Découverte de la Terre/Première partie/Chapitre VII/I

J. Hetzel (1p. 166-186).
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CHAPITRE VII

Christophe Colomb (1436-1506).

I

Découverte de Madère, des îles du cap Vert, des Açores, de la Guinée et du Congo. — Bartholomeu Dias. — Cabot et le Labrador. — Les tendances géographiques et commerciales au moyen âge. — Erreur admise généralement sur la distance qui séparait l’Europe de l’Asie. — Naissance de Christophe Colomb. — Ses premiers voyages. — Ses projets repoussés. — Son séjour au couvent des Franciscains. — Il est enfin reçu par Ferdinand et Isabelle. — Son traité du 17 avril 1492. — Les frères Pinzon. — Trois caravelles armées au port de Palos. — Départ du 3 août 1492.

1492 est un millésime célèbre dans les annales géographiques. C’est la date mémorable de la découverte de l’Amérique. Le génie d’un homme allait pour ainsi dire compléter le globe terrestre, en justifiant ce vers de Gagliuffi :

Unus erat mundus ; duo sint, ait iste : fuere.

L’ancien monde devait donc être chargé de l’éducation morale et politique du nouveau. Était-il à la hauteur de cette tâche, avec ses idées encore étroites, ses tendances à demi barbares, ses haines religieuses ? Les faits répondront d’eux-mêmes.

Entre cette année 1403, à la fin de laquelle Jean de Béthencourt venait de terminer sa colonisation des Canaries et l’année 1492, que s’était-il passé ? Nous allons le raconter en quelques lignes.

Un mouvement scientifique considérable, dû aux Arabes, qui allaient être bientôt chassés d’Espagne, s’était produit dans toute la péninsule. Dans tous les ports, mais surtout dans ceux du Portugal, on parlait de cette terre d’Afrique et des pays d’au delà des mers, si riches et si merveilleux. « Mille récits, dit Michelet, enflammaient la curiosité, la valeur et l’avarice ; on voulait voir ces mystérieuses contrées où la nature avait prodigué les monstres, où elle avait semé l’or à la surface de la terre. » Un jeune prince, l’infant dom Henri, duc de Viseu, troisième fils de Jean 1er, qui s’était adonné à l’étude de l’astronomie et de la géographie, exerça sur ses contemporains une influence considérable ; c’est à lui que le Portugal doit le développement de sa puissance coloniale, et ces expéditions répétées dont les récits enthousiastes et les résultats grandioses devaient enflammer l’imagination de Christophe Colomb.

Établi à la pointe méridionale de la province des Algarves, à Sagrès, d’où ses regards embrassaient l’immensité de l’Océan et semblaient y chercher quelque terre nouvelle, dom Henri fit bâtir un observatoire, créa un collège maritime où des savants traçaient des cartes plus correctes et enseignaient l’usage de la boussole, s’entoura de savants, et réunit de précieuses informations sur la possibilité de contourner l’Afrique et d’arriver aux Indes. Sans qu’il ait jamais pris part à aucune expédition maritime, ses encouragements, sa protection aux marins ont valu à dom Henri le surnom de Navigateur, sous lequel il est connu dans l’histoire.

Le cap Non, cette borne fatale des navigateurs antiques, avait été dépassé lorsqu’en 1418 deux gentilshommes de la cour du roi Henri, Juan Gonzalès Zarco et Tristam Vaz Teixeira, furent entraînés en pleine mer et jetés vers un îlot auquel ils donnèrent le nom de Puerto-Santo. Quelque temps après, naviguant vers un point noir qui restait fixe à l’horizon, ils atteignirent une île vaste et couverte de forêts magnifiques. C’était Madère.

En 1433, le cap Bojador, qui avait si longtemps arrêté les explorateurs, fut doublé par les Portugais Gillianès et Gonzalès Baldaya, qui voguèrent plus de quarante lieues au delà.

