Cyropédie (Trad. Talbot)/Livre VI

Cyropédie. Livre VI
Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 337-359).
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LIVRE VI.


CHAPITRE PREMIER.


Les alliés prient Cyrus de ne pas licencier l’armée. — On décide de continuer la guerre. — Cyrus conseille de détruire les châteaux des ennemis et d’en construire de nouveaux. — On prend des quartiers d’hiver. — On augmente la cavalerie perse et l’on construit des chars à faux. — Amour d’Araspe pour Panthéa. — Panthéa fait demander Ahradatas. — Services que celui-ci rend à Cyrus. — Construction de chariots à tours.


La journée ainsi passée, l’on soupe et l’on va se reposer. Le lendemain, dès le matin, tous les alliés se rendent aux portes de Cyaxare. Pendant que Cyaxare s’habille, en entendant le bruit de la foule qui se presse à ses portes, les amis de Cyrus présentent à celui-ci : les uns, les Gadusiens, qui le prient de demeurer ; les autres, les Hyrcaniens ; tel autre, les Saces ; tel autre, Gobryas ; Hystaspe lui amène l’eunuque Gadatas, qui prie également Cyrus de rester. Alors Cyrus, qui savait que Gadatas se mourait de peur que l’armée ne fût licenciée, lui dit en riant : « Il est clair, Gadatas, que c’est Hystaspe qui t’a stylé à ces sentiments-là. » Gadatas, levant les mains au ciel, jure que ce n’est point Hystaspe qui l’en a stylé. « Mais je vois, ajoute-t-il, que, si tu te retires avec tes troupes, c’en est fait de nous complètement. Voilà pourquoi je demandais moi-même à Hystaspe s’il connaissait la résolution relative au licenciement des troupes. — J’ai tort alors, dit Cyrus, selon toute apparence, de m’en prendre à Hystaspe. — Tout à fait tort, Cyrus, dit Hystaspe, car moi-même je lui représentais que tu ne pouvais rester parce que ton père te rappelait. — Que dis-tu ? Tu as osé décider de ce que nous voulons faire ou non ? — Oui, par Jupiter ! Je te vois désirer vivement d’aller te montrer aux yeux des Perses et faire à ton père le récit détaillé de tout ce que tu as exécuté ! — Et toi, n’as-tu donc nulle envie de retourner dans ton pays ? — Non, par Jupiter, dit Hystaspe, non, je ne m’en vais point : je reste en campagne, jusqu’à ce que j’aie rendu Gadatas, que voici, maître de l’Assyrien. »

Pendant qu’ils échangeaient d’un ton sérieux ce badinage, Cyaxare sort magnifiquement vêtu et vient s’asseoir sur un trône médique. Quand tous ceux qui doivent assister au conseil sont réunis et qu’on a fait silence, Cyaxare s’exprime ainsi : « Alliés, puisque je me trouve ici et que je suis plus âgé que Cyrus, peut-être est-il convenable que je parle le premier. Je crois donc essentiel, en ce moment, de discuter d’abord la question de savoir si l’on doit continuer la guerre ou licencier dès à présent l’armée. Que quelqu’un dise donc ce qu’il en pense. »

L’Hyrcanien, le premier, prenant la parole : « Alliés, dit-il, je ne crois pas qu’il soit besoin de parler, quand les faits eux-mêmes indiquent ce qu’il y a de mieux à faire. Nous savons tous qu’en demeurant unis nous faisons plus de mal aux ennemis que nous n’en souffrons ; tandis que, quand nous étions séparés les uns des autres, les ennemis nous traitaient de la manière la plus agréable pour eux et la plus fâcheuse pour nous. »

À ces mots le Cadusien se lève : « Pourquoi, dit-il, délibérer si nous devons quitter d’ici pour aller séparément dans nos maisons, nous qui ne pouvons sans danger, même les armes à la main, nous éloigner de vous ? Pour nous être écartés pendant un instant de votre corps d’armée, nous en avons été punis comme vous savez. »

Alors Artabaze, celui qui s’était dit autrefois le parent de Cyrus, se lève et dit ; « Pour moi, Cyrus, j’envisage ta question autrement que ceux qui viennent de parler. Ils disent qu’il faut rester ici pour faire la guerre ; moi, je prétends que c’est quand j’étais dans ma patrie, que je faisais la guerre. Alors il me faisait sans cesse courir à la défense de nos biens qu’on nous enlevait ou de nos châteaux menacés, être sans cesse en alarmes et sur la défensive ; et je faisais cette guerre chez moi à mes frais. Maintenant, j’occupe les forteresses de nos adversaires ; je n’en ai plus peur ; je fais bonne chère à leurs dépens et je bois le vin des ennemis. De la sorte, ce qui était chez nous une campagne est devenu une vraie fête ; on ne doit donc point rompre cette société. »

Gobryas reprenant ensuite : « Je n’ai jusqu’ici, chers alliés, qu’à me louer de Cyrus : il n’a manqué à aucune de ses promesses ; mais, s’il quitte ce pays, il est évident que l’Assyrien respirera et ne portera point la peine des injustices qu’il a commises envers moi et du mal qu’il m’a fait : et moi, à mon tour, je serai puni une seconde fois d’être devenu votre ami. »

Quand tout le monde a parlé, Cyrus s’exprime ainsi : « Guerriers, je n’ignore point non plus qu’en congédiant nos troupes notre parti deviendra plus faible et celui des ennemis plus fort : car ceux qu’on a dépouillés de leurs armes en auront bientôt fabriqué d’autres ; ceux qu’on a privés de leurs chevaux se seront bien vite procuré d’autres chevaux. Les morts seront bientôt remplaces par une jeunesse qui leur succédera : en sorte qu’il n’y aura rien d’étonnant si, avant peu, ils nous suscitent de nouveaux embarras. Pourquoi donc ai-je conseillé à Cyaxare de mettre en délibération si on licencierait l’armée ? C’est, sachez-le, parce que je crains l’avenir. Je vois avancer contre nous des ennemis contre lesquels, dans l’état où nous sommes, nous ne pouvons pas combattre. L’hiver approche ; et, si nous avons un abri, par Jupiter, nos chevaux, nos valets, la foule entière des soldats n’en ont point, eux sans qui l’on ne peut faire la guerre. Quant aux vivres, partout où nous avons passé, nous les avons épuisés ; où nous n’avons pas été, les ennemis, redoutant notre venue, les ont transportés dans des forteresses, si bien qu’ils en sont maîtres, et que nous ne pouvons leur en prendre. Or, qui donc est assez courageux, assez robuste, pour combattre à la fois la faim, le froid et les ennemis ? S’il faut que nous tenions ainsi la campagne, je dis, moi, qu’il vaut mieux renvoyer l’armée de notre plein gré que d’y être contraints par la nécessité. Si nous voulons continuer la guerre, je prétends qu’il faut faire en sorte de prendre aux ennemis autant de forteresses qu’il sera possible, et d’en construire nous-mêmes de nouvelles. Cela fait, ceux-là auront le plus de vivres qui auront pu en prendre davantage, et les plus faibles se verront assiégés. À présent, nous ressemblons tout à fait à des navigateurs : ils voguent sans cesse, et ce qu’ils viennent de parcourir n’est pas plus à eux que ce qu’ils n’ont pas encore parcouru. Mais quand nous aurons des places fortes, cela fera déclarer la contrée contre l’ennemi, et tout pour nous sera temps calme et pur.

