Démocrite (Regnard)/Acte III

ACTE TROISIÈME.


Scène I.

AGÉLAS, AGÉNOR, suite du roi.
agénor.

Criséis, par votre ordre, en ces lieux va se rendre ;
Et vous pouvez bientôt et la voir et l’entendre.
Mais si je puis, seigneur, avec vous m’exprimer,
Votre cœur me paroît bien prompt à s’enflammer.

agélas.

Je ne te cache rien de l’état de mon âme.
Tu vis naître tantôt cette nouvelle flamme :
Sois témoin du progrès ; mes feux sont parvenus,
En moins d’un jour, au point de ne s’accroître plus.
J’adore Criséis : à chaque instant, en elle
Je découvre, je vois quelque grâce nouvelle.
Ne remarques-tu point, comme moi, ses beautés ?
Ses airs dans cette cour ne sont point empruntés ;
Son esprit se fait voir, même dans son silence :
Elle n’a rien des bois que la seule naissance.

agénor.

De ces feux violents quelle sera la fin ?

agélas.

Je ne sais.

agénor.

Je ne sais.Mais, seigneur, quel est votre dessein ?

agélas.

D’aimer.

agénor.

D’aimer.Quel sera donc le sort de la princesse ?
Athènes, par un choix où chacun s’intéresse,
Vous a fait souverain, sans aucune autre loi
Que d’épouser Ismène, alliée au feu roi.

agélas.

Mon cœur jusqu’à ce jour, sans nulle répugnance,
Suivoit de cette loi la douce violence.
Ce cœur même, en secret, souvent s’applaudissoit
De la nécessité que le sort m’imposoit :
Mais depuis le moment qu’une jeune bergère
M’a charmé, sans avoir nul dessein de me plaire,
Mon penchant pour Ismène aussitôt m’a quitté.
Je me sens entraîner tout d’un autre côté.

agénor, à part.

Ciel, qui sais mon amour, fais si bien, qu’en son âme
Puisse à jamais régner cette nouvelle flamme !

(à Agélas.)

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les champs et les bois
Ont produit des objets dignes des plus grands rois ;
Et le sort prend plaisir, d’une chaîne secrète,
D’allier quelquefois le sceptre et la houlette.

agélas.

Cette inégalité, ce défaut de grandeur,
Pour Criséis encore irrite mon ardeur.

agénor.

Je ne sais ce qu’annonce une telle aventure ;
Mais un des miens m’a dit
qu’en changeant de parure,
Ce paysan, de joie ou de vin transporté,
A laissé, dans l’habit qu’il avoit apporté,
Un bracelet d’un prix qui passe sa puissance :
On doit me l’apporter. Mais Criséis s’avance.


Scène II.

CRISÉIS, THALER, AGÉLAS, AGÉNOR, suite du roi.
thaler, à part, à Criséis.

Je suis trop en chagrin, je vais lui dire, moi ;
Arrive qui pourra, n’importe. Je le vois :
Je m’en vais, palsangué, lui débrider ma chance.

(à Agélas.)

Sire, excusez l’affront de notre importunance.

agélas.

Qu’avez-vous donc ?

thaler.

Qu’avez-vousJ’avons… Mais c’est trop de faveur,
Sire, mettez dessus.

agélas.

Sire, mettez dessus.Parlez.

thaler.

Sire, mettez dessus. Parlez.C’est votre honneur.

agéas.

Poursuivez… quel sujet ?

thaler.

Poursuivez… quelJe ne veux point poursuivre,
Si vous n’êtes couvert ; je savons un peu vivre.

agélas.

Je suis en cet état pour ma commodité.

thaler.

Ah ! Vous pouvez vous mettre à votre liberté,
Et je ne sommes pas dignes de contredire.
Ici j’ons plus d’honneur que je ne saurois dire ;
Je sons nourris, vêtus mieux qu’à nous n’appartient ;
Mais on nous fait un tour qui, tout franc, ne vaut rien.
C’est pis qu’un bois ;
vos gens n’ont point de conscience.
J’ai, dans mon autre habit, laissé, par oubliance…
Avec tout mon esprit, morgué, je suis un sot.

agélas.

Quoi donc ?

thaler.

Quoi donc ? Ils m’avont fait bian payer mon écot.

agélas.

Qui ?

thaler.

Qui ? Vos valets de chambre.
Ah, la maudite engeance !
En me déshabillant en toute diligence
L’un un pied, l’autre un bras (ils ont eu bientôt fait),
Ils m’ont pris un bijou, morgué, dans mon gousset :
Il est de votre honneur de les faire tous pendre.

agélas.