Enhardis par cet exemple, Antonio Gonzalès et Nuño Tristam s’avancèrent, en 1441, jusqu’au cap Blanc, sur le vingt et unième degré, « exploit, dit Faria y Souza, qui, dans l’opinion commune, n’est nullement au-dessous des plus glorieux travaux d’Hercule », et ils rapportèrent à Lisbonne une certaine quantité de poudre d’or produit du Rio del Ouro. Dans un second voyage, Tristam reconnut quelques-unes des îles du cap Vert et s’avança jusqu’à Sierra Leone. Pendant le cours de cette expédition, il avait acheté de trafiquants maures, à la côte de Guinée, une dizaine de nègres qu’il ramena à Lisbonne et dont il se défit à très-haut prix, car ils excitaient vivement la curiosité publique. Telle fut l’origine de la traite des noirs, qui, pendant quatre siècles, devait enlever à l’Afrique tant de millions de ses habitants, et devenir la honte de l’humanité.

En 1441, Cada Mosto doubla le cap Vert et explora une partie de la côte inférieure. Vers 1446, les Portugais, s’avançant plus loin en pleine mer que leurs devanciers, relevèrent l’archipel des Açores. Dès lors, toute crainte est bannie. On a franchi cette ligne redoutable où l’on croyait que l’air brûlait comme le feu, les expéditions se succèdent sans relâche, et chacune revient après avoir augmenté le nombre des régions découvertes. Il semblait que cette côte d’Afrique ne dût jamais finir. Plus on avançait dans le sud, plus ce cap tant cherché, cette extrémité du continent qu’il fallait doubler pour gagner la mer des Indes, semblait reculer !

Depuis quelque temps le roi Jean II avait ajouté à ses titres celui de seigneur de Guinée. Déjà, avec le Congo, on avait découvert un nouveau ciel et des étoiles inconnues, lorsque Diogo Cam, dans trois voyages successifs, porta la connaissance de l’Afrique plus loin que ne l’avaient fait ses prédécesseurs, et faillit ravir à Dias l’honneur d’avoir reconnu la pointe australe du continent. Le point extrême qu’il atteignit gît par 21° 50’ sud. C’est le cap Cross, où il éleva, suivant la coutume, un padrao ou padron, c’est-à-dire une colonne commémorative qu’on a depuis retrouvée. À son retour, il visita le roi de Congo dans sa capitale et ramena à Lisbonne un ambassadeur nommé Caçuta, avec une suite nombreuse d’Africains, qui tous venaient s’y faire baptiser et instruire des dogmes de la foi qu’ils devaient propager à leur retour au Congo.

Peu de temps après le retour de Diogo Cam, au mois d’août 1487, trois caravelles sortirent du Tage, sous le commandement supérieur d’un chevalier de la maison du roi, nommé Bartholomeu Dias, vétéran des mers de Guinée. Il avait sous ses ordres un marin expérimenté, Joam Infante, et son propre frère, Pedro Dias, capitaine du plus petit des trois bâtiments, qui était chargé des vivres.

Nous ne possédons aucun détail sur la première partie de cette mémorable expédition. Nous savons seulement, d’après Joao de Barros, auquel il faut sans cesse recourir pour tout ce qui a trait aux navigations des Portugais, qu’au delà du Congo, il suivit la côte jusqu’au 29° parallèle, et atterrit à un mouillage qu’il nomma das Voltas, à cause des bordées qu’il lui fallut courir pour l’atteindre, et où il la laissa plus petite de ses caravelles sous la garde de neuf matelots. Après avoir été cinq jours durant retenu dans ce havre par le mauvais temps, Dias prit le large et piqua au sud ; mais il se vit ballotté pendant treize jours par la tempête.

