Curiosités littéraires et bibliographiques


CH. MONSELET

CURIOSITÉS
LITTÉRAIRES
ET
BIBLIOGRAPHIQUES
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
Rue de Lille, 7

1890


NOTE DE L’ÉDITEUR


Ce volume est surtout une table de renseignements.

Il nous a semblé à la fois curieux et utile de réunir la plupart des notes bibliographiques publiées par Charles Monselet, en dehors des catalogues qu’il a dressés.

On sait que cet aimable écrivain, sous quelque forme qu’il se présente, chroniqueur, romancier, conteur, poète, reste toujours un érudit ; mais c’est par-dessus tout un bibliophile, et, à ce titre, il sera sans cesse consulté et apprécié. Son ouvrage sur Rétif de la Bretonne le fit remarquer comme tel, presqu’à ses débuts, et lui valut par la suite le surnom de « Père des Restifomanes » ; son étude sur Fréron, ses Oubliés et Dédaignés, sa Bibliothèque galante ou Galanteries du XVIIIe siècle, etc., continuèrent à attirer l’attention des collectionneurs et des curieux.

Aussi est-ce à lui que s’adressèrent les éditeurs pour remettre en honneur des écrivains tels que Nép. Lemercier, Claude Tillier, l’abbé Colibri, Legay, Marmontel, etc… Charles Monselet écrivit alors de courtes préfaces qui furent très goûtées et vinrent s’ajouter au bagage littéraire, déjà considérable, de cet écrivain.

Monselet était fils d’un libraire ; de bonne heure il s’intéressa aux livres ; à force de recherches il était parvenu à former une bibliothèque assez curieuse ; mais ce n’était pas un collectionneur jaloux de ses trouvailles, il les montrait volontiers, il faisait mieux et consacrait alors à chacune de ses découvertes de courtes notices dans les journaux où il écrivait : ce sont ces notices, échappées à la plume du journaliste, qu’il nous a paru intéressant de réunir pour les bibliophiles dans une édition de luxe tirée à petit nombre.

M. André Monselet, à qui nous devons la publication des œuvres posthumes de Charles Monselet, a apporté tous ses soins à ce travail et nous a permis ainsi de mener à bien notre entreprise.


J’ai toujours le nez dans les livres ; c’est vrai. On ne se refait point. Prêt à prendre la plume pour mon compte, je m’arrête en disant : « Ne vaudrait-il pas mieux citer ? » Ne voyez pas de la paresse là dedans ; cherchez-y plutôt de la modestie. Il y a tant de choses qu’on a si bien dites avant moi, tant de définitions si heureusement et si spirituellement formulées !

C’est de la besogne toute faite, dira-t-on ; — mais comptez-vous pour rien le mérite de l’avoir trouvée, les heures passées devant les étalages des bouquinistes, dans les bibliothèques, à la salle des ventes de la rue des Bons-Enfants ?

Vous me faites trop d’honneur en réclamant ma prose — ou mes vers. Ingrats lecteurs, vous mériteriez souvent d’être pris au mot !


Ch. Monselet.
CURIOSITÉS LITTÉRAIRES
ET
BIBLIOGRAPHIQUES

LA BIBLIOTHÈQUE DE J. JANIN

Il m’a été donné de voir à plusieurs reprises la bibliothèque de Jules Janin, — et d’abord dans la rue de Tournon, au coin de la rue de Vaugirard, modeste logis au quatrième étage, où elle fut commencée. Quand je dis modeste logis, je faux : les vieux meubles, les riches tentures, les tableaux de prix, abondaient dans ces appartements, qui n’avaient de la mansarde qu’une légère inflexion du plafond vers les fenêtres ouvrant sur le magnifique et verdoyant panorama du jardin du Luxembourg.

À cette époque, je parle de longtemps, les goûts du sémillant feuilletoniste s’étaient déjà tournés vers les éditions rares, et, par une pente toute naturelle, facilitée par ses innombrables relations, vers tous les beaux livres en général, même les modernes, à la condition qu’ils fussent imprimés sur papier de choix, à grandes marges, et habillés de somptueuses reliures. Il lui en venait de tous les côtés, et, lorsqu’ils ne venaient pas à lui, c’était lui qui allait à eux.

Au bout de quelques années, la bibliothèque de Janin était classée ; bientôt elle fut célèbre.

Le catalogue en a été dressé par M. Potier. Un certain nombre de numéros furent retirés par la famille, et ce n’étaient pas, prétend-on, les moins curieux. Mais la nature intime de quelques notes, dont Jules Janin avait l’habitude de couvrir ses livres, — à l'exemple de Charles Nodier, — aurait pu éveiller des susceptibilités parmi les contemporains. On n’a pas voulu de batailles autour de sa mémoire.

Il reste assez de quoi satisfaire les appétits des bibliophiles et les caprices des mondains. Essayons, s’il vous plaît, d’une promenade à travers ce catalogue.

Ainsi que je l’ai dit plus haut, les cadeaux affluaient chez Jules Janin. C’était un effet de sa situation toute-puissante au Journal des Débats.

Je trouve au no 326 la mention d’un livre de toute rareté, à lui donné par la reine Marie-Amélie : ce sont les Marguerites de la Marguerite des princesses, très illustre royne de Navarre (Lyon, chez Jean de Tournes, 1547).

L’historique de cet exemplaire ne manque pas d’intérêt. Il a d’abord appartenu au comte Napoléon Camerata, petit-fils d’Elisa Bonaparte, mort par suicide en 1853 (je cite textuellement le catalogue) ; après cette mort, il passa entre les mains de M. Léon Cailhava, de Lyon, qui le céda au duc d’Aumale, qui le donna à sa mère, — laquelle, à son tour, l’offrit à Jules Janin.

Les femmes, d’ailleurs, se sont toujours plu à flatter ses goûts, comme le prouvent les indications suivantes :

« 5. La Sainte Bible; in-18, chagrin violet, à compartiments, tranche dorée, etc. Don de Mme Cat.-Jos. Escot, veuve de Seyne. »

Une autre Bible : « Envoi de Mme la comtesse de Gasparin. »

Enfin une troisième Bible, avec un envoi signé de Mme Hélène Fould : « À M. J. Janin, un des meilleurs amis de M. Benoît Fould. »

Qu’est-ce que l’auteur de l’Âne mort pouvait bien faire de toutes ces Bibles ?

Un jour, c’est Roger de Beauvoir, Roger de Beauvoir le brillant viveur, le dandy de lettres, qui, passant devant la demeure de Jules Janin, lui laisse en guise de carte de visite un Cicéron in-32 [Lutetiæ, typis J. Barbou, 1758), avec cet envoi :

À toi cet orateur romain,
Philosophe au brillant plumage.
Accepte Caton de ma main :
C’est un fou qui te donne un sage.

M. Margueritte et Mme Suzanne Lagier se sont associés pour lui offrir un Plaute des Alde ayant fait partie de la bibliothèque de Colbert. — Sur la première garde, on lit : « Donné à notre ami Janin, M. Margueritte. » Et plus bas : « Ex munificentia equidem nostra, anno J.-C. 1847, Suzanne Lagier. »

Se doutait-on de tant de latinité chez Suzanne Lagier ?

Voici un Ronsard original avec cette mention : « Offert à M. Jules Janin par la Dame aux Camélias, Eugénie Doche. »

Échange de bons procédés entre la tragédienne Rachel et l’Aristarque du feuilleton :

« 508. Souvenir de M. Laurent à Mlle Rachel. In-4°, maroquin rouge doublé de moire, etc. ; reliure de Capé.

« Manuscrit donnant, jour par jour, dans des tableaux admirablement calligraphiés, les ouvrages représentés à la Comédie-Française avec le concours de Mlle Rachel, depuis son premier début, le 12 juin 1838, jusqu’au 23 mars 1855 ; les noms des pièces et des auteurs, les rôles dans lesquels elle jouait, le chiffre des recettes journalières, avec le total (4,394,231 fr. 10 c).

« Sur le premier feuillet de garde, M. J. Janin a transcrit les paroles que lui adressa Mlle Rachel en lui remettant ce manuscrit, et ce qu’il lui répondit.

« Mlle Rachel à M. Jules Janin :

Je dépose en vos mains mes titres de noblesse.

« J. Janin à Mlle Rachel :

Soit. Je conserverai vos parchemins, Altesse. »

Cela prouve que Jules Janin aimait aussi les manuscrits. Il avait en sa possession les manuscrits de la Ciguë, de l’Honneur et l’Argent, de la Julie de M. Octave Feuillet, du Père prodigue d’Alexandre Dumas fils, avec cette note : « Le dernier survivant de sept manuscrits. »

Il avait même deux romans manuscrits d’Amédée Achard, qui figurent au catalogue.

Je doute que les deux romans d’Amédée Achard déterminent des enchères hyperboliques.

Victor Hugo est splendidement représenté par la première édition des Feuilles d’automne, par la Notre-Dame de Paris illustrée, de Perrotin, et surtout par un exemplaire exceptionnel des Contemplations, — exceptionnel non seulement par les dessins originaux qu’il renferme, mais par une longue lettre de Victor Hugo, datée de Hauteville, le 16 août 1836. Dans cette lettre, le grand poète félicite éloquemment Jules Janin du courage qu’il apporte à le défendre :

Aujourd’hui, — lui dit-il, — la situation est telle que dire mon nom c’est protester, dire mon nom c’est nier le despotisme, dire mon nom c’est affirmer la liberté, et ce nom militant, ce nom déchiré,

ce nom proscrit, vous le dites avec tant d’intrépidité… Vous le chantez comme avec un clairon et vous jetez tout ce qu’il contient de guerre à la face de l’empire et de l’empereur… Je ne vous en remercie pas, je vous en félicite…

Victor Hugo ajoute qu’il se fait bâtir une habitation :

N’ayant plus la patrie, je veux avoir le toit. L’Angleterre n’est pas pourtant meilleure gardienne de mon foyer que la France. Ce pauvre foyer, la France l’a brisé, la Belgique l’a brisé, Jersey l’a brisé. Je combats avec une patience de fourmi. Cette fois, si l’on me rechasse encore, je veux forcer l’honnête et prude Albion à faire une grosse chose. Je veux la forcer à fouler aux pieds un at home, la fameuse citadelle anglaise, le sanctuaire inviolable du citoyen… À Marine-Terrace, j’étais à l’auberge ; l’Angleterre s’en est fait une excuse pour sa couardise.

Un épisode charmant, presque attendrissant.

Déranger avait entendu parler de la bibliothèque de Jules Janin, et particulièrement d’une édition extraordinaire de ses Chansons. Il manifesta le désir de voir cet exemplaire ; Janin s’empressa de le lui envoyer.

Quelques jours après, l’édition merveilleuse revenait à son propriétaire, avec ces lignes de Béranger sur le premier feuillet :

Mes pauvres filles, retournez chez celui qui vous a si généreusement accueillies. Voyez, malgré votre peu de mérite, comme il vous a splendidement habillées, vous qui, par habitude, courez les rues en si piètre parure. Ah ! remerciez le bon Janin, qui, sachant que votre vieux père n’avait pas le moyen de vous attifer si richement, s’est chargé des dépenses de votre toilette, et, malgré tant de gens intéressés à votre perte, a le courage de vous adopter et de vous défendre. Pareille générosité est rare aujourd’hui. Tout républicain qu’on m’accuse d’être, assurez de ma gratitude le roi de la critique.

Béranger.

Mai 1856.

Parmi les curiosités, une des plus étonnantes est certainement celle-ci :

Catalogue des pièces choisies du répertoire de la Comédie-Françoise (Paris, 1775) ; avec des notes de la main de Louis XVI.

Un autre Catalogue des livres et estampes de M. Armand Bertin, avec une lettre de ce même Armand Bertin, commençant ainsi :

Mon cher Janin, je ne vous ai pas vu aujourd’hui

je voulais vous dire que je vous supplie de nouveau de ne pas attraper la censure. En l’attrapant, vous m’attrapez tout le premier, et vous ferez supprimer le feuilleton d’abord, le journal ensuite, etc., etc.
3 janvier 1852.

Un ouvrage dont le titre fait rêver : L’Art de se tranquilliser dans tous les événements de la vie, tiré du latin, du célèbre Antoine-Alphonse de Sarasa (Strasbourg, 1772).

Il me semble que le célèbre Sarasa a quelque peu perdu de sa célébrité aujourd’hui.

Notice biographique sur A. Sergent, graveur en taille-douce et député de Paris à la Convention, par Noël Parfait (Chartres, chez Garnier).

Les Œuvres poétiques du chevalier Bertin, avec ce dizain, écrit par Janin dans un jour de misanthropie :

Aimer est un destin charmant ;
C’est un bonheur qui nous enivre
Et qui produit l’enchantement.
Avoir aimé, c’est ne plus vivre,
Hélas ! c’est avoir acheté
Cette accablante vérité
Que les serments sont un mensonge,
Que l’amour trompe tôt ou tard,
Que l’innocence est un grand art,
Et que le bonheur est un songe.

Ces vers assez pauvres nous démontrent une fois de plus que l’auteur des Gaîtés champêtres n’était un poète qu’en prose.

Je pense que ce bouquet de citations suffira à donner une idée de l’importance et surtout de l’agrément de la bibliothèque de Jules Janin.


LORD CHATTERTON

Un anonyme, homme d’esprit à coup sûr, a publié jadis une suite au drame de Chatterton.

Quand je dis suite, c’est seulement un chapitre ajouté à l’œuvre d’Alfred de Vigny, un récit d’une trentaine de pages. Mais ce récit est ingénieux, ce chapitre porte avec lui son enseignement ; — il n’est pas seulement goguenard, humoristique, mordant : il est encore profondément philosophique.

Il a pour titre : Lord Chatterton.

Voici la fable imaginée :

Chatterton n’est pas mort. La dose de poison qu’il a prise était trop forte. Il vivra, il pourra se reprendre à l’étude, à la méditation ; il achèvera son poème de la Bataille de Hastings. On l’arrache à sa froide et sombre chambre du logis de John Bell ; on lui épargne la vue du cadavre de Kitty. Cette fois, il ne résiste plus aux cordiales instances de ses amis ; il commence à croire qu’il a mal envisagé la société, et qu’ avec quelques menues concessions on peut faire son chemin honnêtement.

Il est installé dans un joli cabinet de travail, clair, riant, dont les fenêtres ouvrent sur les arbres et sur le soleil, confortablement meublé, orné de fleurs renouvelées chaque matin. Le jour, il écrit ; il a renoncé à ce travail fiévreux de la nuit qui use le cerveau et détruit le corps. Le soir, il fréquente les salons, il va au cercle. Il a vaincu sa timidité native ; ce n’est plus cet adolescent farouche, tout de noir habillé ; c’est presque un jeune homme élégant, et de bonne mine dans tous les cas. — Chatterton engraisse.

Sur ces entrefaites, une belle et riche lady, blonde comme le lin, vaporeuse à souhait, vient à le rencontrer dans un bal. Elle s’éprend de lui ; et, comme elle est libre, indépendante, elle l’épouse à la face des Trois-Royaumes. Voilà Chatterton opulent, grand seigneur ; Chatterton propriétaire d’un hôtel splendide, ayant carrosses et valets, sans compter les châteaux aux environs de Londres ; Chatterton courant les chasses à grand bruit dans ses propres forêts !

C’est au tour des libraires à venir ramper à ses pieds ; mais lord Chatterton n’a plus rien de commun avec ces gens-là, et il les fait chasser à coups de fouet de son antichambre dorée. Il ne veut plus travailler qu’à sa guise, et seulement à l’heure de l’inspiration, les yeux fixés sur la postérité. En attendant, ce qu’il faut à lord Chatterton, ce sont les succès dans le monde, et par-dessus tout la consécration politique, c’est-à-dire un siège au haut Parlement. Il l’obtient.

À dater de ce moment, la vie de Chatterton n’est plus qu’une série de fêtes et d’enivrements. C’est un homme à la mode, un dandy ; on le voit dans tous les raouts, sur tous les champs de courses ; il n’y a pas de paris extravagants qu’il ne tienne ou ne provoque. Le temps qu’il ne passe pas en Angleterre, il l’emploie à parcourir l’Italie en chaise de poste avec la belle lady Chatterton, sa femme.

Au milieu d’une telle existence, il lui reste bien peu de loisirs pour faire des vers. Chaque fois qu’il veut s’y remettre, c’est un effort une difficulté. Pourtant, rougissant de lui-même, il termine la Bataille de Hastings ; — mais il ne lui a pas fallu moins de dix ans pour cela, dix ans de bien-être et de quiétude, pendant lesquels son esprit s’est appesanti. Lord Chatterton essaye en vain de se faire illusion : il va de salon en salon lire son poème, qui n’obtient aucun succès. Les plus indulgents y cherchent des allusions aux principaux personnages de la cour ; on veut que la reine Hedwige soit lady Sainclair, qu’Harold soit lord Mindless, et que la sorcière Ethelrude soit lady Pembroke.

Épouvante dans sa nature de courtisan, craignant de soulever le scandale autour de lui, lord Chatterton renonce à publier son poème, le rêve et l’ambition de sa jeunesse. Il sacrifie définitivement le poète au grand seigneur. Qu’a-t-il besoin de la gloire ? N’a-t-il pas assez de la fortune ? Il finit vieux beau, homme d’esprit, tendre à lui-même — et dur aux poètes.

Je le répète, il y a longtemps que j’ai lu ce récit, très longtemps. Je ne m’en rappelle pas les mots, — et j’y ai peut-être ajouté du mien, chemin faisant.

Que l’auteur de Lord Chatterton me pardonne, s’il existe encore !

LA DUCHESSE DE PRASLIN
(drame en cinq actes)

Acheté ce matin sur le quai Malaquais une pièce italienne dont le titre était bien fait pour tirer l’œil :

« La Duchessa di Praslin dramma in un prologo et cinque atti, di Leone Fortis, rappresentato per la prima volta in Padova nel antunno 1847.»

C’est-à-dire que la pièce fut représentée à Padoue l’année même du crime. Le signor Leone Fortis n’avait pas perdu de temps.

Voici la distribution des personnages :


Teobaldo, duca di Praslin, pari di Francia.
Armando, cavaliere Didier.
Visconte de Laroche.
Barone di Montrisor.
Conte Dupuy.
Giovanni Morent, intendente della duchessa.
Amelia, duchessa di Praslin, nata Sebastiano.
Donna Clara di Las-Vargas.
Emma Didier.


Marchesa di Lamber
Baronessa di Villèle.
Un giudice d’istruzione.

(L’azione é in Parigi, 1841-1847.)

La pièce est un mélange de vérité et d’invention. À la donnée historique connue de tout le monde, — l’assassinat de la duchesse de Praslin par son mari, — l’auteur associe des faits qui relèvent purement de son imagination.

Teobaldo a connu et aimé à la cour de Madrid une grande dame, Clara de Las-Vargas. Abandonnée, elle jure de se venger. Elle se jette à la traverse de ses plans politiques et de ses intrigues amoureuses, — et finit par le pousser au meurtre.

La mise en scène de ce meurtre est celle d’Othello. La duchesse repose dans son alcôve. Une lampe éclaire la chambre de sa lueur tragique. Le duc entre par une porte dérobée, en proie à une sombre agitation. Après quelques moments d’hésitation et deux ou trois réflexions sur le silence de la nuit, le calme de la nature, etc., il se précipite dans l’alcôve.

Breve silenzio, — dit le texte italien.

Il en ressort livide, effaré… et se trouve en présence de Clara de Las-Vargas, qui a tout vu.

C’est elle qui le dénonce et le livre à la justice.

L’auteur de la Duchesse de Praslin a la prétention de peindre et de flétrir les mœurs corrompues de la fin du règne de Louis-Philippe.

Au premier acte, un groupe de jeunes Français causent dans un salon.

« Je vous parie mon vote à la Chambre des députés ! s’écrie l’un d’eux.

— On ne parie pas un vote.

— Tu as raison, il vaut mieux le vendre. »

Çà et là quelques velléités littéraires.

Une scène se passe entre la duchesse de Praslin et une jeune fille qu’elle a recueillie.

Celle-là lit à haute voix le Lys dans la vallée, du signor Balzac.

Emma, lisant. — « … Tourmentée, blessée. Aujourd’hui, demain, toujours ; l’âme blessée par tous ceux qui l’approchaient… »

La Duchesse. — Emma, c’est assez. Cette lecture me déchire le cœur !

Emma. — Pauvre Mme de Mortsauf ! si belle et si malheureuse !

La Duchesse. — C’est le destin de tous ceux en qui le sentiment prédomine. Vrai lys dans la vallée créé pour une vie de parfum et de lumière, elle devait bientôt s’étioler et périr. Un air trop froid et trop lourd pesait sur elle.

Emma. — Et comment cette frêle tige a-t-elle pu rester si lontemps debout et battue par le vent ?

La Duchesse. — Croyez-moi, Emma, certaines douleurs minent sourdement l’existence. C’est un déchirement de tous les jours, de toutes les heures… Que nous serions heureuses si elles tuaient d’un seul coup !

Plus loin, on vient dire à la duchesse de Praslin qu’une fête s’organise au profit des inondés de la Seine.

La Duchesse. — N’avez-vous pas inscrit mon nom ?

Le Vicomte de Laroche. — Je voulais d’abord vous en demander l’autorisation.

La Duchesse. — C’était inutile. Quoique je n’approuve pas cette charité du siècle, qui fait de tout désastre un prétexte à des bals, à des fêtes joyeuses, cela vaut mieux que rien… Cela vaut mieux que la charité de nos voisins d’outre-Manche, qui jeûnent

par ordre supérieur pour venir en aide aux Irlandais mourant de faim.

C’est doux, en somme. Dennery aurait fait mieux avec ce sujet-là.

MADEMOISELLE BÉATA

Un des romans d’Alphonse Royer qui ont fait le moins de bruit est Mademoislle Béata (Paris, Dumont, 1840, un vol.).

Il va sans dire que c’est celui où il a mis le plus d’originalité et d’humour. C’est un conte hollandais, rempli de détails locaux les plus amusants du monde. J’y ai remarqué un repas de fiançailles chez M. Gottfried, riche marchand de fromages de Saardam.

On descendit dans la salle à manger, où Mlle Olympie, selon l’usage néerlandais, s’occupait à préparer le thé pour les convives. Auprès de la bouilloire anglaise, frissonnant sur un réchaud ardent, de larges et plates tranches de bœuf fumé s’étalaient sur des assiettes japonaises bariolées de magots bleus et de nuages incarnats. Aux deux bouts de la table, deux chiens de beurre, fort joliment colletés de colliers peints en vermillon, semblaient se regarder et s’entendre, le museau allongé et les pattes trempant dans l’eau. Une singulière circonstance, c’est que la table consistait simplement en une simple planche carrée, recouverte d’une nappe et appuyée sur deux tonneaux.

Le marchand de fromages du Nord-Hollande

avait, ce jour-là, endossé son habit gris à boutons de nacre, et Mlle Olympie, quoiqu’il fût à peine dix heures du matin, était coiffée en cheveux, avec deux tulipes à la reine enfoncées dans son chignon bien lissé, en guise de plumet. Un tel dérangement dans les habitudes de la maison indiquait qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire, et que le thé, les tranches de bœuf sur porcelaine du Japon, l’exhibition de l’habit gris et les chiens de beurre barbotant dans l’eau fraîche, avaient été employés comme décoration de quelque coup de théâtre imprévu.

N’est-ce pas que c’est là un aimable tableau ?

Le coup de théâtre, le voici :

M. Gottfried, après avoir vidé deux fois la théière, se lève tout à coup, enlève la table dans ses bras et laisse à découvert les deux tonneaux en question, remplis jusqu’aux bords de pièces d’or frappées à l’effigie de tous les souverains des Pays-Bas.

« Ceci est la dot de ma fille unique, s’écrie le négociant en fromages, 200,000 florins bien comptés ! Cela vous va-t-il ? »

On ne fait plus assez de ces petites histoires d’un ton soigneux, à demi fantastiques, doucement spirituelles, comme Mademoiselle Béata.


CALIBAN ET CALIBAN

On parle du Caliban de M. Ernest Renan.

Ce que voyant, j’ai fouillé dans ma bibliothèque, — qui n’est pas la bibliothèque de tout le monde, — et j’ai trouvé un autre Caliban.

Caliban, par deux Ermites de Ménilmontant rentrés dans le monde. Deux volumes in-8o ; Dénain, libraire, rue Vivienne, no 16, à l’entresol. — Paris, 1833.

Ces deux volumes, très recherchés par les amateurs de la période romantique, — et signalés dans la Bibliographie d’Asselineau, — sont illustrés de deux vignettes à l’eau-forte de M. Albert Aubert.

L’une représente le Caliban de Shakespeare, à mi-corps, portant un fagot sous son bras ; monstre difforme, nu, crépu, barbu, camard, aux dents horribles, aux vastes oreilles. Le sylphe Ariel voltige au-dessus de lui.

La seconde montre une femme échevelée et blanche soutenue par un magistrat.

