Découverte des mines du roi Salomon/Introduction



INTRODUCTION



Voici mon histoire terminée : elle va être livrée au public, et ce fait me remplit d’appréhensions. Ma crainte est de n’être pas cru et d’être pris pour un simple hâbleur, moi, Allan Quatremain, dont la parole a toujours valu un serment.

L’idée d’un doute ne me serait pas venue sans un petit incident tout récent, dont je vous fais juge.

J’avais eu la simplicité d’envoyer mes épreuves à mon fils Harry. Lui, sans m’avertir, n’eut rien de si pressé que de les passer à un certain Jones, rédacteur distingué, paraît-il, d’un journal destiné aux jeunes garçons. Cet illustre personnage jugea à propos de faire de cet ouvrage une critique blessante, et Harry tout fier de la condescendance de l’homme célèbre, m’envoya cette critique.

M. Jones, qui ignore comment j’ai recueilli les documents de mon récit, s’exprime ainsi :

« L’idée de votre ami n’est pas mauvaise ; on aurait pu cependant en tirer un meilleur parti. Le style non plus n’est pas fameux, et il me semble que, pour se permettre un ouvrage d’imagination pareil, il aurait été bon que l’écrivain possédât, en quelque mesure au moins, des connaissances exactes sur les indigènes et les coutumes qu’il décrit. »

Remarquez, je vous prie, que me jugeant par lui-même, sans doute, M. Jones me prend pour un de ses rivaux, c’est-à-dire un compilateur de mensonges littéraires, et il insinue que mon histoire de la Découverte des mines du roi Salomon est un fruit de mon imagination. Bien plus, selon lui, moi, le chasseur Quatremain, qui, pendant quarante ans, ai vécu, travaillé aux mines, chassé les fauves dans le sud de l’Afrique, je ne connais pas les indigènes et leurs coutumes !

Cela suffit, et je n’ajoute rien, sinon que, malgré mon méchant style, la lettre se terminait par une offre de neuf francs cinquante centimes par page si je veux lui fournir des articles analogues pour son journal. Il ne refuserait donc pas de l’employer, mon style !

Enfin, cette petite pique m’a troublé. Qui sait, me suis-je dit, si d’autres n’auront pas la même impression que le grand Jones ?

Avertir mes lecteurs que ce récit est parfaitement vrai ne convaincra personne ; on me répondra qu’une fois en train d’inventer, un effort d’imagination de plus ou de moins ne coûte pas beaucoup de peine.

Je pourrais peut-être renvoyer mes lecteurs au fac-simile de la carte de José da Sylvestra, qui est en tête de ce volume. Oserait-on dire que j’ai appris le portugais et la calligraphie du seizième siècle pour étayer mon conte ?

Allez donc, je vous prie, au Musée Britannique, et vous y verrez le document original, cette carte que le vieux Portugais traça avec son sang, et l’os qui lui servit de plume, car j’ai l’intention d’envoyer ces deux reliques au Musée.

Quant aux passages de ce livre qui paraîtront extraordinaires, je ne puis dire qu’une chose, c’est que j’ai tracé le récit véritable d’une aventure réelle.

Il ne me reste qu’à vous présenter mes excuses sur mon style qui n’est pas fameux. Que voulez-vous ? Chacun fait comme il peut. Je n’ai pas la prétention d’employer de grands mots et des phrases ronflantes, cela n’est pas donné à tout le monde. Si j’avais qualité pour exprimer une opinion, je dirais que les choses dites simplement nous impressionnent quand elles sont attachantes.

Selon le dictionnaire Koukouana, « une lance bien affilée n’a pas besoin d’être ornée », et, d’après le même principe, j’ose espérer qu’une histoire vraie, tout étrange qu’elle paraisse, n’exigera ni grands mots ni style pompeux.


Allan Quatremain.

Juin 1885.