Plus il s’enfonçait dans le sud, plus la température s’abaissait et devenait relativement rigoureuse. Enfin, la furie des éléments s’étant calmée, Dias mit le cap à l’est, où il comptait rencontrer la terre. Mais, au bout de quelques jours, étant par 42° 54′ sud, il fit route au nord et vint mouiller à la baie dos Vaqueiros, ainsi nommée des troupeaux de bêtes à cornes et des bergers qui, de la plage, s’enfuirent dans l’intérieur à la vue des deux caravelles. À ce moment, Dias était à quarante lieues dans l’est du cap de Bonne-Espérance, qu’il avait doublé sans l’apercevoir. L’expédition fit de l’eau, gagna la baie San-Braz (Saint Blaise, aujourd’hui Mossel-Bay) et remonta la côte jusqu’à la baie de l’Algua et à une île da Cruz, où fut élevé un padrao. Mais là, les équipages, abattus par les dangers qu’ils venaient d’affronter, épuisés par la mauvaise qualité et la rareté des vivres, déclarèrent ne vouloir aller plus loin. « D’ailleurs, disaient-ils, puisque la côte court maintenant à l’est, il est bon d’aller reconnaître ce cap qu’on a doublé sans le savoir. »

Dias réunit le conseil et obtint qu’on remonterait encore dans le nord-est pendant deux ou trois jours. C’est grâce à sa fermeté qu’il put atteindre, à vingt-cinq lieues de da Cruz, une rivière qu’il appela, du nom de son second, Rio Infante. Mais, devant le refus des équipages de se porter plus loin, force fut à Dias de reprendre la route de l’Europe.

« Lorsqu’il se sépara, dit Barros, du pilier qu’il avait élevé en ce lieu, ce fut avec un tel sentiment d’amertume, une telle douleur, qu’on eût dit qu’il laissait un fils exilé à jamais, surtout quand il venait à se représenter combien de périls lui et tous ses gens avaient courus, de quelle région lointaine il leur avait fallu venir, uniquement pour y planter cette borne, puisque Dieu ne leur avait pas accordé le principal. »

Enfin ils découvrirent ce grand cap, « caché pendant tant de centaines d’années, et que le navigateur, avec ses compagnons, nomma le Cap des Tourmentes (o Cabo Tormentoso), en souvenir des périls et des tempêtes qu’il leur avait fallu essuyer avant de le doubler. »

Avec cette intuition qui est l’apanage des hommes de génie, Jean II substitua à ce nom de cap des Tourmentes celui de cap de Bonne-Espérance. Pour lui, la route des Indes était dès lors ouverte, et ses vastes projets pour l’extension du commerce et de l’influence de sa patrie allaient pouvoir se réaliser.

Le 24 août 1488, Dias rentrait à Angra das Voltas. Des neuf hommes qu’il y avait laissés, six étaient morts ; un septième périt de joie en revoyant ses compatriotes. Le retour s’effectua sans incidents dignes de remarque. Après une relâche à la côte de Bénin, où l’on fit la traite, et à La Mina, où l’on reçut du gouverneur l’argent provenant du commerce de la colonie, l’expédition ralliait le Portugal dans le courant de décembre 1488.

Chose étonnante ! Dias non-seulement n’obtint aucune récompense pour ce hardi voyage couronné de succès, mais il paraît avoir été disgracié, car on ne le voit pas employé pendant une dizaine d’années. Bien plus, le commandement de l’expédition chargée de doubler le cap qu’il avait découvert fut donné à Vasco da Gama, et Dias ne fit que l’accompagner en sous-ordre jusqu’à La Mina. Il put entendre le récit de la merveilleuse campagne de son heureux émule dans l’Inde et juger de l’immense influence qu’un tel événement exercerait sur les destinées de sa patrie.

Il faisait partie de cette expédition de Cabral qui découvrit le Brésil ; mais il n’eut même pas la joie de contempler les rivages dont il avait montré le chemin. À peine la flotte venait-elle de quitter la terre américaine, qu’une horrible tempête s’éleva. Quatre bâtiments sombrèrent, et, parmi eux, celui que Dias commandait. C’est pour faire allusion à cette fin tragique, que Camoëns met dans la bouche d’Adamastor, le génie du cap des Tempêtes, cette sombre prédiction : « Je ferai un exemple terrible de la première flotte qui passera près de ces rochers, et je signalerai ma vengeance sur celui qui, le premier, m’est venu braver dans ma demeure. »

En somme, ce ne fut qu’en 1497, soit cinq ans après la découverte de l’Amérique, que la pointe australe de l’Afrique fût doublée par Vasco da Gama. On peut donc affirmer que si ce dernier eût précédé Colomb, la découverte du nouveau continent aurait vraisemblablement été retardée de plusieurs siècles.

