Paris : Chez Buisson, lib., rue Haute-Feuille, n° 20 ; Lyon : Chez Bruyset, rue Saint-Dominique (p. 292-309).

CHAPITRE VI.

Effets de l’association prématurée de certaines idées sur le caractère.

Elevées de cette manière vicieuse, propre à les affoiblir, si recommandée par les écrivains que je viens de passer en revue, et n’ayant point de chance qui leur promette de sortir de l’état de subordination où elles se trouvent dans la société, pour regagner le terrein qu’elles ont perdu[1], est-il surprenant que les Femmes paroissent par-tout un défaut dans la nature ? Est-il surprenant, quand nous considérons l’effet déterminé de l’association prématurée d’idées sur le caractère, qu’elles négligent leur raison, et tournent tous leurs soins sur leur personne ?

Les considérations suivantes feront sentir aisément les grands avantages, qui sont le résultat naturel de l’attention à enrichir l’ame de connoissances. L’association de nos idées est ou habituelle ou instantanée, et le dernier mode semble plutôt dépendre de la température originelle de l’intelligence, que de la volonté. Quand nous avons une fois recueilli des idées et des matières de fait, ces provisions restent emmagasinées par l’usage, jusqu’à ce que quelque circonstance fortuite fasse pénétrer dans notre jugement, avec une force propre à l’éclairer, l’instruction reçue successivement à différens périodes de notre vie. Plusieurs souvenirs sont comme l’éclair de la foudre ; une idée s’assimile à l’autre, et y jette du jour avec une rapidité prodigieuse. Je ne fais pas allusion, en ce moment, à cette prompte perception de la vérité, qui est tellement intuitive qu’elle devance toutes les recherches, et nous ouvrant soudain le nuage, se dérobe à notre vue par sa célérité, jusqu’à nous faire douter si c’est réminiscence ou raisonnement. Nous n’avons que très-peu d’influence sur ces associations instantanées d’idées ; car, quand l’ame s’est une fois élancée dans cette course rapide, ou plongée dans l’abyme de la réflexion, les matériaux grossiers s’arrangent en partie d’eux-mêmes. Le jugement, il est vrai, peut nous empêcher de nous écarter des contours, en dessinant le groupe de nos pensées, ou que nous écrivons sous la dictée de l’imagination de brûlantes esquisses ; mais les esprits animaux, caractère individuel, donnent le coloris. Combien nous et notre raison, nous avons peu de pouvoir sur ce fluide électrique si subtil[2] !

Ces esprits déliés paroissent être l’essence du génie ; et rayonnant dans ses yeux, comme le courage dans ceux de l’aigle, produisent, au dégré le plus éminent, cette heureuse et puissante énergie d’un faisceau d’idées, qui surprennent, enchantent et instruisent. Telles sont ces intelligences créatrices, qui concentrent les beautés de l’univers sur un point, pour ravir les autres hommes, en attachant leurs yeux avec intérêt sur les objets réfléchis du miroir de leur imagination ardente, qui en a recueilli les images, en planant dans son vol hardi sur toute la nature.

Qu’on me permette de développer mon idée. La majeure partie des hommes ne peut voir ou sentir poëtiquement ; ils manquent d’imagination, aussi fuient-ils la solitude, pour chercher des objets sensibles ; mais, quand un écrivain de génie leur prête ses yeux, ils peuvent voir, comme il a vu, et s’amuser des images qu’ils n’auroient pas su choisir, quoiqu’elles fussent également éparses devant eux.

Ainsi l’éducation ne fait que fournir à l’homme de génie des connoissances, pour ménager de la variété et des contrastes dans ces groupes d’idées ; mais il en est une association habituelle, qui croît à mesure que nous croissons, et a le plus grand effet sur le caractère moral du genre humain ; c’est d’elle que l’ame reçoit une disposition qu’elle garde ordinairement pendant toute la vie. L’esprit est si ductile, et en même tems si refractaire, que la raison le débarasse rarement des groupes d’idées, formées par les circonstances survenues durant le période que le corps emploie à parvenir à sa maturité. Une idée en réveille une autre, son ancienne compagne, et la mémoire fidèle aux premières impressions, surtout quand nous ne faisons pas usage de nos facultés intellectuelles pour réfroidir nos sensations, retrace ces idées associées, avec une exactitude mécanique.