Pour ce qui est du titre de notre livre, — est-il

dit dans la préface, — le nom de Caliban, qui s’est offert à nous en lisant Shakespeare, nous a paru aussi bon que tout autre, d’autant qu’il y a dans le personnage quelque ressemblance avec notre ouvrage fait homme : — un mélange de forme et d’idées, une figure qui se place entre le ciel et l’enfer, une sorte de milieu entre ce qui est vice et vertu, milieu considéré comme absence ou confusion de ces deux termes jadis si éloignés…

Et maintenant, Messieurs et Dames, c’est le tour de Caliban ; avancez ici, vieux monstre, faites la révérence à l’aimable compagnie, — et commencez !

Les deux auteurs de ce Caliban sont : Édouard Pouyat, mort depuis longtemps, et M. Charles Ménétrier, vivant, très vivant celui-ci, et bibliophile des plus aimables.

M. Ernest Renan ne leur a rien emprunté ; il s’est contenté de faire comme eux : il a décroché l’enseigne de Shakespeare pour l’accrocher à sa propre maison.

Mme  LA REVUE… DES DEUX-MONDES

Si chaste d’habitude, la Revue des Deux-Mondes a consacré une page tout entière au Portier des Chartreux.

Le titre seul de cet ouvrage constitue un outrage à la morale publique. C’est le roman le plus infâme et le plus corrupteur qui ait jamais été écrit au XVIIIe siècle.

L’épais cahier de la famille Buloz n’en juge pas ainsi ; il a des excuses et des atténuations :

Avec la légèreté d’esprit et de causerie de la société d’alors, — dit-il, — quand les femmes les plus polies se vantaient d’être esprits forts et que le relâchement des mœurs dans les couvents défrayait l’innocente gaîté des honnêtes gens, un tel livre n’était qu’une amusante historiette de moinerie, un peu gauloise sans doute, mais tout à fait propre à chasser les vapeurs.

On croit rêver…

Cette dissertation sur un des livres les plus honteux du monde est contenue dans un article intitulé : Les Filles de Louis XV, par M. Jules Soury. Elle a trait à l’anecdote de cette dame d’honneur accusée d’avoir prêté le livre en question à la jeune Adélaïde, alors âgée de quatorze ans.

L’auteur de l’article prend en main la défense de cette dame d’honneur, qu’il taxe tout au plus d’étourderie ; peut-être n’a-t-elle pas prêté le livre, peut-être est-il tombé de sa poche, peut-être Adélaïde l’a-t-elle ramassé et n’a-t-elle pas voulu le rendre, — et vingt autres simagrées semblables.

Le Portier des Chartreux — ajoute-t-il, — est illustré, comme on sait, de gravures très libres.

Comme on sait est superbe !

Mais il n’y a que vous qui le sachiez, espérons-le.

Bref, M. Soury ne voit pas là dedans de quoi fouetter un chat.

LUCRÈCE BORGIA

Il y a deux Lucrèce Borgia : celle de l’histoire et celle de Victor Hugo. Elles se confondent souvent. Mais certains érudits d’Italie et d’Allemagne se sont mis, depuis quelques années, à la tête d’une réaction en faveur de l’intéressante fille d’Alexandre VI. Le marquis Campori a composé un mémoire intitulé : Une victime de l’histoire ; M. F. Gregorovius a écrit deux gros volumes : Lucrèce Borgia, d’après les correspondances contemporaines. Tous les deux plaident les circonstances atténuantes.

Selon le sensible Allemand, elle porte le fardeau d’une injuste malédiction ; elle fut plus malheureuse que coupable, et c’est un procès à refaire. Je n’y contredis point. Mais, toutes les pièces vues et toutes les correspondances lues, le mot de la situation me paraît être résumé par le traducteur de Gregorovius :

Bien que descendue aujourd’hui du piédestal sinistre où la tradition la faisait trôner à côté des Phèdre, des Médée et des Clytemnestre, la fille

d’Alexandre Borgia reste encore une figure essentiellement tragique par sa présence, sinon par son concours, aux drames épouvantables où elle assista dans l’attitude ambiguë d’une complice ou d’une victime de la scélératesse des siens.

Lucrèce Borgia avait, à l’encontre de toutes les idées qu’on pouvait s’en faire, un minois enfantin et un nez retroussé. Les médailles frappées pendant qu’elle était duchesse de Ferrare sont là pour l’attester.

Lucrèce Borgia, un nez retroussé !

Essayez donc, après cela, de faire vrai au théâtre !




MADAME ANGOT… ET SA FILLE

« La vogue de l’ancienne Madame Angot a-t-elle été dépassée par celle de la Fille ?  » me demandait quelqu’un l’autre jour. Ce point d’histoire est incertain.

L’ancienne Madame Angot avait singulièrement bouleversé le vieux Paris ; — si l’on veut en avoir une idée, qu’on lise cet extrait d’une lettre fort spirituelle datée de 1798 ; je l’ai dénichée dans un petit volume : Vérités à l’ordre du jour, très goûte des bibliophiles, — section des spectacles.

Il était neuf heures du matin, Madame, et je dormais encore, lorsque monsieur votre oncle, entrant dans ma chambre, après m’avoir fait la guerre sur ma paresse, me dit qu’il me retenait pour aller le soir au théâtre de Ribié, actuellement nommé, on ne sait pourquoi. Théâtre d’Émulation.

« On y donne, ajouta-t-il, Fénelon et Madame Angot ; la salle sera éclairée en bougies. Vous y verrez la meilleure compagnie de Paris, dont c’est le rendez-vous habituel.

Fénelon au théâtre de Ribié ! m’écriai-je.

— Tenez, voici le Courrier des spectacles ; lisez, et jugez si je vous en impose. Je viens de faire retenir une loge, et je ne vous quitte pas que vous ne m’ayez promis de m’accompagner. Vous ne verrez pas tous les jours réunis Fénelon, représenté par Ribié, et Madame Angot, jouée par Corsse. »

Je n’eus plus rien à opposer à monsieur votre oncle, et je lui promis tout ce qu’il voulut. Nous dînâmes ensemble, et, l’heure du spectacle arrivée, nous montâmes en voiture et nous arrivâmes par la rue de Bondy. Bien nous en prit de n’avoir pas tardé davantage, car la foule était extrême, et l’on se disputait notre loge, quoiqu’elle fût fermée ; mais notre présence fît cesser toute contestation, et nous nous emparâmes de notre propriété, non sans exciter l’envie de bien des gens, qui ne voyaient notre bonheur qu’avec beaucoup de jalousie…

Nous arrivâmes au moment tant désiré de voir jouer Madame Angot. On ne saurait se figurer les trépignements de pieds, les battements de mains, les bravos, qui se firent entendre lorsque le coup de sifflet du machiniste annonça le lever du rideau : c’était un enthousiasme général !

Cette farce est environ à sa cent cinquantième représentation, et elle a rapporté à elle seule plus que tous les chefs-d’œuvre de Corneille, de Racine et de Voltaire n’ont jamais rendu. Mais, pour moi, j’avoue que, si je n’avais pas été en la compagnie de monsieur votre oncle, il m’aurait été impossible de rester jusqu’à la fin du spectacle. Il s’acheva cependant au gré de mes désirs ; nous nous hâtâmes de sortir pour éviter la foule. La soirée était belle, la lune était dans son plein ; nous revînmes à pied tout le long des boulevards, et nous allâmes prendre des glaces au pavillon d’Hanovre.

On aura remarqué dans cette lettre l’indication : la salle sera éclairée en bougies.

LES PROMENADES DE CLARISSE

Croirait-on que c’est principalement dans des ouvrages sur l’éducation que la fantaisie de certains écrivains s’est le plus exercée ?

Je possède un livre à la date du siècle dernier, intitulé : les Promenades de Clarisse, ou Principes de la langue française à l’usage des Dames, par M. Tournon.

L’auteur a cherché à rendre son travail aussi attrayant qu’un roman.

Il met en scène une jeune Anglaise, Clarisse ; — son père, lord Hamilton, — et un jeune Français, le marquis de Valzé. Ce jeune mortel, qui « unit une figure aimable à beaucoup d’esprit et de douceur », s’offre à enseigner le français à Clarisse, qui accepte en rougissant. On rougit tout le temps dans ce pudique ouvrage.

Les leçons commencent sous les yeux du père ; elles ont lieu dans un jardin agréablement ombragé, sur des bancs de gazon disposés de distance en distance, à côté d’un frais ruisseau qui s’échappe d’une grotte, pour se répandre en serpentant à travers la campagne.

Le paysage joue un rôle important dans ces Principes de la langue française.

Par exemple, le marquis de Valzé vient à apercevoir un papillon.

« Mademoiselle, dit Valzé, voyez-vous ce papillon ?

— Oui, Monsieur.

— Comme il est brillant ! comme il est joli !

— En effet, répond Clarisse.

— Remarquez-vous que, dans ces derniers mots, je parle du papillon sans le nommer ?

— Oui ; pourquoi cela ?

— C’est que le petit mot il est mis là pour tenir la place du nom papillon ; aussi le petit mot s’appelle pronom.

Mais il y a pronoms et pronoms ; il s’agit d’en faire connaître les diverses sortes à Clarisse. Le marquis de Valzé continue d’emprunter sa démonstration à l’ordre champêtre.

Une abeille frappe ses yeux ; elle butine dans le calice des fleurs. Il la désigne à son écolière, et leurs regards la suivent avec intérêt.

« Bon ! s’écrie lord Hamilton (le papa), voilà l’abeille qui s’envole !

— Elle va regagner sa ruche, dit Clarisse.

— Et cela sans se tromper de chemin, ajoute vivement le marquis ; après avoir traversé des prairies, des vallons, des coteaux, elle n’en arrivera pas moins à sa destination, et sûrement elle ne prendra point une autre ruche pour la sienne.

Pour la sienne… répète Clarisse devenue songeuse ; pour la sienne… c’est-à-dire : pour sa ruche.

— Oui, Miss.

— Ce mot est donc un pronom ?

— C’est un pronom, un pronom possessif », répond le marquis de Valzé.

Tout est sur ce ton de bucolique. On comprend que les événements n’y abondent pas. C’est dommage. On aurait voulu voir des duels, des enlèvements, des souterrains, des fêtes, — tout cela se rapportant à l’enseignement.

Il va sans dire qu’à la fin de son cours le marquis de Valzé obtient la main de miss Clarisse.

Je tiens cet ouvrage, pour peu qu’il le désire, à la disposition de M. le Ministre de l’Instruction publique.


Mlle DE MAUPIN… APRÈS LA LETTRE

On sait que le roman de Mademoiselle de Maupin, de Théophile Gautier, doit un regain de succès au procès Santerre. À vrai dire, il jouissait depuis longtemps déjà d’un certain renom auprès des lettrés, mais il lui manquait la popularité. Elle devait lui venir du hasard, d’une circonstance semi-galante.

Lorsqu’on sut qu’une belle mondaine faisait de Mademoiselle de Maupin son livre de chevet, on voulut connaître Mademoiselle de Maupin.

Deux ou trois éditions s’enlevèrent immédiatement ; le poète ne s’était jamais vu à pareille fête. Je ne répondrais pas que le nouveau public qui lui arrivait fût bien apte à comprendre ces merveilles de style ; il ne cherchait qu’une distraction licencieuse.

Il arrivait trop tard.

Depuis la première édition, Théophile Gautier, cédant à divers scrupules, avait apporté des modifications à son œuvre, surtout dans la fameuse préface. M. A. Bonneau en a relevé quelques-unes dans la Curiosité littéraire.

Ainsi, primitivement, Gautier avait écrit :

« Dans Molière, la vertu est toujours cocue et rossée… » Il a mis à la place : « Dans Molière, la vertu est toujours honnie et rossée. »

À « mon pot de chambre » il a substitué « certain vase » ;

À des « pessaires élastiques », des « ceintures élastiques ».

Et ainsi de suite.

On ne comprend guère ces restrictions de la part d’un homme aussi peu pudibond que notre Théo.

Il faut croire que Mme Santerre possédait la première édition de Mademoiselle de Maupin, — la bonne.

L’ART DE NE JAMAIS ÊTRE TUÉ
NI BLESSÉ EN DUEL

L’Art de ne jamais être tué ni blessé en duel, sans avoir pris aucune leçon d’armes et lors même qu’on aurait affaire au premier tireur de l’univers, enseigné en dix leçons. C’est le titre d’un volume paru, en 1828, à la Librairie française et étrangère.

Il est orné d’une gravure coloriée, qui représente un restaurateur de campagne plumant les canards traditionnels.

Ce livre a dû se vendre très bien, car il est devenu rare, et peut-être mériterait-il les honneurs de la réimpression.

Au fond, c’est une facétie plutôt qu’un traité ex professo. Il y a le chapitre des Excuses, le chapitre des Interventions, etc.

Le portrait du second, ou témoin, est assez réjouissant :

Une taille haute et bien prise, pas trop de corpulence, une tournure noble et distinguée, une

démarche libre et dégagée, une toilette toujours soignée, mais sans affectation, un visage ouvert, un œil tranquille, beaucoup d’éloquence et d’érudition, un appétit insatiable, un dévouement sans bornes, tel est, tel doit être le véritable second, le véritable témoin…

Ses devoirs sont plaisamment définis :

Entend-il parler d’une dispute, avant qu’on ait paru sur le terrain il mettra tout en œuvre pour l’apaiser. Malgré ses efforts est-on arrivé au bois de Boulogne, il ne faut pas qu’il désespère encore.

« Comment, doit-il s’écrier avec chaleur, deux Français, deux compatriotes, deux frères, se baigneraient dans le sang l’un de l’autre ! »

Ou bien :

« Des hommes appartenant à des nations amies, qui ne devraient être rivales que de gloire, se baigneraient, etc., etc. »

On se baigne toujours dans ce petit livre.

Le chapitre des armes n’est pas plus sérieusement écrit. La mystification montre le bout de l’oreille dans le paragraphe « des balles » :

On s’imagine que le temps des balles enchantées est passé sans retour, et l’on se trompe. Tout habile second doit savoir les confectionner, de manière qu’elles imitent à s’y tromper les balles véritables.

Prenez pour cela du liège dont les pores soient peu ouverts, et commencez à l’amincir et à l’arrondir avec un canif bien aiguisé. Quand vous aurez promené bien également le canif sur toute la surface sphérique du liège jusqu’à ce qu’elle ne présente plus de défectuosité, prenez du crayon de bonne mine de plomb et frottez-en votre petite boule dans tous les sens ; ne vous arrêtez que lorsqu’elle aura pris parfaitement la couleur et le demi-luisant de la balle.

Il serait de la plus grande imprudence, vous le pensez bien, de révéler ce mystère à aucun des combattants. Le secret doit rester inviolable et éternel entre l’autre second et vous.

Quand tous deux vous aurez épuisé tous les moyens de conciliation, alors l’un de vous prendra d’une main un pistolet, de l’autre les balles, et, les élevant de manière à ce que tout le monde les voie, il les laissera couler dans le canon du pistolet, tandis que l’autre second, saisi subito d’une toux-quinte, dissimulera par le bruit qu’il fera celui que les balles manqueront de faire dans le canon. La poudre, la bourre, tout sera entassé sur-le-champ, afin de ne point laisser aux adversaires le temps de concevoir des doutes.

Allons, allons, l’auteur de l’Art de n’être jamais tué en duel n’est décidément qu’un farceur.


DÉLASSEMENTS
DES JEUNES CHARPENTIERS

Délassements des jeunes charpentiers, à eux adressés par un vieux Gâcheur troubadour, etc., etc. Se trouve chez divers Hbraires et chez les Mères des Bondrilles.

Tel est le titre d’un petit livre sur lequel le hasard m’a fait tomber.

La charpente a donc son poète !

Je l’ignorais ; et beaucoup d’autres comme moi, sans doute.

Ce poète ne s’amuse pas aux bagatelles du paysage ; il n’envoie pas de soupirs aux étoiles ; il ne s’inquiète pas de ce que dit le rossignol à la rose. Il va droit à son but, c’est-à-dire à son métier.

Voici les conseils qu’il donne dans la pièce intitulée : Écoute, apprenti !

Des murs sur le tas connaîtras
L’angle, l’aplomb, le percement.

L’épure ensuite tu battras
Avec grand soin et nettement.


Aux pans de bois observeras
Fruit, charge, aussi le roulement.

Puis ensuite tu poseras
Refend d’aplomb correctement.

Le comble, tu l’établiras
Et poseras habilement.

Dans les chéneaux tu laisseras
Passage aux eaux fort amplement.

Pour l’escalier étudîras
L’échappée attentivement.

Et, quand tu débillarderas,
Contente l’œil parfaitement.

Il y a encore comme cela cinq ou six distiques.

Les autres pièces des Délassements s’appellent : l’Origine de l’escalier-entonnoir, Ode sur le compagnonnage des charpentiers, la Légende du trait carré impossible, la Chansonnette des Bondrilles, etc., etc. L’auteur y parle avec enthousiasme de ses pairs et de ses amis, de Gâtinais le Divertissant, de Parisien le Bien-aimé, de Versailles le Clocher doré.

Tel fut Guérin, dit le Clocher doré,
De son vivant l’honneur du Trait carré.


DORCI, OU LA BIZARRERIE DU SORT

Se serait-on trompé jusqu’à présent sur le compte du fameux comte ou marquis de Sade ? On vient de publier un ouvrage inédit de lui : Dorci, ou la Bizarrerie du sort, qui rendrait certainement des points au vertueux Bordelais Berquin.

On ne se figure pas un récit du lugubre gentilhomme sans flots de sang, fêtes dans un souterrain, pendaisons, empoisonnements, fustigations avec des fouets aux lanières de fer, etc., etc.

Au lieu de cela, Dorci n’offre que des scènes de sensibilité et de morale : le lait a remplacé le sang. Voyez le début :

De toutes les vertus que la nature nous a permis d’exercer sur la terre, la bienfaisance est incontestablement la plus douce. Est-il un plaisir plus touchant, en effet, que celui de soulager ses semblables ? Et n’est-ce pas à l’instant où notre âme s’y livre qu’elle approche le plus des qualités suprêmes de l’être qui nous a créés ?

Très bien, bon marquis, bravo !

Pourtant, comme le tempérament ne perd jamais ses droits, on trouve encore dans Dorci, par un restant d’habitude, un cadavre, une jeune fille égarée dans une forêt, une petite prison ; mais tout cela timidement présenté, et comme avec des gants blancs.

Et puis, quelles belles tirades ! quels honnêtes sentiments ! Voulez-vous connaître le marquis de Sade bénisseur ? Écoutez-le :

Ô sainte humanité ! fille du ciel et reine des hommes, dois-tu donc permettre qu’une source de remords et de chagrins soit la récompense de tes sectateurs, pendant que ceux qui t’outragent sans cesse triomphent en t’insultant sur les débris de tes autels ?

Inimaginable !

Encore une biographie à refaire !

ALFRED DE MUSSET ENFANT !

Alfred de Musset enfant ! — C’est le titre d’une plaquette que je viens d’acheter sous l’Odéon. J’y lis des choses surprenantes, et qui ne ressemblent à rien.

« Viens, mon chéri, viens apprendre à lire », disait un jour Mme Patay de Musset à son petit Alfred.

Et d’abord, c’est Mme de Musset-Pathay qu’il faut écrire : un peu d’orthographe ne messied pas en biographie.

Continuons.

La Maman. — Allons, mon mignon, sois attentif, recommençons. Vois-tu cette lettre, la première ? Remarque comme elle est faite.

Alfred de Musset. — Je la vois bien, elle est à côté de l’âne. L’âne est bien gentil. J’aime les ânes, moi. Tu m’achèteras un âne, n’est-ce pas, maman ?

La Maman. — Oui, si tu apprends bien à lire, je t’achèterai un grand âne de bois qui…

Alfred de Musset. — Non, non ! je ne veux pas un âne de bois, je veux un âne en vie, un âne qui fait : hi han ! hi han !

La Maman. — Bien ! bien ! apprends seulement à lire, et nous verrons.

Alfred de Musset. — Je ne veux pas apprendre à lire, moi…

Cette publication fait partie d’une série intitulée : Bibibliothèque de l’École maternelle.

Attendons-nous à voir successivement paraître :

Alexandre Dumas enfant ;

Ponsard enfant ;

John Lemoinne enfant, etc., etc.

Je ne saisis pas bien l’utilité de cette bibliothèque. Et puis, quelque talent qu’y déploie l’auteur, il lui sera difficile d’éviter une certaine monotonie.

Ce sera toujours, ou presque toujours :

La Maman. — Voulez-vous bien ne pas fourrer les doigts dans votre nez, Monsieur John !

John Lemoinne. — Qu’est-ce que ça fait ?

La Maman. — Prenez garde ! Je vais vous donner sur votre tutu !


L’ASSASSIN

Rien de nouveau ici-bas, — pas même la note violente émise par M. Jean Richepin dans sa Chanson des Gueux.

Bien avant lui, c’est-à-dire il y a dix ans, Amédée Rolland avait écrit le petit poème de l’Assassin, où se trouvent des vers qui ne le cèdent à personne pour la brutalité et le réalisme :

J’avais bu, j’ai tué ; mais c’est le sang qui grise !

Une fois que le vin du crime est répandu,
On en veut, il en faut. — Le vieux s’est défendu ;
J’allais pour le voler… c’est ce qui l’a perdu.

J’avais bu : j’ai tué le vieux à barbe grise.

Un enfant reposait à côté de son lit ;
Il s’est mis à crier : j’ai tué le petit.
J’aurais bien mieux aimé que l’enfant n’eût rien dit ;

Mais j’ai tué l’enfant, de crainte de surprise.

Aux cris désespérés, une femme accourut…
Elle pouvait sortir pour qu’on les secourût ;
Il fallut bien alors que la femme mourût.

Et tant de sang pour rien ! Je fis une bêtise.

Si j’avais travaillé pendant trente jours francs,
J’eusse à la fin du mois amassé trois cents francs.
Ce n’est pas un métier de tuer des enfants !

Voilà les résultats de la fainéantise.

Si l’on m’avait appris à lire, que sait-on ?
J’aurais fait, comme un autre, un honnête garçon.
Le vin falsifié n’enseigne rien de bon :

Il est couleur de sang et vous bestialise.

LETTRE EN MONOSYLLABES

La correspondance du chevalier de Boufflers avec Mme de Sabran m’a remis en mémoire ce badinage légèrement impie intitulé : Lettre en monosyllabes, qui ne se trouve que dans certaines de ses œuvres, entre le Cœur et Ma Bergère.

En voici le début :

Mon cher duc, qui de nous a la foi ? Qui de nous croit au vrai Dieu, à son fils, à un tiers, à un Dieu qui est un et qui en est trois ? Que ce Dieu est bon ! Il a fait le ciel pour nous tous ; y va qui veut, mais peu y vont, car c’est un peu haut. Il a fait un grand feu en bas pour ceux qui ne vont pas en haut ; et il faut que bien des gens aient bien froid, car ils y vont à qui mieux mieux ; c’est tant pis, etc., etc.

La Lettre en monosyllabes n’a pas empêché Boufflers de devenir un homme sérieux lorsqu’il a fallu l’être, d’entrer à l’Institut, d’écrire un Traité du libre arbitre et de traduire l’Hippolyte de Sénèque.

Une tragédie, Aline, qu’en dis-tu ?


LES FANTAISIES DE L’ACADÉMIE

Balzac a bien fait les Fantaisies de Claudine !

Mais quelle différence entre celles-ci et celles-là !

Les fantaisies de la bonne dame qui siège en son hôtel au bout du pont des Arts ont toujours été marquées au coin de la sénilité et de la solennité.

Un jour, — il est vrai qu’il y a de cela plus d’un siècle, — elle permit qu’un de ses nouveaux élus, celui qu’on appelait Crébillon le Tragique ou Crébillon le Noir, écrivît en vers son discours de réception.

On s’étonna d’une chose aussi naturelle : un poète parlant sa langue.

L’exemple du père Crébillon ne fut pas suivi ; cela est à regretter. On aurait eu de beaux et spirituels vers de plus des académiciens Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset, Auguste Barbier, Alfred de Vigny, Coppée, Sully-Prudhomme.

J’ai eu la curiosité de lire le discours rimé de l’auteur d’Atrée et Thyeste.

Le début joue à la modestie, selon la tradition :

Muse ! voici le jour si longtemps attendu,
Jour dont aucun espoir ne m’annonçait l’aurore,
Jour heureux, qui pour nous ne luirait point encore,
Si de nos seuls succès sa course eût dépendu.

Crébillon jette ensuite un regard autour de lui et s’émerveille de voir réunis tant de personnages illustres et de conditions si différentes :

Pourpre, mitres et croix, Mars, Neptune et Thémis,
Tout se confond ici, s’allie et s’humanise ;
Sans orgueil avec moi le héros fraternise.
Et je ne crois plus voir qu’une troupe d’amis.

On sait qu’à cette époque l’éloge du cardinal de Richelieu était obligatoire, ainsi que l’éloge du souverain régnant. Le poète satisfait à l’usage dans ces termes :

Âme de Richelieu, contemple ton ouvrage.
Qui doit ainsi que toi percer la nuit des temps :
Ces illustres mortels sans cesse renaissants,
Comme pour t’assurer un éternel hommage !