En effet, les navigateurs de cette époque se montraient fort timorés ; ils n’osaient s’écarter en plein Océan ; peu soucieux de braver des mers inconnues, ils suivaient prudemment la côte africaine sans jamais s’en éloigner. Si donc le cap des Tempêtes eût été doublé, les marins auraient pris l’habitude de se rendre aux Indes par cette voie, et aucun d’eux n’eût songé à gagner le « Pays des Épices, » c’est-à-dire l’Asie, en s’aventurant à travers l’Atlantique. À qui, en effet, serait il venu la pensée de chercher l’Orient par les routes de l’Occident ?

Or, précisément et par ces motifs, cette idée était à l’ordre du jour. « Le principal objet des entreprises maritimes des Portugais au quinzième siècle, dit Cooley, était la recherche d’un passage aux Indes par l’Océan. » Les plus savants n’allaient pas jusqu’à supposer l’existence d’un nouveau continent par des raisons d’équilibre et de pondération du globe terrestre. Nous dirons plus. Quelques parties de ce continent américain avaient été réellement découvertes. Un navigateur italien, Sébastien Cabot, en 1487, aurait atterri sur un point du Labrador. Les Normands scandinaves avaient certainement débarqué sur ces côtes inconnues. Les colons du Groënland avaient exploré la terre de Vinland. Mais telle était la disposition des esprits à cette époque, telle était l’improbabilité de l’existence d’un monde nouveau, que ce Groënland, ce Vinland, ce Labrador n’étaient considérés que comme un prolongement des terres européennes.

Les navigateurs du quinzième siècle ne cherchaient donc qu’à établir des communications plus faciles avec les rivages de l’Asie. En effet, la route des Indes, de la Chine et du Japon, contrées déjà connues par les merveilleux récits de Marco Polo, cette route qui traversait l’Asie Mineure, la Perse, la Tartarie, était longue et périlleuse. D’ailleurs, ces « voies terrestres » ne peuvent jamais devenir commerçantes ; les transports y sont trop difficiles et trop coûteux. Il fallait trouver une communication plus pratique. Aussi tous les peuples du littoral européen, depuis l’Angleterre jusqu’à l’Espagne, toutes les populations riveraines de la Méditerranée, voyant les grands chemins de l’Atlantique ouverts devant leurs vaisseaux, devaient se demander et se demandaient en effet s’ils ne conduisaient pas aux rivages de l’Asie.

La sphéricité de la terre étant démontrée, ce raisonnement était juste. En gagnant toujours vers l’ouest, on devait nécessairement arriver à l’est. Quant à la route à travers l’Océan, elle ne pouvait manquer d’être libre. En effet, qui eût jamais soupçonné l’existence de cet obstacle, long de trois mille deux cent cinquante lieues, jeté entre l’Europe et l’Asie, et qui s’est appelé l’Amérique ?

Il faut observer, d’ailleurs, que les savants du moyen âge ne croyaient pas que les rivages de l’Asie fussent situés à plus de deux mille lieues des rivages de l’Europe. Aristote supposait le globe terrestre plus petit qu’il n’est réellement. « Combien y a-t-il depuis les derniers rivages de l’Espagne jusqu’à l’Inde ? disait Sénèque. L’espace de très-peu de jours, si le vent est favorable au vaisseau. » C’était aussi l’opinion de Strabon. Cette route entre l’Europe et l’Asie devait être courte. De plus, des points de relâche tels que les Açores et ces îles Antilia dont on admettait l’existence, au quinzième siècle, entre l’Europe et l’Asie, devaient assurer la facilité des communications transocéaniennes.

On peut donc affirmer que cette erreur de distance, si généralement accréditée, eut cela d’heureux qu’elle engagea les navigateurs de cette époque à tenter la traversée de l’Atlantique. S’ils eussent connu la distance véritable qui sépare l’Europe de l’Asie, soit cinq mille lieues, ils ne se seraient pas aventurés sur les mers de l’ouest.

