Découverte des mines du roi Salomon/Chapitre II. La légende des mines de Salomon



CHAPITRE II

la légende des mines de salomon


« Dites-moi tout, reprit sir Henry, je vous en prie.

— Eh bien ! j’ai entendu dire que M. Neville était allé aux mines de Salomon.

— Aux mines de Salomon ! s’écrièrent mes deux auditeurs. Où est-ce, ces mines de Salomon ?

— Je ne le sais pas au juste. J’ai vu les pics des montagnes du pays où il paraît qu’elles se trouvent. Mais il y avait deux cents kilomètres de désert entre les montagnes et moi ; il n’est pas à ma connaissance qu’aucun blanc en soit revenu. J’ai appris qu’autrefois un Portugais avait pénétré jusque-là ; on ne l’a plus revu. Si vous le désirez, je vous raconterai la légende de ces mines, celle que je connais. »

Les deux Anglais firent un signe d’assentiment.

« Eh bien ! repris-je, il y a de cela quelque trente ans, un chasseur nommé Évans, qui était curieux des traditions du pays, — pauvre Évans ! il a été tué par un buffle ; il est enterré aux chutes du Zambèze, — m’entendit parler des restes d’un travail extraordinaire. C’était une belle grande route conduisant à l’entrée d’une galerie où étaient accumulés des quartz aurifères prêts à être travaillés.

« — Je sais quelque chose de plus étrange encore, me dit Évans. Avez-vous entendu parler des mines de Salomon ?

« — Non, jamais.

« — Eh bien ! au nord-ouest du pays des Mashoukoulombés, se trouvent des montagnes où étaient les mines de diamants du roi Salomon.

« — Comment savez-vous cela ? dis-je.

« — On les appelle aujourd’hui montagnes de Suliman ; c’est évidemment par corruption du mot Salomon. J’ai rencontré une gsanousi (sorcière) du pays des Manicos ; elle m’a dit que, dans ce pays-là, les hommes sont grands et forts et qu’ils possèdent encore beaucoup d’arts qui leur ont été transmis par des blancs d’autrefois. Ces blancs avaient le secret d’une mine de pierres brillantes.

« On ne parlait pas encore des champs de diamants, messieurs, et je ne pensai plus à ce que m’avait dit Évans. Vingt ans plus tard, j’entendis de nouveau parler des montagnes de Suliman. Je m’étais aventuré au delà du pays des Manicos, à un endroit appelé le kraal de Sitanda. C’est un misérable village où il n’y a pas même de quoi manger. Mais j’avais pris les fièvres, et, malade comme je l’étais, force m’était de rester là.

« Un jour, je vis arriver un Portugais avec un serviteur, un sang-mêlé. Je n’aime pas les Portugais. Dans ce pays-ci, il n’y a pas de plus grands coquins ; ils trafiquent de chair humaine, c’est-à-dire d’esclaves, comme si ces noirs étaient une simple denrée. Mais mon Portugais montrait la physionomie d’un homme comme il faut ; sa longue moustache était noire, ses yeux bruns et vifs ; sa politesse exquise fit ma conquête. Il me dit son nom : José da Silvestra ; il ajouta qu’il avait son habitation sur les bords de la baie de Delagoa. Le lendemain, en me quittant, il me salua d’un air fort noble et me dit :

« — Adieu, señor ; si nous nous revoyons, je serai l’homme le plus riche du monde, et je me souviendrai de votre accueil hospitalier ! »

« Puis il s’éloigna vers l’ouest. Je me demandais si c’était un fou.

« Une semaine plus tard, j’avais repris des forces, et, tout en rongeant une carcasse de poulet devant ma petite tente, je regardais le soleil enflammé s’abaisser sur les sables du désert, lorsque je vis, sur une pente de terrain, à environ trois cents mètres, quelque chose comme une forme humaine. Tantôt rampant, tantôt se dressant, trébuchant à chaque pas, l’individu avançait. C’était bien un homme, un Européen, car il était vêtu.

« Quand il fut assez près, je reconnus mon visiteur portugais. J’envoyai un de mes chasseurs à son aide. Pauvre malheureux ! Il n’était plus que l’ombre de lui-même.

« — De l’eau ! de l’eau ! gémissait-il. Pour l’amour de Dieu, de l’eau ! »

« Je lui fis donner du lait coupé. Il en absorba sans désemparer une si grande quantité, que je dus lui enlever le liquide. Ensuite la fièvre le prit ; il divagua ; les montagnes de Suliman, le désert, revenaient toujours dans ses phrases incohérentes. Je fis pour lui ce que je pus ; il n’y avait pas grand’chose à faire, car sa fin était proche. Il sommeilla vers le matin, et j’en fis autant. Le soleil lançait à peine ses premiers rayons dans la tente, lorsque je m’éveillai. Mon Portugais était assis sur son séant, le bras étendu vers le désert.