Quant au jeune Louis XV, il en trace un portrait dont la ressemblance ne devait pas durer longtemps :

Notre bonheur constant ne dépend point des Parques.
À peine nous perdons le plus grand des monarques
Qu’un autre, jeune encor, fait briller des vertus
Que Rome à quarante ans admirait dans Titus.
Juste, clément, pieux, son austère jeunesse
Semble déjà dicter les lois de sa vieillesse.

Le Titus français devait bientôt jeter joliment sa couronne par-dessus les moulins !

Crébillon arrive enfin à son prédécesseur, au sémillant La Faye ; il trouve, pour le louer, des légèretés inattendues :

Le sel athénien, l’urbanité romaine :
Tour à tour Lélius, Malherbe ou La Fontaine ;
Aimable paresseux plongé dans le loisir,
Quel n’eût-il pas été ? Mais sa muse volage,
Parmi tant de talents qu’il n’avait qu’à choisir,
Aimait trop de l’esprit le doux libertinage.

En résumé, le discours poétique de Crébillon n’est pas fort. Il est surtout mal rimé ; — il est vrai que tout le monde rimait mal au XVIIIe siècle.

Un seul vers, parmi les deux cents qui composent ce discours, a survécu. Il est même devenu célèbre, et plusieurs auteurs se le sont, sinon attribué, du moins appliqué. C’est celui-ci :

Aucun fiel n’a jamais empoisonné ma plume.

Ce sera une véritable révélation pour beaucoup de lecteurs d’apprendre que ce vers si souvent cité est de Crébillon.

LE DOMINO

Est-il beaucoup d’amateurs du jeu de dominos qui poussent le fanatisme jusqu’à exiger par testament d’être enterrés avec le double-six ? Tel est pourtant le fait historique que je vois relaté dans un poème sur le Domino, par le célèbre Marseillais Bénédit. — Bénédit, c’est tout dire ; Bénédit, l’auteur de Chichois. — Si Paris avait Bénédit… Vous savez le reste.

Il est fort amusant, ce poème sur le Domino, et fort consciencieux ; il donne les règles les plus précises de la « partie à quatre », car la partie à trois n’existe pas, pour ainsi dire. Ses conseils sont marqués au coin de la sagesse. Ainsi :

… Abandonnez votre jeu franchement,
Pour soutenir celui de votre homme, au moment
Où vous apercevrez qu’il a le plus de chance,
Eussiez-vous avant lui même deux dés d’avance.

On dit mon homme au jeu de dominos.

Bénédit est partisan du double-blanc, que certains joueurs voudraient proscrire.

Vouloir du double-blanc supprimer la présence,
C’est commettre vraiment un acte de démence.

C’était bon en 1815. À cette époque de passion politique, les libéraux avaient exclu le double-blanc de toutes les boîtes de dominos, pour protester contre les royalistes.

Notre rimeur passe en revue les dominotiers fameux de Marseille. C’est là que se place l’anecdote du double-six inhumé, dont j’ai parlé en commençant :

Pour les résumer tous ici dans un seul nom,
La vérité m’oblige à désigner Brémond,
Boulanger par état, pompier par circonstance,
Lequel, du Domino reculant la science,
Pendant vingt ans au moins, chaque jour, chez Briffaut,
À la table d’honneur ne fit jamais défaut.

Hélas ! la maladie s’abattit un jour sur Brémond et ne le lâcha plus. À l’heure des dernières dispositions, il fit mander un de ses amis et lui tint ce discours touchant :

Voici ce que j’attends : tu sais si j’ai chéri
Le jeu de dominos ; c’est mon jeu favori.
Je puis même ajouter que j’y devins célèbre,

Or, prends ce double-six, c’est le double funèbre,
Et, lorsque du trépas j’aurai franchi le seuil,
Tu le déposeras au fond de mon cercueil.
Au revoir, cher ami ; que le ciel te seconde !
Et souviens-toi surtout que si, dans l’autre monde.
Dieu nous permet encor ce jeu fort innocent.
Je te rendrai toujours quatre-vingts points sur cent.

C’est la perle du poème.

Après cela, Bénédit rappelle quelques coups exceptionnels et comment une fois il perdit soixante-huit points :

Après avoir perdu dans la partie à quatre.
Avec mon partenaire il fallut me débattre.
Il pose le double-as, je boude. Il met un trois,
Je boude derechef. Alors, prenant, je crois,
Un blanc, dont il avait un nombre confortable,
Il le place aussitôt au milieu de la table.
ô malheur ! point de blanc, point de trois et point d’as.
Surpris et dépité, je poussais un hélas !
À fendre le plafond, lorsque mon adversaire,
Doucement animé d’un sentiment contraire,
Ferme net, et, coupant mon jeu sur tous les points,
Je reste avec sept dés et soixante-huit points !

Le Domino de G. Bénédit est devenu rare.


MÉMOIRES DE M. A. DE ROCHEFORT


Je trouve dans les Mémoires de M. A. de Rochefort, — le père de notre spirituel confrère, — un des mots les plus terribles et les moins connus de Talleyrand.

À l’époque où le célèbre boiteux était ministre, il reçut la visite d’un jeune homme fort distingué, qui avait de hautes protections et qui sollicitait une place de secrétaire d’ambassade.

« Vous avez étudié la diplomatie ? lui demanda M. de Talleyrand.

— Oui, Monseigneur.

— C’est bien. Une place de secrétaire est en effet vacante à l’ambassade de Suède ; je vous la promets. Vous recevrez prochainement votre nomination. »

Le jeune homme s’éloignait en accablant le ministre de ses remerciements, lorsque celui-ci le rappela pour lui demander :

« À propos, Monsieur, êtes-vous heureux ?

— Hélas ! non, Monseigneur ; j’ai tout fait pour tenter la fortune ; je n’ai point réussi jusqu’à présent.

— Alors, Monsieur, j’en suis désolé, mais il n’y a rien de fait… Il faut être heureux. »

Il faut être heureux !

Jamais mot plus horrible ne s’échappa de lèvres humaines.

LES PÉCHÉS DE JEUNESSE

Il est question de réimprimer, en édition de bibliophile, les poésies d’Alexandre Dumas fils, publiées sous le titre de Péchés de jeunesse en 1847.

Les Péchés de jeunesse étaient dédiés par l’auteur à son père :

Lis ces quelques vers en appelant à mon secours ton indulgence paternelle ; et, si tu ne les trouves pas dignes de toi, inscris-les sans scrupule sur le grand livre des erreurs que tu m’as déjà pardonnées.

Ils sont introuvables aujourd’hui, les Péchés de jeunesse. « Où diable vous êtes-vous procuré ce volume ? m’écrivait il y a quelque temps Dumas fils ; il s’en est vendu en tout quatorze exemplaires. »


CHARLES VII
CHEZ SES GRANDS VASSAUX

Charles VII chez ses grands vassaux est une des pages de l’histoire du romantisme, et le personnage de Yacoub est un de ceux où Alexandre Dumas a le plus cherché à faire entrer de sa personnalité. Comme dans Antony, d’ailleurs, qui avait précédé Yacoub au théâtre de cinq mois. Cette préoccupation passagère, mais très accusée, devra être notée lorsqu’on écrira une étude psychologique et complète sur le célèbre dramaturge.

La mode était, du reste, aux héros exotiques, farouches, violents. Peu de temps avant Antony et Yacoub, un jeune poète, Victor Escousse, qui n’avait pas les mêmes raisons d’origine qu’Alexandre Dumas, avait fait rugir sur la scène un Farruck le Maître, de terrifiante mémoire. Dans le roman, Bug-Jargal et Atar-Gull devaient la plus grande partie de leur succès à la couleur de leur visage.

MM. Porel et Monval, les auteurs de l’Histoire de l’Odéon, signalent la réussite brillante de Charles VII chez ses grands vassaux. M. Alexandre Dumas fils, qui avait été amené par son père à la première représentation, parle au contraire d’une chute morne. J’aime autant m’en rapporter à la mémoire de M. Dumas fils, d’autant plus qu’elle nous a valu, dans une de ses préfaces, un récit d’une émotion charmante :

Il y a dans mon enfance un souvenir… c’est celui de la première représentation de Charles VII à l’Odéon. Ce fut un four, comme on dirait aujourd’hui dans cet argot parisien qui remplacera peu à peu, si nous n’y prenons garde, la vieille langue française. J’avais huit ans, j’écoutais avec religion parce que c’était papa qui avait écrit ça. Je n’y comprenais rien du tout, bien entendu. Tu avais voulu que je fusse présent à cette solennité ; tu étais superstitieux, tu croyais que je te porterais bonheur. Tu te trompais bien. Les cinq actes se déroulèrent au milieu d’un silence morne…

Nous revînmes ensemble tout seuls, toi me tenant par la main, moi trottinant à ton côté pour me mettre à l’unisson de tes grandes jambes. Tu ne parlais pas, je ne disais rien non plus ; je sentais que tu étais triste et qu’il fallait se taire. Depuis ce jour, je n’ai jamais longé le vieux mur de la rue de Seine, près du guichet de l’Institut, sans revoir nos

silhouettes sur cette muraille humide, léchée ce soir-là d’un grand rayon de lune.

M. Verteuil, l’ancien secrétaire du Théâtre-Français, possédait dans sa bibliothèque particulière le manuscrit de Charles VII, entièrement de la main de Dumas et daté de Trouville, ainsi que deux autres manuscrits : celui de Napoléon et celui du Fils de l’Émigré.

LES APPARITIONS DE NOËL

Choix de lectures.

J’ouvre un volume de Dickens, les Apparitions de Noël, traduction d’Amédée Pichot, et je lis ceci :

Le marchand remua le feu avec un vieux morceau de fer de rampe, et, ayant mouché sa lampe (c’était le soir) avec le tuyau de sa pipe, il la remit dans sa bouche.

Stupéfiant !

Comment peut-on mettre une lampe dans sa bouche ?

Comment peut-on moucher une lampe avec un tuyau de pipe ?


LES FLEURS DU CHATEAU

La fameuse phrase : « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie ! » qui a fait la fortune de Grandeur et Décadence de Joseph Prudhomme, a des antécédents au théâtre.

Dans un intermède composé en 1824 pour la fête du roi, intitulé : les Fleurs du Château, MM. Théaulon et Carmouche ont fait entendre le couplet suivant :

Français, amis, montrons-nous toujours frères !
C’est plaire au roi que l’on fête aujourd’hui.
Vivons sans haine et sans partis contraires ;
C’est le bouquet le plus digne de lui.

LES OIES

Jamais Rouget de l’Isle n’a été plus en faveur que maintenant. On recherche avidement tout ce qui le concerne ; on lui élève une statue ici et là, — à lui qui a passé les trois quarts de sa vie dans une pénible médiocrité.

Je vais répondre à ce besoin de curiosité bien légitime en citant de l’auteur de la Marseillaise une pièce de vers publiée dans les Annales romantiques de 1826. Elle n’a rien d’épique, par exemple, et elle porte modestement pour titre : les Oies.

Mais, telle qu’elle est, elle est encore d’actualité :

Une longue perche en main,
Pierrot au marché voisin
Menait une troupe d’oies,
Et, pressé qu’il était, très peu civilement,
Les hâtait, les chassait, les poussait en avant
Sans les laisser d’un pas s’écarter de leurs voies.
De colère gonflés, nos oiseaux cheminaient
Et de leur guide, entre eux, vivement se plaignaient ;
Quand survient un passant. Tous, à rompre la tête,
Les voilà de piailler en dressant leurs longs cous :
« Voyez, homme de bien, voyez comme nous traite

Ce rustre, ce manant ; des oisons tels que nous !
Nous descendons tout droit de ces saintes volailles
Qu’on vit du Capitole affranchir les murailles ;
Karamsin et d’Hozier sont d’accord sur ce point.
— Messieurs, je les en crois, et la fidèle histoire
De ces nobles auteurs a consacré la gloire.
Mais çà, parlons de vous. Vous ne dérogez point,
J’espère, et soutenez une origine illustre ?
— Vraiment, de nos aïeux nous partageons le lustre.
— Mais vous. Messieurs, mais vous ?… — Nos ancêtres… — Fort bien ;
Mais vous, quels sont vos droits ? qu’avez-vous fait ? — Nous ? rien. »
Si je voulais mater les insolentes joies
De tant d’oisons sans palme aux airs pleins de hauteur.
Quel texte à commenter !… Chut ! indiscret censeur !
Le temps présent est l’arche du Seigneur,
Ne faisons pas crier les oies.

Il faudrait être myope outre mesure pour ne point s’apercevoir que cet apologue vise les descendants des familles nobles, — ceux qui n’ont que leur titre pour seul mérite.



UN LIBRAIRE… D’ALENÇON


Aurélien Scholl et moi, nous avons eu jadis un éditeur comme on n’en reverra pas de longtemps, jeune, lettré, viveur, riche. Il faisait imprimer ses livres à Alençon, sa ville natale. Il publia dans des conditions exceptionnelles de bon goût les romans de Champfleury, les poésies de Théodore de Banville, celles de Leconte de Liste, les Fleurs du mal, de Baudelaire, les Lettres sur la Hollande, de Maxime du Camp, etc., etc… Son seul chagrin au monde était de s’appeler Poulet-Malassis.

Vous pensez si l’on s’égayait sur ce nom ridicule ! Tantôt c’était l’auteur des Odes funambulesques qui écrivait :

Le typographe Malassis,
Que tout bas invoque sans trêve
Le poète inédit qui rêve
Triste et sur une malle assis…


Tantôt c’était moi-même qui mêlais ma note à ce concert d’ailleurs inoffensif. Je retrouve dans mes papiers un couplet qui date de cette époque :

Air du Menuet d’Exaudet.

Malassis
S’est assis
Sur un trône.
Ce libraire d’Alençon
Fait des livres qui sont
À couverture jaune.
Grâce à lui,
Weill a lui,
Et Banville,
Montégut et Louis Lacour,
Ont occupé la cour,
La ville.
Il a su,
Aperçu
Des critiques,
S’ériger un piédestal
Avec les Fleurs du Mal,
Bas-reliefs poétiques.
Ce succès
(Ou procès)
Populaire
A fait plus grand et plus beau
Le nom de Charles Bau-
delaire !

J’ajouterai, en dépit de toute modestie, que les livres édités par Poulet-Malassis, devenus très rares, se payent aujourd’hui au poids de l’or.

LE BIBLIOPHILE THÉODORE

Les amateurs de livres se divisent en deux classes : les bibliophiles et les bibliomanes.

Il y a des types amusants parmi ces derniers. Nodier a tracé le portrait d’un bibliomane qu’il appelle Théodore, et dont il rapporte quelques traits d’un comique raffiné.

C’est Théodore qui ne regardait plus les femmes qu’au pied ; et quand, dans un bal, une chaussure élégante avait attiré son attention :

« Hélas ! disait-il, en tirant un gémissement profond de sa poitrine, voilà bien du maroquin perdu. »

Théodore tomba un jour gravement malade. Sa femme et sa fille firent appeler un prêtre.

« Croyez-vous à la sainte Trinité ? lui demanda celui-ci.

— Comment ne croirais-je pas au fameux volume de Trinitate, de Servet, répond le bibliomane en se soulevant sur son lit, puisque j’en ai vu céder, ipsissimis oculis, pour la modique somme de deux cent quinze francs, chez M. de Maccarthy, un exemplaire que celui-ci avait payé sept cents livres à la vente de La Vallière ?

— Nous n’y sommes pas, murmure le prêtre ; je vous demande, mon fils, ce que vous pensez de la divinité de Jésus-Christ.

— Bien, hien, dit Théodore ; il ne s’agit que de s’entendre… Je soutiendrai envers et contre tous que le Toldos-Jeschu, où cet ignorant pasquin de Voltaire a puisé tant de sottes fables, n’est qu’une méchante ineptie rabbinique, indigne de figurer dans la bibliothèque d’un savant !

— À la bonne heure ! » soupire l’ecclésiastique.

Après celui-ci, arrive un ami de Théodore, bibliophile comme lui.

On lui dit que Théodore est à l’agonie.

« Je vais m’en assurer », réplique-t-il.

Et, se penchant :

« Théodore, à quelle faute de pagination reconnaît-on la bonne édition du César elzévir de 1635 ?

La réponse ne se fait pas attendre.

« 159 pour 143, répond le malade.

— Très bien. Et du Térence de la même année ?

— 108 pour 104. »

L’ami triomphe.

« À merveille ! s’écrie-t-il ; si j’avais voulu pourtant écouter ces gens-ci, je t’aurais cru à un doigt de la mort.

— À un tiers de ligne », fait Théodore d’une voix éteinte.

N’est-ce pas une scène digne de Molière ?

Cependant les jours de Théodore étaient comptés. Il mourut au milieu de ses livres chéris. Son convoi fut suivi par un nombreux cortège de maroquiniers éplorés, et l’on mit sur sa tombe l’inscription suivante :

CI-GÎT
SOUS SA RELIURE DE BOIS
UN EXEMPLAIRE IN-FOLIO
DE LA MEILLEURE ÉDITION
DE L’HOMME
ÉCRIT DANS UNE LANGUE DE L’ÂGE d’OR
QUE LE MONDE NE COMPREND PLUS
C’EST AUJOURD’HUI
UN BOUQUIN
GÂTÉ, MACULÉ, MOUILLÉ
DÉPAREILLÉ
IMPARFAIT DU FRONTISPICE
PIQUÉ DES VERS
ON N’OSE ATTENDRE POUR LUI
LES HONNEURS TARDIFS
ET INUTILES
DE LA RÉIMPRESSION.
DERNIER CHANT

« Quand donc trouverai-je enfin un poète qui préserve la naïveté de sa source, la pureté de son inspiration, par la plus heureuse des ignorances, et qui ne soit pas littéraire dans une époque de vieille civilisation bien plus littéraire que poétique ? »

Celui qui parle si bien, et qui dit le vrai mot de la critique en matière de poésie contemporaine, n’est autre que Jules Barbey d’Aurevilly, dans un flamboyant article de quatre colonnes, qu’il a consacré à un poète de nos amis, M. Hector de Saint-Maur, l’auteur du Dernier Chant.

Le grand justicier du Constitutionnel n’est pas, d’habitude, fort clément aux rimeurs, et M. de Saint-Maur peut, à bon droit, s’enorgueillir de l’exception créée pour lui par Barbey d’Aurevilly.

M. Hector de Saint-Maur n’est pas un jeune ; il date de la seconde heure du romantisme. La génération de 1834 a fredonné une de ses romances, vite devenue populaire :

Hirondelle gentille,
Voltigeant à la grille
Du cachot noir, etc.

Et puis… il y eut un temps d’arrêt dans la carrière poétique du chantre de l’Hirondelle. Un jour, je dus à Roger de Beauvoir, dans un de ces festins dont il était le roi brillant et bruyant, de lier connaissance avec M. H. de Saint-Maur. Comme je m’étonnais de sa réserve dans la production, il m’annonça un prochain volume. Était-ce du Dernier Chant qu’il voulait parler ? Dans ce cas, il peut se vanter d’y avoir mis le temps.

Mais le temps ne fait rien à l’affaire. Voilà aujourd’hui M. H. de Saint-Maur qui émerge victorieusement de l’ombre et de la modestie. Je l’en félicite de tout mon cœur, quoiqu’il ait, certes, « bien assez de talent, — comme dit Barbey d’Aurevilly, — pour être digne de rester obscur ».

Mais allez donc faire entendre aux poètes de cette oreille-là !


LES PORTRAITS DE VICTOR HUGO

Il existe un catalogue complet de tous les portraits, bustes et charges de Victor Hugo. Je le recommande à la commission de la statue ; elle y trouvera des indications qui pourront l’aider pour l’attitude et le costume à choisir.

Dans cette iconographie dressée par M. Aglaüs Bouvenne, il y a des Victor Hugo pour tous les goûts, en pied, à mi-corps, de face, de profil et même de dos (Victor Hugo arrivant au Falkenfels), sans barbe et avec de la barbe, dans un salon et au bord de la mer, au théâtre et à l’Académie, sur un rocher et au Sénat, à table, en omnibus, au Pôre-Lachaise, en lion, en cèdre…

Il est représenté par Georges Rochegrosse « traversant les boulevards par une pluie battante, un parapluie ouvert ».

Il est représenté par André Gill « en soleil sortant de l’Océan ».

Il est représenté par Pilotell en aérostat. « Sa tête forme le ballon, sur lequel passe le filet qui soutient la nacelle, de laquelle sortent ses œuvres pour se répandre sur la terre. »

Il est représente par Alf. Le Petit (tâchez d’y comprendre quelque chose). « Presque de face, tourné à gauche ; sur le front, un grand rond blanc pour simuler la lune ; de la tige de l’églantier (?) sort un éclair qui fait fuir un petit Napoléon III, dont la couronne tombe, et ressemble à un gros scarabée (??). »

Ce n’est pas ce dernier portrait que je recommande à la commission.

JÉSUS-CHRIST… INTERVIEWÉ !

D’après un petit livre (Paris, Montandon, 1816) répandu dans les campagnes à plus de cent mille exemplaires, Jésus-Christ, sollicité par sainte Élisabeth, sainte Brigitte et sainte Melchide, se serait laissé aller un jour à des révélations très particulières.

« Nous désirerions savoir, notre cher Seigneur, lui auraient dit ces saintes personnes, le nombre de coups que vous avez reçus pendant votre Passion. »

Voici, selon le petit livre en question, la réponse de Jésus :

Mes sœurs, j’ai versé pour vous 62,200 larmes, et des gouttes de sang dans le jardin des Olives, 97,307.

J’ai reçu sur mon sacré corps 1,667 coups.

Des soufflets sur mes délicates joues, 110.

Des coups au cou, 120.

Sur le dos, 380.

Sur ma poitrine, 43.

Sur la tête, 85.

Aux flancs, 38.

Sur les épaules, 62.

Sur les bras, 40.

Aux cuisses et jambes, 32.

Ils m’ont frappé à la bouche 30 fois.

On m’a jeté sur ma précieuse face de vilains et infâmes crachats 32 fois.

On m’a traité à coups de pied comme un séditieux 370 fois.

On m’a poussé et renversé par terre 13 fois.

On m’a tiré par les cheveux 30 fois.

On m’a attaché et traîné par la barbe 38 fois.

Au couronnement d’épines, on m’a fait à la tête 303 trous.

J’ai gémi et soupiré pour votre salut et conversion 900 fois.

Du Prétoire jusqu’au Calvaire, portant ma croix, j’ai fait trois cent vingt et un pas, etc., etc.

Inutile de dire que je tiens le livre à la disposition des incrédules.

L’ALMANACH DES SPECTACLES

Si jamais vous rencontrez sur les quais ou en vente publique l’Almanach des spectacles du libraire Froullé, gardez-vous bien de le laisser échapper !

C’est un curieux ouvrage. Il n’a paru malheureusement que pendant les deux années 1791 et 1792. L’année suivante, le libraire Froullé fut condamné à mort et exécuté.

Vous pâlissez, Monsieur Tresse !

L’Almanach en question est écrit d’un style inusité. Voici quelques-unes des indications que j’y relève :

Le Théâtre des Muses ou de l’Estrapade, rue de l’Estrapade, à côté du Panthéon. « Bâti et dirigé par un tourneur de chaises, qui achète des pièces moyennant quarante sous l’acte. »

Le Théâtre de la Concorde, rue du Renard-Saint-Merri. « La salle est petite, mais assez jolie ; la rue est si étroite qu’une voiture n’y peut pas entrer, ce qui ne laisse pas d’avoir son agrément lorsqu’il pleut à verse. »

Le Théâtre du Délassement-Comique, le premier à gauche en arrivant sur le boulevard par la rue du Temple. « La salle est obscure, étroite, longue, incommode, et on respire un air infect, qui provient de la mauvaise huile des lampes. M. Colon, principal directeur ; Manon, marchande de graillons, co-directrice. »

Aimables confidences !

Cette première période de liberté dramatique n’aboutit pas seulement à des théâtricules, comme ceux que fait connaître l’Almanach' du sieur Froullé. Elle vit éclore aussi quelques projets grandioses, — entre autres celui d’un théâtre de neuf millions.

C’était la demoiselle Montansier, qui avait imaginé de réunir dans un seul édifice tous les genres de spectacles.

Ses prospectus inondèrent pendant quelque temps les rues de Paris. Mais neuf millions ! Ce ne serait pas un obstacle aujourd’hui. Alors on se contenta de répondre à Mlle de Montansier par ces deux vers de La Fontaine :

Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.


VOYAGE EN VERS
SUR LE CHEMIN DE FER DU NORD

Le poète N. Martin a publié entre autres choses un Voyage sur le chemin de fer du Nord, tout en vers, véritable tour de force, guide rimé très exact, avec l’indication de toutes les stations.

Ce volume a paru à Lille en 1869.

Mais il y a autre chose dans le bagage littéraire de Nicolas Martin ; il y a des études très bien faites sur les écrivains de l’Allemagne, des ballades traduites, des épopées domestiques d’un ton sincère et ému.