Il faut dire que quelques faits donnaient, ou plutôt semblaient donner raison aux partisans d’Aristote et de Strabon qui croyaient à la proximité des rivages orientaux. Ainsi, un pilote du roi de Portugal, naviguant à quatre cent cinquante lieues au large du cap Saint-Vincent, situé à la pointe des Algarves, trouva une pièce de bois ornée de sculptures anciennes, qui ne pouvait provenir que d’un continent peu éloigné. Près de Madère, des pêcheurs avaient rencontré une poutre sculptée et de longs bambous qui par leur forme rappelaient ceux de la péninsule indienne. De plus, les habitants des Açores ramassaient souvent sur leurs plages des pins gigantesques d’une essence inconnue, et ils recueillirent un jour deux corps humains, « cadavres à large face, dit le chroniqueur Herrera, et ne ressemblant pas à des chrétiens. »

Ces divers faits mettaient donc les imaginations en émoi. Comme on ignorait, au quinzième siècle, l’existence de ce Gulf-Stream, qui, en se rapprochant des côtes européennes, leur apporte des épaves américaines, on était fondé à attribuer à ces débris une origine purement asiatique. Donc, l’Asie n’était pas éloignée de l’Europe, et les communications entre ces deux extrêmes du vieux continent devaient être faciles.

Ainsi, aucun géographe du temps ne pensait qu’il pût exister un nouveau monde ; c’est ce qu’il importe d’établir catégoriquement. Il n’était même pas question, en cherchant cette route de l’ouest, d’étendre les connaissances géographiques. Non : ce furent des commerçants qui se mirent à la tête de ce mouvement et qui préconisèrent cette traversée de l’Atlantique. Ils ne pensaient qu’à trafiquer, et à le faire par le plus court chemin.

Il faut ajouter que la boussole, inventée, suivant l’opinion la plus générale, vers 1302, par un certain Flavio Gioja d’Amalfi, permettait alors aux bâtiments de s’éloigner des côtes et de se diriger hors de la vue de toutes terres. De plus, Martin Behaim et deux médecins de Henri de Portugal avaient trouvé le moyen de se guider sur la hauteur du soleil et d’appliquer l’astrolabe aux besoins de la navigation.

Ces facilités admises, la question commerciale de la route de l’ouest se traitait donc journellement en Espagne, en Portugal, en Italie, pays où la science est faite d’imagination pour les trois quarts. On discutait et on écrivait. Les commerçants, surexcités, mettaient les savants aux prises. Un groupe de faits, de systèmes, de doctrines, se formait. Il était temps qu’une seule intelligence vînt les résumer en elle et se les assimiler. C’est ce qui arriva. Toutes ces idées éparses finirent par s’accumuler dans la tête d’un homme, qui eut, à un degré rare, le génie de la persévérance et de l’audace.

Cet homme, ce fut Christophe Colomb, né vraisemblablement près de Gênes, vers 1436. Nous disons « vraisemblablement », car les villages de Cogoreo, de Nervi, réclament avec Savone et Gênes l’honneur de l’avoir vu naître. Quant à l’année exacte de la naissance de cet illustre navigateur, elle varie, suivant les commentateurs, de 1430 à 1445 ; mais l’an 1436 paraît s’accorder plus exactement avec les documents les moins discutables.

La famille de Christophe Colomb était d’humble condition. Son père, Dominique Colomb, fabricant de lainages, jouissait cependant d’une certaine aisance, qui lui permit de donner à ses enfants une éducation plus qu’ordinaire. Le jeune Colomb, l’aîné de la famille, fut envoyé à l’université de Pavie, afin d’y apprendre la grammaire, la langue latine, la géographie, l’astronomie et la navigation.