« — Les voilà ! dit-il, les voilà ! Mais je n’irai pas. Personne ne pourra y aller. »

« Il tourna les yeux vers moi.

« — Ami, dit-il, êtes-vous ici ? Mes yeux se voilent.

« — Oui, camarade ; couchez-vous, reposez-vous.

« — Oh ! dit-il, me reposer ! Mais j’ai toute l’Éternité pour me reposer, et je ne serai pas long à y entrer. Écoutez, ami, vous avez été bon pour moi, je vais vous récompenser. Tenez, voici le papier. Vous aurez peut-être plus de chance que moi. »

« Il fouillait dans sa chemise et il en ramenait une espèce de blague à tabac. Il essaya vainement d’en dénouer l’attache.

« — Déliez-la, » me dit-il.

« J’obéis et je tirai de la blague un bout de linge jauni, sur lequel étaient tracés, en couleur de rouille, des caractères presque indéchiffrables. Avec ce petit chiffon était aussi un bout de papier.

« Le mourant reprit d’une voix faible :

« — Ce qui est tracé sur le linge est copié sur le papier. Il m’a fallu des années pour déchiffrer cela. Un de mes ancêtres, banni de Portugal pour des raisons politiques, fut un des premiers colons de ce pays. Il s’appelait don José da Sylvestra. Il vint jusqu’à ces montagnes que vous apercevez là-bas, il les traversa même. Il revenait ; la mort le saisit en route, et son esclave, qui l’attendait de ce côté-ci, prit le bout de chiffon où mon ancêtre avait écrit ses derniers renseignements ; il rapporta ce document dans la famille à Delagoa. Il y a de cela trois cents ans. Personne avant moi n’avait essayé de lire ce testament ; j’y suis parvenu, mais il m’en coûte la vie. Ne donnez cela à personne. Tâchez d’aller là-bas vous-même ; celui qui réussira sera le plus riche du monde. »

« José da Sylvestra, épuisé, retomba sur la couche, et une heure après il se reposait pour toujours.

« Que Dieu ait son âme !

« Avant de quitter Sitanda, je le fis enterrer profondément, avec de lourdes pierres sur son corps, pour que les chacals ne pussent dévorer ses restes.

— Et son document ? dit sir Henry vivement.

— Oui, son document ? Où l’avez-vous mis ? Qu’en avez-vous fait ? demanda le capitaine.

— Ce document, messieurs, je l’ai gardé. Je n’en ai même parlé à personne, si ce n’est à ma pauvre défunte ; elle disait que c’étaient des absurdités. Je me le suis fait traduire par un vieil ivrogne de Portugais entre deux vins, qui, le lendemain, n’avait plus idée du service que je lui avais demandé ; de sorte que personne ne connaît ce document. J’ai l’original à Durban, chez moi, avec la copie de l’infortuné José. Mais je puis vous montrer la version anglaise que j’ai dans mon portefeuille avec un fac-simile de la carte, si toutefois cela peut s’appeler une carte. La voici.

« Moi, José da Silvestra, qui meurs de faim dans la petite caverne où il n’y a pas de neige, au nord du mamelon le plus au sud des deux montagnes que j’ai appelées les Seins de Shéba, j’écris ceci, en l’an 1590, au moyen d’un os aiguisé, sur un morceau de mon vêtement, avec mon sang pour encre. Si mon esclave trouve cet écrit quand il reviendra, qu’il le porte à mon ami (nom illisible). Que mon ami le fasse connaître au roi. Que le roi envoie une armée. Si cette armée peut vivre à travers le désert et les montagnes, si elle peut vaincre les braves Koukouanas et leurs arts diaboliques, — à cet effet, il faudra amener beaucoup de prêtres, — le roi sera le plus riche des rois depuis Salomon. De mes propres yeux j’ai vu les diamants amoncelés dans la chambre des trésors de Salomon, derrière la Mort Blanche. Mais, par la trahison de Gagoul, la flaireuse de sorciers, je n’ai pu en emporter aucun ; à peine suis-je sorti la vie sauve. Que celui qui viendra suive la carte, qu’il fasse, à travers la neige, l’ascension de la montagne de gauche, jusqu’au mamelon au côté nord duquel se trouve la grande route de Salomon. La résidence royale est à trois jours de chemin de là. Que le roi tue Gagoul. Priez pour mon âme ! Adieu ! »[1].