« Que ceux de vous qui craindraient d’être envoyés en garnison loin de leur pays, n’aient pas d’inquiétude. Nous qui sommes déjà loin de notre patrie, nous nous chargerons de garder les endroits les plus voisins de l’ennemi. Pour vous, appropriez-vous et cultivez les cantons de l’Assyrie voisins de vos terres. Si nous réussissons à défendre ceux qui sont près de l’ennemi, vous qui en êtes à une si grande distance, vous vivrez en pleine paix ; car je ne pense pas que les ennemis ne se préoccupent point des dangers prochains pour aller au loin vous attaquer. »

Ce discours terminé, tous les chefs se lèvent et se déclarent unanimement prêts à agir ainsi : Cyaxare en fait autant ; Gadatas et Gobryas disent aussitôt que, si les alliés y consentent, ils bâtiront chacun une forteresse qui devra servir à la défense commune. Cyrus, voyant que tous s’empressent de suivre le plan qu’il a tracé, termine ainsi : « Puisque nous paraissons avoir à cœur de faire tout ce que nous jugeons nécessaire, préparons au plus tôt des machines pour battre en brèche les murailles des ennemis, et assurons-nous d’ouvriers pour construire des tours solides. » Cyaxare promet une machine qu’il se charge de faire construire ; Gadatas et Gobryas une autre, une autre Tigrane ; et Cyrus dit qu’il essayera d’en fournir deux. Ces résolutions prises, on cherche des mécaniciens, on rassemble les matériaux nécessaires à la construction des machines, et l’on choisit les hommes qui semblent les plus capables pour surveiller les travaux.

Cyrus, prévoyant que ces préparatifs demanderaient du temps, établit son armée dans l’endroit qu’il estime le plus sain et le plus commode pour le transport de tout ce dont on aurait besoin : partout où il juge un retranchement nécessaire, il le fait construire, afin que les gardes permanentes fussent toujours en sûreté, même si elles avaient besoin d’être séparées du gros de l’armée. De plus, il s’informe aux gens qui connaissent te pays, de quel côté les soldats peuvent faire le plus de butin ; lui-même il les y conduit, tant pour procurer à l’armée des vivres en abondance, que pour rendre ses gens plus sains, plus vigoureux, par la fatigue de ces excursions, et pour les entretenir dans l’habitude de garder leurs rangs pendant la marche. Voilà ce que fait Cyrus.

Cependant des transfuges et des prisonniers, venus de Babylone, annoncent que l’Assyrien est parti pour la Lydie, emportant avec lui beaucoup de valeurs d’or et d’argent, de richesses et de joyaux de tout genre. La foule des soldats prétend qu’il transporte ses trésors en lieu sûr, par suite de sa frayeur. Mais Cyrus, convaincu qu’il n’entreprend ce voyage que pour lui susciter, s’il le peut, un nouvel adversaire, pousse vigoureusement les préparatifs, au cas où l’on devra combattre. Il complète d’abord la cavalerie perse, soit avec les chevaux des prisonniers, soit avec ceux que lui donnent ses amis : car il recevait volontiers de tous, et ne refusait jamais, quand on lui offrait une belle arme ou un cheval. Il met en état de service des chars tirés de ceux qu’on a pris ou de toute autre voie qu’il peut ; mais il abolit l’usage des chars tels qu’étaient jadis ceux des Troyens, et tels que sont encore ceux des Cyrénéens.

Jusque-là, les peuples de Médie, de Syrie, d’Arabie, et tous ceux de l’Asie, se servaient de chars tels qu’en ont encore les Cyrénéens. Cyrus avait observé que l’élite de l’armée, puisqu’on plaçait sur les chars les meilleurs soldats, ne servait qu’à des escarmouches, et ne contribuait que faiblement au gain de la bataille ; et puis, trois cents chars pour trois cents combattants exigent douze cents chevaux et trois cents conducteurs, choisis parmi ceux qui méritent le plus de confiance, et encore ces trois cents hommes ne causent-ils aucun dommage à l’ennemi. Cyrus abolit donc l’usage de ces chars, et en fait construire d’une forme nouvelle, plus convenable pour la guerre : les roues en sont fortes, pour être moins sujettes à se briser ; l’essieu long, car ce qui a de l’étendue est moins sujet à se renverser ; le siège, d’un bois épais, s’élève en forme de tour, mais ne couvre le conducteur qu’à la hauteur du coude, afin qu’il ait toute facilité de conduire les chevaux ; chaque conducteur, armé de toutes pièces, n’a que les yeux découverts : aux deux bouts de l’essieu sont placées deux faux de fer, larges d’environ deux coudées, et deux autres par dessous, dont la pointe, tournée contre terre, doit percer à travers les bataillons ennemis. Cette nouvelle invention, imaginée par Cyrus, est encore en usage dans les pays soumis au roi de Perse. Il a de plus quantité de chameaux qui lui viennent, les uns de ses amis, les autres de ses captures. Tels sont les préparatifs qu’il organise.

Voulant envoyer quelqu’un en Lydie pour apprendre ce qu’y fait l’Assyrien, il juge propre à cette mission Araspe, à qui a été confiée la garde de la belle prisonnière. Or, voici ce qui était arrivé à Araspe. Pris d’amour peur cette femme, il en était venu au point de lui proposer une intime relation. Elle lavait repoussé et était restée fidèle à son époux absent, qu’elle aimait de toute son âme. Cependant elle n’avait point accusé Araspe auprès de Cyrus, pour ne pas diviser deux amis. Araspe, qui s’était flatté de voir ses désirs accomplis, menace cette femme que, si elle ne cède point de gré, il l’aura de force. Celle-ci donc, craignant la violence, ne garde plus le secret, mais elle envoie à Cyrus un eunuque avec ordre de lui révéler tout. Cyrus, en l’entendant, rit de la défaite de cet homme qui se vantait d’être plus fort que l’amour, et lui envoie Artabaze avec l’eunuque, pour lui interdire de faire violence à une femme de ce rang, mais il ne lui défend pas, s’il peut, la persuasion. Artabaze va trouver Araspe, et lui parle durement, disant que cette femme est un dépôt, lui reprochant son impiété, son injustice, son incontinence, si bienqu’Araspe, pénétré de douleur, fond en larmes, se sent couvert de honte, et meurt de peur d’être encore maltraité par Cyrus.