Ne vous alarmez point, je vous le ferai rendre ;
Je veux que l’on le trouve, et je vous en réponds.

thaler.

Tous les honnêtes gens d’ici sont des fripons :
Je sais pourtant fort bien que ce n’est pas vous, sire ;
Je vous crois honnête homme,
et je sais bien qu’en dire :
Mais tout chacun ici ne vous ressemble pas.

agélas

Que l’on aille avec lui le chercher de ce pas,
Et qu’ici les plaisirs, les jeux, la bonne chère,
Suivent ces étrangers qu’Agélas considère.

thaler.

Ah ! Vous êtes, seigneur, par trop considérant.
Mais, parlant par respect, l’honneur que l’on me rend
Me confond ;
car, tout franc, sans tant de préambule…

(à Criséis.)

Palsangué, te voilà comme une ridicule !
Que ne réponds-tu, toi ? Je m’embrouille toujours,
Lorsque d’un compliment j’entreprends le discours.

agélas

Allez, et n’ayez point de chagrin davantage.

thaler.

Que je suis malheureux ! J’ai fait un beau voyage !


Scène III.

AGÉLAS, CRISÉIS.
agélas.

Je ne sais, Criséis, si l’éclat de ces lieux
Avec quelque plaisir peut arrêter vos yeux ;
Je ne sais si la cour vous plaît, vous dédommage
De la tranquillité que l’on goûte au village :
Mais je voudrois qu’ici vous pussiez recevoir
Tout au tant de plaisir que j’ai de vous y voir.

criséis.

Seigneur, de vos bontés, qu’on aura peine à croire,
Le souvenir toujours vivra dans ma mémoire ;
Et j’aurois mauvais goût, si, sortant des forêts,
Je ne me plaisois pas en des lieux pleins d’attraits,
Où chacun du plaisir fait son unique affaire,
Où les dames surtout ne s’occupent qu’à plaire,
Font briller leur esprit, ont un air si charmant,
Et font de leur beauté tout leur amusement.

agélas.

Parmi les courtisans dont la foule épandue
Brille dans cette cour et s’offre à votre vue,
Ne s’en trouve-t-il point quelqu’un assez heureux
Pour pouvoir s’attirer un regard de vos yeux ?
Pourriez-vous les voir tous avec indifférence ?

criséis.

On dit qu’il ne faut point qu’avec trop de licence
Une fille s’arrête à voir de tels objets,
Et dise de son cœur les sentiments secrets.
Il en est un pourtant, si j’ose ici le dire,
Qui, d’un charme flatteur que sa présence inspire,
Se distingue aisément, et qui de toutes parts
S’attire, sans effort, les cœurs et les regards.

agélas.

Vous prenez du plaisir en le voyant paroître ?

criséis.

Oh ! Beaucoup. À son air on voit qu’il est le maître,
Les autres, devant lui, timides et défaits,
Ne paraissent plus rien, et deviennent si laids
Qu’on ne regarde plus tout ce qui l’environne.

agélas.

Aimeriez-vous un peu cette heureuse personne ?

criséis.

Je ne sais point, seigneur, ce que c’est que d’aimer.

agélas.

Aucun objet encor n’a pu vous enflammer ?

criséis.

Non : l’on est dans les bois d’une froideur extrême.

agélas.

Si cet heureux mortel vous disoit qu’il vous aime ?…

criséis.

Qu’il m’aime, moi, seigneur ! Je me garderois bien,
S’il me parloit ainsi, d’en croire jamais rien :

On parle dans ces lieux autrement qu’on ne pense ;
Les plus sincères cœurs…
Mais Démocrite avance[1].


Scène IV.

DÉMOCRITE, AGÉLAS, CRISÉIS, AGÉNOR, STRABON.
agélas, à Démocrite.

Avec bien du plaisir je vous vois à ma cour.
Comment vous trouvez-vous de ce nouveau séjour ?

démocrite.

Fort mal.

agélas.

Fort mal.J’ai commandé, par un ordre suprême,
Qu’on vous y respectât à l’égal de moi-même.

démocrite.

Cela n’empêche pas qu’avec tout votre soin,
Seigneur, je ne voulusse être déjà bien loin.
On me croit en ces lieux placé hors de ma sphère,
Un animal venu d’une terre étrangère :
Chacun ouvre les yeux, et me prend pour un ours.