N. Martin a fait lui-même son épitaphe, comme il convient :

Je ne fus qu’un petit poète ;
Mais, si de mes poèmes courts
Il est un seul vers que répète
Une lèvre chère aux amours,
Sous l’herbe verte où je repose
Me viendront des parfums de rose.


UN VOLUME DE X. MARMIER

Ce matin, j’ai ouvert un petit volume anonyme, daté de 1874, et tiré à cent vingt exemplaires.

Mes yeux sont tombés — et restés — sur cette charmante pièce :

À la Chaudeau, voilà longtemps,
J’étais jeune ; j’avais vingt ans.
Tout souriait à ma retraite,
Rêves d’amour et chants de fête,
Azur du ciel, cristal de l’eau,
À la Chaudeau.

À la Chaudeau je reviens vieux.
Tête grise, esprit soucieux ;
Cherchant, le long de la pelouse,
Cherchant, au bord de la Seymouse,
Les jours de mon printemps si beau,
À la Chaudeau.

À la Chaudeau, si le destin
Avait borné mon long chemin,
Peut-être que j’aurais sans cesse
Conservé ma verte jeunesse
Sous les ombrages du coteau,
À la Chaudeau.


À la Chaudeau vivez, amis,
Heureux d’être où Dieu vous a mis ;
Et quelquefois, en son absence,
Pensez à celui qui ne pense
Qu’à venir s’asseoir de nouveau
À la Chaudeau.

Or, voulez-vous savoir quel est l’auteur de ces jolis vers et de ce petit livre non signé ?

C’est l’académicien qui a prononcé, à l’Institut, l’éloge de M. Thiers, — c’est M. Xavier Marmier.

CATALOGUES ET CATALOGUISTES

Les jugements des libraires.

Dans un catalogue d’autographes dont il annonce la vente pour la fin du mois, M. Eugène Charavay accompagne chaque nom de deux ou trois mots explicatifs, — comme c’est d’ailleurs l’habitude.

C’est ainsi qu’il dit :

72. Gautier (Théophile), le spirituel écrivain.

Voilà qui est fort bien, quoique un peu sec ; mais où je proteste, c’est lorsque je lis :

54. Draparneau (V.-M.-X.), célèbre poète français.

Ah ! non ! non !

Draparneau est profondément inconnu, presque aussi inconnu qu’Ozanneaux, son contemporain ; et ce n’est pas peu dire. Tous les deux ont fait des tragédies représentées au Théâtre-Français ; mais qui pourrait se vanter de les avoir vues ou lues ?

À mon sens, les rédacteurs de catalogues devraient se borner à ces simples indications qui vont droit aux amateurs étrangers :

Henri IV, le bon roi.

Jean-Jacques Rousseau, le grand philosophe.

Janin (Jules-Gabriel), auteur de l’Âne mort, etc.

LE TRIPLE ACROSTICHE

Poètes, mes frères, je veux vous transmettre une découverte que je viens de faire.

C’est celle du triple acrostiche.

Le glorieux mortel qui eut l’honneur d’inspirer ce tour de force poétique — et, je crois, unique, — n’était autre que le fameux chanteur Garat.

À un talent exceptionnel il fallait un éloge sans second.

Voici ce triple acrostiche, qui peut se chanter sur un timbre connu, l’air des Fraises :

Goût, génie et grands talents,
Accompagnent tes traces ;
Riche accord, tendres accents,
Anoblissent dans nos rangs
Tes grâces, tes grâces, tes grâces !

Au premier aspect, on ne voit rien là dedans qu’une pauvreté rimée.

Attendez !

La typographie va nous révéler les mérites de ce petit quinquain :

Goût, Génie et Grands talents,
Accomp Agnent tes tr Aces ;
Riche acco Rd, tend Res accents,
Anoblissent d Ans nos r Angs
Tes grâces, Tes grâces, Tes grâces !

Si cependant la mode allait venir des triples acrostiches !

QU’EST-CE QUE DIEU FAISAIT
AVANT LA CRÉATION DU MONDE ?

Il est un point que le poète de Religion et Religions n’a pas abordé dans son beau livre.

C’est celui-ci : — Qu’est-ce que Dieu faisait avant la création du monde ?

Telle est la question que se pose l’auteur d’un manuscrit de la Bibliothèque nationale, fonds Béthune, numéro 7341.

Je ne dors plus depuis que cette main inconnue a tracé sur mon mur cette interrogation extraordinaire.

« Il est certain, — dit fort sensément l’auteur de ce manuscrit, — que Dieu pouvait bien se passer du monde et des créatures. »

Je n’ai jamais eu le moindre doute à ce sujet.

Mais, sur d’autres points, l’auteur est moins catégorique ; il manque évidemment de renseignements.

Il m’a laissé le bec dans l’ombre.


RAMOLLOT AÎNÉ

Pensiez-vous rencontrer dans les Guêpes (janvier 1842) un des ancêtres du colonel Ramollot ?

Rien de plus exact cependant.

La seule différence entre le colonel Ramollot et le colonel d’Alphonse Karr, c’est que celui-ci appartient à la garde nationale. D’ailleurs, la phraséologie est pareille chez tous deux.

« Comment s’appelle monsieur votre fils ? demande le colonel des Guêpes à un bourgeois qui vient solliciter sa protection.

— Il s’appelle Gobinard.

— Gobinard ?

— Oui… Gobinard.

— Ah ! oui, Gobinard… j’y suis… Gobinard, très bien !… je me rappelle parfaitement… Gobinard… Et qu’est-ce qu’il est, monsieur votre fils, monsieur Gobinard ?

— Il est triangle.

— Ah ! oui, oui, oui… Gobinard, parbleu ! Gobinard, charmant triangle… charmant triangle !…

maintenant je me le rappelle parfaitement… charmant triangle !

Rapprochez ce dialogue de celui de Charles Leroy, où il est question de Pinteau, du fameux Pinteau, de Pinteau-Pinteau, et convenez que ce sont les mêmes procédés de comique.

Mais, encore une fois, qu’est-ce que cela prouve ?

UNE NUIT DE LA GARDE NATIONALE

Le fameux mot impérial : « Que les méchants tremblent et que les bons se rassurent ! » tire son origine… devinez d’où ?

Du répertoire de M. Scribe.

Je l’ai retrouvé dans la bouche d’un des personnages d’Une Nuit de la Garde nationale, vaudeville en un acte. Voici comment le caporal Saint-Léon célèbre le prestige de l’uniforme :

Air : Ainsi jadis un grand prophète.

Avec raison chacun s’étonne
Qu’un instant l’on puisse hésiter,
Quand parmi nous il n’est personne
Qui ne soit fier de le porter.
Non, je ne connais pas en somme
D’habit plus noble et plus brillant,
Puisqu’il rassure l’honnête homme
Et qu’il fait trembler le méchant !

Rien de nouveau sous le vaudeville.

DELILLE FOUETTÉ PAR GHENIER

Bien avant Victor Hugo, Delille avait fait un poème sur la Pitié. Mais il n’y a rien de suprême dans le poème de Jacques Delille ; il n’y a qu’un pamphlet contre la Révolution, et une adulation constante de l’étranger.

Ô vous que le destin fit les maîtres du monde,
Princes, rois, c’est sur vous que notre espoir se fonde.

Jacques Delille avait émigré dès les premiers coups de tonnerre, et son poème de la Pitié n’est qu’un acte de reconnaissance en quatre chants envers ses hôtes d’Angleterre.

Poursuis, fière Albion, fais bénir ta puissance !
Tous les honneurs unis forment ta gloire immense :
Le monde tributaire entretient ton trésor ;
Le Nord nourrit tes mâts, l’Inde mûrit ton or ;
La France avec ses vins te verse l’allégresse ;
Tes lois sont la raison, tes mœurs sont la sagesse,
Tes femmes la beauté, leurs discours la candeur,
Leur maintien la décence, et leur teint la pudeur.

On voit qu’il ne reste plus rien pour nous. Mais, où l’auteur de la Pitié entasse les périphrases les plus enthousiastes, c’est à propos du rétablissement du culte. Il salue avec joie la réouverture des confessionnaux :

Je les revois enfin, ces tribunaux où Dieu
Écoute du remords l’attendrissant aveu.

Quelle drôle de poésie !

Plus loin, Delille célèbre le retour des cloches, mais pour rien au monde il ne consentirait à les appeler par leur nom ; elles deviennent sous sa plume l’airain consolateur.

Même de vos clochers l’airain consolateur,
Que, pour un vil profit, un bras profanateur
Fit descendre à leurs pieds, remonté vers leur faîte,
Du patron du hameau proclame encor la fête.

Est-il jargon plus pénible que celui-là ?

Heureusement, lors de l’apparition de la Pitié, il se trouva un homme de cœur pour donner des verges à Jacques Delille. Cet homme qui, avec deux ou trois autres, représenta la dignité des lettres sous le premier empire, était Joseph-Marie Chénier. Il y avait un satiriste excellent sous ce tragique. La Pitié le fit sourire de pitié. Il adressa à Delille une épître qui commence ainsi :

Marchand de vers, jadis poète,
Abbé, valet, vieille coquette,

Vous revenez, Paris accourt.
Eh ! vite, une triple toilette !
Il faut unir à la cornette
La livrée et le manteau court.
Vous mîtes du rouge à Virgile,
Mettez des mouches à Milton ;
Vantez-nous bien du même style

Et les émigrés et Caton.
 
Vous ne nous direz plus adieu ;

Nous rendons les clefs de saint Pierre.
Mais, puisque vous protégez Dieu,
N’outragez plus feu Robespierre.
Ce grand pontife à nos dévots
Rendit quelques mauvais offices ;
Il eût été votre héros
S’il eût donné des bénéfices.

La pièce continue ainsi, légère, cinglante, terrible.

Elle finit par une comparaison hautaine avec les rossignols, auxquels il faut, pour déployer leur noble voix, la liberté, la cime des grands chênes.

Ils veulent le frais des bocages,
L’azur des cieux, l’ombre des bois…
Les serins chantent dans les cages.

Ainsi fut exécuté, en un jour de légitime indignation, l’auteur de la première Pitié.


L’HYMNE NATIONAL ANGLAIS

Il est toujours bon, à cette époque où tant d’Anglais émaillent le pavé de Paris, de rappeler que l’air célèbre du God save the King a pris naissance chez nous, entre les murs de la maison royale de Saint-Cyr. Lulli le composa pour une visite solennelle de Louis XIV, sur ces paroles absolument médiocres de Mme de Brinon :

Grand Dieu, sauvez le Roi !
Grand Dieu, vengez le Roi !
Vive le Roi !

Qu’à jamais glorieux,
Louis victorieux
Voye ses ennemis
Toujours soumis.

Grand Dieu, sauvez le Roi !
Grand Dieu, vengez le Roi !
Vive le Roi !

Trois cents jeunes filles chantèrent cette cantate, dont l’effet fut prodigieux et qui se perpétua dans l’établissement.

Ce fut Haendel qui, voyageant en France, en 1721, recueillit l’air de Lulli et l’adapta à des paroles anglaises, pour en faire hommage au roi d’Angleterre.

Et voilà comment la Grande-Bretagne nous doit son chant national.

Elle a les restes de Louis XIV.

LES MONTÉNÉGRINS

Monténégro, Dieu te protège !
Et tu seras libre à jamais,
Comme la neige
De tes sommets !

Qui est-ce qui chante de la sorte ? — C’est l’âme de Gérard de Nerval, ce charmant rêveur qui s’avisa un jour d’écrire un livret d’opéra intitulé : les Monténégrins. Étrange, n’est-ce pas ?

La musique était de Limnander.

Les Monténégrins, en trois actes, furent représentés pour la première fois sur le théâtre de l’Opéra-Comique le 31 mars 1849. L’action se passait en 1807. On y applaudit beaucoup le chœur que je viens de citer, — ainsi que le fragment suivant, qui fait partie du premier acte.

Andréas, après le départ des soldats.

Enfin, ils sont partis ; respirons librement !
Debout ! c’est le moment !

Lève-toi, notre barde ;
Improvise à l’instant ces magiques refrains,
Chant sublime
Qui ranime
Les cœurs monténégrins !

Le barde ainsi interpellé était Hermann-Léon. Il prenait sa guzla, et chantait ces couplets, dont on ne contestera pas l’allure magistrale :

I

Sur ces monts qui touchent le ciel
Dieu fit naître un peuple de braves.
Unis par un vœu fraternel.
Effroi des nations esclaves.
Gardons toujours cette âme noble et fière
Qui nous égale aux Romains, nos aïeux.
Car la croix sainte est sur notre bannière.
Et dans les cieux notre nom glorieux !

II

Débris d’un empire oublié.
Aux vivants servons de modèles ;
Notre bras, frappant sans pitié.
Fut la terreur des infidèles.
La liberté, sur nos monts toujours fière.
Est digne encor des jours de nos aïeux,
Car la croix sainte est sur notre bannière,
Et dans les cieux notre nom glorieux !

En outre d’Hermann-Léon, les Monténéginns étaient joués et chantés par Nathan, Bauche, Sainte-Foy ; Mme Ugalde et Lemercier.

La vérité m’oblige à dire que l’ouvrage de Gérard de Nerval et de Limnander n’obtint qu’un succès modéré et n’eut qu’un petit nombre de représentations.

Il n’était pas venu dans un bon moment.

Pourquoi l’Opéra-Comique ne tenterait-il pas aujourd’hui une reprise des Monténégrins ?

AUTRE BIBLIOPHILE

Tous les bibliophiles n’habitent point Paris.

Plusieurs sont répandus dans les provinces, tels que M. Gustave Brunet, le prince des érudits, l’éditeur des Lettres de la princesse Palatine, qui habite Bordeaux.

M. Gustave Brunet a autant de fortune que de science, ce qui ne l’empêche pas d’exercer les fonctions de secrétaire de la chambre de commerce, tant est grand son amour des paperasses.

De plus, il est distrait comme tous les bibliophiles ; je sais un trait de lui qui dépasse de bien loin Ampère.

Il était un matin dans son cabinet, nu-tête et en pantalon à pieds. Il cherchait un livre sur lequel il ne pouvait mettre la main. L’impatience le gagne. Sans songer qu’il est nu-tête, il sort de chez lui et se rend à la bibliothèque de la ville, espérant y trouver le livre en question.

Une déception l’attendait.

« Allons chez Francisque Michel, murmure-t-il ; il ne demeure pas loin d’ici, et j’ai absolument besoin de ce livre… »

Chez Francisque Michel, M. Gustave Brunet ne fut pas plus heureux qu’à la bibliothèque de Bordeaux.

« Diable ! s’écria-t-il ; il me faut pourtant cet ouvrage… Comment faire ? »

Et, après quelques minutes de réflexion :

« Je ne peux plus le trouver maintenant qu’à Paris, à l’Arsenal… C’est un peu loin, mais qu’importe ? »

Et, toujours sans chapeau, M. Gustave Brunet se fait traverser la Gironde, aborde à la gare du chemin de fer et prend un billet pour Paris.

À Paris, dix heures sonnant, il se présente à la porte de la bibliothèque de l’Arsenal ; il y demande son volume, il y cueille le renseignement souhaité — et repart pour Bordeaux par le train suivant.

Toujours nu-tête ! Il est vrai qu’on était en été. Mais on aurait été en hiver que cela aurait été absolument la même chose.


BARÊME, MATHÉMATICIEN ET POÈTE

Les poètes de l’école moderne auront beau faire, ils n’arriveront pas aux combinaisons métriques dont un simple arithméticien de Lyon, Barême, leur a donné l’exemple.

Barême, au milieu de ses préoccupations commerciales, trouvait le temps de faire des vers ; il est vrai que ce n’est pas là ce qui l’a enrichi. Il les publiait en amateur, — c’est-à-dire à ses frais, — par petites plaquettes, qui sont devenues aujourd’hui de véritables curiosités bibliographiques et qui atteignent quelquefois dans les ventes à des prix extravagants.

Une de ces brochures renferme des quatrains intitulés : Pour et contre l’argent. Ces quatrains sont absolument médiocres.

Mais là n’est pas la curiosité.

La curiosité, la voici :

Les vers de ces quatrains sont disposés de telle sorte qu’ils ont un sens différent selon qu’on les lit d’une manière ou d’une autre, à droite ou à gauche. Barème indique lui-même en ces termes ce qu’il a voulu faire :

Lisez séparément chacun de ces quatrains :
Ils font voir que l’argent est un bien nécessaire ;
Mais étant lus de suite ils ont un sens contraire.

Voici deux de ces quatrains bizarres, que l’on pourrait dire écrits en partie double :

C’est être homme de bien De fuir l’or et l’argent
D’aimer l’argent et l’or, On n’est pas raisonnable,
Qui ne l’estime rien, Se peut dire admirable
Il se fait un grand tort. Qui va le ménageant.
LA BELLE AU BOIS DORMANT

La Belle au bois dormant est sur le point de se réveiller au théâtre.

Ce n’est pas la première fois qu’on met le vieux conte à la scène. Il en a été tiré un nombre infini de mélodrames, d’opéras-comiques, de ballets, de vaudevilles et de féeries.

M. Octave Feuillet en a même tiré une comédie en cinq actes et huit tableaux, représentée il y a neuf ans au Vaudeville, — et parfaitement oubliée.

La Belle au bois dormant de M. Octave Feuillet, au lieu d’être la délicate fantaisie à laquelle on s’attendait, était une allégorie assez indigeste. L’auteur y avait mis en présence, selon ses propres expressions, le monde ancien et le monde nouveau, le château féodal et l’usine, celui-là ruiné, celle-ci triomphante, tous les deux en hostilité ouverte.

Le succès fut médiocre.

J’aime encore mieux le Sphinx.


À LA RECHERCHE D’UN TITRE

À propos de théâtres, — je lis sur une affiche ce titre original : Boum ! servez chaud !

Il ne faudrait cependant pas pour cela que les auteurs dramatiques d’aujourd’hui crussent avoir inventé l’originalité.

On avait déjà, au dix-huitième siècle, autant de fantaisie qu’au dix-neuvième. Je n’en veux d’autre preuve que cette pièce très gaie du théâtre Nicolet intitulée : Le Titre ne me revient pas.

Dans cette pièce, il y avait également bon nombre de scènes dans la salle, — une autre invention dont nous serions mal fondés à nous donner les gants.

LE CODE EN VERS

J’ai reçu une circulaire imprimée d’un libraire d’Aix en Provence, Remondet-Aubin, annonçant la prochaine publication d’une traduction littérale en vers français de ce même Code civil.

Décidément, la France est le pays de toutes les originalités.

Le libraire d’Aix accompagne son prospectus de quelques extraits destinés à mettre le lecteur en goût.

1674

Quiconque, ayant vendu sa chose immobilière,
Serait, sur douze parts que l’on pourrait en faire,
Lésé de plus de sept, a droit de demander
Que, la vente étant nulle, il faut la rescinder.

1711

Ces genres principaux encor se subdivisent ;
On dit : baux à loyers, ceux qui se localisent
Sur meubles et maisons ; bail à ferme, celui
Des biens ruraux ; loyer, du travail pour autrui ;
A cheptel, d’animaux dont le croît se partage…

Si ces extraits, ajoute M. Remondet-Aubin, ne paraissaient pas assez nombreux à certaines personnes désireuses de souscrire, vous n’auriez qu’à me faire connaître les articles dont elles désireraient avoir la traduction, et je vous les transmettrais au plus tôt.

JOCKO



On vient de réimprimer Jocko, un petit roman qui eut un succès incroyable sous la Restauration, et d’où MM. Gabriel et Rochefort (le père d’Henri Rochefort) tirèrent un drame en deux actes qui eut un succès plus incroyable encore. Le célèbre mime Mazurier y remplissait le rôle principal, qui est celui d’un singe de grande taille.

L’auteur du roman de Jocko s’appelait Charles de Pougens et avait été nommé à l’Institut en 1799. Il était devenu aveugle, ce qui donna lieu à une aventure que M. Anatole France a oubliée dans sa notice :

Pougens se trouvait dans une foule, conduit par sa femme ; il marcha involontairement sur le pied d’un jeune homme qui, prompt comme l’éclair, lui donna un soufflet.

« Ah ! Monsieur, lui répondit Pougens avec bonhomie, comme vous allez regretter votre action en apprenant que je suis aveugle ! »


——
LE JOURNAL… DE GŒTHE

On se rappelle la trépignée que Barbey d’Aurevilly a administrée à Gœthe. L’Allemagne en est encore rouge de fureur et d’indignation.

Le violent auteur des Diaboliques aurait tapé bien plus fort sur l’auteur de Faust s’il avait connu une petite pornographie qu’on a glissée dans ses œuvres complètes (édition de 1875), et qu’on vient de saisir en Prusse.

Le grand Gœthe saisi dans son propre pays ! C’est à peine croyable.

Il est vrai que le grand Gœthe s’est montré étrangement libertin le jour où il a écrit Mon Journal, la pièce en question, qui a failli passer en police correctionnelle, et dont on s’est contenté d’ordonner la suppression.

C’est une aventure avec une fille d’auberge, quelque chose comme une paraphrase de l’Occasion perdue et retrouvée, attribuée au grand Corneille ; — des égrillards, ces grands hommes ! — dix pages environ, le tout en vers assez bonasses :

Je fus reçu par une demoiselle,
Gracieuse apparition,
Qui vint allumer la chandelle
Et lier conversation.

Mais les éditeurs de Gœthe avaient compté sans la pudeur allemande. À Coblentz, pour atteindre ces dix pages, la police a confisqué les œuvres complètes, soit dix gros volumes.

Heureusement que les bibliophiles français veillaient : un d’eux, qui signe Un Strasbourgeois, a publié une traduction de Mon Journal, à petit nombre, à Nancy.

Histoire de rire entre un moos et une pipe en porcelaine !

FANTAISIE TYPOGRAPHIQUE

J’ai rencontre chez un libraire du quai Voltaire un volume des plus singuliers, non pas quant au texte, mais sous le rapport de l’exécution matérielle.

Il est intitulé : « Œuvres du marquis de Villette. À Londres, 1786 ; in-18, br. »

Mais voici la curiosité : cet exemplaire, sans doute unique, est imprimé sur vingt sortes de papiers, — papier d’écorce de tilleul, de guimauve, d’ortie, de houblon, de mousse, de roseau, etc., etc.

Le marquis de Villette, l’ami de Voltaire, était assez riche pour se passer cette fantaisie typographique.

LA CORRESPONDANCE DE BALZAC

Plus je relis la Correspondance de Balzac, plus je tombe en des étonnements sans fin.

Il écrit à Mme de Hanska au fond de la Pologne ; il écrit à la duchesse de Castries, à Mme Zulma Carraud, etc., etc. ; — et savez-vous ce qu’il trouve à dire à ces femmes plus charmantes et plus intelligentes les unes que les autres ?

Il leur annonce qu’il vient de corriger six feuilles des Illusions perdues ; qu’il lui reste à finir Béatrix et à refondre les Chouans ; qu’il est en train de conclure avec Werdet pour une troisième édition du Médecin de campagne ; que Souverain le tourmente pour avoir la fin d’Un début dans la vie ; qu’il est enfin parvenu à renouveler les billets de ce corsaire de Chlendowsky ; qu’il lui faut encore trois jours avant de donner le bon à tirer des Petites Misères de la vie conjugale ; que les épreuves de la Maison Nucingen se sont égarées dans un déménagement ; qu’il a un rendez-vous avec la Revue de Paris pour une grosse affaire, etc., etc.

Il leur parle de Dutacq, de Dujarier, de son imprimeur, de son brocheur, de son marchand de papier, de tout ce qui le regarde, de tout ce qui le concerne, de tout ce qui l’occupe.

Il veut qu’on le plaigne, qu’on l’admire, — qu’on l’admire surtout ! et qu’on sache bien qu’il est un héros de travail, mais non pas un héros obscur et silencieux. Il lui faut les bénéfices de son labeur effréné. Son courage sonne de la trompette, sa volonté allume trente-six bougies.

Un naïf, malgré tout cela.

J’ai bien dit, oui, Balzac, un naïf.

Cela serait un peu long à démontrer, mais on en viendrait à bout.

JE VOUS AIME

Charles Hugo n’avait pas attendu les Misérables pour s’essayer au théâtre.

En 1861, au mois de mars, il avait donné au Vaudeville une comédie en un acte : Je vous aime.

J’assistais à la première représentation. La pièce eut une réussite complète. Le nom de l’auteur fut acclamé.

Je vous aime est une de ces gracieuses bulles soufflées dans le chalumeau doré de Marivaux. L’invention y a sa part cependant.

Trois jeunes gens font la cour à une jeune veuve et emploient des moyens différents : — celui-ci tient pour la déclaration, — celui-là pour la lettre, — l’autre pour l’enlèvement.

De ces trois systèmes, ingénieusement mis en action, naissent des scènes fort amusantes et bourrées d’étincelants quolibets.

La belle assiégée accorde sa main à celui des trois assiégeants qui n’a ni parlé, — ni écrit, — ni enlevé.

Des artistes qui jouaient Je vous aime je ne me souviens que de Brindeau, très élégant dans le rôle d’un monsieur qui a peur « de ce joli pistolet de salon qu’on appelle l’œil d’une femme ».