Instruit de ces détails, Cyrus le fait venir, et lui parlant seul à seul : « Je vois, Araspe, lui dit-il, que tu as peur de moi et que tu es couvert de honte. Rassure-toi. J’ai entendu dire que les dieux ont été vaincus par l’amour, et je sais dans quels écarts il a souvent entraîné les hommes réputés les plus sages : moi-même, je m’accuse de n’avoir pas toujours assez d’empire sur moi, quand je suis avec beaucoup de beaux objets, pour y demeurer indifférent. C’est moi d’ailleurs qui suis cause de ce qui t’arrive, moi qui f ai enfermé avec cet invincible objet. » Alors Araspe. « Ah ! Cyrus, s’écrie-t-il, te voilà bien toujours semblable à toi-même, bon et indulgent pour les faiblesses humaines. Le reste des hommes m’accablent dans mon infortune : depuis que le bruit de ma disgrâce s’est répandu, mes ennemis me raillent, mes amis me pressent de me cacher pour me dérober au traitement dont ils craignent que tu ne punisses un si grand crime. — Eh bien, Araspe, dit Cyrus, apprends que ce bruit même te met à portée de nous rendre, à nos alliés et à moi, un très-grand service. — Puissé-je, dit Araspe, trouver encore une occasion de te servir ! — Si tu veux avoir l’air de me fuir, et, sous ce prétexte, passer aux ennemis, je crois qu’ils auront en toi pleine confiance. — Par Jupiter ! je le crois aussi, dit Araspe, et je crois que mes amis diront que j’ai voulu te fuir. — Tu reviendras donc instruit du secret de mes ennemis ; car leur confidence t’initiera à leurs entretiens et à leurs projets, si bien que tu n’ignoreras rien de ce que nous voulons savoir. — Je pars à l’instant même : sois sûr qu’on ne me soupçonnera pas en me voyant fuir quand je redoute tes châtiments. — Mais pourras-tu abandonner la belle Panthéa ? — Je sens parfaitement, Cyrus, que j’ai deux âmes : c’est une philosophie que vient de m’enseigner l’amour, ce dangereux sophiste : car enfin une seule et même âme ne peut être à la fois bonne et mauvaise, aimer à la fois le bien et le mal, vouloir tout ensemble une chose et ne la vouloir point. Oui, sans contredit, nous avons deux âmes ; quand la bonne est maîtresse, elle fait le bien ; quand c’est la mauvaise, elle fait le mal : maintenant que ma bonne âme est forte de ton secours, elle a sur l’autre un empire absolu. » — Si donc tu es décidé à partir, reprend Cyrus, voici ce que tu dois faire pour mieux obtenir la confiance des ennemis : fais-leur part de nos projets, mais ne leur en découvre que ce qu’il faut pour déconcerter les leu-s : or, tu les déconcerteras, si tu dis que nous nous préparons à une invasion sur leur territoire ; en apprenant cela, ils auront moins de cœur à se concentrer sur un même point, chacun d’eux craignant pour son propre pays. Demeure avec eux le plus longtemps possible : car c’est lorsqu’ils seront le plus près de nous que nous aurons le plus besoin de te voir. Engage-les à choisir même l’ordre de bataille le plus fort. Tu le connaîtras bien sans doute quand tu viendras nous rejoindre, et il faudra bien qu’ils l’adoptent ; un changement entraînerait le désordre de toute l’armée. » Araspe sort, prend avec lui ses plus fidèles serviteurs, et, après avoir dit à quelques-uns ce qu’il croit favorable à son dessein, il part.

Cependant Panthéa, apprenant le départ d’Araspe, envoie dire à Cyrus : « Ne te chagrine point, Cyrus, de ce qu’Araspe est passé aux ennemis. Si tu me permets de députer à mon mari, je te promets qu’il t’amènera en lui un ami plus dévoué qu’Araspe, et qu’il viendra, j’en suis certaine, suivi d’autant de troupes qu’il en aura pu rassembler. Le père du roi actuel était son ami, tandis que le roi actuel a tout fait pour semer la discorde entre mon mari et moi ; aussi, je ne doute pas que celui-ci, qui le regarde comme un homme sans mœurs, ne l’abandonne volontiers à un homme tel que toi. » Cyrus, entendant ces mots, la presse d’envoyer un messager auprès de son mari, et elle l’envoie.

Abradatas, reconnaissant les chiffres de sa femme, et apprenant ce qui se passe, se rend volontiers auprès de Cyrus, suivi d’environ deux mille chevaux. Arrivé au premier poste des Perses, il en fait donner avis à Cyrus, qui le fait aussitôt conduire chez sa femme. Dès que Panthéa et Abradatas s’aperçoivent, ils se jettent dans les bras l’un de l’autre avec toute la joie d’un bonheur inespéré. Panthéa raconte alors la pureté des mœurs de Cyrus, sa réserve, sa sympathie pour elle. Abradatas en l’entendant : « Que puis-je faire, Panthéa, dit-il, pour témoigner à Cyrus ma reconnaissance et la tienne ? — Pas autre chose, dit Panthéa, que d’essayer d’avoir pour lui les sentiments qu’il a pour toi. »

Abradatas va donc visiter Cyrus. Dès qu’il le voit, il lui prend la main et lui dit : « En retour de tout le bien que tu nous as fait, Cyrus, je n’ai rien de mieux à te dire que je me donne à toi pour ami, pour serviteur et pour allié : dans tout ce que je te verrai entreprendre, je m’efforcerai d’y prendre, de mon mieux, la part la plus active. — J’accepte, répond Cyrus. Pour le moment, je te laisse souper avec ta femme ; mais dorénavant il faudra que tu prennes tes repas sous ma tente avec tes amis et les miens. »

Quelque temps après, Abradatas, voyant que Cyrus aimait beaucoup les chars armés de faux, les chevaux bardés et les cavaliers cuirassés, met tout en œuvre pour se faire construire cent chars semblables à ceux de Cyrus, avec l’attelage tiré de sa propre cavalerie, et veut même les conduire en personne, monté sur un char à quatre timons, traîné par huit chevaux. De son côté, Panthéa, de son propre bien, fait faire à son mari une cuirasse, un casque et des brassards d’or, et elle y joint des bandes de cuivre pour couvrir les chevaux du char. Voilà ce que fait Abradatas.

Cyrus, voyant ce char à quatre timons, imagina qu’il serait possible d’en ajuster huit à un seul chariot, auquel seraient attelées huit paires de bœufs, pour traîner certaines machines en forme de tour d’environ dix-huit pieds de hauteur, y compris celle des roues. Ces sortes de tours, placées derrière les rangs, lui paraissaient devoir être d’un grand secours à la phalange, et d’un grand dommage aux rangs ennemis. Il y avait pratiqué des galeries et des créneaux, et dans chaque tour il avait fait monter vingt hommes. Quand tout est prêt, il essaye de les faire aller, et les huit attelages traînent plus aisément une tour avec les hommes qui sont dedans qu’un attelage ordinaire ne traîne un chariot de bagage. La charge ordinaire de ces chariots est, pour un attelage, du poids d’environ vingt-cinq talents[1] ; et les tours de Cyrus, quoique d’un bois aussi épais que celui qu’on emploie pour la construction des théâtres tragiques, quoique garnies de vingt soldats tout en armes, donnaient moins à traîner à chaque paire de bœufs que le poids de quinze talents. Quand Cyrus est sûr de la facilité de transporter ces tours, il décide d’en avoir à la suite de son armée, persuadé qu’à la guerre prendre avantage, c’est tout à la fois justice, salut et prospérité.


CHAPITRE II.


Arrivée des envoyés indiens. — Activité de Cyrus à exercer ses soldats. — Récit des envoyés indiens. — Crainte des Perses dissipées par Cyrus et par Chrysantas. — On se décide à marcher aussitôt contre l’ennemi.