Lorsque les deux amis eurent entendu la lecture du papier et considéré les deux feuilles, il se fit un silence.

« C’est égal, dit enfin Good, j’ai fait deux fois le tour du monde, j’ai relâché à tous les ports, mais je veux être pendu si jamais j’ai entendu raconter une histoire aussi invraisemblable.

— Votre récit est étrange, en effet ! ajouta sir Henry. Je ne veux pas supposer que vous nous preniez pour des naïfs faciles à mystifier. Il y a des voyageurs qui prennent ainsi plaisir à se moquer de leurs auditeurs. Je me demande si vous croyez ce que vous nous racontez-là.

Sir Henry, repartis-je tout offensé, en repliant froidement mes papiers, je vous ai rapporté ce que j’ai entendu dire ; vous n’êtes pas forcé d’y croire. Je ne suis pas un hâbleur, et je n’ai pas pour habitude de conter des aventures et des histoires de mon invention. »

En parlant, je m’étais levé pour me retirer.

Sir Henry posa sa large main sur mon épaule :

« Allons, monsieur Quatremain, ne vous fâchez pas. Je vous demande pardon si j’ai été un peu franc. Mais avouez que votre histoire est incroyable. Voyons ! si l’on vous contait cela à vous-même, qu’en diriez-vous ?

— Monsieur, repris-je tout apaisé par l’air bon enfant de sir Henry, je mettrai entre vos mains les originaux de ces copies, dès que nous serons à Durban. Vous jugerez vous-même. »

Du reste, je ne pouvais nier que cette histoire ne fût fort extraordinaire.

« Jusqu’ici, ajoutai-je, je ne vous ai rien dit touchant votre frère. Je connaissais bien Jim qui l’accompagnait. C’était un Bechuana et, pour un indigène, un garçon intelligent. Le jour de leur départ, Jim était près de mon wagon, en train de râcler son tabac.

« — Eh bien ! lui dis-je, où allez-vous cette fois ? Chasser l’éléphant ?

« — Non, Baas, nous allons en quête de mieux que ça !

« — Mieux que ça ? Diable ! De l’or donc ?

« — Non, Baas, quelque chose de plus précieux encore ! »

« J’étais intrigué, mais ma dignité ne me permettait pas de laisser voir ma curiosité. Quand Jim eut fini son râclage, il reprit :

« — Baas ! »

« Je n’eus pas l’air de l’entendre.

« — Baas ! répéta le métis.

« — Eh bien ! qu’est-ce que tu veux ?

« — Baas, nous voulons chercher des diamants.

« — Diamants ! mais, mon garçon, vous allez juste à l’opposé. Les champs de diamants ne sont pas du côté où vous vous dirigez.

« — Nous n’allons pas aux champs, Baas. As-tu entendu parler des montagnes de Suliman ?

« — Bien sûr.

« — As-tu jamais entendu dire qu’il y a des diamants dans ces montagnes ?

« — Oui, Jim, j’ai déjà entendu conter ces balivernes-là.

« — C’est une vérité, Baas. J’ai connu une femme qui était venue de ce pays-là avec son enfant ; elle m’a parlé de ces diamants.

« — Veux-tu que je te dise le plus clair de l’affaire, mon pauvre Jim ? C’est que vous allez laisser votre peau dans ces déserts.

« — Peut-être bien, Baas ! Mais que veux-tu ! il faudra mourir un jour ou l’autre. Autant avoir vu du pays avant, et avoir tenté de ramasser quelque chose.

« — Ce sont les vautours qui ramasseront ta carcasse, s’ils y trouvent de quoi.

« — Tu as peut-être raison, Baas, mais nous y allons quand même. »

« Une demi-heure après, effectivement, le wagon de M. Neville s’éloignait. Bientôt je vis Jim revenir en courant vers moi.

« — Adieu, Baas ! adieu ! Je ne pouvais pas m’en aller sans te dire adieu. Il y a bien des chances pour que nous y laissions nos os.

« — M’as-tu dit la vérité, Jim ?

« — Oui, maître, nous allons aux montagnes de Suliman. Mon maître veut faire fortune, il dit qu’il va voir s’il y a moyen du côté des diamants.

« — Eh bien, lui dis je, attends un instant, Jim. Je vais te donner un bout de billet pour ton maître. Tu ne le lui remettras que quand vous serez à Inyati. »

« C’était à cent cinquante kilomètres de Bamamgouato, où nous étions alors.