Je ne suis point taillé pour habiter les cours.
Que diroit-on de voir un homme de mon âge
Des airs d’un courtisan faire l’apprentissage ?
Non, seigneur, à tel point je ne puis m’oublier,
Ni jusqu’à cet excès descendre et me plier.
Ainsi pour faire bien, permettez que sur l’heure
Nous allions tous revoir notre ancienne demeure :
Strabon, Criséis, moi, nous vous en prions tous.

strabon, à Démocrite.

Halte là, s’il vous plaît ; ne parlez que pour vous.
En ce lieu, plus qu’ailleurs,
je suis, moi, dans ma sphère.

agélas.

Si Criséis le veut, je consens à tout faire.

(à Criséis.)

Parlez, expliquez-vous.

criséis.

Seigneur, l’obscurité
Conviendroit beaucoup mieux à ma simplicité :
Mais, s’il faut devant vous dire ce que l’on pense,
Ce beau lieu me retient sans nulle violence ;
Et, s’il m’étoit permis de me faire un séjour,
Je n’en choisirois point d’autre que votre cour.

strabon, à part.

Quel heureux naturel ! Le charmant caractère !
Je ne répondrois pas mieux qu’elle vient de faire.

démocrite, à Criséis.

C’est fort bien fait ! La cour a pour vous des appas ?
Quoi ! Vous pourriez vous plaire en un lieu de fracas,
Où l’envie a choisi sa demeure ordinaire,

Où l’on ne fait jamais ce que l’on voudroit faire,
Où l’humeur se contraint, où le cœur se dément,
Où tout le savoir-faire est un raffinement,
Où les grands, les petits, sont,
d’une ardeur commune,
Attelés jour et nuit au char de la fortune ?

agélas, à Démocrite.

La cour, qu’en ce tableau vous nous représentez,
Vous ne la prenez pas par ses plus beaux côtés.

strabon.

Hé ! Non, non.

agélas.

Hé ! NonQuelque aigreur que cette cour vous laisse,
Convenez que toujours l’esprit, la politesse,
Le bon air naturel, et le goût délicat,
Plus qu’en nul autre endroit, y sont dans leur éclat.

strabon.

Sans doute.

agélas.

Sans doute.Que le sexe y tient un doux empire ;
Qu’on rend à la beauté les respects qu’elle attire ;
Et que deux yeux charmants,
tels qu’à présent j’en vois,
Peuvent prétendre ici les honneurs dûs aux rois.
Mais une autre raison, que près de vous j’emploie,
Et qui vous comblera d’une parfaite joie,
Doit, malgré vos dégoûts, vous fixer à la cour.

démocrite.

Et quelle est, s’il vous plaît, cette raison ?

agélas.

Et quelle est, s’il vous plaît, cette raison ? L’amour.

démocrite.

L’amour ! De passions me croyez-vous capable ?

agélas.

Me préserve le ciel d’un jugement semblable !

démocrite.

Démocrite est-il homme à se laisser toucher ?

(à part.)

Je ne le suis que trop ! J’ai peine à me cacher.

agélas.

Libre de passions, dégagé de foiblesse,
Votre cœur, je le sais, se ferme à la tendresse.
Chacun ne parvient pas à cet état heureux.
C’est de moi dont je parle, et je suis amoureux.

démocrite.

Vous êtes amoureux ?

agélas.

Vous êtes amoureux ? Oui.

démocrite.

Vous êtes amoureux ? Oui.Mais, dans cette affaire,
Ma présence, je crois, n’est pas trop nécessaire.
Absent, comme présent, vous pouvez, à loisir,
Suivre les mouvements de ce tendre désir.

agélas.

J’adore Criséis, puisqu’il faut vous le dire.

strabon, à part.

Ah ! Ah ! Nous y voilà.

démocrite.

Ah ! Ah ! Nous yBon ! Bon ! Vous voulez rire[2].

Un grand roi comme vous, au milieu de sa cour,
Voudroit-il s’abaisser à cet excès d’amour ?
Que diroit, s’il vous plaît, tout votre aréopage ?

agélas.

Pour me déterminer j’attends peu son suffrage.
Oui, belle Criséis, je sens pour vous un feu
Dont je fais avec joie un éclatant aveu.
Mais un cœur bien épris veut être aimé de même.
Vous ne répondez rien.

criséis.

Vous ne répondez rien.Ma surprise est extrême,
D’entendre cet aveu de la bouche d’un roi :
Mon silence, seigneur, répond assez pour moi.

agélas.

