Démonstration du principe général de l’invariabilité des fonctions

ANALISE.

Théorème général sur l’invariabilité de la forme des
fonctions ;
Par M. de Maizière, professeur de mathématiques spéciales
au lycée de Versailles.
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1. Soit une certaine fonction de forme en général inconnue, d’une variable , considérée comme variable indépendante ; étant supposée pouvoir varier, soit par les états de la variable , soit par la forme même de la fonction désignée par .

Si, pour un certain état particulier [1] de la variable principale, l’état correspondant de la variable dépendante est exprimé par [2], où désigne une fonction déterminée de l’état  ; Pour tout autre état de la variable principale, l’état correspondant de la variable dépendante sera exprimé par  ; c’est-à-dire, qu’on pourra être sûr, avant même de connaître la forme de , que la relation entre y et x est invariable[3].

On regarde communément cette proposition, prise dans le sens général de son énoncé, comme un axiome, et néanmoins on croit ne pas pouvoir se dispenser de démontrer diverses propositions particulières qui y sont renfermées. Il paraît cependant qu’il n’est aucun cas où une démonstration soit moins indispensable que dans le cas de l’incommensurabilité, que dans la généralisation des formules, soit de la trigonométrie, soit de la transformation des coordonnées, soit des puissances des polynômes, etc.

La seule condition de rigueur, entre les variables et , est qu’elles soient, l’une et l’autre, assujéties à la loi de continuité ; en sorte que l’on puisse concevoir deux états de si voisins qu’on voudra, et assez voisins pour qu’il leur corresponde deux états de dont la différence tombe au-dessous d’une limite donnée, quelque petite qu’on la suppose[4].

Notre proposition sera démontrée (comme on le verra bientôt) si, étant deux états correspondans, aussi voisins qu’on voudra de respectivement, on reconnaît que la relation

(1)

est une absurdité ; désignant une fonction déterminée, connue ou inconnue, autre que celle qui est désignée par .

Pour établir cette proposition, formons le tableau des séries d’états variables de

Cela posé, soient

désignant des quantités qui, sans être nulles, tombent au-dessous d’une limite donnée, si petite qu’on voudra la supposer.

Si (1) est possible, on a, à cause de (3), et de

donc (5), (6) donneront

Or, ce résultat est impossible ; car est une quantité déterminée, résultant de certaines opérations sur la quantité et sur les constantes implicites est aussi une quantité déterminée, qui résulte d’un autre système d’opérations sur les quantités qui sont exactement les mêmes que dans  ; donc est aussi une quantité déterminée et ne peut conséquemment tomber au-dessous d’une limite si petite qu’on voudra ; la relation (7) est donc impossible et conséquemment la relation l’est aussi, si l’on suppose différent de , donc enfin est identique avec .

Il suit de là que étant compris dans la série l’état qui avait été supposé est aussi compris dans la même série puisque étant la même chose que  ; aussi est la même choses que  : or, cette proposition étant générale, il s’ensuit que pareillement est compris dans la même série et que généralement, si est compris, il en sera de même de  ; donc sont compris dans la même série ; donc enfin comme nous l’avions annoncé.

II. La même proposition est vraie à l’égard d’une fonction inconnue de deux variables principales c’est-à-dire, que si, pour les états simultanés , des deux dernières, répondant à l’état ,[5] de la première, on a , où , désigne une fonction déterminée, connue ou inconnue ; pour tout autre système , d’états simultanés des deux variables principales, répondant à l’état de la variable subordonnée, on doit avoir également

On peut, pour démontrer cette proposition, ou répéter exactement le raisonnement qui a servi à démontrer la première, ou employer un nouveau raisonnement, non moins simple, et fondé sur cette première : nous préférerons ce dernier mode de démonstration.

Pour parvenir de , à , considérons l’état intermédiaire . Cet état se trouve dans la série des états de , pour lesquels est constante ; ainsi est une fonction d’une seule va- riable , et un de ses états particuliers est, par hypothèse  ; donc toute la série est de la forme  ; donc, en particulier, pour on a : .