A quatorze ans, Christophe Colomb quitta les bancs de l’école pour le pont d’un navire, et il faut avouer que, depuis cette époque jusqu’en 1487, cette période de sa vie est demeurée très-obscure. Citons même à ce propos cette opinion de Humboldt, rapportée par M. Charton, dont le regret augmente « touchant cette incertitude relative à Colomb, quand il se rappelle tout ce que les chroniqueurs ont conservé minutieusement sur la vie du chien Becerillo ou sur l’éléphant Aboulababat, que Aaroun-al-Raschyd envoya à Charlemagne ! »

Ce qui parait le plus probable, à s’en rapporter aux documents du temps et aux écrits de Colomb lui-même, c’est que le jeune voyageur visita le Levant, l’Occident, le Nord, plusieurs fois l’Angleterre, le Portugal, la côte de Guinée, les îles africaines, peut-être même le Groënland, ayant, à l’âge de quarante ans, « navigué tout ce qui avait été navigué jusqu’à lui ».

Christophe Colomb était devenu un bon marin. Sa réputation bien établie le fit choisir pour commander les galères génoises à l’époque de la guerre de la république avec Venise. Le nouveau capitaine fit ensuite une expédition sur les côtes barbaresques pour le compte du roi René d’Anjou, et enfin, en 1477, il alla reconnaître les terres enfermées au delà des glaces de l’Islande.

Ce voyage heureusement terminé, Christophe Colomb revint à Lisbonne, où il avait fixé sa demeure. Là, il épousa la fille d’un gentilhomme italien, Bartholomeo Muniz Perestrello, marin comme lui et fort lancé dans le courant des idées géographiques. Sa femme, dona Felipa, était sans fortune ; lui n’avait rien ; il fallut donc travailler pour vivre. Le futur découvreur du nouveau monde se mit à fabriquer des livres à images, des globes terrestres, des cartes géographiques, des plans nautiques, et cela jusqu’en 1484, mais sans abandonner ses travaux scientifiques et littéraires. Il est même probable que pendant cette période il refit toutes ses études, et qu’il parvint à acquérir une instruction très-supérieure à celle des marins de son temps.

Fut-ce à cette époque que « la grande idée » germa pour la première fois dans son esprit ? on peut le supposer. Christophe Colomb suivait assidûment les discussions relatives aux routes de l’ouest et à la facilité des communications par l’Occident entre l’Europe et l’Asie. Sa correspondance prouve qu’il partageait l’opinion d’Aristote sur la distance relativement courte qui séparait les rivages extrêmes de l’ancien continent. Il écrivait fréquemment aux savants les plus distingués de son temps, à ce Martin Behaim dont nous avons déjà parlé, au célèbre astronome florentin Toscanelli, dont les opinions ne furent pas sans influencer celles de Christophe Colomb.

A cette époque, suivant le portrait qu’en donne son historien Washington Irving, Christophe Colomb était un homme de haute taille, robuste et noble de maintien. Il avait le visage long, le nez aquilin, les os de la joue saillants, les yeux clairs et pleins de feu, le teint vif et parsemé de quelques rousseurs. C’était un chrétien profondément convaincu, qui remplissait avec une foi sincère les devoirs de la religion catholique.

A l’époque où Christophe Colomb était en relation avec l’astronome Toscanelli, il apprit que celui-ci, à la demande d’Alphonse V, roi de Portugal, avait remis au roi un mémoire approfondi sur la possibilité de gagner les Indes par les routes de l’ouest. Colomb, consulté, appuya de toute son autorité les idées de Toscanelli favorables à cette tentative. Mais cette ouverture n’eut aucun résultat, parce que le roi de Portugal, détourné de ce projet par ses guerres avec l’Espagne, mourut sans avoir pu porter son attention vers les découvertes maritimes.

Son successeur, Jean II, adopta avec enthousiasme les plans combinés de Colomb et de Toscanelli. Toutefois, avec une fourberie qu’il faut dénoncer, il chercha à dépouiller ces deux savants du bénéfice de leur proposition, et, sans les prévenir, il fit partir une caravelle pour tenter cette grande entreprise et atteindre la Chine en traversant l’Atlantique. Mais il comptait sans l’inexpérience de ses pilotes, sans la tempête qui se déclara contre eux, et, quelques jours après leur départ, un ouragan ramenait à Lisbonne les marins du roi de Portugal.