UN PORTRAIT DE RACHEL

Le nom de Rachel, ces jours-ci, est revenu sur l’eau… des Fées.

J’en prends texte pour reproduire une page émouvante de Philarète Chastes, un portrait de Rachel qui n’a d’équivalent dans aucun des feuilletons du temps.

C’est du Philarète Chastes inconnu, enragé, — comme il est quelquefois, — mais superbe.

Ce petit tigre bohémien, juive lascive, vaste front planté pur des épaules de hyène et sur un torse charmant de Ménade, sublime d’intelligence, et plus rapproché par l’âme des carnivores que des hommes, a séduit tous ses contemporains dignes d’elle, et que sa grande qualité, la férocité, a enivrés. Véron le gros en a raffolé. Ricord se serait pendu pour elle. Les archevêques l’ont bénie. La France l’a pleurée. Autrefois, petite gueuse en chemise, qui, la sébile à la main, ramassait des sous dans la fange des estaminets ; toute rompue depuis dix ans au trois-six, aux planches, aux quinquets gras, aimant le ragoût du vice, mais plus encore le ragoût de l’argent, elle représentait la sauvagerie des

Parias, celle des Juifs, celle des Bohèmes, résumée, concentrée et raffinée par la sauvagerie des rues de Paris.

Un gamin jouant Andromaque, Bérénice, Didon, Hermione et Phèdre ! Quel festin ! quelle joie ! Les blasés ne se contenaient pas. Le fade de Racine était corrigé ; l’hémistiche hurlait, la rime plate bondissait ; l’alexandrin sur ses douze pieds se tordait ; elle rejetait (la sublime sauvage) Racine dans le moule do Shakespeare. Pas un accent tendre, doux, consolant, céleste. Mais pas un cri faux, exagéré, excessif ou détonnant. Phèdre amoureuse ressemblait à une panthère folle de désirs ; Hermione à une juive de la Bible allant tuer Holopherne ; Monime à une religieuse fouettée par le confesseur. Matérialiste sans le savoir, démocrate involontaire, la hyène sublime était d’accord avec son temps.

Je le répète, cette page est inouïe.

Inutile de dire que ce n’est pas dans le Journal des Débats que Philarète Chasles l’a placée.

RARETÉS BIBLIOGRAPHIQUES

Un catalogue de librairie annonce la mise en vente de trois raretés bibliographiques :

1o Mémoire sur deux grandes obligations à remplir par les Français.

2o Mémoire sur le scandaleux désordre causé par les jeunes filles trompées et abandonnées dans un absolu dénûment.

3o Mémoire sur les moyens de prévenir les vols et les assassinats.

Trois pièces (Tours, 1807, 1809) en un volume in-4o.

Ces trois mémoires sont de M. de Balzac, le père de l’auteur de la Comédie humaine.

M. de Balzac père était un original dans toute la force du terme. Il avait des idées absolues et mourut fort vieux.

UN DICTIONNAIRE DES FROMAGES

Je lis dans les Mémoires de Casanova que cet homme extraordinaire avait entrepris un Dictionnaire des Fromages, œuvre assurément fort louable.

À Lodi, dit-il, j’achetai des traductions que je fus fort surpris d’y trouver, cette ville ne m’ayant jusqu’alors paru respectable que par son excellent fromage, connu dans toute l’Europe sous le nom de parmesan. Cet excellent fromage est de Lodi, et non de Parme ; et, le même jour, je ne manquai pas d’ajouter un commentaire à l’article Parmesan, dans mon Dictionnaire des Fromages, ouvrage que j’avais entrepris et que j’ai abandonné dans la suite, l’ayant reconnu au-dessus de mes forces, de même que Jean-Jacques Rousseau trouva au-dessus des siennes celui de la botanique.

Le Livarot et le Septmoncel attendront encore leur Littré.

LE THÉÂTRE DE VILLIERS DE L’ISLE-ADAM

La pièce du Nouveau-Monde n’est pas le premier ouvrage dramatique de M. Villiers de l’Isle-Adam.

En outre de la Révolte, un acte joué il y a quelques années au Vaudeville par Mlle Fargueil, Auguste Villiers de l’Isle-Adam a fait imprimer deux drames qui attendent encore l’heure de la représentation : l’un, en trois actes, intitulé : Elen ; l’autre, en cinq actes, intitulé : Morgane.

De plus, il est l’auteur de deux volumes de vers et d’un roman : Isis, lequel se termine par cette phrase magistrale :

Ce soir-là, le marquis s’anuita chez la marquise Tullia-Fabiana.

Ajoutons, pour compléter ces renseignements biographiques, que c’est à Auguste Villiers de l’Isle-Adam qu’on doit cette pensée sans bornes :

Dieu a créé l’homme — et réciproquement.


L’ÉLOGE DU MAQUILLAGE

Je lisais l’Éloge du Maquillage, par Charles Baudelaire. C’est décidément un travail fort curieux et fort savant.

Baudelaire vante le maquillage dans son style solide et précis. Il repousse beaucoup de ce qui est naturel et veut une part plus large à l’artifice.

Je suis conduit, — dit-il, — à regarder la parure comme un des signes de la noblesse primitive de l’âme humaine. Les races que notre civilisation, confuse et pervertie, traite volontiers de sauvages, avec un orgueil et une fatuité tout à fait risibles, comprennent, aussi bien que l’enfant, la haute spiritualité de la toilette. Le sauvage et le baby témoignent, par leur aspiration naïve vers le brillant, vers les plumages bariolés, les étoffes chatoyantes, vers la majesté superlative des formes artificielles, de leur dégoût pour le réel, et prouvent ainsi, à leur insu, l’immatérialité de leur âme.

Tout cela sent fortement le paradoxe, mais cela amuse en étonnant.

L’éloge du maquillage amène, sous la plume de Baudelaire, l’éloge de la mode. Toutes les modes sont charmantes selon lui, ou ont été charmantes.

La poudre de riz lui plaît infiniment ; son usage a pour but et pour résultat de « créer une unité abstraite dans le grain et la couleur de la peau, laquelle unité, comme celle produite par le maillot, rapproche immédiatement l’être humain de la statue, c’est-à-dire d’un être divin supérieur ».

Voici maintenant pour le fard, et pour les paupières noircies et allongées :

Quant au noir artificiel qui cerne l’œil, et au rouge qui marque la partie supérieure de la joue, bien que l’usage en soit tiré du même principe, du besoin de surpasser la nature, le résultat est fait pour satisfaire à un besoin tout opposé. Le rouge et le noir représentent la vie, une vie surnaturelle et excessive ; ce cadre noir rend le regard plus profond et plus singulier, donne à l’œil une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur l’infini ; le rouge qui enflamme la pommette augmente encore la clarté de la prunelle, et ajoute à un beau visage féminin la passion mystérieuse de la prêtresse.

On ne discuterait pas avec plus de solennité les plus hautes questions sociales.

Les conclusions de Baudelaire sont celles-ci : que le maquillage n’a pas à se cacher, à éviter de se laisser deviner ; — qu’il peut, au contraire, s’étaler, sinon avec affectation, du moins avec une espèce de candeur.

Ainsi est-il.

UN QUATRAIN D’ALEX. DUMAS

Un quatrain retrouvé d’Alexandre Dumas père. Ils sont peu communs, ses petits vers.

M. M…, honorable Breton, se targuant de deux ou trois rencontres avec l’auteur d’Antony alla le trouver chez lui, un matin.

Il faut dire que M. M… est d’une laideur singulière, ce qui ne l’avait pas empêché de faire publier son portrait lithographié dans l’Album d’Ille-et-Villaine. Ce portrait à la main, il venait prier Alexandre Dumas de vouloir bien tracer quelques mots au-dessous.

La demande était au moins indiscrète.

Dumas fronça involontairement le sourcil, et, après avoir toisé son visiteur, il écrivit :

Cette image dont j’ai l’étrenne
M’offre un homme au regard chagrin.
On lit en haut : Ille-et-Vilaine ;
On devrait lire : il est vilain.

M. M… avait quelque esprit : il se déclara enchanté.


BIBLIOPHILES ET SPÉCIALISTES

La spécialité est le refuge des bibliophiles humbles d’argent. Il n’y a que les gouvernements ou les fermiers généraux qui puissent acheter tous les beaux livres indistinctement.

Les spécialistes sont innombrables : il y a ceux qui ont la spécialité des mystères, mystères des apôtres, mystères de Notre-Dame, mystères à cinquante-neuf et même à quatre-vingt-deux personnages. Pour ceux-là, l’art dramatique commence à Pierre Gringoire et finit à Étienne Jodelle ; Hardy n’est pas advenu pour eux, et ils ignorent jusqu’au nom de Corneille.

Il y a ceux qui ont la spécialité des mazarinades, gens spirituels et perpétuellement guerroyants ; — ceux qui ont la spécialité des catalogues, depuis le catalogue de Gilles Mallut, garde de l’ancienne bibliothèque du Louvre en 1373, jusqu’aux catalogues de la Vallière, de Nodier et des frères de Bure.

Il y a les spécialistes de la science, les plus inouïs et les plus minutieux, ceux qui, comme Abbot, ont dessiné et colorié cinq cent trente-cinq différentes espèces d’araignées de la Géorgie d’Amérique.

Il y a les spécialistes du roman : romans de chevalerie, de souterrains, d’amour ; les spécialistes du diable, qui, pareils à M. Oufle, passent leur existence à désirer et à attendre l’apparition du maudit, un pacte tout préparé dans leur poche.

Il y a les spécialistes qui ne s’attachent qu’à un seul auteur et qui en font leur proie, tels que Beffara pour Molière, et Walckenaer pour Mme de Sévign.

M. de Soleinne, qui avait la spécialité du théâtre, en était arrivé au point de collectionner les pièces qui n’avaient été ni jouées ni imprimées.

Un autre amateur s’était mis à la recherche d’une espèce de ver qui ronge une certaine espèce de reliure.

Après ce spécialiste-là, il faut tirer l’échelle.

ANNONCES LITTÉRAIRES

Quelques-uns de nos confrères en littérature ont pris le parti d’annoncer eux-mêmes leurs productions en en déterminant le prix, — modique, hélas !

C’est ainsi qu’on peut lire dans le dernier numéro de la Chronique de la Société des gens de lettres, devenue une succursale des Petites Affiches :

Voyages et tribulations d’un lavement, depuis le siècle de Louis XIV jusqu’à l’invasion prussienne de 1870, roman humoristique d’environ 16,000 lignes (en collaboration avec feu Charles Rabou).

Encore du même :

Les Amours d’un épicier parisien, roman comique d’environ 10,000 lignes, à 10 centimes la ligne.

Passe pour les Amours d’un épicier, mais l’Histoire d’un lavement me paraît d’un placement difficile. Quel journal osera la publier ? À coup sûr ce ne sera point un journal de dames, ni une gazette de modes ; encore moins la Revue britannique.

Je reste confondu en présence d’un semblable titre ; mais, en vérité, je ne saurais plaindre l’auteur si partout il voit son ouvrage rejeté.

FRANCISQUE SARCEY… POÈTE

Eux aussi, les vers de M. Francisque Sarcey sont rares, rarissimes.

J’ai eu toutes les peines du monde à en dénicher une centaine ; encore ont-ils quinze ans de bouteille.

Ils sont intitulés : À Voltaire, après avoir lu les satires de Veuillot.

Sans avoir rien de remarquable, quelques-uns ne sont pas mal alignés, ceux-ci, par exemple :

 
 
Triple extrait de vinaigre en pauvre et laide fiole !

Des vers ! le malheureux ! à son âge ! oh ! la folle
Et triste ambition, à cinquante ans sonnés,
D’enfourcher un Pégase à se casser le nez.
En prose, il écrivait d’un style fort passable.
Peu d’haleine, il est vrai, rien de fin, rien d’aimable,
De délicat, qui plût aux raffinés de goût ;
Mais du trait, de la verve, et de l’esprit partout,
Un esprit violent comme un taureau qu’excite
La troupe des chulos acharnés à sa suite,
Qui voit rouge, fait tête, et de coups furieux
Frappe les vains drapeaux qu’on agite à ses yeux.

Le vers demande plus : apprends-lui donc, Voltaire,
Qu’il y faut une main plus souple et plus légère.
Un goût plus fin ; un art d’être court, vif et vrai,
De ramasser parfois le bon sens en un trait.
Etc.

Le dernier des didactiques, — tel est le surnom qu’on pourrait appliquer à Francisque Sarcey.

UN COMMENTATEUR DE RABELAIS

M. Victorien Sardou a un père.

Le fait n’a rien que de fort naturel.

Mais ce qui est moins naturel, c’est l’obscurité qui enveloppe le père, alors que tant de lumière environne le fils.

Obscurité injuste !

Si M. Sardou fils a mérité d’être de l’Académie française, M. Sardou père a mérité au moins d’être de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

Érudit à vingt-quatre carats, auteur de nombreux travaux philologiques, M. L.-A. Sardou est le dernier commentateur de Rabelais, et le meilleur à coup sûr, celui qui est allé le plus loin dans l’interprétation de ce colossal, terrible et souvent énigmatique farceur.

M. Sardou père est un vieillard encore des plus verts, qui habite Nice les trois quarts de l’année.


LA MONARCHIE DE 1830

Acheté chez un bouquiniste du quai un exemplaire en bon état de la Monarchie de 1830, par A. Thiers, député des Bouches-du-Rhône ; un volume in-8° (Paris, Alexandre Mesmer, place de la Bourse).

Édition rare.

Certaines pages sont écrites avec une vivacité toute juvénile.

MYSTIFICATION

Toute la Belgique lettrée s’est émue, il y a quelques années, d’une mystification de haut goût.

Un catalogue de livres venait de paraître, intitulé :

Catalogue d’une très riche, mais peu nombreuse collection de livres, provenant de la bibliothèque de feu M. le comte J.-N.-A. de Fortsas, dont la vente se fera à Binche (province du Hainaut), le 10 août prochain, à onze heures du matin, en l’étude et par le ministère de M. Mourlon, rue de l’Église, no 9.

Il n’y eut qu’un cri d’enthousiasme dans le monde des bibliophiles.

C’était une réunion inestimable : des Aldes disparus, des Elzevirs retrouvés, des exemplaires uniques !

Un des joyaux de la bibliothèque de M. le comte de Fortsas était un volume du prince de Ligne, inconnu jusqu’alors et ainsi catalogué :

Mes Campagnes aux Pays-Bas, avec la liste, jour par jour, des forteresses que j’ai enlevées…

Imprimé par moi seul, pour moi seul, à un seul exemplaire. À Bel-œil, de mon imprimerie.

Sans date ; in-8° de 202 pages, relié en chagrin vert, avec fermoir à clef d’argent doré.

Les commissions se mirent à pleuvoir à l’adresse de Me Mourlon, notaire à Binche.

La famille du prince de Ligne ne fut pas une des dernières à s’agiter pour acquérir ce monument des fredaines de son illustre chef.

Il n’y eut pas jusqu’au savant administrateur de la Bibliothèque royale de Bruxelles, M. le baron de Reiftenberg, qui ne s’empressât d’adresser cette lettre au ministre, M. de Gerlache :

M. le comte de Fortsas vient de mourir à Binche, province du Hainaut, et, le 10 août prochain, on y vendra sa bibliothèque. Or, cette biblothèque est une chose sans seconde dans les annales de la bibliophihe ; elle ne se compose que de 252 volumes, mais tous sont des exemplaires uniques, M. de Fortsas détruisant ses livres aussitôt qu’il apprenait qu’ils existaient ailleurs qu’entre ses mains. Je viens donc vous demander l’autorisation de me rendre à Binche et d’y faire les acquisitions suivantes…

Suivait la liste des ouvrages convoités : nos 4, 7, 9, 11, 12, 15, 23, 31, 35, 36, 46, etc., etc.

Le ministre accorda les fonds demandés, après s’être contenté de rayer de la liste certains ouvrages qui lui paraissaient trop libres.

Puis on attendit avec impatience le jour de la vente.

Ce jour venu, un groupe d’amateurs, se mesurant d’un regard de défi, se précipitait dans la ville de Binche.

« La rue de l’Église ? demandèrent-ils aux premiers habitants qu’ils rencontrèrent.

— Nous ne la connaissons pas.

Me Mourlon, notaire ?

— Il n’y a pas ici de notaire de ce nom.

— Le comte de Fortsas ?…

— N’a jamais existé. »

Le coup était dur pour nos amateurs, qui se voyaient mystifiés de la façon la plus humiliante, M. de Reiftenberg surtout.

Il n’y eut que la famille du prince de Ligne qui se montrât satisfaite de l’aventure.

La vertu de son chef était sauvée.

NODIER… PARODIÉ

On sait que Charles Nodier a composé un ouvrage intitulé : Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux.

Je viens de trouver cette annonce de librairie dans un journal de 1846 :

Pour paraître prochainement : Histoire des sept bohèmes qui n’ont pas de châteaux, par Alex. Privat d’Anglemont et Théodore de Banville.

LE CARDINAL DUBOIS

Acheté aujourd’hui sur les quais : Dubois, cardinal, par Godefroy Cavaignac, un volume in-8o (veuve Charles Béchet, éditeur ; Paris, 1831).

Le cardinal dont il s’agit dans ce livre de toute rareté n’est pas peint précisément sous de favorables couleurs.

On fait ce qu’on peut.

Godefroy Cavaignac lui met ce petit discours dans la bouche :

Tenez, savez-vous comment je me suis fait nommer successeur de Fénelon ? À la requête du roi d’Angleterre, hérétique, sollicitée par Destouches, auteur de comédies, et, comme tel, presque excommunié. Le régent, ainsi que j’y comptais bien, a trouvé la chose si comique pour le fond et pour la forme qu’il a intrigué près du Saint-Siège comme s’il s’agissait de lui ; et le pape m’a intronisé, moi, Dubois, qui n’étais pas même sous-diacre, ni baptisé, sur la demande du prince le plus athée qui fut jamais.

Les jolies mœurs !

LES STALACTITES

Acheté aujourd’hui sur les quais la première édition des Stalactites, par Théodore de Banville (Paris, Paulier, éditeur, galerie de l’Odéon, 1846). J’ai tout lieu de la croire excessivement rare.

Sur la couverture sont annoncés pour paraître prochainement :

Les Lesbiennes, par C. Baudelaire Dufays.

Le Harem, par Auguste Vitu.

Le Roman du Cygne, par Pierre Dupont.

C’est dans les Stalactites que M. de Banville a essayé d’employer des vers de treize syllabes. Voir la pièce intitulée : le Triomphe de Bacchus.

Le chant de l’orgie avec des cris au loin proclame
Le beau Lyœus, le dieu paré comme une femme,
Qui, le Ihyrse en main, passe rêveur et triomphant,
A demi couché sur le dos nu d’un éléphant.

Sous leurs peaux de cerf les Évantes et les Thiades,
Le chœur furieux des Bacchides et les Ménades,

En arrondissant l’arc vigoureux de leurs beaux reins,
Sautent aux accords des flûtes et des tambourins.

Cela n’est pas plus désagréable que les vers de douze syllabes ; il ne s’agit que de s’y habituer.

LES PREMIÈRES POÉSIES D’E. ARAGO

Acheté aujourd’hui sur les quais, — toujours sur les quais ! ce sont mes archives, — le premier livre de poésies de M. Emmanuel Arago.

Un volume in-8° ; encadrement romantique.

Titre : Vers, par Emmanuel Arago, Paris, 1832, chez Paulin, libraire-éditeur, place de la Bourse.

Les nombreuses pièces qui le composent : Méphistophélès, le Bal de l’Opéra, Cromwell, Bonaparte, Vingt-quatre heures d’Arthur Baridon, les Morts de Juillet, etc., respirent l’enthousiasme de la vingtième année.

Le premier livre d’un homme est toujours intéressant.

Écoutez M. Emmanuel Arago s’écrier en 1832 :

Patience ! la France est un lion en cage :
Elle aiguise ses dents pour tordre ses barreaux
Et se jeter, écumante de rage,
Sur les bourreaux !

Bien rugi ! — Inutile d’ajouter que l’ouvrage est des plus rarissimes.

PAUL DE KOCK… À LA PRUSSIENNE

La Prusse a son Paul de Kock, mâtiné d’Antoine Gandon.

Il est noble, comme Paul de Kock ; il s’appelle Frédéric-Guillaume de Hacklaender.

Il est très renommé et très renté.

Il excelle dans la peinture des mœurs de caserne ; il triomphe dans le récit des aventures de corps de garde. Voici les titres de quelques-uns de ses ouvrages :

Les Bombardiers Tipfel et Robert ;

La Belle Sophie et l’Officier de Dragons ;

Le Sous-officier Dose et la Bürgerwehr ;

Etc., etc.

Vous voyez cela d’ici.

Dans le Sous-officier Dose, je vous recommande le chapitre intitulé : Soupe aux crottes de souris.

C’est principalement la « vie militaire en Prusse » que M. de Hacklaender s’est attaché à reproduire.

Il y réussit, — et même de façon à rappeler quelquefois Erckmann-Chatrian. C’est la même conscience dans le détail, poussée jusqu’à la minutie ; c’est la même gravité dans le comique.

Mais là s’arrête la ressemblance.

M. de Hacklaender sait mal composer un roman ; ses ressorts sont d’une faiblesse extrême.

À vrai dire, il ne procède que par tableaux.

GUSTAVE NADAUD, AUTEUR DRAMATIQUE

En 1874, je crois, une idée singulière traversa le cerveau de Nadaud. Il présenta et fit jouer au théâtre du Gymnase une comédie en deux actes et en prose, intitulée : Dubois d’Australie. Je me souviens d’avoir assisté à la première représentation de ces deux actes, — heureusement fort courts.

C’est l’histoire d’un pauvre diable revenu plus gueux que jamais du pays de l’or, et que ses parents s’obstinent à croire cousu de pépites. Il finit par les laisser croire, et il aide ainsi au mariage de deux amoureux. Waflard n’a rien écrit de plus anodin. — Il aurait fallu beaucoup de chansons pour faire passer Dubois d’Australie, après lequel on était tenté de répéter à Nadaud ses propres couplets :

Chante-nous quelque bêtise.
— Soit ! c’est comme il vous plaira.
Voulez-vous que je vous dise
Une scène d’opéra,

Des chansons, des gaillardises,
Ou des couplets langoureux ?
Il faut chanter des bêtises
Pour passer une heure ou deux !

Il s’en est d’ailleurs tenu à ce début. Ses autres productions dramatiques ne sont que des opérettes de salon, faites pour le paravent ou la pelouse du château.

À TRAVERS LES LIVRES

Si je ne furetais pas à travers les livres, je ne pourrais pas vous parler d’un fragment bien inconnu de Victor Hugo, intitulé : le Vieillard du Galèse.

Le Vieillard du Galèse fait partie d’une traduction des Géorgiques commencée par Victor Hugo dans son extrême jeunesse. La France littéraire en publia quelques extraits en 1832, après avoir pris le soin d’annoncer qu’ils avaient été écrits à l’âge de quinze ans. En voici le début :

Si mon vaisseau déjà, prêt à toucher les bords,
Vers le but désiré ne tournait sans efforts,
Poète des jardins, je chanterais peut-être
La culture des fleurs et la rose champêtre.
Je décrirais l’acanthe arrondie en berceaux,
L’endive se gonflant du suc des clairs ruisseaux,
Le myrte, amant des eaux qu’il couvre de son ombre,
Les contours tortueux de l’énorme concombre,
Le narcisse tardif, le persil frais et vert,
Et le lierre rampant dont le chêne est couvert.

Aux plaines du Galèse, où, noire et sablonneuse,

Roule en des champs dorés son onde limoneuse,
Sous les tours d’Œbalie, il fut, je m’en souviens,
Un paisible vieillard, riche de peu de biens…

Victor Hugo montre le vieillard buvant le lait de ses troupeaux et taillant ses arbres. Les autres vieillards de M. Hugo, qui, comme Corneille, réussit particulièrement les têtes blanches, ne ressemblent guère à ce paisible vieillard, l’arrosoir à la main.

Il plantait le tilleul près du pin résineux,
Et greffait le prunier sur l’arbuste épineux ;
Chez lui, se soumettant au cordeau qui l’aligne,
Le platane ombrageait les amants de la vigne ;
Et, seul, il sut toujours transplanter sans efforts
Des poiriers déjà vieux, des ormeaux déjà forts.
Mais à d’autres sujets il faut que je me livre ;
Je laisse un vaste champ à qui voudra me suivre.

LE BIJOU DE LA REINE

Le Bijou de la Reine est une des pièces de la jeunesse d’Alexandre Dumas fils. La représentation en eut lieu sur le théâtre de l’hôtel Castellane, en 1845.

C’est un acte en vers, à deux personnages : Philippe d’Anjou, roi d’Espagne, et Louise de Savoie, sa femme. Le premier a vingt ans, la seconde dix-sept. Il est nuit, il est tard. Ils rentrent chez eux, après avoir congédié leur cour. Les voici en tête-à-tête.