Cette dépendance habituelle des premières impressions produit un effet plus funeste sur le caractère des Femmes que sur celui des hommes, parce que les affaires et d’autres occupations sèches de l’esprit, tendent à amortir l’excessive sensibilité, et à rompre des groupes d’idées qui, réunies, ont la force de résister à la raison ; mais les Femmes que l’on a la maladresse de rendre Femmes, quand elles ne sont encore que de petites filles ; et qu’on ramène aussi gauchement à l’enfance, lorsqu’elles devroient abandonner pour jamais les joujoux, n’ont pas assez de force d’ame, pour effacer les idées factices, qui sont le produit d’un art par lequel la nature se trouve violentée.

Tout ce qu’elles voient, tout ce qu’elles entendent, fixe les impressions, appelle les sentimens et unit les idées qui donnent i un caractère sexuel à l’esprit. Les fausses notions de délicatesse et de beauté, arrêtent leur développement physique, et produisent en elles un état maladif, plutôt encore que la délicatesse des organes. Ainsi affaiblies par le déroulement et non par l’examen des premières combinaisons, concentrées en elles-mêmes par les objets environnans, comment pourroient-elles acquérir la force nécessaire pour sortir de leur caractère factice ? — Comment pourroient-elles recourir à la raison, et s’élever au-dessus du système oppressif qui détruit les belles espérances de leur jeunesse ? Cette cruelle association d’idées que tout conspire à maintenir dans leur manière de penser ou de sentir, pour parler avec plus de précision, cette cruelle association d’idées reçoit une nouvelle force, lorsqu’elles commencent à agir un peu par elles-mêmes ; car alors, elles découvrent que ce n’est que par leur adresse à émouvoir les hommes, qu’elles peuvent se mettre en possession du pouvoir et du plaisir. D’ailleurs, tous les livres écrits pour leur instruction, et qui font la première impression sur leur esprit, leur inculquent les mêmes opinions ; il s’ensuit qu’élevées dans un esclavage pire que celui des Égyptiens, il est aussi cruel que déraisonnable de leur reprocher des fautes à peine évitables, à moins qu’on ne suppose un dégré de force originelle, qui n’est le partage que d’un bien petit nombre d’individus.

Par exemple, on s’est permis les sacarsmes les plus sévères contre le sexe. On a ridiculisé les Femmes pour leur habitude à répéter quelques phrases apprises par routine ; mais rien ri’est plus naturel, si l’on fait attention à l’éducation qu’elles reçoivent, et si l’on songe que le plus haut degré de gloire pour elles, est d’obéir passivement à la volonté de l’homme. Si on ne leur accorde pas assez de raison pour se conduire elles-mêmes, pourquoi trouver mauvais que ce qu’elles apprennent, elles l’apprennent par routine ; quand on s’en rapporte à leur ingénuité pour leur ajustement, leur passion pour une jupe écarlate m’a toujours paru fort naturelle, et, si l’on admet que l’abrégé que Pope a donné de leur caractère, soit juste, s’il est vrai que toute Femme soit folle par le cœur, pourquoi les censureroit-on plus amèrement, quand elles cherchent un esprit assorti au leur, et préfèrent un fou à un sage.

Les roués connoissent la manière dont ils doivent s’y prendre pour les intéresser, tandis que le mérite modeste des hommes raisonnables peut avoir moins d’effet sur leur sensibilité : ils ne peuvent gagner le cœur par le moyen de l’entendement, parce qu’ils ont peu de sentimens qui leur soient conmmuns.

Il semble un peu absurde de vouloir que les Femmes soient plus raisonnables que les hommes dans leurs goûts, et de leur refuser en même tems le plein exercice de la raison. Les hommes sont-ils bien raisonnables, quand ils sont amoureux ? Avec toute leur supériorité d’avantages et de prérogatives, s’attachent-ils à l’esprit plutôt qu’à la personne ? Comment peuvent-ils donc espérer que les Femmes, auxquelles on n’apprend qu’à s’observer dans leur conduite, à acquérir des manières plutôt que des principes de moralité ; comment peut-on espérer, dis-je, qu’elles mépriseront ce qu’elles ont travaillé toute leur vie à acquérir ? Où trouveront-elles tout-à-coup assez de jugement pour apprécier un homme vertueux et gauche, quand ses manières, dont on les a établies censeurs, seront repoussantes et sa conversation froide et lente, parce qu’elle ne consistera point en saillies, ni en complimens bien tournés ? Pour admirer ou estimer constamment une chose, il faut du moins que notre curiosité nous ait excité à prendre quelque connoissance de l’objet de notre admiration ; car nous ne pouvons apprécier les qualités, ni les vertus qui sont au-dessus de notre intelligence. Ce respect, lorsqu’il est senti, peut être sublime, et sous quelques points de vue, le sentiment confus de l’humanité peut faire un objet intéressant d’une créature dépendante ; mais il n’entre pas des élémens si purs dans l’amour humain ; les attraits y sont pour beaucoup, on pourroit dire pour presque tout.

