Déclaration du Roi Concernant les Nègres esclaves des Colonies (15 décembre 1738)

DECLARATION DU ROI,
Concernant les Negres eſclaves des Colonies.
Donnée à Versailles, le 15 Décembre 1738.
Registrée au Parlement de Provence.


Louis par la grâce de Dieu, Roi de France & de Navare, Comte de Provence, Forcalquier & terres adjacentes : A tous ceux qui ces préſentes lettres veront, ſalut. Le compte que nous nous fîmes rendre après notre avenement à la couronne, de l’état de nos colonies, nous ayant fait connoître la ſageſſe & la néceſſité des diſpoſitions contenues dans les Lettres Patentes en forme d’Edit du mois de Mars 1685, concernant les eſclaves, nous en ordonnâmes l’exécution par l’article premier de notre Edit du mois d’Octobre 1716 & nous ayant été repréſenté en même temps, que pluſieurs habitans de nos iſles de l’Amérique déſiroient envoyer en France quelques uns de leurs eſclaves, pour les confirmer dans les inſtructions & dans les exercices de la réligion, & pour leur faire apprendre quelque art ou métier ; mais ou ils craignoient que les eſclaves ne prétendirent être libres en arrivant en France, nous expliquâmes nos intentions ſur ce ſujet, par les articles de cet Edit, & nous réglâmes les formalités qui nous parurent devoir être obſervées de la part des maîtres qui emmeneroient ou envoyeroient des eſclaves en France, Nous ſommes informés que depuis ce temps là on y en a fait paſſer un grand nombre : que les habitans qui ont pris le parti de quitter les colonies, & qui ſont venus s’établir dans le Royaume, y gardent des eſclaves nègres, au préjudice de ce qui eſt porté par l’article XV. du même Edit : que la plupart des negres y contractent des habitudes, & un eſprit d’independance, qui pourraient avoir des ſuites fâcheuſes ; que d’ailleurs, leurs maîtres négligent de leur faire apprendre quelque métier utile, en ſorte que de tous ceux qui ſont emmenés ou envoyés en France, il y en a très peu qui ſoient renvoyés dans les colonies, & que dans ce dernier nombre, il s’en trouve le plus ſouvent d’inutiles, & même de dangereux. L’attention que nous donnons au maintien & à l’augmentation de nos colonies, ne nous permet pas de laiſſer ſubſiſter des abus qui y ſont ſi contraires ; & c’eſt pour les faire ceſſer, que nous avons réſolu de changer quelques diſpoſitions a notre Edit du mois d’Octobre 1716, & d’y en ajouter d’autres qui nous ont paru néceſſaire. A ces cauſes, & autres à ce nous mouvant, de notre certaine ſcience, pleine puiſſance & authorité royale, nous avons dit, déclarée ordonné, & par ces préſentes ſignées de notre main, diſons, déclarons & ordonnons, voulons & nous plaît ce qui ſuit,

Article Premier

Les habitans et les officiers de nos colonies, qui voudront emmener ou envoyer en France des eſclaves negres, de l’un ou de l’autre, ſexe, pour les fortifier d’avantage dans la Religion, tant par les inſtructions qu’ils y recevront, que par l’exemple de nos autres ſujets, & pour leur faire apprendre en même-temps quelque métier utile pour les colonies, ſeront tenus d’en obtenir la permiſſion des Gouverneurs généraux, ou Commandant dans chaque Iſle ; laquelle permiſſion contiendra le nom du propriétaire qui emmenera leſdics efclaves, ou de celui qui en ſera chargé, celui des eſclaves mêmes, avec leur âge & leur ſignalement ; & les propriétaires deſdits eſclaves, & ceux qui ſeront chargés de leur conduite, ſeront tenus de faire enregiſtrer ladite permiſſion, tant au Greffe de la juridiction ordinaire ou de l’Amirauté de leur réſidence, avant leur départ, qu’en celui de l’Amirauté du lieu de leur débarquement, dans huitaine après leur arrivée : le tout ainſi qu’il eſt porté par les articles II, III & IV, de notredit Edit du mois d’Octobre 1716.

II.

Dans les enregiſtremens qui ſeront faits deſdites permiſſions, aux Greffes des Amirautés des ports de France, il ſera fait mention du jour de l’arrivée des eſclaves dans les ports.

III.

Lesdites permiſſions seront encore enregistrées au Greffe du Siège de la Table de Marbre du Palais à Paris, pour les eſclaves qui ſeront emmenés en notredite ville, & aux Greffes des Amirautés ou des Intendances des autres lieux de notre Royaume, où il en ſera emmené pour y réſider : & il ſera fait mention dans lesdits enregiſtremens du métier que leſdits eſclaves devront apprendre, & du maître qui ſera chargé de les inſtruire.

IV.

Les eſclaves negres, de l’un ou de l’autre ſexe, qui ſeront conduits en France par leurs maîtres, ou qui y ſeront par eux envoyés, ne pourront prétendre avoir acquis leur liberté, ſous prétexte de leur arrivée dans le Royaume, & ſeront tenus de retourner dans nos colonies, quand leurs maîtres jugeront à propos ; mais faute par les maîtres d’obſerver les formalités preſcrites par les précédens articles, leſdits eſclaves ſeront confiſqués à notre profit, pour être renvoyés dans nos colonies, & y être employés aux travaux par nous ordonnés.

V.