« J’écrivis sur un bout de papier :

« — Que celui qui viendra fasse l’ascension à travers les neiges de la montagne gauche de Shéba, jusqu’à ce qu’il arrive au mamelon, au nord duquel se trouve la grande route de Salomon.

« — Tiens, Jim, tu donneras ça à ton maître, dis-je au chasseur, et tu lui recommanderas de suivre exactement les instructions que renferme ce papier. Ne le lui donne pas tout de suite, au moins ; il reviendrait me questionner, et je ne veux pas être interrogé. Allons, va-t-en donc, fainéant, ton wagon est déjà loin. »

« Jim prit le billet et s’en alla.

« Voilà tout ce que je sais de votre frère, monsieur, et je crains que…

— Monsieur Quatremain, dit sir Henry, vos craintes ne m’ébranleront pas. Je suis parfaitement décidé à aller chercher mon frère jusqu’aux montagnes de Suliman, s’il le faut, et même au delà. Je le trouverai ou je saurai ce qu’il est devenu. Voulez-vous m’accompagner, monsieur Quatremain ? »

Je suis prudent, je ne le cache pas ; s’embarquer dans une pareille expédition, c’était aller chercher la mort. Il ne me semblait pas que la chose fût pressée. Quand c’est la mort qui vient vous chercher, on fait comme on peut ; mais, de sang-froid, sans utilité personnelle, s’aventurer ainsi… car j’ai un fils, enfin, et je n’avais pas le droit de le planter là, sans ressources, ses études inachevées.

« Merci, monsieur, répondis-je, votre confiance m’honore ; mais, voyez-vous, je suis trop vieux pour me lancer dans une expédition si hasardeuse. Il est à peu près certain qu’on n’en reviendra pas. Moi, messieurs, j’ai un fils qui n’a que son père, et, ne fût-ce qu’à cause de lui, je n’ai pas le droit de risquer ma vie. »

Les deux amis échangèrent un regard désappointé.

« Monsieur, reprit sir Henry, je suis riche. J’ai cette recherche à cœur. Vos services me seraient précieux, mettez-les au prix que vous voudrez, dans les limites de ce qui est raisonnable, et je vous paierai comptant, avant de partir. Nous assurerons ainsi l’avenir de votre fils, et vous serez tranquille de ce côté-là. Nous trouverons peut-être aussi des diamants, qui sait ? Je n’en ai pas besoin, moi ; toutes les trouvailles que nous ferons seront à partager entre vous et Good. C’est chanceux, direz-vous, mais enfin on ne peut pas savoir. Vous voyez combien je tiens à vous, monsieur Quatremain ; faites vos conditions et accordez-nous votre compagnie.

— C’est une proposition avantageuse, sir Henry, et j’en suis flatté. J’y réfléchirai. La tâche est rude et l’issue bien incertaine ; je vous donnerai ma réponse quand nous débarquerons.

— Je compte qu’elle sera favorable, dit sir Henry.

— Nous verrons, » dis-je, en me retirant pour la nuit.

Je me couchai, et je ne fis que rêver de diamants, de déserts et du pauvre Sylvestre, à qui les diamants n’avaient guère profité.

  1. En José da Silvestra que estou morrendo da fome n’â pequena cova onde não ha neve ao lado norte do bico mais ao sul das duas mont auhas que chamei seio de Sheba ; escrevo isto no anno 1590 ; escrevo isto com un pedaeo d’ôsso num farrapo de minba roupa com sangue me por tinta ; se o meu escrevo dér com isto quando venha ao levar para Lorrenzo Marquez, que o meu amigo (nome illegible) leve a cousa ao conhenimento d’El Rei para qua possa mandar um exercito que, se defila pelo deserto e pelas montanhas e mesmo sobrepujar os bravos Kukuanes e suas artes diabolicas, pelo que se deviam trazer muitos padres Fara o Rei mairico depois Salomão. Com meus proprios olhos vé os diamantes sem conto guardados nos camaras do therouro de Salomão a traz da morte branca, mas pela traìção de Gagoal a feiteicira achadora, nada poderia levar, e apenas a minha vida. Quem vier siga o mappa e trepe pela neve de Sheba peito à esquerda até chegar ao bico de lado norte do qual està a grande estrada do lada norte do qual enta a grande extradada Salomão por elle feita, donde ha tres dias de jornada até ao Palacio do Rei. Mate Gagoal. Reze por minha alma. Adéos.
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