Le jeune monarque, fatigué du poids des affaires publiques, ne demanderait pas mieux que d’employer une partie de la soirée à échanger de ces propos intimes qui font les délices des intérieurs bourgeois. Mais Louise de Savoie met un prix exorbitant à cet entretien : elle demande un collier de trois cent mille écus.

Si causeur qu’il soit, Philippe V fait la grimace (on la ferait à moins) et objecte l’épuisement de ses finances. La reine n’en croit rien, et, visiblement dépitée, elle rentre dans ses appartements. — Le reste de la pièce se passe en allées et venues de ces deux têtes couronnées. — Louise revient frapper à la porte de Philippe, qui reparaît en robe de chambre (sic) ; ils jouent une partie de dominos qui les conduit à la découverte d’une conspiration.

On se brouille, et on se sépare de nouveau sur cette partie. (En vérité, cela est déjà fort bien machiné pour le temps, autant que je puisse m’y connaître.) Alors, c’est au tour du roi d’aller frapper à la porte de la reine, qui reparaît en camisole (de plus en plus sic) ! Ce dernier costume est le signal d’un dénouement que la morale commençait à réclamer impérieusement, et sur lequel l’ange des ménages étend ses ailes devenues indispensables.

C’est bien jeune, comme on le voit. Mais Alexandre Dumas fils, qui a eu de l’esprit dès le berceau, en a jeté à profusion sur cette intrigue anodine.

Le Bijou de la Reine, qui n’a eu qu’une seule représentation, était joué à l’hôtel Castellane par Mlle Émilie Dubois, morte depuis, et par M. Delaunay. J’ignore jusqu’à quel point cet excellent artiste sera enchanté de ce ressouvenir qui le replonge dans le passé à des distances fabuleuses.

M. DU BARRY

La figure du comte Jean du Barry est esquissée d’un trait spirituel dans Balsamo.

L’homme était bien le drôle le plus effronté qui se pût voir. Lors de la disgrâce de sa belle-sœur, disgrâce qui suivit de quelques heures seulement la mort de Louis XV, il ne se faisait faute de crier que cet outrage ne serait que passager.

En attendant, il jugea prudent de quitter la cour, ce qui fit dire aux confectionneurs de calembours que les tonneliers de Paris avaient écrit en province parce que les barils fuyaient.

Les pamphlétaires s’en donnèrent à cœur joie. On lit dans le premier volume des Anecdotes échappées à l’observateur anglois et aux Mémoires secrets :

On raconte à ce sujet qu’un exempt mis sur sa piste avait été le chercher à Dieppe, se doutant qu’il s’embarquerait pour l’Angleterre. L’exempt se promenait sur le port, visitant tous les bâtiments

prêts à mettre à la voile, — lorsqu’il entendit une voix mélodieuse, qu’il crut reconnaître, et qui chantait un air dont les paroles sont : Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ?

Cette voix partait d’un baril de maquereaux que l’exempt fit défoncer. Jugez de son étonnement lorsqu’il en vit sortir M. du Barry, qui s’y était réfugié comme dans un asile inviolable pour lui.

L’historiette est un peu salée, j’en conviens.

VOYAGES ET VOYAGEURS

Tous ces grands voyageurs dont nous sommes environnés, ces Stanley, ces Brazza, ces découvreurs de peuplades, vont nous détourner des petits voyageurs, si gentils, si aimables dans leur modeste sphère. C’est fâcheux à un certain point de vue, pour ceux qui ne s’intéressent pas exclusivement aux rois cafres ou aux morses du pôle Nord.

Nordenskiold m’émerveille, m’exalte, me stupéfie, m’oppresse ; mais je reviens le plus vite possible à Sterne, c’est-à-dire au roi des petits voyageurs, — et puis encore à Xavier de Maistre, l’auteur du Voyage autour de ma Chambre.

Petits voyageurs encore : Néel de la Rochelle, l’auteur du Voyage de Paris à Saint-Cloud ; Jules Janin, l’auteur de Mon voyage à Brindes ; Arsène Houssaye, l’auteur du Voyage dans la rue Saint-Denis et du Voyage à ma fenêtre.

Petit voyageur aussi, Alfred de Musset. On sait qu’il se mouvait très peu, surtout dans la seconde partie de sa trop courte existence. Il avait conservé tout juste assez de forces et d’énergie pour aller de la Revue des Deux-Mondes au Théâtre-Français, en faisant un crochet sur le café de la Régence. — Oh ! le malheureux crochet ! — Un jour, Hetzel prit Musset par-dessous le bras, et tous deux entreprirent un Voyage où il vous plaira, que Tony Johannot se chargea d’illustrer.

Petit voyageur, Alfred Delvau, voyageur dans Paris et dans la banlieue ; Dumont-Durville d’Asnières, Stanley du Bas-Meudon, Vespuce de cabarets et de guinguettes, très recherché depuis qu’il est mort.

PAR-CI, PAR-LÀ

Par-ci, par-là, par trois jeunes gens du Havre. Le Havre, chez tous les libraires, 1861. Un vol.  in-12 de 69 pages.

Je l’ai rouvert ce matin, ce petit livre, et je l’ai relu tout d’un trait.

De ces trois jeunes gens du Havre, l’un était Alfred Touroude, les deux autres étaient MM. Thuillier et Rafano. Ils avaient voulu débuter ensemble, le même jour.

Je me trouvais au Havre, cette année-là. Touroude, que j’avais connu chez M. Louis Gaudibert, — un autre mort, et non des moins regrettés, — m’apporta un des premiers exemplaires de Par-ci, par-là.

L’amour-propre d’auteur ne perd jamais ses droits ; il avait indiqué au crayon les pièces qui formaient son lot dans ce recueil.

Une lettre de Lamartine, — l’inévitable lettre aux débutants, — servait de frontispice à Par-ci, par-là.

Par-ci, par-là ressemble à tous les premiers volumes de vers connus ; c’est un hymne à la nature, un éveil de sensations : Par-ci, c’est-à-dire par les sentiers embaumés d’aubépines, par les prairies émaillées de boutons d’or, par les ruisseaux roulant sur des cailloux roses et blancs, par les bois profonds ; — Par-là, c’est-à-dire par les réminiscences classiques et par les aspirations romantiques, par Victor Hugo, par Alfred de Musset, par tous les dieux de la jeunesse et de l’amour !

Que n’en est-il resté toujours à Par-ci, par-là, cet Alfred Touroude, qui promettait un poète et qui a donné un dramaturge !

Hélas ! le théâtre l’avait fasciné dès le premier jour ; le théâtre le réclama tout entier. Et quel théâtre, miséricorde ! Non pas le babil galant de Marivaux, non pas l’éclat de rire sonore de Dancourt, ni même la fantaisie un peu laborieuse de Victorien Sardou ! Alfred Touroude, l’un des trois jeunes gens du Havre, alla tout de suite au drame, — au drame fauve, rugissant, ensanglanté ; — au drame à coups de couteau, à coups de serpe, à coups de hachette ; — au drame naïf et monstrueux qui s’appelle le Bâtard et le Lâche.

On sait comment il força l’attention et comment il obtint des succès d’épouvante.

Il enflait sa voix à plaisir ; il outrait la brutalité ; il s’attachait à déformer son style. Personne, parmi les critiques les plus enclins à la bienveillance, n’aurait reconnu en lui un ancien poète, l’auteur harmonieux et tendre de Par-ci, par-là.

C’est le théâtre qui a tué Alfred Touroude ; c’est la lutte qui l’a usé lentement. Il n’était pas constitué à la façon des grandes organisations littéraires : il n’avait ni la modestie dans la réussite, ni l’orgueil dans la chute.

LE TÉLÉGRAPHE

Me voyant passer sur le boulevard Bonne-Nouvelle, le libraire Conquet me fait signe, du seuil de son magasin.

« Entrez, me dit-il, j’ai quelque chose à vous montrer.

— Du nanan ?

— Du vrai nanan. »

Et il met sous mes yeux une brochure in-octavo de douze pages, datée de 1819, et signée… V.-M. Hugo !

Titre : Le Télégraphe, satire (Paris, chez les libraires Delaunay, Dentu et Petit, et chez tous les marchands de nouveautés).

« Vous avez raison, dis-je à Conquet ; la pièce est rarissime… des vers de Victor Hugo à dix-sept ans !

— Asselineau est le seul qui fasse mention du Télégraphe dans son Catalogue romantique ; encore ne l’a-t-il jamais vu… Pour moi, j’avais renoncé à le rencontrer.

— C’est un diamant bibliographique », ajoutai-je.

Puis, ouvrant mon porte-monnaie, j’y pris délicatement cinquante francs, que je me mis en devoir d’offrir au libraire.

« Cinquante francs… un diamant ? dit-il avec un sourire de refus.

— Eh bien ! soixante-quinze francs, murmurai-je.

— J’ai commission pour deux cents francs. »

Que le cher maître Hugo me pardonne ! mais, en entendant ces cruelles paroles, j’étouffai un soupir de regret, et mon porte-monnaie rentra dans ma poche.

Le Télégraphe devenait inabordable pour moi.

« Au moins, laissez-moi le lire, dis-je à Conquet.

— Volontiers ; entrez dans mon arrière-magasin. »

Le Télégraphe commence ainsi :

Tandis qu’en mon grenier, rongeant ma plume oisive,
Je poursuis en pestant la rime fugitive,
Ce maudit Télégraphe enfin va-t-il cesser
D’importuner mes yeux, qu’il commence à lasser ?
Là, devant ma lucarne ! Il est bien ridicule
Qu’on place un Télégraphe auprès de ma cellule !
Il s’élève, il s’abaisse ; et mon esprit distrait

Dans ces vains mouvements cherche quelque secret.
 
Bon ! me dis-je, à la France il annonce peut-être

Des ministres du roi qui serviront leur maître…

Comme on le voit, le ton est un peu suranné. Il fallait s’y attendre. C’est dans la jeunesse qu’on fait des vers vieux. Mais, du moins, ceux-ci ne sont pas inférieurs à tous ceux qu’on publiait alors. Ils auraient pu parfaitement être signés Ancelot.

Déjà même l’auteur des Odes et Ballades commence à se faire pressentir. Par moments, le souffle s’élève, l’image se colore, le mouvement se précipite, comme dans cette phrase :

Télégraphe, où sont-ils les beaux jours de ta gloire ?
Sais-tu qu’il fut des temps où, du Nord au Midi,
Tu suivais l’heureux camp d’un despote hardi,
Quand, sur ton front muet posant ses pieds agiles,
La Renommée errait sur tes tours immobiles,
Et disait dans un jour au monde épouvanté
Ou le Kremlin en flamme ou le Tage dompté ?

Ce n’est plus de l’Ancelot alors, c’est presque du Victor Hugo, — du Victor-Marie.

Des notes en prose terminent cette courte satire.

Il est inutile de dire que le Télégraphe n’a jamais été réimprimé dans les œuvres de son auteur.

LES LIVRES DE POULET-MALASSIS

La vente de la bibliothèque de feu Poulet-Malassis vient d’avoir lieu à l’hôtel Drouot.

Peut-être se rappelle-t-on les quelques lignes que j’ai consacrées à la mémoire de cet homme aimable, qui fut un libraire plein d’initiative et de goût.

Ses livres, qui se composent pour la plupart de ceux qu’il a édités, sont couverts par lui de notes intéressantes. Il a écrit en quelque sorte sur leurs feuillets de garde les mémoires littéraires de son temps.

Des lettres autographes en quantité et des portraits en plusieurs états accompagnent chaque ouvrage.

Je relève au courant de la plume, sur le catalogue Malassis, les numéros suivants, qui me paraissent faits pour exciter la curiosité des amateurs.

Rouget de Lisle. — Chant de guerre national connu sous le nom d’Hymne des Marseillais ; 1792, in-12 de 4 pages.

Musard (Alfred). — Bon Nègre, opérette, paroles de René Lordereau ; 1858, in-12.

Banville (Théodore de). — Esquisses parisiennes ; in-12, titre rouge et noir. — On y a joint un prospectus de coiffeur, rimé par Malassis, imprimé par Banville.

Mérimée (Prosper). — H. B., in-32, demi-maroquin grenat. — Deuxième édition du Henry Beyle, d’après une copie de l’exemplaire offert par Mérimée à Mme Gabriel Delessert, sur lequel il avait rempli de sa main les noms propres laissés en blanc dans la première édition. Tirage à 36 exemplaires.

Baudelaire (Charles). — Mon cœur mis à nu ; 94 pièces autographes, notes et maximes diverses, réunies pour former un volume qui n’a jamais été publié.

Dans la pensée de Baudelaire, Mon cœur mis à nu devait sans doute faire le pendant de cet autre ouvrage qu’il avait conçu sous le titre non moins singulier de Conversations de Charles Baudelaire avec les anges.

ALMANACHS ! ALMANACHS !

La pluie des almanachs a commencé. Ce sont toujours les mêmes ; il y en a de bien faits. Seulement, je regrette le format lilliputien, le format de poche des almanachs du XVIIIe siècle. — Ah ! ce XVIIIe siècle ! comme j’ai bien raison de le célébrer et de l’invoquer sans cesse, à propos de tout !

Les almanachs d’alors étaient de petits livres in-32, très coquets, dorés sur tranches, et fermés par un stylet qui servait à écrire sur un certain nombre de pages blanches ménagées à la fin de chaque volume. Le texte était composé habituellement de chansons et de maximes d’amour, avec des gravures pour tous les mois.

Voici une liste des almanachs pour l’année 1789 qui se trouvaient chez le libraire Langlois fils, rue du Marché-Palu, au coin du Petit-Pont :


Le Nanan des curieux.
L’Affaire du moment.
Le Portefeuille des femmes galantes.


L’Almanach bien fait.
L’Almanach sans titre.
Le Petit Chou-Chou.
Les Hymnes de Paphos.
On ne veut que celui-là.
Pierrot-Gaillard.
Merlin-Bavard.
Les Fastes de Cythère.
La Récolte des petits riens.
Le Loto magique.
Le Plaisir sans fin.
Mon petit savoir-faire.
Le Grimoire d’amour.
Les Mois à la mode, ou l’An des plaisirs.

Etc, etc..

CATALOGUE DE LIVRES RARES
ET CURIEUX

Reçu aujourd’hui un Catalogue de livres rares et curieux.

Est-ce le libraire lui-même (M. Liseux) qui a rédigé ce catalogue ? On doit le supposer.

Ce libraire m’épouvante par l’audace de ses affirmations, ou même de ses suppositions. C’est ainsi qu’à propos d’un portrait de Lamartine il ne craint pas de dire que ce portrait révèle le poète « sous l’aspect de l’homme à bonnes fortunes, aimable compagnon de parties carrées ».

Et, à l’appui de cette assertion hardie, M. Liseux cite une strophe des Nouvelles Méditations :

Combien de fois, près du rivage
Où Nisida dort sur les mers,
La beauté crédule ou volage
Accourut à nos doux concerts !
Combien de fois la barque errante
Berça sur l’onde transparente
Deux couples par l’amour conduits,

Tandis qu’une déesse amie
Jetait sur la vague endormie
Le voile parfumé des nuits !

Le fait est qu’en y regardant de près cette strophe laisse entrevoir bien des choses…

Mais c’est égal, je ne m’attendais pas à ce que tant de poésie fût résumée un jour par cette phrase : « Lamartine faisant des parties carrées en bateau. »

Impossible de digérer parties carrées.

BARNAVE

Le Barnave de Jules Janin, qui vient d’être réimprimé sur le texte de la première édition, contient, entre autres chapitres hardis ou singuliers, une épître à Sophie, la maîtresse de Mirabeau ; en voici la première strophe :

Sophie, ô mon amour, mon ange !
Vainement un pouvoir obscur
Nous a jetés comme la fange
Dans le fond d’un cloaque impur ;
Du nom de fille repentie
On a beau flétrir ton destin,
Ah ! va, ma grande pervertie,
Sophie, ô sublime catin !

La suite est digne du début.

« Cette pièce de vers, d’une énergie étrange et passionnée, — dit un renvoi de l’éditeur au bas de la page, — est de M. Auguste Barbier, l’immortel auteur des Iambes. »

Du moment que l’éditeur entrait dans la voie des révélations et trahissait les secrets de la collaboration, il aurait dû ajouter que le chapitre des Filles de Séjan est de Félix Pyat et que la préface est d’Étienne Béquet.

Ce dernier morceau, écrit de verve, est un violent pamphlet contre la famille d’Orléans.

LITTÉRATEURS ESTIMÉS

Un catalogue de librairie (Rouquette) vient de me tomber sous les yeux.

Tubleu ! quelques-uns de nos littérateurs contemporains y sont cotés à des prix singulièrement respectables. Il est vrai qu’il s’agit d’éditions originales, dans des états intacts, à toutes marges, — comme on dit à toutes voiles.

C’est égal, la postérité n’aura pas à récriminer devant les estimations suivantes :

Théophile Gautier. Mademoiselle de Maupin, 300 fr. — Émaux et Camées, 75 fr.

Balzac. Splendeurs et Misères des courtisanes, 90 fr. — Petites Misères de la vie conjugale, 80 fr. — Modeste Mignon, 80 fr.

Victor Hugo. Les Orientales, 200 fr. — Hernani, 100 fr. — Lucrèce Borgia, 200 fr. — Le Roi s’amuse, 100 fr. — Ruy Blas, 120 fr.

Jules Sandeau. Mademoiselle de la Seiglière, 100 fr. — La Chasse au roman, 100 fr. — Marianna, 80 fr.

Tiens ! tiens ! tiens ! Un regain de faveur pour Sandeau… c’est bon signe.

Gustave Flaubert. Madame Bovary, 120 fr.

Lassailly. Les Roueries de Trialph 125 fr.

Hégésippe Moreau. Le Myosotis, 100 fr.

Quelle revanche de la misère !

Albert Glatigny. Les Vignes folles, 100 fr.

Même réflexion que pour le précèdent.

Barbey d’Aurevilly. Une Vieille Maîtresse, 80 fr.

Et tout cela au milieu des tiraillements de la politique et des clameurs de la polémique.

Allons, la France est toujours le premier peuple du monde !

LES SIGNATURES DE MOLIÈRE

La signature de Molière dont M. Alexandre Dumas fils a fait cadeau au Théâtre-Français n’est pas, quoi qu’on dise, l’unique que l’on connaisse.

Déjà une autre signature, apposée sur un volume des Airs et Vaudevilles de Cour, avait été mise en vente à l’hôtel Drouot et adjugée au prix de neuf cents francs.

Cela fait cent francs la lettre avec les deux initiales J. B.

M. Alexandre Dumas avait une initiale de plus : P. (Poquelin).

Il est vrai qu’il l’avait payée plus de deux mille francs.

Par où a passé l’autre signature de Molière ? En quelque main qu’elle se trouve, son propriétaire accomplirait un acte de goût en en faisant cadeau à l’Odéon.

Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre.

On sait que c’est le vers adopté par l’ Académie française pour le buste du grand comique.

Mais, avant d’en arriver là, combien d’autres vers furent proposés, de plats, de prétentieux et même de grotesques ! — Il avait été décidé que chaque académicien fournirait une inscription — française ou latine, en vers ou en prose, — sans se nommer, et que le choix se ferait au scrutin.

En voici quelques-unes :

Il nous a manqué vivant, mort il sera parmi nous.

C’était un peu long.

Qu’il jouisse au moins de cet honneur posthume !

Médiocre.

J.-B. Poquelin de Molière, académicien
après sa mort.

C’était mieux.

Possédons du moins son image.

Bien calme.

Le succès de la séance devait être pour l’inscription suivante, qui fut saluée d’un rire général :

Molière, pourquoi viens-tu si tard ?

Hervé seul, de nos jours, a dépassé cette exclamation.

LIBRAIRE D’AUJOURD’HUI

Une mort bien humble a passé inaperçue parmi tant de morts éclatantes : c’est celle du libraire-éditeur Barraud, rue de Seine. Barraud était une physionomie entre ses confrères. Quoiqu’il ne fût pas très vieux (cinquante-huit ou soixante ans), il retardait sur son époque. Il habitait dans une ancienne maison un entresol obscur où l’on montait par un escalier à rampe de bois. Il avait les allures modestes, les habitudes d’un bouquiniste arrivé, ce qu’il était en réalité. Ce qui ne l’empêchait pas, d’éditer, de fabriquer des livres très beaux et très luxueux, comme par exemple l’Œuvre originale de Vivant Denon, suite de 317 planches en noir et en sanguine (300 fr.) ; la Galerie théâtrale, collection de 144 portraits d’acteurs et d’actrices, depuis 1552 jusqu’à nos jours, gravés en pied, coloriés au pinceau et rehaussés d’or et d’argent fin (200 fr.) ; l’Âne de Lucius de Patras, avec figures dans le goût antique ; la Neuvaine de Cythère, de Marmontel, etc., etc.

De ce dernier ouvrage il possédait quelques exemplaires sur peau vélin de veau au prix de 600 francs.

Barraud avait eu plusieurs fois des démêlés avec la justice, principalement à l’occasion d’une réimpression des Contes de La Fontaine, édition dite des Fermiers généraux. Il avait, comme les libraires du XVIIIe siècle, le goût des publications clandestines. Du temps de Diderot et de Crébillon fils, il n’aurait pas manqué de tâter de la Bastille ; de notre temps, il tâta du moins de la Conciergerie.

PASSEPORT DE POÈTE

Au temps des passeports, Joséphin Soulary dicta son signalement en ces termes à un employé de préfecture :

Taille haute. Âge : quarante ans.
Né dans Lyon. Visage ovale.
Cheveux et barbe grisonnants.
Front élevé. Teint un peu pâle.
Yeux gris-bleu. Bouche au coin moqueur.
Nez original. Menton bête.
Signe particulier : du cœur.
Nature du crime : poète.

Joséphin Soulary est du bois dont on fait les académiciens… dans cette Académie française idéale que préside Molière, et où règnent Brizeux et Théophile Gautier.

JULES VALLÈS À ROUEN

Les Rouennais n’aiment pas Jules Vallès. Pourquoi cela ? On ne saurait leur ôter de l’idée que l’auteur des Réfractaires a voulu les mystifier lors d’une visite qu’il leur fit autrefois.

Il avait annoncé une conférence sur Corneille. Corneille tout court. Son début fut celui-ci :

« Le plus grand des deux Corneille, vous devinez, comprenez bien, Messieurs, qu’il s’agit de Thomas. »

Le tollé fut général.

Eh bien ! Vallès parlait sérieusement. Il était convaincu de la supériorité de Thomas sur Pierre, et il essayait de le prouver en citant des vers d’Ariane, du Comte d’Essex, etc., qui, selon lui, valaient infiniment mieux que ceux de Sertorius, d’Agésilas ou de Pertharite.

DES VERS DE BARBEY D’AUREVILLY

Barbey d’Aurevilly est peu connu comme poète. Il a cependant sacrifie à la Muse. Mais quelle Muse ! Il a raconté, en strophes brûlantes et flambantes, ses luttes corps à corps avec… l’eau-de-vie.

Je pris pour maître un jour une rude maîtresse,
Plus fauve qu’un jaguar, plus rousse qu’un lion !
Je l’aimais ardemment, âprement, sans tendresse,
Avec possession plus qu’adoration !
Je ressentais pour elle un amour de corsaire.
Un amour de sauvage, efîréné, fol, ardent !
Cet amour qu’Hégésippe avait dans sa misère,
Qui nous tient lieu de tout quand la vie est amère,
Et qui fit mourir Sheridan !

C’est bien comme cela que je m’imaginais la poésie de l’auteur de l’Ensorcelée et des Diaboliques, avec des claquements de dents et du sang dans les yeux !


PROSPER BLANCHEMAIN

Un Bibliophile, m’accostant sur le quai Voltaire. — Vous l’avez donc laissé mourir, lui aussi ?

Moi. — Qui ?

Le Bibliophile. — Notre bon Prosper Blanchemain. J’ai su la nouvelle avant-hier. Ah ! c’est une vraie perte pour les lettres sérieuses. Comme il leur était dévoué ! Vraiment, c’est s’en aller trop tôt.

Moi. — Je partage votre regret. Prosper Blanchemain était un bibliophile plein de zèle. Son nom demeurera attaché à celui de Ronsard, dont il a donné l’édition la plus complète.

Le Bibliophile. — Si ce n’était que cela ! Mais il a donné, en outre, des éditions d’Olivier de Magny, de Mellin de Saint-Gelais, de Vauquelin des Yveteaux, de François de Maynard, de Tahureau du Mans, etc., etc. Cet érudit était infatigable. Et cependant, il était riche.

Moi. — Oh ! riche !

Le Bibliophile. — Oui. Il possédait un château, le château de Longefont, où il se plaisait à exercer une hospitalité charmante. Un homme ravissant, je vous le répète. Et, lorsqu’il avait fini de rééditer ses chers vieux rimeurs, Prosper Blanchemain se mettait à rimer pour son propre compte, et il n’était pas des moins habiles à ce jeu… Mais, au fait, vous en savez quelque chose, vous à qui il a consacré un de ses plus jolis rondeaux.

