À Monseigneur le duc de Bourgogne
Fables choisies, mises en versClaude BarbinLivre xii (p. --).


À
MONSEIGNEUR
LE DUC
DE
BOURGOGNE


Monseigneur,

Je ne puis emploïer pour mes Fables de Protection qui me ſoit plus glorieuſe que la vôtre. Ce goût exquis, & ce jugement ſi ſolide que vous faites paroître dans toutes choſes audelà d’un âge où à peine les autres Princes ſont-ils touchez de ce qui les environne avec le plus d’éclat ; tout cela joint au devoir de vous obéïr & à la paſſion de vous plaire, m’a obligé de vous preſenter un Ouvrage dont l’Original a été l’admiration de tous les ſiecles, auſſi-bien que celle de tous les Sages. Vous m’avez même ordonné de continuër ; et ſi vous me permettez de le dire, il y a des ſujets dont je vous ſuis redevable, & où vous avez jetté des graces qui ont été admirées de tout le monde. Nous n’avons plus beſoin de conſulter ni Apollon, ni les Muſes, ni aucune des Divinitez du Parnaſſe. Elles ſe rencontrent toutes dans les preſens que vous a faits la Nature, & dans cette ſcience de bien juger des Ouvrages de l’eſprit, à quoi vous joignez déja celle de connoître toutes les regles qui y conviennent. Les Fables d’Éſope ſont une ample matiere pour ces talens. Elles embraſſent toutes ſortes d’évenemens & de caracteres. Ces menſonges ſont proprement une maniere d’Hiſtoire, où on ne flate perſonne. Ce ne ſont pas choſes de peu d’importance que ces ſujets. Les Animaux ſont les precepteurs des Hommes dans mon Ouvrage. Je ne m’étendrai pas davantage là-deßus ; vous voïez mieux que moi le profit qu’on en peut tirer. Si Vous vous connaiſſez maintenant en Orateurs & en Poëtes, Vous vous connoîtrez encore mieux quelque jour en bons Politiques & en bons Generaux d’Armée ; & Vous vous tromperez auſſi peu au choix des Perſonnes qu’au mérite des Actions. Je ne ſuis pas d’un âge à eſperer d’en être témoin. Il faut que je me contente de travailler ſous vos ordres. L’envie de vous plaire me tiendra lieu d’une imagination que les ans ont affoiblie. Quand vous ſouhaiterez quelque Fable, je la trouverai dans ce fonds-là. Je voudrois bien que vous y puſſiez trouver des loüanges dignes du Monarque qui fait maintenant le deſtin de tant de Peuples & de Nations, & qui rend toutes les parties du Monde attentives à ſes Conquêtes, à ſes Victoires, & à la Paix qui ſemble ſe rapprocher, & dont il impoſe les conditions avec toute la moderation que peuvent ſouhaiter nos Ennemis. Je me le figure comme un Conquerant qui veut mettre des bornes à ſa Gloire & à ſa Puiſſance, & de qui on pourroit dire à meilleur titre qu’on ne l’a dit d’Alexandre ; qu’il va tenir les États de l’Vnivers, en obligeant les Miniſtres de tant de Princes de s’aſſembler, pour terminer une guerre qui ne peut être que ruineuſe à leurs Maîtres. Ce ſont des ſujets au-deßus de nos paroles : Je les laiſſe à de meilleures Plumes que la mienne ; & ſuis, avec un profond reſpect,

Monſeigneur,
Vôtre tres-humble, tres-obéïſſant
& tres-fidele Serviteur,
De la Fontaine.