Déclaration du Roi, pour la police des Noirs du 9 août 1777

Déclaration du Roi, pour la police des Noirs du 9 août 1777, Extrait des registres du Conseil supérieur du Port-au-Prince, 10 décembre 1777
Traduction par Conseil supérieur de Port-au-Prince, Saint-Domingue (Colonie).
Texte établi par Antoine de Sartine, Imprimerie royale du Port-au-Prince (p. 1-8).

DÉCLARATION

du Roi,
pour la police des noirs.
Du 9 Août 1777

Extrait des Regiſtres du Conſeil Supérieur du Port-au-Prince.

Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À tous ceux qui ces préſentes Lettres verront, Salut. Par nos Lettres-Patentes du 3 Septembre dernier, nous avons ordonné qu’il ſeroit ſurcis au jugement de toutes cauſes ou procès concernant l’état des Noirs de l’un ou de l’autre ſexe que les Habitans de nos Colonies ont amenés avec eux en France pour leur ſervice : Nous ſommes informée aujourd’hui que le nombre des Noirs s’y eſt tellement multiplié, par la facilité de la communication de l’Amérique avec la France, qu’on enlève journellement aux Colonies cette portion d’hommes la plus néceſſaire pour la culture des terres, en même temps que leur ſéjour dans les villes de notre royaume, ſur tout dans la capitale, y cauſe les plus grands déſordres ; & lorſqu’ils retournent dans les Colonies, ils y portent l’eſprit d’indépendance & d’indocilité, & y deviennent plus nuiſibles qu’utiles. Il nous a donc paru qu’il étoit de notre ſageſſe de déférer aux ſollicitations des Habitans de nos Colonies, en défendant l’entrée de notre Royaume à tous les Noirs. Nous voulons bien cependant ne pas priver ceux deſdits Habitans que leurs affaires appellent en France, du ſecours d’un domeſtique noir pour les ſervir pendant la traverſée ; à la charge toutefois que leſdits domeſtiques ne pourront ſortir du Port où ils auront été débarqués, que pour retourner dans la Colonie d’où ils auront été amenés ; nous pourvoirons auſſi à l’état des domeſtiques noirs qui ſont actuellement en France ; enfin, nous concilierons par toutes ces diſpoſitions le bien général de nos Colonies, l’intérêt particulier de leurs Habitans & la protection que nous devons à la conſervation des mœurs & du bon ordre dans notre Royaume. À ces causes & autres à ce nous mouvant, de l’avis de notre Conſeil & de notre certaine ſcience, pleine puiſſance & autorité Royale, Nous avons par ces préſentes, ſignées de notre main, dit, déclaré & ordonné, diſons, déclarons & ordonnons, voulons & nous plait ce qui ſuit :

Article premier.

Faiſons défenſes expreſſes à tous nos Sujets, de quelque qualité & condition qu’ils ſoient, même à tous étrangers, d’amener dans notre Royaume, après la publication & enrégiſtrement de notre préſente Déclaration, aucun Noir, Mulâtre, ou autres Gens de Couleur, de l’un & de l’autre ſexe, & de les y retenir à leur ſervice ; le tout à peine de trois mille livres d’amende, même de plus grande peine s’il y écheoit.

II.

Défendons pareillement, ſous les mêmes peines, à tous Noirs, Mulâtres ou autres Gens de Couleur, de l’un ou de l’autre ſexe, qui ne ſeroient point en ſervice, d’entrer à l’avenir dans notre Royaume, ſous quelque cauſe & prétexte que ce ſoit.

III.

Les Noirs ou Mulâtres qui auroient été amenés en France, ou qui s’y ſeroient introduits depuis ladite publication, ſeront, à la requête de nos Procureurs ès Sièges des Amirautés, arrêtés & reconduits dans le Port le plus proche, pour être enſuite rembarqués pour nos Colonies à nos frais, ſuivant les ordres particuliers que nous ferons expédier à cet effet.

IV.

Permettons néanmoins à tout Habitant de nos Colonies, qui voudra paſſer en France, d’embarquer avec lui un ſeul Noir ou Mulâtre, de l’un ou de l’autre ſexe, pour le ſervir pendant la traverſée, à la charge de le remettre, à ſon arrivée dans le Port, au Dépôt qui ſera à ce deſtiné par nos ordres, & y demeurer juſqu’à qu’à ce qu’il puiſſe être rembarqué. Enjoignons à nos Procureurs des Amirautés du Port où leſdits Noirs auroient été débarqués, de tenir la main à l’exécution de la préſente diſpoſition, & de les faire rembarquer ſur le premier vaiſſeau qui fera voile dudit Port pour la Colonie de laquelle ils auroient été amenés.

V.

Les Habitans deſdites Colonies qui voudront profiter de l’exception contenue en l’Article précédent, ſeront tenus, ainſi qu’il a toujours été d’uſage dans nos Colonies, de conſigner la ſomme de mille livres argent de France, ès mains du Tréſorier de la Colonie, qui s’en chargera en recette, & de ſe retirer enſuite pardevers le Gouverneur-Général ou Commandant dans ladite Colonie, pour en obtenir une permiſſion qui contiendra le nom de l’Habitant, celui du domeſtique noir ou mulâtre qu’il voudra emmener avec lui, ſon âge & ſon ſignalement ; dans laquelle permiſſion la quittance de conſignation ſera viſée, à peine de nullité ; & ſeront leſdites permiſſion & quittance enrégiſtres au Greffe de l’Amirauté du lieu du départ.

VI.

Faiſons très-expreſſes défenſes à tous Officiers de nos vaiſſeaux de recevoir à bord aucun Noir ou Mulâtre, ou autres Gens de Couleur, s’ils ne leur repréſentent ladite permiſſion duement enrégiſtrée, ainſi que la quittance de conſignation, deſquelles mention ſera faite ſur le rôle d’embarquement.