Dans ce même temps, arrivent les envoyés indiens qui apportent de l’argent et adressent ce discours à Cyrus de la part du roi des Indes : « Je suis fort aise, Cyrus, que tu m’aies instruit de tes besoins ; je veux être ton hôte, et je t’envoie de l’argent. Si tu en as besoin d’autre, envoie m’en demander ; mes députés ont ordre d’obéir à quoi que tu leur commandes. » Cyrus, après les avoir entendus, leur répond : « J’ordonne donc qu’un certain nombre d’entre eux restent dans les tentes pour garder l’argent et pour vivre le plus agréablement possible, et que trois passent chez l’ennemi sous prétexte d’alliance avec l’Indien, mais, en réalité, pour savoir ce qu’il dit, ce qu’il fait, et pour nous en informer au plus vite, moi et l’Indien. Si vous vous acquittez bien de cette mission, je vous en saurai plus de gré encore que de l’argent que vous m’apportez : car mes espions, déguisés en esclaves, ne peuvent nous apprendre que ce que tout le monde sait ; mais des gens comme vous devinent souvent les résolutions intimes. » Les Indiens accueillent volontiers cette proposition ; Cyrus les traite en vrais hôtes ; et, quand ils ont tout préparé pour le voyage, ils partent le lendemain, avec promesse de revenir aussitôt qu’ils se seront instruits de leur mieux de la situation des ennemis.

Cependant Cyrus fait les préparatifs de guerre largement et en homme qui n’a pas de médiocres desseins. Il ne se borne pas aux moyens approuvés par les alliés, il excite encore entre des amis la rivalité d’avoir de plus belles armes, d’être plus fort à cheval, au trait, à l’arc, à la fatigue : il y réussit, en les conduisant à la chasse, et en récompensant ceux qui se distinguent dans les divers exercices. Les chefs qu’il voit attentifs à perfectionner la discipline de leurs soldats, il les encourage de ses éloges et de toutes les faveurs qui peuvent dépendre de lui. Quand il célèbre un sacrifice ou une fête, tous les exercices que les hommes font à la guerre, il en fait des concours, en accordant de magnifiques récompenses aux vainqueurs : les meilleures dispositions animent son armée.

Déjà Cyrus tient prêt tout ce qu’il peut pour se mettre en campagne, sauf les machines : la cavalerie presque complétée jusqu’au nombre de dix mille hommes ; ainsi que les chars armés de faux, qu’il a fait construire lui-même ; puis, cent autres que le Suzien Abradatas a fait faire pareils à ceux de Cyrus ; et enfin cent chars médiques qu’il avait conseillé à Cyaxare de réformer d’après ce modèle, au lieu de les laisser à la mode troyenne et lydienne : en outre, sur chaque chameau étaient portés deux archers. La plus grande partie de l’armée avait la conviction qu’elle serait victorieuse, et que les forces des ennemis n’étaient rien.

Voilà quelles étaient les dispositions, lorsque les Indiens reviennent de chez les ennemis, où Cyrus les avait envoyés pour observer. Ils rapportent que Crésus a été élu général en chef de l’armée ennemie. On a décidé que tous les rois alliés s’y rendront au plus tôt, chacun avec toutes ses troupes, et des sommes considérables, pour payer autant de mercenaires qu’on en pourrait enrôler, et faire des largesses à qui de droit ; ils ont déjà à leur solde quantité de Thraces armés de longs sabres ; des Égyptiens arrivent par mer, et l’on dit que le nombre s’en élève à douze myriades, armées de boucliers, de longues javelines comme ils en ont encore aujourd’hui, et de poignards : on attend une armée de Cypriotes ; déjà sont au camp tous les Ciiliciens, les Phrygiens des deux pays, les Lycaoniens, les Paphlagoniens, les Cappadociens, les Arabes, les Phéniciens et les Assyriens, et avec eux le souverain de Babylone ; les Ioniens, les Éoliens et presque tous les Grecs qui habitent l’Asie ont été contraints de suivre Crésus. Crésus a envoyé traiter d’une alliance avec les Lacédémoniens ; le rendez-vous général est sur les bords du fleuve Pactole ; de là, on doit marcher sur Thymbrara, où s’assemblent encore de nos jours les Barbares de la basse Syrie, soumis à la domination du frère du roi : enfin, l’on a ordonné à tous ceux qui ont des vivres à vendre, de les porter en cet endroit. Les prisonniers tiennent un langage analogue : car Cyrus avait soin de faire saisir ceux dont il pouvait tirer quelque renseignement ; il faisait aussi passer chez l’ennemi des espions vêtus en esclaves, qui se donnaient pour transfuges.

En apprenant ces détails, l’armée de Cyrus, comme de juste, est dans l’inquiétude ; on va, on vient, plus silencieux qu’auparavant, la gaieté a tout à fait disparu, on se forme en cercles ; tout est plein de-gens qui se questionnent, s’entretiennent de tout cela. Cyrus, s’apercevant que la peur court parmi son armée, fait appeler les principaux chefs et tous ceux dont l’abattement eût porté autant de préjudice que leur assurance devait être utile. Il ordonne aux guides de ne point repousser les soldats qui se présenteraient pour entendre ce qu’il allait dire, et, quand tous se sont assemblés, il parle en ces mots :

« Alliés, je vous ai convoqués, parce que j’ai remarqué que plusieurs d’entre vous, depuis les nouvelles qui nous sont venues des ennemis, ont l’air d’hommes effrayés. Or, il me semble étrange que quelqu’un parmi vous tremble, parce qu’on nous dit que l’ennemi rassemble ses troupes, et qu’en voyant que nous sommes plus nombreux que quand nous les avons vaincus, et, grâce au ciel, beaucoup mieux préparés, vous n’ayez pas pleine confiance. Grands dieux, que feriez-vous donc, vous qui craignez en ce moment, si l’on vous annonçait qu’une armée telle que la nôtre marche aujourd’hui contre nous ? Vous entendriez dire tout d’abord : « Les mêmes ennemis qui nous ont déjà vaincus reviennent nous attaquer, l’âme tout enflée de la première victoire qu’ils ont déjà remportée ; » et ensuite : « Ceux qui ont triomphé dans les escarmouches de vos archers et de vos gens de trait, arrivent avec un renfort de troupes presque aussi nombreuses : leur infanterie, pesamment armée, a mis la vôtre en fuite ; aujourd’hui leur cavalerie, armée de même, va se mesurer avec votre cavalerie : ils ont rejeté leurs arcs et leurs traits, mais chacun d’eux, ayant un fort javelot, est décidé à se jeter en avant et à combattre de près : ils ont des chars pour marcher au combat, et non plus disposés pour fuir comme autrefois : les chevaux qui les traînent sont cuirassés, les conducteurs placés dans des tours de bois, casque en tête, et la partie du corps qui excède la hauteur du siège couverte d’une cuirasse : les essieux sont armés de longues faux de fer ; ils ont encore des chameaux sur lesquels ils peuvent monter, et dont un seul peut, de son aspect, épouvanter cent chevaux ; enfin, ils traînent à leur suite des tours du haut desquelles » en protégeant les leurs, ils nous accableront de traits, et nous empêcheront de combattre en rase campagne. » Si l’on était venu vous apporter ces nouvelles de la situation des ennemis, qu’auriez-vous fait ? vous qui tremblez, lorsqu’on vous dit que Crésus est élu général, Crésus, le plus lâche des Syriens, Crésus qui, voyant les Syriens vaincus et en fuite, au lieu de secourir ses alliés, a fui et disparu ? On annonce encore que les ennemis ne sont pas en état de se défendre contre nous ; qu’ils soudoient des étrangers, comme si ces derniers devaient combattre plus vaillamment pour eux qu’ils ne le feraient eux-mêmes. Si cependant quelqu’un trouve leurs forces redoutables et les nôtres faibles, je suis d’avis qu’on le leur envoie : il nous servira beaucoup plus étant avec eux, que demeurant avec nous. »