Ce silence douteux à trop de maux m’expose.

(à Démocrite.)

Vous, qui voyez le rang que l’amour lui propose,
Secondez mes désirs, parlez en ma faveur.

démocrite.

Moi, seigneur ?

agélas.

Moi, seigneur ? Oui, je veux de vous tenir son cœur :
Vos conseils ont sur elle une entière puissance ;
Vantez-lui mon amour bien plus que ma naissance.

démocrite.

Par grâce, de ce soin, seigneur, dispensez-moi :
Je n’ai point les talents propres à cet emploi.
Je suis un foible agent auprès d’une maîtresse ;
J’ignore le grand art qui surprend la tendresse.
Votre amour, où vos soins veulent m’intéresser,
Reculeroit, seigneur, plutôt que d’avancer.

agélas.

Non, j’attends tout de vous ; je connois votre zèle,
Un soin m’appelle ailleurs ; je vous laisse avec elle.
Puis-je, pour couronner mes amoureux desseins.
Mettre mes intérêts en de meilleures mains ?
Je vous quitte.


Scène V.

DÉMOCRITE, CRISÉIS, STRABON.
strabon, à part.

Voilà, je vous le certifie,
Un fâcheux argument pour la philosophie.

démocrite, à Criséis.

Le roi me charge ici d’un fort honnête emploi,
Et je n’attendois pas l’honneur que je reçois.
Il vient de m’ordonner de disposer votre âme,

Et la rendre[3] sensible à sa nouvelle flamme :
La charge est vraiment belle ; et, pour un tel dessein,
Il ne me faudroit plus qu’un caducée en main.
Quels sont vos sentiments ?
Que prétendez-vous faire ?

criséis.

C’est de vous que j’attends un avis salutaire.
Que me conseillez-vous de faire en cas pareil ?
Car je prétends toujours suivre votre conseil.

démocrite.

Ce que je vous conseille ?

criséis.

Ce que je vous conseille ? Oui.

démocrite, à part.

Ce que je vous conseille ? Oui.Je ne sais que dire.

(Haut.)

Suivez les mouvements que le cœur vous inspire.

criséis.

Ah ! Que j’ai de plaisir que cet avis flatteur
Se rapporte si bien au penchant de mon cœur !
J’étois, je vous l’avoue, en une peine extrême,
Et n’osois tout à fait me fier à moi-même.
Je sentois pour le prince un mouvement secret,
Et je ne savois pas si c’est bien ou mal fait :
Maintenant que je vois le parti qu’il faut prendre,
Je puis, par votre avis, suivre un penchant si tendre.

démocrite.

Pour lui vous sentez donc cet appétit secret…

(à part.)

J’ai bien peur d’être ici curieux indiscret.

criséis.

Quand le prince tantôt s’est offert à ma vue,
J’ai senti dans mon cœur une flamme inconnue ;
Tout ce qu’il me disoit me donnoit du plaisir ;
Ma bouche a laissé même échapper un soupir.
En cessant de le voir, une tristesse affreuse
Tout d’un coup m’a rendue inquiète et rêveuse ;
À son air, à ses traits, j’ai pensé tout le jour :
Je l’aime, si c’est là ce qu’on appelle amour.

strabon.

Oui, voilà ce que c’est. Peste ! Quelle ignorante !
Vous êtes devenue en un jour bien savante !
Vous n’aviez pas besoin tantôt de nos leçons ;
Ni nous, de nous étendre en définitions.

démocrite.

Enfin donc vous aimez ?

criséis.

Enfin donc vous aimez ? Moi ?

démocrite.

Enfin donc vous aimez ? Moi ? Voilà, je vous jure,
Les symptômes d’amour que cause la nature.

criséis.

Quoi ! C’est là ce qu’on nomme amour ?

démocrite.

Quoi ! C’est là ce qu’on nomme amour ? Et vraiment oui.

criséis.

Si j’aime, en vérité, ce n’est que d’aujourd’hui.

démocrite.

Vous m’aviez tant promis qu’aucun homme,
en votre âme,
N’exciteroit jamais une amoureuse flamme.

criséis.

Je n’en connoissois point ; et je les croyois tous
Tels que vous le disiez, et formés comme vous.

strabon, bas, à Démocrite.

Cette sincérité devroit vous rendre sage.

démocrite.