L’amour est à beaucoup d’égards, une passion despotique ; il règne arbitrairement, comme beaucoup d’autres fléaux prétendus majestueux, sans daigner motiver ses ordres ; on peut aussi le distinguer aisément de l’estime, qui sert de base à l’amitié, parce que souvent ce sont des attraits fugitifs, des grâces passagères qui l’excitent, quoique pour donner de l’énergie et de la tenue au sentiment, il faille que quelque chose de plus solide ajoute à leur impression et mette l’imagination en jeu, afin que l’objet le plus beau lui paroisse en même tems le meilleur.

Les qualités communes n’excitent que des passions communes. — Les hommes cherchent la beauté, et sur-tout l’attrait d’une docilité qui se soumette de bonne grace à leurs volontés. Les manières aisées, le bon ton captivent les Femmes ; un homme, comme il faut ne manque guères de les séduire, et leurs oreilles avides boivent à longs traits ces jolis riens que la politesse a fait une loi de leur débiter, tandis qu’elles se détournent de la voix inintelligible pour elles de la raison qui les raviroit bien plus, si elles pouvoient l’entendre. Quant aux qualités superficielles, les libertins élégans ont certainement l’avantage sur les gens sensés ; et les Femmes en sont de bons juges, puisqu’elles prononcent sur une matière de leur compétence. L’ensemble de leur vie les rendant étourdies et d’une gaîté folle, l’aspect de la sagesse, ou les graces sévères de la vertu ne leur offrent qu’un coup d’œil lugubre ; il produit une sorte de réserve qui doit naturellement leur déplaire et effaroucher l’amour, cet enfant qui n’aime que les jeux et le badinage. Dépourvues de goût, excepté d’un goût superficiel, car le véritable est le fruit du jugement, comment pourroient-elles découvrir la beauté réelle et la grace qui naît du développement des facultés intellectuelles ? Et comment s’attendre à les voir goûter, dans un amant, ce qu’elles n’ont point du tout elles-mêmes, ou du moins ce qu’elles ne possèdent que très-imparfaitement ? La sympathie qui unit les cœurs et les invite à s’épancher, est si foible dans ces Femmes, qu’elle ne sauroit s’enflammer et s’élever à la hauteur d’une passion ; Non, je le répète, l’amour, pour vivre dans de pareilles ames, a besoin d’un aliment plus grossier.

La conséquence se présente d’elle-même ; on n’a pas droit de se mocquer des Femmes à cause de leur prédilection pour les libertins élégans, même de leur amour pour ces êtres méprisables tant qu’on ne les aura pas amenées à faire usage de leurs facultés intellectuelles, et à les cultiver ; puisqu’après tout, c’est l’effet inévitable de leur mauvaise éducation. Des êtres qui ne vivent que pour plaire, doivent trouver leur puissance, leur bonheur dans le plaisir.