Quand Cyrus a terminé ce discours, le Perse Chrysantas se lève et dit : « Cyrus, ne sois pas étonné si quelques-uns d’entre nous ont paru tristes en écoutant ces nouvelles ; ce n’est point un effet de la crainte, mais du dépit. De même que si, au moment où des gens veulent dîner et se mettre à table, on vient leur commander un travail d’urgence avant le repas, personne, je crois, ne sera charmé d’entendre un pareil ordre ; de même, quand nous croyons que nous allons nous enrichir, et que nous apprenons qu’il nous reste encore quelque entreprise à exécuter, nous nous sentons attristés, non par la peur, mais par le désir qu’elle soit déjà terminée. Oui, puisqu’il s’agit de combattre non-seulement pour la Syrie, fertile en blé, en bétail, en palmiers chargés de fruits, mais encore pour la Lydie, pays abondant en vin, en huile, et baigné d’une mer qui apporte plus de richesses qu’on n’en a jamais vu, nous n’éprouverons plus de dépit, mais nous aurons assez de cœur pour courir à la jouissance des trésors de la Lydie. »

Ainsi parle Chrysantas ; tous les alliés approuvent son discours et y applaudissent. Alors Cyrus : « Soldats, dit-il, je suis d’avis qu’on se mette au plus tôt en marche, afin d’arriver les premiers, s’il est possible, où sont rassemblés leurs vivres ; plus nous nous hâterons, moins nous les trouverons sur leurs gardes, et plus ils seront pris au dépourvu. Voilà ce que je dis. Si quelqu’un connaît une mesure ou plus facile ou plus sûre, qu’il la propose. » Presque tous les chefs conviennent qu’il est nécessaire de marcher promptement à l’ennemi ; et personne n’ouvrant un avis contraire, Cyrus répond : « Alliés, nos âmes, nos corps, nos armes dont nous devons nous servir, sont, grâce aux dieux, depuis longtemps dans un état excellent : ne songeons maintenant qu’à nous pourvoir de vivres pour une vingtaine de jours, tant pour nous que pour tous les quadrupèdes qui nous suivent. Car, à mon compte, nous mettrons plus de quinze jours à traverser un pays où nous ne trouverons point de subsistances, parce que nous en avons enlevé nous-mêmes une partie, et les ennemis, tout ce qu’ils en ont pu. Il faut donc avoir les vivres voulus, sans quoi nous ne pourrions ni combattre ni vivre : quant au vin, que chacun n’en prenne que ce qu’il en faut, pour nous accoutumer par degrés à ne boire que de l’eau. Car nous aurons une longue partie de la route à faire sans trouver de vin, et, lors même que nous en apporterions une grande quantité, elle ne saurait suffire. Afin donc que la privation subite de vin ne nous rende pas malades, voici ce qu’il faut faire. Dès à présent, dans nos repas, commençons à ne boire que de l’eau : en agissant ainsi, ce changement sera peu nuisible : ceux d’entre nous qui ne vivent que de farine, la délayent dans de l’eau pour en faire une pâte ; le pain que chacun mange est pétri avec de l’eau, et c’est avec de l’eau qu’on fait cuire tout ce qui est bouilli. Si donc nous ne buvons du vin qu’à la fin du repas, notre âme ne languira point pour avoir moins à boire. Il faut ensuite retrancher encore ce vin bu après le dîner, jusqu’à ce que, sans nous en apercevoir, nous soyons devenus buveurs d’eau. Toute modification qui vient peu à peu rend toute espèce de nature susceptible de changement : c’est ce que nous enseigne la Divinité, en nous faisant passer par degrés de l’hiver aux chaleurs brûlantes de l’été, et des chaleurs aux froids rigoureux. Imitons-la, et marchons par l’accoutumance où il nous est nécessaire d’arriver.

« Emportez, au lieu de lits, un poids égal en choses nécessaires à la vie : les objets nécessaires, fussent-ils superflus, ne sont jamais inutiles. Parce que vous n’aurez point de couvertures, ne craignez pas de dormir moins agréablement ; sinon, prenez-vous-en à moi : quiconque a un vêtement convenable, le trouve suffisant en santé comme en maladie. Pour provisions de bouche, il faut s’en procurer qui soient piquantes, de haut goût et salées : elles excitent l’appétit et se conservent longtemps. Quand nous arriverons dans des lieux intacts, d’où nous pourrons tirer du blé, il faudra nous pourvoir de moulins à bras pour le broyer ; c’est le plus léger de tous les instruments à faire du pain.

« N’oublions pas non plus tout ce qu’il faut pour les malades : ces objets ne sont pas lourds, et, le cas échéant, ils sont fort utiles. Il faut aussi des courroies : elles servent en maintes circonstances pour les hommes et pour les chevaux : qu’elles se rompent ou brisent, on est forcé de demeurer inactif, faute d’avoir rien qui serve à rattacher. Ceux qui ont appris à aiguiser des javelots feront bien de ne pas oublier leur doloire ; il est bon aussi de se munir d’une lime ; en aiguisant sa pique, on aiguise son courage ; on rougirait d’être lâche quand on a des armes affilées. Il faut encore avoir beaucoup de bois de charronnage pour les chars et les chariots. Quand on a beaucoup à faire, quelque chose doit nécessairement arrêter. Il faut avoir pour tout cela les outils indispensables : car on n’a pas des ouvriers partout, et cependant le travail de chaque jour, il suffit parfois d’un petit nombre pour l’exécuter. Il faut mettre sur chaque chariot une serpe et un noyau, sur chaque bête de charge uns hache et une faux. Ces instruments sont toujours utiles aux particuliers, et souvent à l’armée entière. Pour ce qui est de la quantité suffisante de provisions, c’est à vous, commandants des hoplites, de vous informer si vos hommes en ont assez : car il ne faut pas négliger ce qui leur est nécessaire ; ce serait nous négliger nous-mêmes. Ce que je fais charger sur les bêtes de somme, à vous, chefs de skeuophores, d’y veiller, et de contraindre ceux qui n’ont point obéi. Vous, chefs des prisonniers, vous avez la liste des acontistes, des archers, des frondeurs que j’ai mis à la réforme ; aux anciens acontistes, donnez une hache propre à couper du bois, et contraignez-les au service ; aux archers, un hoyau ; aux frondeurs, une serpe. Munis de ces instruments, faites-les marcher par petites troupes le long des équipages, pour être prêts à agir, au cas où il faut aplanir le chemin, et, si j’ai besoin de quelque chose, pour que je sache où prendre ce qu’il me faut. J’emmènerai d’ailleurs, prisa l’âge où l’on porte les armes, et munis de leurs outils, des armuriers, des charrons, des cordonniers, de sorte que rien de ce qui, dans l’armée, dépend de leur métier, ne lui fera défaut. Ils feront un corps séparé des hoplophores[2], et ils auront un lieu fixe où ils travailleront pour qui voudra les employer en payant. Si quelque marchand veut faire le commerce à la suite de l’armée, il gardera les denrées le nombre de jours que j’ai fixés ; autrement, toutes seront saisies. Le terme passé, il les débitera comme il voudra. D’ailleurs, les marchands qui fourniront les meilleures marchandises obtiendront des alliés et de moi-même des présents et des honneurs. Si quelqu’un d’entre eux n’a pas les fonds suffisants pour faire ses achats, qu’il m’amène de bons répondants qui se portent caution pour lui qu’il nous suivra, et je l’aiderai de ce que je possède. Voilà ce que j’ai à vous dire. Si quelqu’un voit autre chose à recommander, qu’il m’en avertisse. Et maintenant, allez rassembler les bagages ; moi, je vais offrir un sacrifice pour le départ. Ce devoir rempli envers les dieux, nous donnerons le signal. Il faut que tout le monde, avec le bagage prescrit, se trouve au lieu fixé auprès de ses chefs. Quant à vous, commandants, dès que vos rangs seront formés, venez tous me trouver, afin de savoir quels postes chacun de vous doit occuper. »


