(pseudo non identifié)
Éditions de Minuit, 8 rue de Tracy (p. 7-20).
II  ►

I

Jacqueline fit un grand bond dans son lit, rejeta le drap et se frotta les yeux. La vieille Mariette venait de tirer les rideaux, et le soleil déjà, envahissait la mignonne chambre à coucher, jolie comme un écrin très précieux renfermant un bijou de haut prix.

C’était un beau dimanche de la fin juin, et la chaleur jetait une douce torpeur sur la campagne normande rafraîchie toutefois par la brise qui venait de la mer proche.

Jacqueline s’étira, se leva à demie et se recoucha, roulée en boule comme une chatte.

— « Allons, Mademoiselle Jacqueline, il est grand temps de vous lever et de prendre votre chocolat. Il est tard, savez-vous, et dans trois quarts d’heure, la voiture partira à l’église…

— « Non, non, Mariette, je veux paresser ce matin, laisse-moi, je reste au lit, la voiture partira sans moi !…

Le bon visage ridé de la servante se plissa en une mine scandalisée.

— Comment ? Aujourd’hui dimanche, vous voulez manquer la messe !…

— Ah ! oui, c’est vrai ! Tu parles alors d’une affaire, ma bonne Mariette !… Allons, sauve-toi, je me lève en vitesse…

Lentement, en hochant la tête, la vieille servante quitta la chambre mignonne, et Jacqueline sautant du lit, alla rapidement verrouiller la porte.

Craignait-elle des indiscrets ?… Non, car à part sa mère et Mariette, personne ne pouvait entrer dans sa chambre à coucher. Mais, avec le verrou ainsi poussé, Jacqueline se sentait plus seule, plus tranquille pour faire sa toilette matinale à laquelle elle apportait un soin minutieux.

Jacqueline venait d’avoir dix-sept ans, et depuis longtemps déjà, elle devinait en elle quelque chose qui frémissait joyeusement certains jours, fiévreusement quelquefois ; une ardeur immense qu’elle ne cherchait nullement à comprimer, mais qu’elle analysait au contraire, avec une curiosité grandissante. Et, il faut croire que ce quelque chose touchait de bien près à sa chair merveilleuse, blanche et rosissante par endroit, qu’elle pouvait contempler dans la grande glace ; car ce trouble indéfinissable et délicieux la prenait, l’enveloppait toute quand elle se contemplait, nue dans le complaisant miroir.

Comment d’ailleurs, pouvait-il en être autrement ? Jacqueline était jolie, plus que jolie même, belle admirablement, majestueusement, comme une statue antique, animée soudain en de gracieux mouvements mettant en valeur son corps de jeune déesse.

Avec quel émoi en explorait-elle de sa main hardie, les harmonieuses courbes, polissant le ventre et caressant du doigt les alentours du nombril mystérieux comme un antre en miniature, propice aux ébats de quelques nymphes naines. Avec quels délices insinuait-elle sa main douce entre ses cuisses chaudes où elle découvrait la blonde toison frisée ! Et la jeune vierge devinait en les voyant à demi réfléchies, par le miroir complice, les jolies fesses dont elle savourait la rondeur exquise, beau globe séparé par la fente familière depuis longtemps à ses doigts caressants.

Mais combien eût-elle admiré encore plus, la jolie Jacqueline, si elle avait pu dévorer des yeux, cette fente mignonne, ambrée délicieusement, féerique et charmante route conduisant au centre voluptueux !…

Mais cela, le miroir était impuissant à le montrer, et Jacqueline devinait seulement en parcourant de son doigt tremblant, le sillon de chair tiède et douce, tout le mystère prometteur de plaisirs inconnus.

Oui, mystère encore pour cette jolie blonde de dix-sept printemps ; fleur délicate qui commençait à s’ouvrir et qui attendait, — avec quelle impatience inconsciente encore ! — d’être cueillie !…

Jacqueline s’en doutait-elle ?… Que savait-elle de l’amour ?… Peu de choses ; rien pour ainsi dire, car elle était enveloppée de ce voile d’ignorance soigneusement et sévèrement tissé par les pieuses mains d’une mère attentive. Quel spectacle, quelle lecture eussent-ils pu initier Jacqueline aux connaissances délicieuses des péchés mignons ?

Aussi était-elle restée pure de fait, sinon d’instinct et d’intentions…

Car Jacqueline, impatiente de satisfactions voluptueuses qu’elle sentait bien être le but ultime et la raison d’être de la beauté charnelle, s’engageait sur cette route du péché, si mystérieusement et rapidement décrite dans une page de son livre de messe, à l’examen de conscience précédant la confession.