Les officiers employés sur nos états des Colonies qui paſſeront en France, par congé, ne pourront y retenir les eſclaves qu’ils y auront emmenés pour leur ſervir de domeſtiques, qu’autant de temps que dureront les congés qui leur ſeront accordés ; paſſé lequel temps, les eſclaves qui ne ſeront point renvoyés, ſeront confiſqués à notre profit, pour être employés à nos travaux dans nos colonies.

VI.

Les habitans qui emmenèront ou envoyeront des negres eſclaves en France, pour leur faire apprendre quelque métier, ne pourront les y retenir que trois ans, à compter du jour de leur débarquement dans le port ; paſſé lequel temps, les eſclaves qui ne ſeront point renvoyés ſeront confiſqués à notre profit, pour être employés à nos travaux dans nos colonies.

VII.

Les habitans de nos colonies, qui voudront s’établir dans notre Royaume, ne pourront y garder dans leurs maiſons aucuns eſclaves de l’un ni de l’autre ſexe, quand bien même ils n’auroient pas vendu leurs habitations dans les colonies ; & les eſclaves qu’ils y garderont, ſeront confiſqués pour être employés à nos travaux dans les colonies ; pourront néanmoins faire paſſer en France en obſervant les formalités ci-deſſus preſcrites, quelques uns des negres attachés aux habitations dont ils ſeront reſtés propriétaires en quittant les colonies, pour leur faire apprendre quelque métier qui les rende plus utiles par leur retour dans leſdites colonies ; & dans ce cas, ils ſe conformeront à ce qui eſt preſcrit par les articles précédens ſous les peines y portées.

VIII

Tous ceux qui emmeneront ou envoyeront en France des negres eſclaves, & qui ne les renvoyeront pas aux colonies dans les délais preſcrits par les trois articles précédens, ſeront tenus outre la perte de leurs eſclaves, de payer pour chacun de ceux qu’ils n’auront pas renvoyé, la ſomme de mille livres entre les mains des Commis des Tréſoriers généraux de la Marine au colonies, pour être ladite ſomme employée aux travaux publics ; & les permiſſions qu’ils doivent obtenir des Généraux & Commandans, ne pourront leur être accordées, qu’après qu’ils auront fait entre les mains deſdits Commis des Tréſoriers généraux de la marine, leur ſoumiſſion de payer ladite ſomme ; de laquelle ſoumiſſion, il ſera fait mention dans leſdites permiſſions.

IX.

Ceux qui ont actuellement en France des negres eſclaves, de l’un ou de l’autre ſexe, ſeront tenus, dans trois mois, à compter du jour de la publication des préſentes d’en faire la déclaration au Siege de l’Amirauté le plus prochain du lieu de leur ſejour, eu faiſant même-temps leur ſoumiſſion de renvoyer dans un an, à compter du jour de la date d’icelle, leſdits negres dans leſdites colonies, & faute par eux de faire ladite déclaration ou de ſatiſfaire à ladite ſoumiſſion dans les délais preſcrits, leſd. eſclaves ſeront confiſqués à notre profit, pour être employés à nos travaux dans les colonies.

X.

Les eſclaves negres qui auront été emmenés ou envoyés en France, ne pourront s’y marier, même du conſentement de leurs maîtres, nonobſtant ce qui eſt porté par l’article ſept de notre Edit du mois d’Octobre 1716, auquel nous dérogeons quant a ce.

XI.

Dans aucun cas, ni ſous quelque prétexte que ce puiſſe être, les maîtres, qui auront emmené en France des eſclaves de l’un ou de l’autre ſexe, ne pourront les y affranchir autrement que par teſtament, & les affranchiſſemens ainsi faits ne pourront avoir lieu, qu’autant que le teſtateur décedera avant l’expiration des délais dans leſquels les eſclaves emmenés en France doivent être renvoyés dans les colonies.

XII.

Enjoigons à tous Ceux qui auront emmené des eſclaves dans le Royaume, auſſi qu’à ceux qui ſeront chargés de leur apprendre quelque métier, de donner leurs ſoins à ce qu’ils ſoient élevés & inſtruits dans les principes & dans l’exercice de la religion catholique apoſtolique & romaine.

XIII.

Notre Edit du mois d’Octobre mil ſept cent ſeize, ſera au ſur-plus exécuté ſuivant ſa forme & teneur, en ce qui n’y eſt dérogé par les préſentes.

Si donnons en mandement à nos amés & Feaux Conſeillers les gens tenant notre Cour de Parlement à Aix, que ces préſentes ils ayent à faire lire, publier & enregiſtrer, & le contenu en icelles garder, obſerver & exécuter ſelon leur forme & teneur, nonobſbtant tous Edits, Ordonnances, Déclarations, Arrêts, Réglemens & uſages à ce contraires, auxquels nous avons dérogé & dérogeons par ceſdits préſentes ; aux copies deſquelles collationnées par l’un de nos amés & Feaux Conſeillers Secrétaires, voulons que foi ſoit ajoutée comme à l’original, car tel eſt notre plaiſir, en témoin de quoi nous avons fait mettre notre ſcel à ceſdites préſentes. Donné à Verſailles le quinzième jour de Décembre l’an de grâce mil ſept cent trente-huit, & de notre regne le vingt-quatrieme. Signé LOUIS. Et plus bas. Par le Roi, Comte de Provence. Signé Phelypeaux.