CHAPITRE III.


Description de l’ordre de bataille. — Rapport sur la situation de l’ennemi. — Retour d’Araspe. — Nouvelle description de l’armée de Cyrus.


Ces instructions entendues, les soldats se préparent : Cyrus offre un sacrifice, et, les présages ayant été favorables, il se met en marche avec son armée. Le premier jour, il campe le plus près possible du lieu d’où il est parti, afin que, si l’on avait oublié quelque chose, on fût à portée de l’aller chercher, et que, si l’on s’apercevait qu’on manquât de quelque objet, on pût le retrouver.

Cyaxare, pour ne pas laisser ses États sans défense, reste à cet endroit avec le tiers des Mèdes, tandis que Cyrus s’avance le plus rapidement possible, les cavaliers en tête, et devant eux quelques coureurs et éclaireurs, qui se placent aux points les plus favorables pour observer. Après la cavalerie, viennent les bagages : quand on traverse les plaines, les chariots et les skeuophores marchent sur plusieurs colonnes ; à leur suite s’avance l’infanterie de la phalange, et, s’il reste en arrière quelques skeuophores, les officiers qui surviennent, veillent à ce que la marche ne soit point retardée. Quand la route se resserre, les skeuophores demeurent au milieu, et les hoplophores filent de droite et de gauche : de sorte que, s’il y a quelque obstacle, il se trouve toujours des soldats pour y veiller. Chaque compagnie marche presque toujours près de ses skeuophores ordre, en effet, est donné à tous ceux-ci de rester près de leur compagnie, à moins d’empêchement majeur ; et le skeuophore de chacun des taxiarques porte en main une enseigne connue de toute la compagnie. On marche donc serrés, et, comme chacun a grand soin de ne laisser en arrière aucun de ses camarades, ils ne sont point obligés de se chercher l’un l’autre : leur bagage est sous leurs yeux, et les soldats ont à l’instant même ce qui leur est nécessaire.

Cependant les éclaireurs envoyés en avant croient apercevoir dans la plaine des hommes ramassant du fourrage et du bois ; ils voient des bêtes de somme qui en emportent des charges, d’autres qui sont à paître ; et, en regardant plus loin, ils croient apercevoir de la fumée ou de la poussière s’élevant dans les airs. À tous ces signes, ils reconnaissent que l’ennemi n’est pas éloigné. Aussitôt le chef des éclaireurs dépêche un envoyé à Cyrus. Celui-ci, après l’avoir entendu, leur fait donner l’ordre de rester à leur point d’observation, et, s’ils voient quelque chose de nouveau, de lui en donner avis. En même temps il charge un escadron de cavaliers de s’avancer dans la plaine pour faire quelques prisonniers, afin de savoir plus nettement ce qui est. Pendant que ces ordres s’exécutent, Cyrus fait faire halte à son armée, afin que les soldats aient le loisir de tout préparer avant de s’approcher de l’ennemi. Il leur enjoint d’abord de dîner, de reprendre ensuite leurs rangs, se tenant attentifs à ses ordres. Après le repas, Cyrus appela les chefs des cavaliers, des fantassins et des conducteurs de chars, ainsi que ceux qui commandent aux machines, aux skeuophores et aux chariots. Ils se rassemblent. Pendant ce temps, ceux qui courent les champs reviennent, amenant des hommes. Ces prisonniers, interrogés par Cyrus, lui avouent qu’ils sont du camp et que, pour ramasser du fourrage et du bois, ils ont dépassé les avant-postes : le grand nombre de troupes, en effet, a mis partout la disette. Cyrus les entendant ainsi parler : « À quelle distance, leur dit-il, est maintenant l’armée ? » Ils lui répondent qu’elle est à deux parasanges environ. Cyrus leur demande ensuite : « Et nous, dit-il, en parlait-on chez les vôtres ? — Oui, par Jupiter, répondent-ils, et l’on disait que vous étiez déjà tout près. — Eh bien, dit Cyrus, étaient-ils contents de nous savoir près ? » Il faisait cette question à cause de ceux qui étaient là. « Non, par Jupiter, disent les prisonniers ; loin de s’en réjouir, ils en sont fort affligés. — Et maintenant, dit Cyrus, que font-ils ? — Ils se rangent en bataille ; hier et avant-hier ils n’ont pas fait autre chose. — Et celui qui les range en bataille, dit Cyrus, quel est-il ? — Crésus en personne, disent-ils, et avec lui un Grec et je ne sais quel Mède : on dit de ce dernier que c’est un transfuge de chez vous. — Ah ! très-grand Jupiter, s’écrie alors Cyrus, puissé-je le prendre comme je le veux ! »

Cela dit, il fait retirer les prisonniers, et, comme il se retourne pour parler à ceux qui demeurent, arrive un nouvel envoyé du chef des éclaireurs, qui lui dit qu’on aperçoit dans la plaine un gros escadron de cavalerie. « Nous conjecturons, dit-il, qu’il vient pour reconnaître l’armée ; car il est précédé d’une trentaine de cavaliers qui se portent au galop de notre côté, peut-être à dessein de nous enlever notre poste, où nous ne sommes qu’une décade. » Cyrus ordonne aussitôt à quelques-uns des cavaliers qu’il avait toujours près de lui d’aller s’embusquer auprès de ce poste. « Dès que votre décade, dit-il, aura quitté le poste, montrez-vous tout à coup, et chargez ceux qui s’en seront emparés. Que le gros escadron ne vous inquiète pas : toi, Hystaspe, marche à sa rencontre avec un millier de chevaux ; mais prends garde de t’engager dans des lieux inconnus ; contente-toi de protéger nos postes, et reviens. Si quelques ennemis accourent vers toi levant la main droite, accueille-les avec bonté. »