Moi, confus. — Comment ! vous vous souvenez…

Le Bibliophile. — Je me souviens du commencement… Attendez donc…

Connu chez la brune et la blonde,
Monselet a la panse ronde.
Gourmand comme trois sénateurs,
C’est le Cupidon des auteurs.
Toujours il mange, il aime, il fronde…

Moi. — Chut ! chut !

Le Bibliophile. — Vous voyez bien que Blanchemain a eu tort de nous quitter et que c’était un galant compagnon.

Moi. — Pauvre Prosper Blanchemain !

HISTOIRE DE FRANCE

L’histoire de France de Le Ragois est, avec celle du P. Loriquet, un monument de haute facétie.

Ceux de ma génération se rappellent encore ce volume relié en veau, illustré dans le texte de gravures grossières représentant tous les rois de France. Autant de rois, autant de médaillons. Sous chacun d’eux un distique, — qui était de la poésie comme le médaillon était de l’art.

Exemples : le distique pour Clovis :

Esclave de Terreur, j’adorai de faux dieux,
Mais mon épouse, enfin, me dessilla les yeux.

Le distique pour Philippe le Bel :

Méconnaissant les droits du trône et de l’État,
De mes exploits guerriers j’ai terni tout l’éclat.

Celui pour Charles IX :

Des factieux puissants, dans ces temps malheureux,
Ont commis sous mon nom mille forfaits affreux.

On voit que Le Ragois ne cherche pas à pallier les torts de la monarchie.

La forme biographique adoptée par lui est celle du catéchisme.

« Quels furent les commencements de ce prince ?

— Très heureux ; il promettait de faire le bonheur de ses sujets et accorda de nombreuses concessions à son peuple. »

« Racontez-nous sommairement les hauts faits de son règne ?

— Il fit trancher la tête à un certain nombre de conspirateurs et ordonna que son frère fût enfermé dans un cloître. »

« N’était-il pas marié ?

— Oui, à une femme artificieuse et cruelle, dont il eut quatre fils, qui furent tous les quatre égorgés par les ordres de leur mère. »

« On lui reconnaissait cependant quelques qualités ?

— En effet, il était très charitable, car, pendant une famine, il fit distribuer aux pauvres toute l’argenterie de Saint-Denis, qu’il avait prise pour les secourir. »

« N’entreprit-il pas quelques guerres ?

— Il fut défait en bataille rangée par les Sarrasins et ne dut son salut qui une prompte fuite. »

« Quelles étaient à cette époque les atomes des rois de France ?

— On prétend qu’ils portaient sur leurs bannières trois crapauds en champ d’argent. »

« Comment mourut-il ?

— Il fut blessé mortellement à la chasse par un sanglier et ne laissa point de postérité. »

Ah ! l’on a une fière idée de la royauté en lisant l’histoire de France de Le Ragois.

MOLIÈRE À LA CAMPAGNE

Le Ciel me préserve de manquer de respect à Molière !

Mais je suis bien forcé de convenir que le grand comique n’avait aucun sentiment du paysage.

On n’a pu découvrir dans toute son œuvre qu’un vers à peu près poétique dans le sens agreste du mot : c’est celui que prononce Orgon, dans le Tartufe :

La campagne à présent n’est pas beaucoup fleurie.

Encore, au moins, Racine s’écrie-t-il par la voix de Phèdre :

Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !

Mais cela ne suffit pas, en vérité, et cette indifférence du grand siècle pour les arbres et les fleurs me remplit d’un étonnement douloureux.

C’est quelquefois plus que de l’indifférence, c’est du dédain, — ainsi qu’en témoigne cette prodigieuse indication de mise en scène qu’on peut lire en tête du prologue du Malade imaginaire :

« Le théâtre représente un lieu champêtre, et néanmoins fort agréable. »



LES DOUZE JOURNÉES
DE LA RÉVOLUTION

Acheté aujourd’hui, sur les quais, les Douze Journées de la Révolution, poème, par Barthélémy (Perrotin, éditeur ; un vol.  in-8° Paris, 1835 ; avec douze eaux-fortes par Raffet, Tony et Alfred Johannot). Des merveilles !

L’auteur de Némésis est déjà presque un oublié, mais ce ne sera jamais un dédaigné, car son vers est superbe, — bien supérieur à celui de Méry, son collaborateur. Pourtant Méry a emporté la meilleure part de cette collaboration : c’est que Méry avait plus de brillant, de chatoyant, de superficiel.

Il ne me paraît pas que les Douze Journées de la Révolution aient eu un grand retentissement lors de leur apparition. Le public a été injuste comme souvent, car il s’agissait d’une belle œuvre, écrite dans une belle langue.

Les Douze Journées sont divisées de la sorte : le Jeu de Paume, la Bastille, le Peuple à Versailles, le Peuple aux Tuileries, le Peuple roi, les Prisons, la Mort de Louis XVI, les Girondins, la Chute de Robespierre, le Peuple à la Convention, Bonaparte, Saint-Cloud.

Pour donner une idée de la poésie de Barthélémy, je n’ai qu’à prendre au hasard, — ce morceau, par exemple, de la journée du 10 Août :

C’est ainsi qu’en tombant craque une monarchie.
Vous qui lisez, voyez que de débris il faut
Pour faire une charpente au royal échafaud !
Ces trois mille martyrs, trois mille en quelques heures,
Ont rougi le pavé des royales demeures ;
Trois mille renversés avec la balle au front,
Qu’à leur foyer du soir les mères pleureront.
Et, pendant que leurs corps ensanglantent la fange.
Dites, que fait le roi, le roi de France ? il mange.
Tel est leur héroïsme : abrutis sur leur sort.
Les rois, comme les bœufs, mangent devant la mort.

Ce dernier trait n’a rien de forcé. Arrivé dans la loge du Logographe, au moment où sa royauté tombait sous le canon du 10 Août, le premier soin de Louis XVI fut de se faire servir à dîner.

Au retour de Varennes, il lui fallut deux repas copieux.

Citons encore ces vers, — qui ne sont pas moins beaux que les précédents :

Un glaive pend toujours sur les têtes régnantes,
Et la moitié des rois meurent de morts saignantes.
Ils ont beau se vêtir de cuirasses d’airain,
Quand leur dernier jour sonne au cadran souverain,
Le spectre inexorable entre sous leur alcôve.
Piété, repentir, vertus, rien ne les sauve.
En vain, l’âme abattue et le frisson au sang,
Dès que sur leurs palais un nuage descend,
Vers le ciel électrique ils tendent les mains jointes :
La couronne des rois est un cercle de pointes ;
Ils offrent un aimant à l’éclair sulfureux ;
Dès que la foudre passe, elle tombe sur eux.

On peut juger maintenant.

Les Douze Journées de la Révolution, c’est une coulée de bronze.

LA SOCIÉTÉ DES AMIS DES LIVRES

Un catalogue de livres en vente aux prix marqués tombe sous mes yeux, et j’y lis ceci :

Murger (Henry). Scènes de la Bohème, Paris, un vol. , publication de la Société des Amis des livres, 150 francs.

Cent cinquante francs !

Qu’est-ce qu’aurait dit Murger en se voyant édité à un prix aussi triomphant ?

La Société des Amis des livres, d’institution récente, est une réunion de cinquante amateurs, pas davantage. Les dames peuvent en faire partie, — témoin Mme Edmond Adam. Je relève au hasard, parmi les noms des fondateurs : MM. Eugène Paillet, Charles Cousin, Octave Uzanne, le duc de Rivoli, le duc d’Aumale, Henri Houssaye, le baron de Saint-Geniès, Sixdeniers, le docteur Cusco, etc., etc.

La société a pour but de publier de beaux livres, — tout simplement, — « qui, par leur illustration et par leur exécution typographique, soient un encouragement aux graveurs aussi bien qu’un motif d’émulation pour les imprimeurs français ».

Ces livres sont choisis en assemblée générale. Jusqu’à présent, elle n’en a publié que trois : la Chronique de Charles IX, par Prosper Mérimée, les Scènes de la Bohème, et le Fortunio de Théophile Gautier.

Veut-on avoir une idée des conditions de luxe suprême et de curiosité dans lesquelles ces livres sont exécutés ? Prenons Fortunio. Le chef-d’œuvre de Théo est orné de douze compositions dessinées et gravées à l’eau-forte par Milius, tirées avant la lettre en doubles épreuves sur vélin et sur japon ; — plus, de quatre-vingt-un petits dessins d’Avril, fleurons, culs-de-lampe et lettres, en doubles épreuves aussi, noir et bistre, sur chine volant. Le caractère a été fondu exprès et le papier fabriqué spécialement ; il porte dans son filigrane : Société des Amis des livres.

Allons, les Fermiers généraux sont retrouvés.

Malheureusement, ces livres exceptionnels ne sont édités qu’à cent exemplaires, dont la plupart sont souscrits par les sociétaires eux-mêmes. Ceux qui se glissent dans le commerce ou qui apparaissent dans les ventes publiques atteignent sur-le-champ à des chiffres fabuleux.

Je n’ai à reprendre qu’un seul article aux statuts de la Société des Amis des livres, mais il est mélancolique en diable :

Art. XI. — Les Amis des livres seront invités à assister aux obsèques des membres de l’association par une convocation du secrétaire.

RÉTIF DE LA BRETONNE

Qui est-ce qui ne va pas être content ? C’est M. Émile Zola, en apprenant qu’on réimprime Rétif de la Bretonne, le Zola du XVIIIe siècle, l’ancêtre du naturalisme, l’auteur du Paysan perverti, des Contemporaines, des Françaises, des Parisiennes, du Palais-Royal, du Drame de la vie, du Pornographe, des Nuits de Paris, etc., etc., et de plus de cinquante autres ouvrages marqués tous au coin de la plus brutale réalité.

Si M. Émile Zola espérait bénéficier de l’oubli profond qui semblait envelopper Rétif de la Bretonne, il s’est mis, comme on dit vulgairement, le doigt dans l’œil ; on va connaître maintenant les origines de l’Assommoir, du Ventre de Paris et de Pot-Bouille.

Rétif de la Bretonne, que, de son vivant, on appelait le romancier des femmes de chambre, le Rousseau des halles, l’écrivain dont les œuvres honnies et méprisées ont traîné si longtemps sur les parapets des quais, dans la boîte à quatre sous des bouquinistes, se voit aujourd’hui réimprimé à grands frais et à grand luxe.

Quant à ses éditions originales, elles sont hors de prix. Le libraire Auguste Fontaine, du passage des Panoramas, après maintes années de recherches, est parvenu à en réunir la collection complète, et l’a vendue, il y a quelque temps, au prix de vingt mille francs.

À l’heure qu’il est, des libraires qui hésiteraient devant une réimpression des Mémoires de Saint-Simon ou de la Somme de saint Thomas, n’ont pas hésité devant la réimpression du Monsieur Nicolas, en quatorze volumes, de Rétif de la Bretonne.

Monsieur Nicolas, conçu dans le goût des Confessions de Rousseau, comprend l’histoire générale de la vie de Rétif, de ses relations et de ses aventures secrètes et publiques. La première partie, consacrée à la peinture de son enfance au sein des campagnes de la basse Bourgogne, est une idylle d’une forte venue, odorante et chargée de fleurs sauvages, comme un buisson au printemps. Les pages qui suivent n’ont plus cette âpreté naïve, et, plus on avance dans la vie du héros, plus on regrette de le voir grandir ; ses amours sont racontées avec une verdeur de langage qui n’a été égalée que par son contemporain Casanova.

Du vivant de l’auteur, Monsieur Nicolas eut peu, très peu de succès. La publication en dura trois ans, — de 1794 à 1797, — et fut plusieurs fois interrompue, faute de ressources. L’époque, d’ailleurs, n’était pas favorable à la littérature. Les Allemands seuls, qui sont toujours restés fidèles à Rétif et à Mercier, s’intéressèrent à Monsieur Nicolas, comme l’atteste cet extrait d’une lettre de Schiller à Gœthe :

Avez-vous lu par hasard le singulier ouvrage de Rétif : Monsieur Nicolas, ou le Cœur humain dévoilé ? En avez-vous du moins entendu parler ? Je viens de lire tout ce qui en a paru, et, malgré les platitudes et les choses révoltantes que contient cet ouvrage, il m’a beaucoup amusé. Je n’ai jamais rencontré une nature aussi violemment sensuelle ; il est impossible de ne pas s’intéresser à la quantité de personnages, de femmes surtout, qu’on voit passer sous ses yeux, et à ces nombreux tableaux caractéristiques qui peignent d’une manière si vivante les mœurs et les allures des Français.

Il est impossible qu’un ouvrage ainsi recommandé par un homme de la valeur de Schiller n’excite pas la curiosité de la génération actuelle.

C’est égal, avoir songé à réimprimer Monsieur Nicolas… Nous vivons dans un drôle de temps.

LE NATURALISME

Il y a des gens qui croient avoir inventé quelque chose et qui n’ont rien inventé du tout. Le naturalisme avait des cheveux blancs au XVIIIe siècle. La Pipe cassée a précédé l’Assommoir, et la fessée de Virginie avait eu déjà Vadé pour Homère.

Cette période abonde en documents humains.

On vient d’en réimprimer un des plus curieux, le Théâtre des boulevards, qui se compose de vingt-cinq ou vingt-six pièces dont les titres feront connaître le genre : Léandre fiacre, la Chaste Isabelle, Ah ! que voilà qui est beau ! l’Amant « cochemard, » le Marchand de m…, le Doigt mouillé, le Chapeau de Fortunatus, Isabelle double, la Vache et le Veau, Léandre grosse, le Bonhomme Cassandre aux Indes, etc., etc.

Jusqu’à présent, ces pièces ou plutôt ces parades avaient passé pour être de Collé, de Piron, de Moncrif, de Fagan ; aujourd’hui, l’éditeur de cette nouvelle édition, se basant sur des renseignements inédits, essaye d’en attribuer la paternité exclusive à Gueullette. J’hésite à adopter le récit de M. Georges d’Heylli ; il faudrait renoncer aux affirmations de Collé, aussi bien situé que personne pour être informé.

Quoi qu’il en soit, ces bouffonneries méritent d’être lues comme modèles du ton populacier au XVIIIe siècle.

J’en veux donner un échantillon, extrait de la Chaste Isabelle. Cette Isabelle est une fieffée coquine qui fait tourner la tête au vieux roquentin Cassandre.

Isabelle. — Bonjour, mon mignon, mon tout ; je parie que vous pensiez à moi.

Cassandre. — Vous l’avez deviné, ma charmante. À propos, savez-vous bien que j’aurais fort voulu danser moi-même hier, car il m’en coûta six blancs pour le vielleux.

Isabelle. — Je le crois bien, vraiment, mon cher Cassandre, et je n’aime pointa vous voir comme ça dépenser votre argent.

Cassandre. — Vous m’enchantez en discourant ce discours, adorable mignonnette ; mais montons cheux vous.

Isabelle. — Oh ! pour le présent, je ne puis ; mais, si vous voulez venir ce soir à huit heures, je vous donnerai à souper.

Cassandre. — Vous me donnerez à souper ! Vous êtes adorable ; jamais je n’ai connu rien de si charmant que vous.

Isabelle. — Vous m’aimez donc bien ?

Cassandre. — Je crève d’amour, voyez comme je tousse.

Isabelle. — Je puis donc, cela z’étant ainsi, vous prier de me faire un plaisir.

Cassandre. — Parlez, mignonne, que puis-je faire ?

Isabelle. — Mon bon ami, vous pouvez me prêter dix écus ?

Cassandre. — Mais savez-vous bien que ce sont trente livres ?

Isabelle. — Oui, mon cher z’amant, c’est à cause que je le sais que je vous prie de me les prêter ; je n’ai point z’assez de quoi vous donner à souper.

Cassandre. — Je ne me soucie point de faire bonne chère, moi ; la sobriété donne la santé, et la santé est le plus grand de tous les biens. Une salade et ce qu’on aime me suffisent à merveille.

Isabelle. — Mais ce n’est pas encore tant pour souper, c’est pour avoir deux chaises et une table.

Cassandre. — Nous nous en passerons, nous souperons sur le lit.

Isabelle. — J’ai trop d’honneur pour vous recevoir comme ça ; je croyais que vous m’aimiez, mais vous ne m’aimez point. Je suis bien malheureuse !

Cassandre. — Eh bien ! ma chère, je n’y puis plus tenir. Voulez-vous quinze francs ?

Isabelle. — Non, vous ne m’aimez pas, je me suis bien trompée.

Cassandre. — En bonne foi, je ne puis donner davantage, pensez-y bien.

Isabelle, pleurant. — Non. Hi ! hi !

Cassandre. — Je m’en vas, je ne puis vous voir ainsi dans l’affliction.

Isabelle. — Hi ! hi ! hi !

Cassandre. — Allons, il faut être raisonnable aussi et diminuer quelque chose de votre côté. Je mettrai vingt francs, et c’est tout ce que je puis faire.

Isabelle. — Et moi, je ne le puis, en conscience. On aime, et voilà ce qui vous arrive !

Cassandre. — Mais aussi, trente francs !

Isabelle. — Je ne les vaux pas, n’est-ce pas ? Hi ! hi !

Cassandre. — Vous valez tout ce qu’on peut valoir. Mais trente francs !

Isabelle. — Il n’y a qu’un mot qui serve : le voulez-vous ? ne le voulez-vous pas ?

Cassandre. — Jugez par là de l’excès de mon amour. Tenez !

Isabelle. — Mais il n’y en a que quinze ?

Cassandre. — Je donnerai le reste après souper.

Isabelle. — Cela étant, il n’y a rien de fait. Quoi ! vous avez de l’estime pour moi, et vous ne vous fiez pas à votre Isabelle ?

Cassandre. — Voilà donc les quinze autres.

Isabelle. — À ce soir donc, à huit heures

sonnantes. Je vous attends. Frappez à la porte, et prenez bien garde d’être aperçu.

Cassandre. — À ce soir, ma mignonne, je n’ai garde d’y manquer. Trente francs ! Ce que l’amour fait faire ! Dix écus !

Ma foi ! c’est d’un bon et vert comique. (J’ai dû rogner un peu sur la verdure.)

Théophile Gautier, en quête d’un scénario, n’a pas dédaigné d’en emprunter un au Théâtre des boulevards. Son Tricorne enchanté n’est autre que le Chapeau de Fortunatus, accommodé à la sauce aux rimes.

COUTEAUX À PAPIER

Charles Asselineau, qui tint un des derniers « bureaux d’esprit » parisiens, avait une collection de couteaux à papier sur lesquels il inscrivait les vers les plus excessifs de l’école contemporaine, — et surtout de l’école dramatique.

Ponsard y était largement représenté :

Quand la borne est franchie, il n’est plus de limites.

L’Honneur et l’Argent.

Chez elle, en ses salons, chaque parti se touche.

Le Lion amoureux.

Que ne puis-je saisir mon cœur dans ma poitrine,
L’écraser contre terre et fouler sa ruine !

Id.

Émile Augier brillait par deux citations :

Ma chère, fais-nous donc ce machin au fromage.

Gabrielle.

La mort de ce vaurien au ventre m’a fait chaud !

Philiberte.

Enfin, pêle-mêle :

Le vrai de l’amitié, c’est de sentir ensemble.

Sully Prudhomme, les Vaines Tendresses.

Seigneur, le roi s’avance avec vingt mille francs !

Viennet, Arbogaste.

Et les renâclements sourds des fauves onagres.

A. Villiers de l’Isle-Adam.

Une connexité grandiosement calme.

P. Verlaine.

Un couteau à papier d’honneur était affecté à ce refrain de Lambert Thiboust que Théodore de Banville n’a pas craint de qualifier « un des plus grands cris lyriques du XIXe siècle » :

Vite à la besogne,
Oui-da !
La petite Pologne,
La v’là !

RÉSURRECTIONS

Julie, on J’ai sauvé ma rose ; Ma tante Geneviève, ou Je l’ai échappé belle ; Thémidore, Ma vie de garçon, les Matines de Cythère, etc., etc., voilà les ouvrages qui s’étalent actuellement aux vitrines des libraires du boulevard. Cela donne tout de suite à une nation un petit air gaillard et rassurant.

La plupart de ces productions sont des réimpressions du XVIIIe siècle. Et moi qui avais la candeur de croire autrefois que toutes ces fadaises étaient destinées à disparaître, que toutes ces fanfreluches devaient être, dans un temps donné, emportées par le vent de l’oubli !

Je comptais sans les bibliophiles spéciaux et sans les éditeurs belges. Ces éditeurs belges sont de bonnes gens, en vérité, tout dévoués à nos amusements, et très soucieux d’entretenir le feu sacré sur l’autel de Vénus.

UNE SAYNÈTE D’HERVÉ

Je parlais l’autre jour de quelques titres de pièces vraiment stupéfiants.

Il m’en revient un : Agamemnon, ou le Chameau à deux bosses parfaitement mité.

C’est une saynète que j’ai vu représenter sur l’ancien théâtre des Folies-Nouvelles.

Les deux principaux personnages figuraient les pattes de devant et les pattes de derrière de l’animal, et se querellaient en un duo des plus sémillants. Agamemnon, — enfermé on ne sait pourquoi dans le corps du quadrupède, — chantait une cavatine à travers une lucarne qui s’ouvrait sous la queue de la bête…

L’auteur de cette irrévérencieuse fantaisie (est-il besoin de le demander ?) était M. Hervé, qui préludait de la sorte aux triomphes de l’Œil crevé et de Chilpéric.

UNE CHARADE DE PONSARD

Puisque le répertoire de Compiègne revient sur l’eau (exemple : les Portraits de la Marquise) recommandons aux directeurs de théâtre la pièce suivante :

Harmonie (Arme-au-Nid), charade en trois tableaux, de Ponsard, jouée au palais de Compiègne, en présence de Leurs Majestés, le 15 décembre 1863.

Cette facétie d’un écrivain pesamment enjoué a été imprimée par l’Imprimerie impériale et tirée à cent exemplaires pour les invités de Compiègne, avec la liste de leurs noms.

Un exemplaire s’en trouvait dans la bibliothèque de Jules Janin.

HISTORIETTES

Que le cœur de Philibert Audebrand soit joyeux !

J’ai recueilli sur les quais, — moyennant un prix fort décent, ma foi, — un de ces petits volumes devenus de toute rareté : Historiettes, par René de Rovigo et Philibert Audebrand (Martinon, libraire, 1851).

La date de cette plaquette lui donne un attrait très vif ; les épigrammes y pleuvent dru sur le président Louis Bonaparte, — qui préparait alors le coup d’État.

Il y a aussi d’amusantes anecdotes. Philibert Audebrand est le premier anecdotier de France, comme La Tour d’Auvergne en était le premier grenadier.

UN COMPTE RENDU DE JULES JANIN

Nous avons aujourd’hui d’excellents chroniqueurs de théâtre, des critiques savante et spirituels ; — mais où sont les triomphants feuilletonistes du lundi, les feuilletonistes d’autrefois ?


Qui est-ce qui oserait aujourd’hui rendre compte d’une pièce comme le faisait Jules Janin en 1832 ?

J’ai le feuilleton du Journal des Débats sous les yeux. La pièce était un mélodrame qui s’appelait Jenny Durand.

Jenny aime M. Alfred, M. Alfred aime Jenny. Quand M. Alfred a dit à Jenny : « Je t’aime, Jenny ! » Jenny a répondu à M. Alfred : « Vous êtes fiancé à Mlle Louise, Alfred.» À quoi Alfred a répondu : « Cela ne fait rien, Jenny. » Mais Jenny a dit à Alfred : « Cela fait beaucoup, Alfred. » Alors, survient la mère d’Alfred, qui dit : « Cela fait beaucoup, Alfred. » Puis, Alfred dit : « Adieu, Jenny ! »

Jenny va retrouver Alfred chez le père d’Alfred, pour l’engager à l’oublier, elle, Jenny. Mais, dans

l’intervalle, Alfred revient chez Jenny, et lui dit : « Je ne puis pas t’oublier, Jenny ! » À quoi elle répond : « Oublie-moi, Alfred ! » Puis il lui dit : « Je veux t’enlever, Jenny ! » Elle répond : « Puisque tu le veux, enlève-moi, Alfred ! » Et Alfred enlevait Jenny, quand sont rentrés le père de Jenny, qui a dit : « Ne me l’enlevez pas, Alfred ! » et la mère de Jenny, qui a crié : « Ne nous quitte pas pour Alfred, Jenny ! »

On a sifflé Alfred, on a sifflé Jenny !

Amusantes folies !

C’était le bon temps alors, — le temps des escapades romantiques !

MAC-MAHON
(DRAME EN TROIS ACTES)

Je reçois par la poste une pièce de théâtre imprimée qui porte ce titre :

MAC-MAHON
OU LA GRANDE-BRETAGNE SOUS CROMWELL
Drame historique en trois actes et quatre tableaux,
dont un prologue, par Max-Robert de Saulnier.
(Paris, chez tous les libraires, 1877.)

Une note apprend au lecteur que ce drame a été représenté pour la première fois sur le théâtre de Mostaganem le 18 mai 1876, et qu’il a été autorisé par MM.  les préfets d’Oran, d’Avignon et de Montpellier.

Avis aux directeurs parisiens.