VII.

Défendons pareillement à tous Capitaines des navires marchands, de recevoir à bord aucun Noir, Mûlâtre, ou autres Gens de Couleur, s’ils ne leur repréfentent la permiſſion enrégiſtrée, enſemble ladite quittance de conſignation, dont mention ſera faite dans le rôle d’embarquement ; le tout à peine de mille livres d’amende pour chaque Noir ou Mulâtre, & d’être interdits pendant trois ans de toutes fonctions, même du double deſdites condamnations en cas de récidive. Enjoignons à nos Procureurs ès Sièges des Amirautés du lieu du débarquement, de tenir la main à l’exécution de la préſente diſpoſition.

VIII.

Les frais de garde deſdits Noirs dans le dépôt, & ceux de leur retour dans nos Colonies, ſeront avancés par le Commis du Tréforier-Général de la Marine, dans le Port ; lequel en ſera rembourſé ſur la ſomme conſignée en exécution de l’Article ci-deſſus, & le ſurplus ne pourra être rendu à l’Habitant que ſur le vu de l’extrait du Rôle du Bâtiment ſur lequel le Noir ou Mulâtre domeſtique aura été rembarqué pour repaſſer dans les Colonies, ou de ſon extrait mortuaire s’il étoit décédé : & ne ſera ladite ſomme paſſée en dépenſe aux Tréforiers-Généraux de notre Marine que ſur le vu deſdits extraits en bonne & due forme.

IX.

Ceux de nos Sujets, ainſi que les Etrangers, qui auront des Noirs à leur ſervice lors de la publication & enrégiſtrement de notre préſente Déclaration, ſeront tenus dans un mois, à compter du jour de ladite publication & enrégiſtrement, de ſe préfenter pardevant les Officiers de l’Amirauté dans le reſſort de laquelle ils ſont domiciliés, & s’il n’y en a pas, pardevant le Juge Royal dudit lieu, à l’effet d’y déclarer les noms & qualités des Noirs, Mulâtres, ou autres Gens de Couleur de l’un & de l’autre ſexe qui demeurent chez eux, le temps de leur débarquement & de la Colonie de laquelle ils ont été exportés ; voulons que paſſé ledit délai ils ne puiſſent retenir à leur ſervice leſdits Noirs que de leur conſentement.

X.

Les Noirs, Mulâtres, ou autres Gens de Couleur qui ne ſeroient pas en ſervice au moment de ladite publication, ſeront tenus de faire aux Greffes deſdites Amirautés ou Juridictions Royales & dans le même délai une pareille déclaration de leur nom, ſurnom, âge, profeſſion, du lieu de leur naiſſance & la date de leur arrivée en France,

XI.

Les déclarations preſcrites par les deux Articles précédens ſeront reçues ſans aucuns frais, & envoyées, par nos Procureurs èſdits Sièges, au Secrétaire d’Etat ayant le département de la Marine, pour, ſur le compte qui nous en ſera rendu, être par nous ordonné ce qu’il appartiendra.

XII.

Et attendu que la permiſſion que nous avons accordée aux Habitans de nos Colonies, par l’Article IV de notre préſente Déclaration, n’a pour objet que leur ſervice perſonnel pendant la traverſée, voulons que leſdits Noirs, Mulâtres ou autres Gens de Couleur demeurent, pendant leur ſéjour en France & juſqu’à leur retour dans les Colonies, en l’état où ils étoient lors de leur départ d’icelles, ſans que ledit état puiſſe être changé par leurs Maîtres ou autrement.

XIII

Les diſpoſitions de notre préſente Déclaratron ſeront exécutées nonobſtant tous Edits, Déclarations, Réglemens ou autres à ce contraires, auxquels nous avons dérogé & dérogeons expreſſément. Si donnons en mandement à nos Officiers de notre Conſeil Supérieur du Port-au-Prince, que ces préſentes ils ayent à faire régiſtrer & le contenu en icelles garder & obſerver ſelon ſa forme & teneur, nonobſtant toutes choſes à ce contraires ; Car tel eſt notre plaiſir : En témoin de quoi nous avons fait mettre notre ſcel à ceſdites préſentes. Donné à Verfailles, le neuvième jour du mois d’Août, l’an de grâce mil ſept cent ſoixante-dix-ſept, & de notre règne le quatrième. Signé Louis. Et plus bas, par le Roi. Signé de Sartine, avec grille & paraphe, & ſcellé d’un ſceau de cire jaune.

Régiſtrée a été la Déclaration du Roi ci-deſſus & des autres parts, au Greffe du Conſeil Supérieur du Port-au-Prince, par nous Greffier en chef d’icelui ſouſſigné, ouï & ce requérant le Procureur-Général du Roi, pour être exécutée ſuivant ſa forme & teneur, imprimée, lue, publiée & affichée partout où beſoin ſera, & copies d’icelle duement collationnées, enſemble du préſent Arrêt, envoyées, à la diligence du Procureur-Général du Roi dans toutes les Sénéchauſſées du Reſſort, pour y être pareillement régiſtrées, lues, publiées & affichées, à la diligence des Subſtituts dudit Procureur-Général du Roi, eſdites Sénéchauſſées qui ſeront tenus d’y tenir la main, & d’en certifier la Cour au mois, au deſir de ſon Arrêt de ce jour. Au Port-au-Prince, en Conſeil, le dix Décembre mil ſept cent ſoixame-dix-ſept. Signé au regiſtre, Prieur, Greffier,

Collationné, Prieur, Greffier.







de l’imprimerie royale du Port-au Prince, 1777