Maintenant, la valeur est comprise dans la série des états de pour lesquels , est constant, seule variable, et dont un état particulier est, (3),  ; donc toute la série est de la même forme que  ; donc, en particulier , comme nous l’avions annoncé.

III. La proposition étant supposé vérifiée jusqu’à , elle sera vraie aussi pour . En effet, supposons [6] nous allons voir que.

Pour nous en convaincre, considérons d’abord l’état intermédiaire , compris dans la série fonction de variables (la dernière quantité étant constante), et dont un état particulier est celui supposé . D’après l’hypothèse établie pour une fonction de variables, on doit avoir , et par conséquent .

Maintenant la valeur énoncée est un état particulier de , fonction de la seule variable et dont un autre état particulier est  ; donc on doit avoir comme nous l’avons annoncé.

IV. Conclusion. La proposition étant effectivement prouvée , pour il s’ensuit qu’elle est vraie pour pour un nombre quelconque, pour un nombre de variables.

V. Il est maintenant facile de voir que cette proposition embrasse dans sa généralité, toutes celles qui concernent les incommensurables, les formules trigonométriques, le développement de , étant quelconque, etc., etc. Il y a plus, elle s’applique à des fonctions composées de plusieurs séries séparées, comme sont les ordonnées des deux parties d’une hyperbole ; la loi de continuité étant conservée, dans les deux séries distinctes, par les expressions imaginaires qui, entre autres propriétés, ont l’importante destination de lier des résultats qui, sans leurs intermédiaires, sembleraient isolés les uns des autres.

  1. doit se lire : numéro .
  2. se prononce : fonction numéro 1 de numéro .
  3. Ce théorème, à raison de sa grande généralité, pouvant n’être pas également bien saisi par toutes les classes de lecteurs, il ne sera peut-être pas hors de propos de fixer, par l’application suivante, le sens précis qu’on doit y attacher. Soit une fonction d’une variable  ; si pour un certain état particulier de la variable principale ( étant supposé entier et positif) l’état correspondant de la variable dépendante est exprimé par
    pour tout autre état, ou de la variable principale, l’état correspondant

    de la variable dépendante sera exprimé par


    ou

  4. Ceci n’a pas besoin d’explication, lorsque la série des états de étant composée de termes réels, celle des états correspondans de ne comprend également que des termes réels ; mais on peut considérer une suite d’états imaginaires de ou, en ne considérant que des états réels de cette variable, il peut se faire que la série des états correspondans de ne renferme que des termes imaginaires ou soit composée de diverses parties alternativement réelles et imaginaires, et alors on peut demander à quels caractères on reconnaîtra qu’une telle suite de termes est assujétie à la loi de continuité ? Comme cela est sans difficulté pour les termes qui composent les parties réelles de la série, il s’agit seulement d’expliquer dans quel sens on peut dire que, soit deux termes imaginaires, soit un terme réel et un terme imaginaire, se succédant consécutivement, sont plus ou moins voisins.

    Pour cela nous remarquerons que la différence de deux pareils termes peut toujours, en général, être supposée imaginaire et de la forme or il n’y a pas de doute qu’une telle expression ne puisse tendre vers zéro, puisqu’il suffit pour cela que et tendent eux-mêmes vers cette limite commune. Nous dirons donc que les deux termes que nous considérons ici sont d’autant plus voisins que et seront plus petits, et la loi de continuité consistera, dans ce cas, en ce qu’on puisse concevoir ces deux termes assez voisins pour que et , sans être nuls, puissent tomber, l’un et l’autre, au-dessous d’une limite donnée, quelque petite d’ailleurs qu’on suppose cette limite.

  5. s’énonce : numéro, prime, seconde.
  6. s’énonce : numéro, prime, seconde,… accent , accent .