Jusqu’au lendemain de sa première communion, Jacqueline avait rapidement passé sur ces lignes troublantes, insinuant des fautes qui, sans doute, n’étaient pas à l’usage des petites filles ; et la luxure, entrevue dans les feuillets de son catéchisme, était sans doute quelque bête féroce, inconnue des verdoyantes campagnes de la Normandie…

Oui, il en était certainement ainsi, car Jacqueline s’en souvenait, lors des séances du catéchisme, en arrivant à ce passage du petit livre, le bon curé en tournant la page, passait rapidement.

Maintenant, il semblait à Jacqueline qu’une clarté soudaine illuminait ces lignes obscures. La luxure n’était pas du tout une bête monstrueuse et malfaisante, mais au contraire, quelque chose de doux, de très doux et de très subtil, à laquelle conduisait le sillon ambré qu’elle parcourait du doigt, depuis ses fesses bien potelées et bien fermes, jusqu’à la toison blonde et frisée dissimulée par ses cuisses fermées, et qu’elle n’osait pas encore regarder en s’écartant légèrement devant son miroir.

Car elle n’osait pas encore regarder ! Et elle se contentait de sentir et de constater une soudaine rougeur qui lui montait au visage et qui faisait battre ses tempes et ciller ses yeux.

Alors, farouchement, elle prenait à pleines mains, les jolis globes de ses seins devenus plus fermes tout d’un coup, avec leur pointe rose, hardiment dressées, et se refermant sur le désir qu’elle sentait monter en elle, elle s’admirait longuement devant le grand miroir, et se promettait de connaître un jour, bien vite et le plus tôt possible, ce qui pouvait se cacher là entre ses cuisses admirablement modelées comme ces marbres de Paros épars dans les illustrations de son Histoire de l’Art.

Ah ! comme l’on comprend pourquoi la jolie Jacqueline tirait le verrou de sa porte quand elle se levait le matin…

Aujourd’hui dimanche, il faut bien qu’elle se dépêche. Son chocolat l’attend, elle est en retard, et tout à l’heure, la voiture va partir au trot des deux chevaux, vers l’église du village que trois kilomètres séparent du château.

Oui, mais Jacqueline est là, attentive devant sa glace ! Attentive et légèrement troublée, car elle a poussée plus avant son exploration coutumière.

Légèrement, elle a pressé et caressé les pétales de sa fleur intime dressée au centre du jardin mystérieux. Et quelque chose d’inconnu et d’indéfinissable s’est emparé d’elle. Elle vient de comprendre d’instinct, que là, est le centre du péché, l’enclos interdit où bouillonne le désir… Et sa main s’y attarde avec une voluptueuse curiosité…

— Jacqueline ! Ton chocolat est froid ! La voiture va partir ! Dépêche-toi, mon enfant ! Nous allons arriver en retard !…

Dans le vestibule, la voix autoritaire de Madame de Rembleynes, sa mère, gronde et s’impatiente.

— Oui ! Oui ! Je suis prête…

Le beau mensonge ! Jacqueline est encore nue devant le grand miroir… Mais la voix maternelle a rompu le charme, et les tempes battantes, l’inconsciente libertine revient vers son lit, inquiète et insatisfaite, assoiffée de caresses inédites, le désir tendu.

Rapidement, malgré tout, elle s’habille, passe sa chemise et sa combinaison au chaste pantalon fermé de pensionnaire, boutonne sur elle le jupon sans élégance et se revêt de la robe modeste de jeune fille pieuse et convenable.

Très bien. Les bas de soie — seul luxe ! — les bottines à haute tige comme en mil neuf cent dix, et le grand chapeau de paille.

— Jacqueline !…

— Oui, Oui !…

Ah ! le livre de messe ! — Examinons-nous sur les péchés que nous avons commis, envers Dieu, envers le prochain et envers nous-mêmes, pensées, désirs et actions contraires à la pureté. Sixième commandement : Luxurieux point ne sera, de corps ni de consentement. Neuvième commandement : L’Œuvre de chair ne désireras, qu’en mariage seulement.

— Jacqueline, vite ton chocolat !

— Oui !

Voilà le livre de messe ! Qu’est-ce que la luxure ? Qu’est-ce que l’œuvre de chair ? En mariage seulement… Pourquoi en mariage ?

— Viens-tu Jacqueline ? Il est grand temps ; nous devrions être parties depuis cinq minutes déjà !

— Oui, oui ! Voilà !…

Les derniers coups de la cloche tintent là-bas :

Ding, ding, don… la-lu-xure, ding, ding, don.

Madame de Rembleynes, Jacqueline et Mariette, ont pris place dans l’antique landau, et Gaspard, bien droit sur son siège, stimule ses chevaux qui prennent le trot jusqu’à la vieille église, nichée dans un bouquet de verdure.