Hystaspe s’en va prendre ses armes : les cavaliers de Cyrus partent au galop, suivant son ordre. Or, ils rencontrent, en dehors même du poste des coureurs, Araspe et son escorte, Araspe envoyé depuis longtemps comme espion, Araspe le gardien de la belle Susienne. Dès que Cyrus apprend sa venue, il se lève de son siège, court au-devant de lui, et lui tend la main. Les autres, comme de juste, qui ne savent rien, demeurent tout étonnés de cet accueil, jusqu’au moment où Cyrus leur dit : « Mes amis, voici qu’il nous arrive un excellent homme, et il est temps que tout le monde sache ce qu’il a fait. Ce n’est ni la honte du crime, ni la crainte de ma colère, qui l’a fait partir ; c’est moi qui l’ai envoyé dans le camp des ennemis, pour pénétrer dans leurs tentes et nous instruire nettement de ce qui est. Oui, Araspe, je me souviens de nos promesses, et nous nous unirons tous pour les remplir. Il est juste, camarades, que vous honoriez avec moi la vertu d’un homme qui, pour nous servir, a eu le courage d’affronter le danger et le poids apparent d’un crime. » À ces mots, tous embrassent Araspe et lui serrent la main. Mais Cyrus leur ayant dit que cela suffisait pour le moment : « Maintenant, Araspe, continue-t-il, apprends-nous ce qu’il nous importe de savoir ; ne reste pas au-dessous du vrai, n’atténue en rien la situation de l’ennemi : mieux vaut croire leurs forces plus grandes et les trouver moindres, que les croire moindres et les trouver plus grandes. — J’ai tout fait, répond Araspe, pour m’en éclaircir ; car je les aidais moi-même à ranger leurs troupes en bataille. — Tu connais donc, dit Cyrus, non-seulement leur nombre, mais leur ordonnance ? — Par Jupiter, dit Araspe, je sais même comment ils se proposent d’engager le combat. — Eh bien, répond Cyrus, dis-nous d’abord quel est en gros le nombre de leurs troupes. — Elles sont rangées, cavalerie et infanterie, sur trente de hauteur, sauf les Égyptiens, et occupent un terrain d’environ quarante stades : j’ai apporté la plus grande attention à m’assurer de l’étendue qu’elles couvrent. — Et les Égyptiens, dit Cyrus, quelle en est l’ordonnance ? car, tu as dit : sauf les Égyptiens. — Leurs myriarques forment leurs bataillons de dix mille hommes chacun, cent de front sur |cent de hauteur : tel est, disent-ils, l’usage de leur pays. Toutefois Crésus ne le leur a permis qu’avec une grande répugnance, parce qu’il voulait que son armée eût un front beaucoup plus étendu que la tienne. — Pourquoi, dit Cyrus, le désirait-il ? — Sans doute, par Jupiter, pour nous envelopper avec la partie qui dépasserait. — Eh bien, dit Cyrus, qu’ils prennent garde, en voulant envelopper, d’être enveloppés eux-mêmes. Mais nous venons d’entendre de toi ce qu’il nous importe de savoir. Voici maintenant, camarades, ce que vous avez à faire. Quand vous serez sortis d’ici, visitez avec soin les harnais de vos chevaux et vos armes : souvent, pour la moindre chose qui manque à l’homme, le cheval et le char deviennent inutiles. Demain matin, pendant que je sacrifierai, commencez par faire déjeuner vos hommes et vos chevaux, de peur que le moment d’agir ne nous surprenne à jeun. Ensuite, toi, Araspe, tu te placeras à l’aile droite, suivant ton habitude, et vous, myriarques, gardez vos postes accoutumés : ce n’est pas au moment où le combat commence qu’il faut changer l’attelage d’un char. Ordonnes aux taxiarques et aux lochages de se mettre en bataille en divisant chaque loche en deux. » Or, le loche était de vingt-quatre hommes.

En ce moment, un des myriarques lui dit : « Crois-tu, Cyrus, qu’avec si peu de profondeur nous soyons en état de résister à une phalange si profonde ? — Et toi, réplique Cyrus, crois-tu que des phalanges, dont l’épaisseur fait que la plupart des soldats ne sauraient atteindre l’ennemi avec leurs armes, puissent être d’un grand secours aux leurs et faire bien du mal au parti opposé ? Pour ma part, je voudrais que leurs hoplites, au lieu d’être sur cent, fussent sur dix mille de hauteur : nous aurions affaire à beaucoup moins d’hommes. Quant à nos troupes, par la profondeur que je leur donne, j’estime qu’elles seront toutes en action, toutes en état de se prêter un mutuel secours. Derrière les thoracophores, je placerai les acontistes, et après ceux-ci les archers. Qui, en effet, placerait en première ligne des corps qui conviennent eux-mêmes qu’ils ne sont pas propres à un combat de près ? Seulement, couverts par les thoracophores, ils tiendront ferme, et, par leurs traits et leurs flèches ils incommoderont les ennemis en tirant par-dessus les premiers rangs. Du moment qu’on fait du mal aux ennemis, il est clair que, quel que soit le moyen, on vient en aide à ses alliés. Je placerai en dernière ligne ce qu’on appelle la réserve. Comme une maison n’est d’aucun usage si les fondements et le toit n’en valent rien, de même une armée devient inutile, si les premiers et les derniers rangs ne sont composés de bons soldats. Mettez-vous donc en bataille comme je le prescris : vous, chefs des peltastes, placez vos loches derrière le premier rang, et vous, chefs des archers, derrière les peltastes ; toi, chef de la réserve, qui occupes la dernière ligne, recommande à chacun de tes hommes d’observer le mouvement de la file qui sera devant lui, d’encourager ceux qui feront leur devoir, et de contenir les lâches par de terribles menaces. Si quelqu’un tourne le dos pour trahir, qu’on le tue. C’est à ceux qui sont au front de l’armée d’animer ceux qui les suivent de la parole et de l’exemple ; mais vous qui êtes aux derniers rangs, vous devez être plus redoutables aux lâches que l’ennemi même. Agissez tous ainsi. Toi, Euphratas, qui veilles aux machines, fais en sorte que nos tours roulantes suivent la phalange d’aussi près que possible. Toi, Daouchus, qui commandes les skeuophores, fais avancer toute ta troupe derrière les tours : ordonne à tes gens de punir rigoureusement quiconque avancera hors de son rang ou demeurera en arrière. Toi, Cardouchas, qui conduis les chariots des femmes, fais-les placer derrière les skeuophores. Cette longue file de chariots qui nous suivra, en grossissant l’apparence de notre armée, nous fournira aussi le moyen de tendre quelque piège à l’ennemi : s’il veut nous envelopper, il sera forcé de se déployer sur un plus grand cercle, et plus il embrassera de terrain, plus il s’affaiblira. Voila ce que vous avez à faire. Toi, Artaoze, et toi aussi, Artagersas, prenez chacun vos mille fantassins, et placez-vous derrière les chariots. Toi, Pharnouchus, et toi, Asiadatas, suivis chacun de vos mille cavaliers, ne vous mettez pas en bataille avec le reste de la phalange, mais portez-vous aussi derrière les chariots ; puis vous viendrez me rejoindre avec les autres chefs. Songez à vous tenir prêts, comme si vous deviez les premiers engager l’action. Toi, chef des hommes montés sur les chameaux, range ton monde derrière les chariots, et fais ce que t’ordonnera Artagersas. Pour vous, commandants des chars, tirez au sort à qui rangera les cent chars en première ligne au front de l’armée ; les deux autres centaines borderont les deux flancs de la phalange sur la droite et sur la gauche. » Telle est l’ordonnance des troupes de Cyrus.