Supposons néanmoins, pour un instant que les Femmes fussent ce que j’espère qu’elles deviendront un jour par une heureuse révolution que je voudrois voir déjà réalisée, il n’y a pas jusqu’à l’amour qui, dans ce changement désirable, acquerroit plus de dignité ; son flambeau, devenu plus pur, seroit celui de la vertu ; consumant ce que leurs affections ont de grossier, il leur donneroit plus de délicatesse, et, leur montrant les objets actuels de leur tendresse sous le jour de la vérité, leur en feroit détourner les yeux avec dégoût. Joignant la raison au sentiment auquel elles sont bornées à présent, elles n’auroient point de peine à se tenir en garde contre des grâces extérieures, et apprendroient bientôt à mépriser une sensibilité qui n’auroit été excitée et nourrie qu’à la manière de celle des Femmes qui font honte à leur sexe, en trafiquant du vice et en n’échauffant les sens que par une coquetterie vraiment indécente, et dont le nom seul, qu’on n’oseroit prononcer, est un opprobre : en un mot, elles songeraient que la flamme qu’elles veulent faire monter, pour me servir d’expressions justes quoiqu’allégoriques, a été éteinte par la débauche, et qu’un appétit satisfait, ou pour mieux dire, blâsé, ayant perdu le goût des plaisirs purs et simples, ne peut plus être aiguisé que par les assaisonnemens de la licence ou de la variété. Quelle satisfaction une Femme, tant soit peu délicate, ose-t-elle se promettre à s’unir avec un homme tellement dégradé, que la naiveté même de sa tendresse peut lui paraître insipide ? C’est l’état que Dryden a décrit en parlant de l’orient « où l’amour n’est devoir que pour les Femmes, tandis que les hommes n’y cherchent qu’un plaisir sensuel, qu’ils exigent avec un orgueil barbare. »

Mais une grande vérité que les Femmes sont encore à apprendre, quoiqu’il leur importe beaucoup de s’y conformer dans leur conduite, c’est celle-ci : elles ne doivent point se laisser égarer dans le choix d’un mari, par les qualités qu’elles aimeroient à trouver dans un amant ; car un époux amant ne saurait long-tems demeurer tel, même en le supposant sage et vertueux.

Si les Femmes recevoient une éducation plus raisonnable, qui les mit en état de voir les choses plus en grand, elles se contenteroient d’aimer une fois en leur vie, et laisseroient tranquillement, après le mariage, la passion se changer en amitié, — en cette tendre intimité, sanctuaire où les inquiétudes ne pénétrent plus, et qui porte cependant sur des affections si pures et si durables, que les vaines jalousies n’ont plus le pouvoir de troubler l’exercice des chastes devoirs de la vie, ni de remplir des pensées qui doivent être autrement employées. C’est là l’état dans lequel vivent beaucoup d’hommes ; mais peu, très-peu de Femmes en jouissent, et il est aisé d’expliquer cette différence sans avoir recours à un caractère sexuel. Les hommes, pour qui l’on prétend que nous autres Femmes nous sommes faites, ont trop occupé les pensées des Femmes, et cette association d’idées a ainsi mêlé l’amour à tous les motifs qui les font agir ; il suffit de toucher un peu cette ancienne corde ; ayant été uniquement occupées, soit à se préparer à exciter de l’amour, soit à en réduire actuellement les leçons en pratique, il leur est désormais impossible de vivre sans amour ; mais quand un sentiment de devoir, ou la crainte de la honte les oblige à restreindre ce désir de plaire, ce qu’elles font toujours, dans des limites trop loin de la délicatesse, si elles le sont assez du crime, elles se déterminent obstinément à aimer, et aimer avec passion, du moins leurs maris alors jouant le rôle auquel elles condamnoient follement leurs amans, elles deviennent des colombes gémissantes et des esclaves abjectes, qui portent le joug de l’amour.

Les hommes d’esprit et d’imagination ne sont souvent que des roués, et il faut avouer pourtant que l’imagination est l’aliment de l’amour. De tels hommes ne manqueront donc pas d’inspirer de la passion. La moitié de mon sexe, dans l’état d’enfance où il se trouve aujourd’hui, mourroit d’amour pour un Lovelace ; un homme si spirituel, si bien fait, si plein de graces et si brave ; et peuvent-elles mériter du blâme, pour agir conséquemment à des principes qui leur ont été inculqués avec tant de constance ? Il leur faut un amant, un protecteur ; voyez-le à genoux devant elle, la bravoure aux pieds de la beauté ! L’amour fait oublier les vertus nécessaires à un époux, et les flatteuses espérances ou les tendres mouvemens bannissent la réflexion jusqu’au jour où il s’agit de compter ; et il viendra sûrement ce jour, pour faire de l’amant enchanteur un tyran soupçonneux et cruel, insultant avec mépris cette foiblesse qui s’étoit mise sous sa protection. Supposerons-nous ce roué converti ? mais il ne pourra se défaire de sitôt de ses vieilles habitudes ; quand un homme de talent se trouve égaré, pour la première fois, par ses passions, il a besoin que le sentiment et le goût lui déguisent les excès du vice, et excusent en partie les jouissances brutales auxquelles il s’abandonne ; mais quand le vernis de la nouveauté a disparu, et que le plaisir agit directement sur les sens, le libertinage effronté se montre sans rougir, et l’on s’étourdit dans la jouissance la plus criminelle, dernier effort désespéré de la foiblesse qui craint de se voir elle-même. Ô vertu ! non tu n’es pas un vain nom ! Tout le bonheur que la vie peut nous promettre, c’est toi qui nous le tiens.

