(pseudo non identifié)
Éditions de Minuit, 8 rue de Tracy (p. 63-67).
◄  V
VII  ►

VI

— Colette chérie, qu’est-ce que l’amour ?…

— C’est un sentiment qui d’abord furtif, s’exaspère en rapprochant deux êtres qui se désirent et finissent par se posséder…

— Comme nous l’autre jour dans le jardin, et depuis dans mon grand lit ?…

— Oui, Jacqueline chérie…

— Mais, ma Colette, jamais dans les romans et les belles histoires que j’ai pu lire, il n’est question d’amour entre jeunes filles…

— Parce que c’est un amour défendu…

— Défendu par le catéchisme ?…

— Et aussi par la morale de tout le monde !

— Mais pas par la nôtre ?…

— Oh ! non, mon aimée ! Notre morale ne s’embarrasse guère de sots préjugés… Et puis, vois-tu, avant de connaître l’amour de l’homme, tu sauras à peu près tout, quoique pucelle…

— Colette ! Qu’est-ce que c’est qu’une pucelle ?…

— C’est une petite fille comme toi, ma bien-aimée !…

— Et toi, ma Colette ?…

— Oh ! moi… Il y a longtemps que l’oiseau s’est envolé !

— Oui !… Raconte-moi ?

— Viens donc là plus près, ma petite chatte ; oui retire cette chemise, nous serons mieux, nues sur le lit. Comme cela, lève ta jambe, là, croise-la dans la mienne… Oh ! chérie, comme ta peau est douce ! Donne tes lèvres…

Les deux cousines forment le plus gracieux couple, dans la grande chambre à coucher bien close. Et qui pourrait penser qu’à cette heure tardive, elles ne se livrent pas à un calme sommeil, chacune dans leur lit !… Bien sûr, madame de Rembleynes dort déjà profondément, et la vieille Mariette aussi, et Gaspard, et tout le monde. Le grand domaine est plongé dans le silence nocturne… Sauf ici, où sur le grand lit, Colette et Jacqueline, nues, regardent leur corps harmonieux caressé doucement par la lueur fugitive de la lampe veilleuse.

Car dès le lendemain de l’arrivée de Colette de Verneuse, les deux cousines ont décidé de coucher ensemble. Aussi, quand le grand silence est descendu sur le château, la porte qui sépare les deux chambres s’ouvre, et Jacqueline saute de son lit pour bondir dans celui de Colette.

Elles sont bien tranquilles, personne ne vient troubler leurs caresses et leurs baisers, non plus que leur nuit calme, quand elles dorment enfin lasses et ivres d’amour, encore tendrement enlacées.

Et la vieille Mariette ne s’aperçoit de rien quand elle monte le matin dans les chambres pour remettre en ordre les lits défaits. Les deux cousines sont déjà en bas, savourant l’onctueux chocolat parfumé et les tranches de pain grillé sur lesquelles fond légèrement le délicieux beurre de Normandie…