Christophe Colomb, blessé justement de cet acte d’indélicatesse, comprit qu’il ne pouvait plus compter sur ce roi qui l’avait indignement trahi. Devenu veuf, il quitta l’Espagne avec son fils Diégo vers la fin de l’année 1484. On croit qu’il se rendit à Gênes, puis à Venise, où ses projets de navigation transocéanienne furent assez mal accueillis.

Quoi qu’il en soit, on le retrouve en Espagne pendant le courant de l’année 1485. Le pauvre grand homme était sans ressources. Il voyageait à pied, portant dans ses bras son petit Diégo, âgé de dix ans. Mais, depuis cette période de sa vie, l’histoire le suit pas à pas, elle ne le perd plus de vue, et elle va conserver à la postérité les moindres incidents de cette grande existence.

Christophe Colomb se trouvait alors en Andalousie, à une demi-lieue du port de Palos. Dénué de tout, mourant de faim, il alla frapper à la porte d’un couvent de franciscains dédié à santa Maria de Rabida, et il demanda l’aumône d’un peu de pain et d’eau pour son pauvre enfant et pour lui.

Le gardien du couvent, Juan Perez de Marchena, accorda l’hospitalité à l’infortuné voyageur. Il l’interrogea. Surpris de la noblesse de son langage, ce bon père fut encore plus émerveillé de la hardiesse de ses idées, car Christophe Colomb lui fit connaître ses aspirations. Pendant plusieurs mois, le marin errant demeura dans ce couvent hospitalier. De savants moines s’intéressèrent à lui et à ses projets. Ils étudièrent ses plans ; ils se renseignèrent auprès des navigateurs en renom, et, il faut le noter, ils furent les premiers à croire au génie de Christophe Colomb. Juan Perez fit plus ; il offrit au père de se charger de l’éducation de son fils, et il lui donna une pressante lettre de recommandation pour le confesseur de la reine de Castille.

Ce confesseur, prieur du monastère de Prado, jouissait de toute la confiance de Ferdinand et d’Isabelle ; mais il ne sut admettre les projets du navigateur génois, et il ne le servit en aucune façon auprès de sa royale pénitente.

Christophe Colomb dut encore se résigner et attendre. Il se fixa donc à Cordoue, où la cour devait se transporter, et, pour vivre, il reprit son métier d’imagier. Pourrait-on citer dans l’histoire des hommes illustres une existence plus malmenée que celle du grand navigateur ? La fortune pouvait-elle frapper à coups plus redoublés ? Mais cet homme de génie, indomptable, infatigable, se relevant sous les épreuves, ne désespérait pas. Il avait le feu sacré, il travaillait toujours, visitant les personnages influents, répandant et défendant ses idées, combattant sans cesse avec l’énergie la plus héroïque. Enfin il finit par obtenir la protection du grand cardinal, archevêque de Tolède, Pedro Gonzalès de Mendoza, et grâce à lui il fut admis en présence du roi et de la reine d’Espagne.

Christophe Colomb dut croire alors qu’il touchait au terme de ses tribulations. Ferdinand et Isabelle accueillirent favorablement son projet, qui fut soumis à l’examen d’un concile de savants, de prélats et de religieux réunis ad hoc dans un couvent dominicain de Salamanque.

Mais le malheureux solliciteur n’était pas au bout de ses vicissitudes. Dans cette assemblée, il trouva tous ses juges contre lui. En effet, ses idées touchaient aux questions religieuses, si passionnées pendant le quinzième siècle. Les Pères de l’Église avaient nié la sphéricité de la terre, et, par conséquent, puisque la terre n’était pas ronde, un voyage de circumnavigation devenait absolument contradictoire avec les textes de la Bible et ne pouvait être logiquement entrepris. « D’ailleurs, disaient ces théologiens, si l’on parvenait jamais à descendre dans l’autre hémisphère, comment pourrait-on remonter dans celui-ci ?

C’était là une argumentation très-sérieuse pour l’époque. Aussi Christophe Colomb fut-il presque accusé du plus impardonnable des crimes dans ces pays intolérants, c’est-à-dire du crime d’hérésie. Il put échapper aux mauvaises dispositions du concile, mais l’étude de son projet fut encore ajournée.