Abradatas, roi des Susiens, lui dit alors : « Pour moi, Cyrus, je me chargerai volontiers du commandement des chars que tu opposes au centre de la phalange des ennemis, sauf un autre avis de ta part. » Cyrus, le félicitant et lui tendant la main, demande aux Perses qui doivent monter les autres chars : « Y consentez-vous ? » Comme ils répondent qu’ils ne le peuvent avec honneur, il les fait tirer au sort. Abradatas obtient par le sort ce qu’il souhaite, et fait face aux troupes égyptiennes. Tous se retirent alors, pour s’occuper des préparatifs ; ils soupent, posent des sentinelles et vont se coucher.


CHAPITRE IV.


Les troupes de Cyrus se mettent sous les armes. — Adieux d’Abradatas et de Panthéa. — Discours de Cyrus à son armée.


Le lendemain matin, pendant que Cyrus sacrifie, le reste de l’armée, le repas pris et les libations faites, se couvre de nombreuses et belles tuniques, de belles cuirasses, de beaux casques. On arme les chevaux de caveçons et de housses : les chevaux seuls ont la croupe bardée, ceux des chars ont les flancs armés. On voit briller l’airain, on voit fleurir la pourpre sur l’armée entière.

Le char d’Abradatas, à quatre timons et à huit chevaux, est magnifiquement orné. Il allait endosser sa cuirasse de lin, vêtement national, lorsque Panthéa lui présenta un casque d’or, des brassards et de larges bracelets du même métal, une tunique de pourpre plissée par le bas, descendant jusqu’aux talons, et un panache de couleur d’hyacinthe : elle avait fait cette armure à l’insu de son époux, sur la mesure de celle dont il se servait. En les voyant, il est étonné, et il demande à Panthéa : « Eh quoi ! chère femme, tu t’es donc dépouillée de tes ornements pour me faire cette armure ? — Non, par Jupiter, dit Panthéa ; le plus précieux de tous m’est resté. C’est toi, en te montrant aux yeux des autres ce que tu es aux miens, qui es mon plus bel ornement. » Cela dit, elle le revêt elle-même de ses armes, et s’efforce de cacher les larmes dont ses joues sont inondées. Cependant Abradatas, déjà si digne d’attirer les regards, est à peine revêtu de ces armes, qu’il semble encore plus beau et plus noble, outre sa nature distinguée. Il prend des mains de son écuyer les rênes de son char et se dispose à y monter, lorsque Panthéa, faisant retirer tous ceux qui sont présents, lui dit : « Abradatas, si jamais femme a aimé son époux plus qu’elle-même, je crois être une de ces femmes-là. A quoi me sert de le prouver en détail ? Mes paroles, je le crois, te \e prouvent mieux encore que mes discours. Cependant, quels que soient les sentiments que tu me connais pour toi, j’aimerais mieux, j’en jure par mon amour et par le tien, te suivre sous la terre, soldat glorieux, que vivre déshonorée avec un homme déshonoré, tant je me crois faite, ainsi que toi, pour les actions généreuses. Cyrus a droit, ce me semble, à toute notre reconnaissance ; captive, choisie pour être à lui, loin de me traiter en esclave, ou de me proposer ma liberté à des conditions honteuses, il m’a gardée à toi, comme si j’eusse été la femme de son frère. En outre, lorsque Araspe, mon gardien, s’est enfui, je lui ai promis que, s’il me permettait de t’envoyer un messager, tu viendrais lui offrir en toi un allié plus fidèle et plus utile qu’Araspe. »

Ainsi parle Panthéa. Abradatas, ravi de ces paroles, lui touche la tête, lève les yeux au ciel, et fait cette prière : « Souverain Jupiter, fais que je me montre le digne époux de Panthéa, le digne ami de Cyrus, qui nous a traités avec honneur. » A ces mots, il ouvre les portes du char, il y monte, et, lorsqu’il y est placé et que le conducteur en a fermé les portes, Panthéa, qui n’a plus d’autre moyen d’embrasser son mari, couvre le char de ses baisers. Bientôt le char s’éloigne ; elle le suit quelque temps sans être aperçue, jusqu’au moment où Abradatas se détournant et voyant sa femme : » Du courage, Panthéa, lui dit-il. adieu ; séparons-nous. » Aussitôt ses eunuques et ses femmes la prennent, la conduisent à son chariot, la couchent et la recouvrent d’un pavillon. Les soldats, malgré la beauté du spectacle offert par Abradatas et par son char, n’avaient pas songé à le regarder avant que Panthéa se fût retirée.

Les victimes ayant été favorables, Cyrus fait ranger l’armée suivant ses ordres, établit des postes en avant, à quelque distance les uns des autres, assemble les chefs et leur parle ainsi : « Amis et alliés, les dieux nous montrent dans les victimes les mêmes signes que quand ils nous ont donné notre première victoire. Je veux maintenant vous rappeler les motifs qui doivent vous donner plus de cœur en marchant au combat. Vous êtes bien plus aguerris que nos ennemis ; vous êtes depuis plus longtemps qu’eux nourris et réunis en corps ; vous avez participé à la même victoire, tandis qu’un grand nombre des ennemis y ont été vaincus. Quant à ceux des deux partis qui n’ont pas vu la bataille, les soldats de l’armée ennemie savent qu’ils n’ont pour compagnons que des lâches ; mais vous qui marchez avec nous, vous savez que vous combattez avec des hommes résolus à défendre leurs alliés.

« Or, avec une confiance réciproque, tous, animés d’une égale ardeur, tiennent tête à l’ennemi, tandis que, s’il y a défiance, on ne songe qu’au moyen de se dérober au danger. Marchons donc aux ennemis, camarades ; opposons nos chars armés aux chars sans armes de l’ennemi ; allons combattre de près avec nos cavaliers et nos chevaux contre des cavaliers et des chevaux sans armes : vous connaissez l’infanterie qui vous est opposée. Quant aux Égyptiens, leur armure ne leur est pas plus avantageuse que leur ordonnance : leurs grands boucliers les empêchent d’agir et de voir ce qui se passe : rangés sur cent de profondeur, il est clair qu’ils se feront obstacle pour combattre, sauf un très-petit nombre. S’ils espèrent nous enfoncer par l’effort de leur masse, il faudra qu’ils soutiennent d’abord celui de nos chevaux, que le fer dont ils sont bardés rend encore plus terribles. Si quelques-uns d’entre eux résistent, comment pourront-ils à la fois combattre contre nos cavaliers, combattre contre notre phalange, combattre contre nos tours ? Car les soldats des tours nous viendront en aide : en frappant les ennemis, ils réduiront leur action à l’impuissance. Cependant, si vous avez encore besoin de quelque chose, dites le-moi. Avec l’aide des dieux, nous ne manquerons de rien. Si quelqu’un a quelque chose à dire, qu’il parle : sinon, allez invoquer les dieux à qui nous venons de sacrifier, et puis retournez à vos compagnies ; que chacun de vous leur rappelle séparément ce que je viens de vous dire à tous ; montrez-vous à ceux que vous commandez, dignes de votre commandement, par une contenance ferme, comme vos traits et vos discours. »



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  1. Le talent, poids, était de 26 kilogrammes.
  2. Ceux qui sont chargés de faire ou de réparer les armes ; les armuriers.