellement d’elle-même, en partie, si elle ne s’opère pas en entier, et par la force des choses, sur-tout si les françois vont vont encore six mois du train qu’ils ont été jusqu’à présent, on détruit, et on ne rétablit rien ; tout le monde veut commander, personne n’obéit ; tout est anéanti ; tout est dans un désordre effroyable ; l’engouement de la liberté tourne encore la tête aux François. Mais cet engouement une fois disparu, ils reconnoîtront, j’espère, qu’un seul maître est plus utile aux hommes, que si tous les hommes étoient maîtres à la fois. Je pense que M. de la Fayette attend ce moment avec impatience, ou bien je n'entends rien à sa politique. Certes, s'il ne fait point un changement, l'anarchie se perpétuera, la misère achevera d’affoiblir la France, cette France jadis si enviée pour le bonheur dont elle jouissoit, et sur le sort de laquelle je verse en ce moment des larmes de sang. O ma patrie ! les ennemis sont dans ton sein, ce sont tes propres enfans qui contribuent à ta perte ; et si un généreux retour ne les ramène à toi, tu vas devenir la proie des puissances étrangères qui comptent déja ta chûte au rang de leurs conquêtes.

Puissent ces réflexions, Monsieur, toucher tous les cœurs des François, comme elles ont pénétré le mien, et les porter à adopter le seul parti qui peut tout réparer !

Vous avez encore, dit-on, au sujet de l'établissement d’un bureau de trésorerie, engagé le roi à écrire à l’assemblée nationale contre le décret qu'elle avoit rendu, et qui défendoit aux membres de l’assemblée d’occuper aucune place ministérielle. Quelle imprudence, Monsieur ! Je ne puis qu’applaudir au refus de l’assemblée. Ce refus a instruit sa majesté que vous n’étiez pas exempt d’erreurs ; le paiement des pensions, fait malgré les défenses de l’assemblée, vous inculpe encore et justifie la facilité de M. de Calonne envers les grands ; c’est là le véritable but de cet écrit.

Les François ne peuvent plus se dissimuler que vous voulez les quitter ; mais que, pour abandonner les clefs du trésor public, vous voulez qu’elles soient remises en mains sûres. Si c’est là votre seule raison, pourquoi les donner à un autre ? Pourquoi quitter, le meilleur des rois ? Pourquoi abandonner l’état dans la triste situation où il est réduit ? Vaincre ou mourir doit être actuellement votre devise, comme elle est celle de plusieurs drapeaux de nos districts. Mais on assure que vous n’entrevoyez plus de moyens pour sauver l’état ; vos ennemis vous imputent d’avoir voulu laisser à la nation l’embarras de se tirer d’affaire elle-même ou d’y succomber.

Vous avez rendu votre place si difficile, que Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/23 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/24 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/25 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/26 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/27 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/28 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/29 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/30 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/31 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/32 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/33 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/34 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/35 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/36 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/37 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/38 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/39 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/40 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/41 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/42 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/43 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/44 Page:Gouges - Départ de M Necker, 1790.djvu/45

  1. Le comte de la Touche, le marquis et la marquise de Sillery, la prétendue comtesse de Ferrare, etc. etc, etc.