Si l’on ne peut guères attendre de consolation de l’attachement d’un roué converti, même en lui supposant des talens supérieurs, qu’oser espérer d’un mauvais sujet, qui manque autant de sens commun que de principes ? Le malheur, et le malheur sous sa forme la plus hideuse. Une conversion est à peu-près impossible, quand le tems a ployé au vice les habitudes de gens, qui n’ont pas la force de prendre un autre pli ; d’ailleurs elle ne feroit que des êtres misérables, de gens trop bornés pour goûter encore les plaisirs innocens ; la nature ne leur présente qu’une existence insipide, comme le repos est à charge au négociant, qui s’est retiré de l’embarras des affaires pour en jouir, et des pensées inquiètes tourmentent sans cesse leur tête vide[3]. Leur réforme, précisément comme la retraite, les rend aujourd’hui malheureux, parce qu’elle les prive de toute occupation, en éteignant les craintes et les espérances qui font couler leur sang paresseux, et mettent en mouvement leurs têtes lentes.

Si telle est la force de l’habitude et le joug de la folie, avec quel soin ne devons-nous pas nous garder d’embarrasser notre raison de groupes d’idées vicieuses ? Nous ne devons pas en mettre moins à cultiver notre jugement, pour l’empêcher de tomber dans la dépendance même d’une ignorance qui ne seroit pas malfaisante, car il n’y a que le bon usage de la raison, qui nous affranchisse de tout, excepté de la raison elle-même — « que la liberté parfaite est de suivre ».

  1. C’est une position bien singulière que celle des femmes dans la société dont elles supportent pourtant les charges autant et peut-être plus que les hommes ! Filles, envain acquerreroient-elles des connoissances spéculatives ou pratiques supérieures à celles des jeunes gens de la plus grande espérance, la bizarrerie, l’orgueil exclusif des hommes leur défend de les montrer ne veut pas qu’elles les employent ; épouses, leur nullité est encore plus complette, s’il est possible ; en effet, instruite et courageuse, la femme d’un imbécille et d’un lâche n’aura jamais de considération personnelle, parce que sa considération est attachée à celle de son mari qui n’en mérite aucune ; mère et veuve, on ne lui permettra pas d’avantage de sortir du cercle étroit des soins domestiques ; si elle est riche, elle aura tout au plus le privilège de se passer d’intendant et d’être sa première femme-de-charge ! C’est bien la peine de se rendre capables de grandes choses pour nous voir éternellement condamnées à n’en faire que de petites !
  2. J’ai souvent demandé aux matérialistes, quand je voulois les embarasser et me mocquer d’eux, si les plus puissans effets, étant produits dans la nature par des fluides, tels que le magnétique, l’électique, etc., les passions ne seroient pas aussi par hasard des fluides très-déliés et très-volatils, propres à l’espèce humaine, qui uniraient les parties élémentaires les plus réfractaires, ou si elles ne seraient pas simplement un fluide igné, destiné à pénétrer les masses les plus inertes, pour y faire circuler la chaleur et la vie ?
  3. J’en ai souvent vu des exemples dans les Femmes, dont la beauté délabrée n’étoit plus susceptible de se réparer par les secours de l’art. Elles s’étoient retirées des scènes bruyantes du monde et des plaisirs ; mais à moins qu’elles ne devinssent dévotes, la solitude où elles se trouvoient, quoiqu’au milieu d’une société choisie dans leur famille, leurs amis ou leurs liaisons, ne leur présentoit qu’un vide effrayant ; en conséquence, les maux de nerfs et toute la suite vaporeuse de l’oisiveté, les rendoit tout aussi inutiles, et bien plus malheureuses que quand elles folâtroient au milieu d’une troupe d’écervelées.