De longues années s’écoulèrent. Le pauvre homme de génie, désespérant de réussir en Espagne, envoya son frère au roi d’Angleterre, Henri VII, afin de lui offrir ses services. Probablement le roi ne répondit pas.

Christophe Colomb se retourna alors avec une nouvelle insistance vers Ferdinand. Mais celui-ci était alors engagé dans sa guerre d’extermination contre les Maures et ce ne fut qu’en 1492, après les avoir chassés d’Espagne, qu’il prêta de nouveau l’oreille aux paroles du Génois.

L’affaire, cette fois, fut mûrement examinée. Le roi consentit à tenter l’entreprise. Mais, comme il convient aux âmes fières, Christophe Colomb voulut imposer ses conditions. On marchanda celui qui devait enrichir l’Espagne ! Colomb, indigné, allait sans doute et pour jamais quitter cet ingrat pays ; mais Isabelle, émue à la pensée de ces infidèles de l’Asie qu’elle espérait convertir à la foi catholique, fit rappeler le célèbre navigateur et accéda à toutes ses demandes.

Ce fut donc dix-huit ans seulement après qu’il eut conçu son projet, et sept ans après avoir quitté le monastère de Palos, que Colomb, alors dans sa cinquante-sixième année, signa à Santa-Feta, le 17 avril 1492, un traité avec le roi d’Espagne.

Par convention solennelle, l’office de grand amiral fut attribué à Christophe Colomb dans toutes les terres qu’il pourrait découvrir. Cette dignité devait passer à ses héritiers et successeurs à perpétuité. Christophe Colomb était nommé vice-roi et gouverneur des possessions nouvelles qu’il espérait conquérir dans cette riche contrée de l’Asie. Un dixième des perles, pierres précieuses, or, argent, épices, et toutes denrées et marchandises quelconques, obtenus de quelque manière que ce peut être dans les limites de sa juridiction, devait lui appartenir en propre.

Tout était conclu, et Christophe Colomb allait mettre enfin ses projets à exécution. Mais, répétons-le, il ne pensait pas à rencontrer ce nouveau monde dont il ne soupçonnait en aucune façon l’existence. Il ne voulait que « chercher l’orient par l’occident, et passer par la voie de l’ouest à la terre où naissent les épiceries. » On peut même certifier que Colomb est mort dans cette croyance qu’il avait atteint les rivages de l’Asie et sans avoir jamais su qu’il eut découvert l’Amérique. Mais ceci ne diminue aucunement sa gloire. La rencontre du nouveau continent ne fut qu’un hasard. Ce qui assure à Colomb une immortelle renommée, c’est ce génie audacieux qui le poussa à braver les dangers d’un océan nouveau, à s’éloigner de ces rivages dont les navigateurs n’avaient osé s’écarter jusqu’alors, à s’aventurer sur ces flots avec les fragiles bâtiments de cette époque, que la première tempête pouvait engloutir, à se lancer, enfin, dans le sombre inconnu des mers. Christophe Colomb commença ses préparatifs. Il s’entendit avec de riches navigateurs de Palos, les trois frères Pinzon, qui firent les avances nécessaires pour compléter les frais d’armement.

Trois caravelles furent équipées dans le port de Palos. Elles se nommaient la Gallega, la Nina et la Pinta. La Gallega devait être montée par Colomb, et il la baptisa du nom de Santa-Maria. La Pinta était commandée par Martin-Alonzo Pinzon, et la Nina par François-Martin et Vincent-Yanez Pinzon, ses deux frères. Les équipages furent difficiles à former, les matelots s’effrayant de l’entreprise. Cependant, on parvint à réunir un effectif de cent vingt hommes.

Le vendredi 3 août 1492, l’Amiral, franchissant à huit heures du matin la barre de Saltes, située au large de la ville d’Huelva, en Andalousie, s’aventura avec ses trois caravelles à demi pontées sur les flots de l’Atlantique.