Je sens qu’elle a raison, et cependant j’enrage.
J’ai tort de m’emporter ; reprenons désormais
L’esprit qui nous convient ; rions sur nouveaux frais.
Les hommes, en effet, ont bien peu de prudence,
Sont bien vides de sens, bien pleins d’extravagance,
De se laisser mener par de tels animaux,
Connaissant, comme ils font,
leur foible et leurs défauts.
Il n’en est presque point qui, vingt fois en sa vie,
N’ait senti les effets de quelque perfidie ;
Cependant on les voit, de nouveaux feux épris,
Redonner dans le piège où l’on les a vus pris :
À grand-peine échappés de leurs derniers naufrages,
Ils vont, tout de nouveau, défier les orages.
Continuez, messieurs ; soyez encor plus fous ;
Justifiez toujours mes ris et mes dégoûts.
Ces ris, dans l’avenir, porteront témoignage
Que je n’ai point été la dupe de mon âge,
Et que je comprends bien que tout homme,
en un mot,

Est, sans m’en excepter, l’animal le plus sot.

criséis, à Démocrite.

J’aime à voir que, malgré votre austère caprice,
Comme aux autres humains
vous vous rendiez justice.
Je vais trouver le prince, et lui dire l’ardeur
Dont vous avez voulu parler en sa faveur.


Scène VI.

DÉMOCRITE, STRABON.
strabon.

Vous ne riez plus tant : quel chagrin vous tourmente ?
La chose me paroit cependant fort plaisante.
La peste ! Quel enfant ! Pour moi je suis surpris
Comme aux filles l’esprit vient vite en ce pays.

démocrite.

Commerce humain,
pour moi plus mortel que la peste,
Ce n’est pas sans raison que mon cœur te déteste.


Scène VII.

DÉMOCRITE, STRABON,
le maître d’hôtel.
le maître d’hôtel.

Messieurs, servira-t-on ? Le dîner est tout prêt.

strabon.

Oui ; qu’on mette à l’instant sur table, s’il vous plaît.

Allez vite. Écoutez : ferons-nous bonne chère ?

le maître d’hôtel.

Vingt cuisiniers ont fait de leur mieux
pour vous plaire,

criséis.

Vingt cuisiniers !

le maître d’hôtel.

Vingt cuisiniersAutant.

démocrite.

Vingt cuisiniers AutMais c’est bien peu, vraiment !

le maître d’hôtel.

Ils ont mis de leur art tout le raffinement.

démocrite.

Qui ne riroit de voir qu’avec un soin extrême
L’homme ait inventé l’art de se tuer lui-même !
À force de ragoûts et de mets succulents,
Il creuse son tombeau sans cesse avec ses dents.
Il sait le peu de jours qu’il a des destinées,
Et tâche, autant qu’il peut, d’abréger ses années.
Vous êtes, dans votre art, tous de francs assassins,
Produits par les enfers, payés des médecins ;
Et, si l’on agissoit en bonne politique,
On vous banniroit tous de chaque république.

(Il sort.)

Scène VIII[4].

LE MAÎTRE D’HÔTEL, STRABON.
strabon.

Il faut le laisser dire, aller toujours son train,
Et, si vous le pouvez, faire encor mieux demain.


FIN DU TROISIÈME ACTE.

  1. Ces quatre vers sont conformes à l’édition de 1728. Les deux derniers manquent dans l’édition originale et dans celle de 1750 ; dans la plupart des éditions modernes, on lit ainsi :
    CRISÉIS.
    Qu’il m’aime, moi, seigneur ! je me garderois bien,
    S’il faisoit cet aveu, d’en croire jamais rien.
    On parle ici, dit-on, autrement qu’on ne pense :
    Il faut bien se garder… Mais Démocrite avance.
  2. Cette leçon est parfaitement conforme à l’édition originale, à celle de 1728, et à celle de 1750. J’ignore ce qui a porté l’éditeur de l’édition de 1790 à dire, et celui de l’édition de 1810 à répéter que dans les première édition on lisoit ainsi :
    AGÉLAS.
    J’adore Criséis, puisqu’il faut vous le dire.
    STRABON.
    Ah ! Ah ! Nous y voilà.
    (bas à Démocrite.)
    Belle matière à rire !
    DÉMOCRITE.
    Un grand roi comme vous, etc.
  3. Celle leçon est conforme à l’édition originale et à celle de 1728. Dans les autres éditions, on lit :
    Il vient de m’ordonner de disposer votre âme
    À devenir sensible à sa nouvelle flamme.
  4. Dans l’édition originale, cet acte n’est divisé qu’en sept scènes.