MANON LESCAUT

Il faut bien le dire : c’est surtout au XIXe siècle qu’appartient la gloire d’avoir compris Manon Lescaut et d’avoir placé ce chef-d’œuvre dans la lumière qui lui est propre, sans l’exagérer, entre la sympathie des lettrés et la curiosité des mondains, sous l’abri des bibliophiles. Le XIXe siècle en a bien fait d’autres ; sans parler de Shakespeare et de Dante, auxquels il a reconstitué une renommée assise pour l’éternité, il a retrouvé le Neveu de Rameau, égaré dans les papiers de Goethe. Ce sont là des services inestimables.

Manon Lescaut parut pour la première fois en 1733, sous la rubrique d’Amsterdam. Ces deux petits volumes s’annonçaient comme une suite aux Mémoires et Aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde. Il semble que le succès s’en soit établi sur-le-champ, du moins auprès des délicats. Voltaire, aux yeux de qui rien de ce qui avait une valeur littéraire ne passait inaperçu, est le premier qui en ait parlé dans cette même année 1733. « Le tendre et passionné auteur de Manon Lescaut », dit-il dans une lettre à Thiriot. Voilà l’abbé Prévost apprécié et peint en deux mots.

À cette époque, l’abbé Prévost avait trente-trois ans, l’âge des chefs-d’œuvre, — ou du chef-d’œuvre. Il avait déjà beaucoup vécu et beaucoup écrit ; ses livres se débitaient sans lui rapporter grand profit. Manon Lescaut fixa sa réputation.

Les critiques n’ont pas manqué au livre et à l’auteur, mais les éloges ont dominé. Cet ours de Jean-Jacques Rousseau lui-même a parlé en termes enthousiastes de l’abbé Prévost dans les Confessions. Il l’avait rencontré à Passy, chez un ami commun, et il avait été captivé.

C’était un homme très aimable et très simple, — a-t-il dit, — dont le cœur vivifiait ses écrits dignes de l’immortalité, et qui n’avait rien dans l’humeur ni dans la société du sombre coloris qu’il donnait à ses ouvrages.

Peste ! Jean-Jacques n’était pas aimable comme cela avec tout le monde, et son suffrage doit être haut compté.

De nos jours, un grand nombre d’écrivains ont consacré des pages éloquentes ou ingénieuses à Manon Lescaut : Sainte-Beuve, Jules Janin, Gustave Planche, Michelet, Arsène Houssaye, John Lemoinne, etc.

Un des premiers, en pleine période romantique, Alfred de Musset avait dédié à l’ange de Saint-Lazare ces deux strophes de son poème de Namouna :

Manon ! sphinx étonnant ! véritable sirène !
Cœur trois fois féminin ! Cléopâtre en paniers !
Quoi qu’on dise ou qu’on fasse, et bien qu’à Sainte-On
ait trouvé ton livre écrit pour les portiers, [Hélène
Tu n’en es pas moins vraie, infâme, et Cléomène
N’est pas digne, à mon sens, de te baiser les pieds !

Tu m’amuses autant que Tiberge m’ennuie.
Comme je crois en toi ! que je t’aime et te hais !
Quelle perversité ! quelle ardeur inouïe
Pour l’or et le plaisir ! Comme toute la vie
Est dans tes moindres mots ! Ah ! folle que tu es,
Comme je t’aimerais demain, si tu vivais.

Longtemps après, moi-même, — si j’ose me citer en si noble compagnie, — j’ai écrit une Lettre à Manon Lescaut.

Cette lettre commençait ainsi :

Ma chère Manon, — vous êtes plus que jamais à l’ordre du jour, à Paris ; vous continuez à faire école ; on ne rencontre à chaque pas que des jeunes filles, jolies comme vous, engageantes comme vous, et qui ne font qu un saut du wagon provincial (le coche n’existe plus) dans le coupé parisien. Elles se font voir au bois de Boulogne avec M. de B…, — à la comédie avec M. de G… M… père, — au restaurant avec M. de G… M… fils, ce qui leur laisse moins de temps qu’à vous pour demeurer cachée avec des Grieux.

Vous avez déjà plusieurs questions sur les lèvres, ma chère Manon. La première, naturellement, est : « Sont-elles jolies ? »

Sont-elles jolies ? Je le crois bien ! Jolies malgré tout et en dépit de tout. Elles n’ont rien à envier sous ce rapport au XVIIIe siècle : ce sont les mêmes petites mains, les mêmes petits pieds, la même petite bouche. Moreau le Jeune, et Binet, le dessinateur de la Paysanne pervertie, prendraient plaisir à retrousser ce nez, à poteler cette joue, à ourler cette oreille, à mettre une grâce là, une lutinerie ici. On n’est en droit de reprocher à leur physionomie qu’un peu de froideur voulue, — reflet des importations britanniques, mais impuissant à effacer la marque parisienne.

Leur toilette (vous redoublez d’attention, chère amie), bien que d’ordre composite, comme notre architecture, comme notre musique, comme notre

littérature, ne laisse pas d’être adorablement folle. Chapeaux trop petits ou trop grands, robes trop longues ou trop courtes, trop larges ou trop étroites, manteaux droits à la Watteau, ceintures effrontément dorées, bas de soie éternellement agaçants, tout cela, — colère des bourgeois, envie des duchesses ! — amuse extraordinairement le regard. Rien de délicieux comme le ridicule dans les modes…

Aujourd’hui, voici le tour de M. Alexandre Dumas fils.

M. Alexandre Dumas fils a été prié d’écrire une préface pour Manon Lescaut par des libraires très jeunes qui ont jeté une quarantaine de mille francs dans une édition merveilleuse du chef-d’œuvre de l’abbé Prévost.

Messieurs, vous croyez qu’il peut être intéressant de connaître l’opinion de l’auteur de la Dame aux Camélias sur Manon Lescaut.

Ainsi commence modestement M. Dumas fils.

Comme tout ce qui sort de la plume du nouvel académicien, ce morceau est à, la fois brillant, spirituel et hardi. Hardi surtout. Je ne sais, — avant ou après M. Alexandre Dumas fils, — que M. Barbey d’Aurevilly pour déshabiller la vérité avec des ongles aussi acérés, tellement acérés et crochus qu’il y reste souvent des lambeaux de chair ensanglantée.

M. Alexandre Dumas fils est du parti de Manon Lescaut contre la société. Il la considère comme une espèce nécessaire à l’épuration morale, — quelque chose de semblable à l’hirondelle, qui assainit l’espace en dévorant les moucherons.

Je me range volontiers à ce point de vue. Il en est même quelques autres sur lesquels je suis aise de m’être rencontré avec l’auteur de la nouvelle préface. Peut-être un peu plus que lui avais-je insisté sur les diversités de la décadence des petites-filles de Manon Lescaut.

L’amour vrai qui ne perd jamais ses droits, — disais-je, — vient quelquefois les visiter à leur déclin ; et alors malheur à celles dont il s’empare à l’âge des visites chez l’épileuse ! Les tristes drames et les violentes douleurs qui s’accomplissent dans l’alcôve inopinément purifiée ! Les terribles vengeances qui se jouent au bénéfice de l’impassible Vertu, — même après la Courtisane amoureuse de Jean de La Fontaine, même après la Marion Delorme, de Victor Hugo, même après la Coralie et l’Esther de Balzac ! Si elles se sont enrichies, elles se ruinent ; si elles ont fait souffrir, elles souffrent ;

si elles ont été de marbre, l’amour vengeur les fait de flamme, et dans leurs yeux suppliants il allume dérisoirement l’ardeur insensée des bacchantes !

Aussi y en a-t-il qui finissent comme vous, Manon, héroïquement et chrétiennement. C’est l’exception, je le sais, mais elle est radieuse. On a dit que le ciel était plus en fête au jour de la conversion d’un pécheur qu’au jour de la mort d’un juste. Cette pensée est trop humaine pour ne pas faire sourire ; — et pourtant ?…

J’ajoutais encore :

L’aimable et cruel philosophe qui s’appelle Gavarni me paraît avoir un peu forcé les traits de leur chute. Toutes ne balayent pas les rues, toutes ne portent pas au-devant d’elles un éventaire à poissons. Pour cinq ou six qui s’asphyxient ou se noient par année, pour d’autres qui meurent gardes-malades, combien en verriez-vous qui, parvenues à leur maturité, entrent paisiblement et discrètement dans le monde, comme quelqu’un qui, voyant passer un cortège, sort de la foule des curieux et se mêle au convoi ? Elles prennent la suite des sages et des heureuses ; remarquées d’abord, elles s’effacent insensiblement, se confondent, et finissent par ressembler à tout le monde. Le temps les recouvre ensuite de son vaste manteau d’indulgence.

M. Anatole de Montaiglon, dans la très savante et très complète notice bibliographique qui accompagne la préface de M. Dumas fils, a bien voulu me signaler parmi les littérateurs qui lui semblent le plus aptes à écrire la vie exacte et détaillée de l’abbé Prévost. Je le remercie de cette bonne opinion. Oui, j’ai souvent rêvé devant cette figure sympathique et complexe ; — et, puisque M. de Montaiglon veut bien me prendre à partie, je lui dirai, à lui qui s’est mis avec un zèle extrême à la recherche de tous les portraits peints ou gravés de l’abbé Prévost, que j’ai été particulièrement entretenu dans mes velléités biographiques en contemplant un délicieux portrait miniature faisant partie de la très précieuse galerie de M. Opigez-Gagelin. L’auteur de Manon Lescaut est là représenté plus jeune que dans les images de Cochin fils et de Schmidt. Il a la grâce, le sourire, la lèvre en fleur, le regard en perles, l’aimable port de tête, les cheveux librement bouclés…

Pauvre grand homme ! Sous cette physionomie éclairée se cachaient bien des douleurs.

Il gagnait péniblement sa vie, ainsi que le prouve une lettre adressée à Voltaire en un jour de désespoir. Dans cette lettre, dont chaque ligne est une plainte, il se propose au grand polygraphe pour écrire une brochure apologétique. Mais ce n’est là que le prétexte. Le véritable objet est un emprunt de cinquante louis qu’il sollicite de Voltaire.

Voici le tableau cruel que l’abbé Prévost trace de sa situation.

Le dérangement de mes affaires est tel que, si le Ciel ou quelqu’un inspiré de lui n’y met ordre, je suis à la veille de repasser en Angleterre. Je ne m’en plaindrais pas si c’était ma faute ; mais depuis cinq ans que je suis en France, avec la protection d’un prince du sang qui me loge dans son hôtel, je suis encore sans un bénéfice de cinq sous. Je dois environ cinquante louis, pour lesquels mes créanciers réunis m’ont fait assigner, etc. ; et le cas est si pressant qu’étant convenu avec eux d’un terme qui expire le premier du mois prochain, je suis menacé d’un décret de prise de corps si je ne les satisfais dans ce temps. De mille personnes opulentes avec lesquelles ma vie se passe, je veux mourir si j’en connais une à qui j’aie la hardiesse de demander cette somme, et de qui je me croie sûr de l’obtenir.

Il offre à Voltaire, en garantie de ces cinquante louis, une délégation sur ses libraires.

Je finis, Monsieur, car voilà, en vérité, une lettre fort extraordinaire ; je me flatte qu’autant je trouverai du plaisir à me vanter du bienfait, si vous me l’accordez, autant vous voudrez bien prendre soin d’ensevelir ma prière, si quelque raison, que je ne chercherai pas même à pénétrer, ne vous permet pas de la recevoir aussi favorablement que je l’espère. Mais, dans l’un ou l’autre cas, vous regarderez, s’il vous plaît. Monsieur, comme un de vos plus dévoués serviteurs et de vos admirateurs les plus passionnés

L’abbé Prévost.

Cette lettre, si digne dans sa tristesse, est datée du 15 janvier 1740.

La réponse de Voltaire est du mois de juin. Quatre mois de réflexion ! Elle est d’un ton dégagé qui contraste avec le style sévère de l’abbé Prévost.

Je voudrais, dit-il, être prince ou fermier général, pour avoir la satisfaction de vous marquer une estime solide. Mes affaires sont actuellement fort loin de ressembler à celles d’un fermier général, et sont presque aussi dérangées que celles d’un prince… Mais sitôt que je verrai jour à m’arranger, soyez très persuadé que je préviendrai l’occasion de vous servir avec plus de vivacité que vous ne pourriez la faire naître. Rien ne me serait plus agréable et plus glorieux que de pouvoir n’être pas inutile à celui de nos écrivains que j’estime le plus.

Du reste, aucune excuse pour un aussi long retard, alors que le pauvre abbé invoquait l’urgence en termes si pressants (la saisie ! la prise de corps !). C’est de l’eau bénite de cabinet, pas autre chose.

Et cependant Voltaire était sincère dans l’expression de ses sentiments d’estime pour l’abbé Prévost. Il le considérait beaucoup, et prisait fort sa critique, à laquelle il reconnaissait un caractère d’honnêteté et de politesse.

Remerciez, — écrivait-il à Thiriot, — remerciez, je vous en prie, de ma part, l’auteur du Pour et Contre des éloges dont il m’a honoré, je suis bien aise qu’il flatte ma vanité, après avoir si souvent excité ma sensibilité par ses ouvrages.

Cet homme-là était fait pour me faire éprouver tous les sentiments.

Aussi, je le répète, c’est beaucoup, c’est énorme, d’avoir eu pour soi l’appréciation et la sympathie de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau.

Deux malins, — qui ont vu juste et loin en toutes choses !

Les autographes de l’abbé Prévost sont très rares.

J’en connais un qui a appartenu à M. le vicomte de Falloux. C’est une lettre adressée par l’abbé Prévost à M. de La Chalotais ; il lui demande sa protection pour un de ses amis. Je me contenterai d’en citer le « post-scriptum » :

Vous aurez à Rennes, dans huit ou dix jours, M. de Locmaria avec milord Stafford et le docteur Procope, c’est-à-dire joyeuse et très aimable compagnie. Je dîne aujourd’hui chez milord Stafford, avec qui je vais boire d’avance au plaisir qu’il aura de vous voir.

Il aimait à boire, le bon abbé ; je m’en étais toujours douté. Ce n’était pas son seul défaut, d’ailleurs.


INDEX ALPHABETIQUE
DES NOMS D’AUTEURS
ET DES OUVRAGES CITÉS


Achard (Amédée). 10.
Almanach des spectacles. (Paris, 1796, 1792. Froullé, édit.) 81.
Almanachs du XVIIIe siècle. (Paris, 1789, chez Langlois.) 163.
Amours d’un épicier parisien (Les). Roman comique. 129.
Anecdotes échappées à l’observateur anglais, etc. 151.
Anglemont (Privat d’). Histoire des sept bohèmes qui n’ont pas de châteaux. 138.
Annales romantiques. (Paris, 1826.) 67.
Arago (Emmanuel). Vers. (Paris, 1832.) 142.
L’Art de ne jamais être tué ni blessé en duel.(1828, librairie franc, et étrang.) 40.
L’Art de se tranquilliser dans tous les événements de la vie. (Strasbourg, 1772.) 13.
Asselineau (Charles). Bibliographie. 26.
Catalogue romantique. 158.
Collection. 200
Audebrand (Philibert). Historiettes. (Paris, 1851.) 205.
Augier (Em.). Vers cités. 200.


Balzac (De). Les Fantaisies de Claudine. 52.
Correspondance. 114.
Splendeurs et Misères des courtisanes, Petites Misères de la vie conjugale. Modeste Mignon. 169.
Balzac (De) père. Mémoires. (Tours, 1807, in-4o.) 120.
Banville (Théodore de). Odes funambulesques. 69.
Les Stalactites. 140.
Esquisses parisiennes. 162.
Barbey d’Aurevilly (Jules). Hector de Saint-Maur. 75.
Le Journal de Gœthe. 111.
Une Vieille Maîtresse. 170.
Poésies. 177.
Barbier (Auguste). 167.
Barème. Pour et Contre l’argent, quatrains. 104.

Barthélemy, Les Douze Journées de la Révolution, poème. (Paris, 1835 ; un vol in-8o.) 185.
Baudelaire (Charles). Les Fleurs du mal. 69.
Éloge du maquillage. 123.
Les Lesbiennes. 140.
Mon cœur mis à nu (manuscrit). 162.
Beauvoir (Roger de). 8, 76.
Belle au bois dormant (La), comédie en cinq actes et huit tableaux, par M. Octave Feuillet. 106.
Bénédit. Le Domino, poème. 56.
Béquet (Étienne). 168.
Béranger. Chansons. 12.
Bertin (Armand). Catalogue des livres et estampes de M. Armand Bertin. 12.
Bertin. Œuvres poétiques du chevalier Bertin. 13.
Bibliothèque de l’École maternelle. Alfred de Musset enfant ! 47.
Bijou de la Reine (Le), comédie en un acte, en vers, par M. Alex. Dumas fils. (Paris, 1845.) 149.
Blanchemain (Prosper). 178.
Boufflers (Chevalier de). Lettre en monosyllabes. 51.
Bouvenne (Aglaüs). Iconographie de Victor Hugo. 77.
Brizeux. 175.
Brunet (Gustave). Lettres de la princesse Palatine. 102.


Caliban, par deux ermites de Ménilmontant (Édouard Pouyat et Ch. Ménétrier, Paris, 1833). 26.
Camp (Maxime du). Lettres sur la Hollande. 69.
Campori (Marquis). Une Victime de l’histoire. 30.
Carmouche. Les Fleurs du château, intermède par Théaulon et Carmouche (1824). 66.
Casanova. Mémoires. 121.
Catalogue des pièces choisies du répertoire de la Comédie-Française. (Paris, 1775.) 12.
Cavaignac (Godefroy). Dubois, cardinal. (Paris, 1831, in-8o.) 139.
Champfleury. 69.
Chasles (Philarète). Portrait de Rachel. 118.
Chasse au roman (La). Jules Sandeau. 169.
Chatterton (Lord). 15.
Chénier (Marie-Joseph). Épître à Demie. 94.
Chronique de Charles IX, Prosper Mérimée. 189.
Code (en vers) (Le), par Remondet-Aubin. (Aix.) 108.
Confessions. J.-J. Rousseau. 211.
Corneille (Les Deux). 176.
Crébillon. Discours de réception à l’Académie. 52.
Curiosité littéraire (La). 38.


Délassements des Jeunes charpentiers, par un vieux Gâcheur troubadour. 43.
Delille (Jacques). La Pitié. 94
Delvau (Alfred). 154.
Dickens. Les Apparitions de Noël. 65.
Douze Journées de La Révolution (Les), poème, par Barthélémy. (Paris, in-8o, 12 eaux-fortes par Raffet, Tony et Alf. Johannot.) 185.
Draparneau (V.–M.–X.). 86.
Dubois, cardinal, par God. Cavaignac. (Paris, 1831, in-8o.) 139.
Duchesse de Praslin (La), drame italien (Padoue, 1847.) 19.
Dumas (Alex.). Charles VII chez ses grands vassaux. 62.
Quatrain. 126.
Dumas fils (Alexandre). Le Père prodigue (manuscrit). 10
Les Péchés de jeunesse, poésies (1847). 61.
Le Bijou de la Reinee. 149.
Manon Lescaut. (Préface.) 213.
Dupont (Pierre). Le Roman du Cygne. 140.


Erckmann-Chatrian. 144.
Escousse (Victor). Farruck le Maure. 62.


Falloux (Vte de). Lettre de l’abbé Prévost (autographe). 220.
Feuillet (Octave). Julie (manuscrit). 10.
La Belle au bois dormant. 106.
Flaubert (Gustave). Madame Bovary. 170.
Fortunio, par Th. Gautier. (Édition de la Société des amis des livres.) 189.
France (Anatole). Jocko. (Préface.) 110.
France littéraire (La). (Paris, 1832.) 147.


Gabriel. Jocko, drame en deux actes, par MM. Gabriel et Rochefort. 110
Galerie théâtrale. 173.
Gandon (Antoine). 143.
Garat. 88.
Gautier (Th.). Mademoiselle de Maupin. 38.
Emaux et camées. 169.
Fortunio. 189.
Le Tricorne enchanté. 199.
Géorgiques. Traduction par Victor Hugo. 147.
Gérard de Nerval. Les Monténégrins. 99
Glatigny (Albert). Les Vignes folles. 170
Gœthe. Mon Journal. (Œuvres complètes, 1875.) 111.
Gregorovius (M.–F.). Lucrèce Borgia, d’après les correspondances contemporaines, 2 vol. 30.

Guêpes (Les), par Alphonse Karr. 91.
Gueulette. 196.


Hacklaender (Frédéric-Guillaume de). Les Bombardiers Tipfel et Robert. — La Belle Sophie et l’Officier de dragons. — Le Sous-officier Dose et la Bürgerwehr. 143.
Haendel. God save the king. 97.
Harem (Le), par A. Vitu. 140.
Hernani. Victor Hugo. 169.
Hervé. Agamemnon, ou le Chameau à deux bosses, etc., saynète. 203.
Heylli (Georges d’). 196.
Histoire de France, par Le Ragois. 180.
Histoire de l’Odéon, par MM. Porel et Monval. 2 vol. 63.
Histoire des sept bohèmes qui n’ont pas de châteaux. 138.
Houssaye (Arsène). Voyage dans la rue Saint-Denis. Voyage à ma fenêtre. 133.
Hugo (Charles). Je vous aime, comédie en un acte. (Paris, 1861.) 116.
Hugo (Victor). Feuilles d’automne. Notre-Dame de Paris. Contemplations. 10.
Lucrèce Borgia. 30, 169.
Portraits de Victor Hugo. (Catalogue.) 77.
Le Vieillard de Galèse. 147.
Le Télégraphe, satire. (Paris, 1819.) 138.
Les Orientales. — Hernani. — Le Roi s’amuse. — Ruy Blas. 169.


Janin (Jules). Bibliothèque de J. Janin, catalogue par Potier. 1.
Mon Voyage à Brindes. 153.
Barnave. 167.
Jenny Durand. (Compte rendu.) 206.
Manon Lescaut. (Préface.) 211.
Jocko, par Ch. de Pougens. 110.
Johannot (Tony). 154, 185.
Julie, ou J’ai sauvé ma rose. 202.


Karr (Alphonse ;. Les Guêpes. (1842.) 91.
Kock (Paul de). 143.


La Fontaine. Contes. 174.
La Courtisane amoureuse. 214.
Lamartine (A. de) Nouvelles Méditations. 165.
Lassailly. Les Roueries de Trialph. 170.
Leconte de Lisle. 69.
Leroy (Ch.). Le Colonel Ramollot. 91.
Liseux. Catalogue. 163.
Lordereau (René). Bon Nègre, opérette, musique d’Alfred Musard. (1838, in-12.) 162.
Lucrèce Borgia. Victor Hugo. 30, 169.
Lulli. L’hymne national anglais. 97.


Mac-Mahon, ou la Grande-Bretagne sous Cromwell, drame historique. (Paris, 1877.) 208.
Madame Angot. Vérités à l’ordre du Jour. (1798.) — La Fille de Mme Angot. 32.
Mademoiselle Beata. Alph. Royer. (Paris, 1840.) 24.
Mademoiselle de la Seiglière, par Jules Sandeau. 169.
Mademoiselle de Maupin, par Th. Gautier. 38, 169.
Maistre (Xavier de). Voyage autour de ma chambre. 153.
Manon Lescaut. (Amsterdam, 1733, 2 vol.) 209.
Marguerites (Les) de la Marguerite des princesses, très illustre royne de Navarre. (Lyon, chez Jean de Tournes, 1547.) 7.
Marianna. Jules Sandeau. 169.
Marmier (X.). Anonyme. (1874.) 84.
Marmontel. La Neuvaine de Cythère. 173.
Martin (Nicolas). Voyage sur le chemin de fer du Nord. (Lille, 1869.) 83.
Ma Tante Geneviève, ou Je l’ai échappé belle. 202.
Matines de Cythère (Les). 202.
Mémoires et Aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde, par l’abbé Prévost. 209.
Ménétrier (Charles). Caliban, par deux ermites de Ménilmoutant (Ed. Pouyat et Ch. Ménétrier, Paris, 1833). 26.
Mercier. 193.
Mérimée (Prosper). H. B. (Henry Beyle), in-32. Tirage à 36 exemplaires. 162.
Chronique de Charles IX. 189.
Méry. 185.
Michelet. 211.
Modeste Mignon, par Balzac. 169.
Molière. Les signatures de Molière. 171.
Molière à la campagne. 183.
Monarchie de 1830 (La). A. Thiers, député des Bouches-du-Rhône. In-8o , Paris. 134.
Monsieur Nicolas, par Rétif de la Bretonne. (1794.) 192.
Montaiglon (Anatole de). Manon Lescaut. (Notice bibliogr.) 215.
Monténégrins (Les), opéracomique en 3 actes, par Gérard de Nerval, musique de Limnander. (Paris, 1849.) 99.
Monval. Histoire de l’Odéon, par Porel et Monval. 2 vol. 63.
Moreau (Hégésippe). Le Myosotis. 170.
Murger (H.). Scènes de la Bohème. 188.
Musset (Alfred de). Bibliothèque de l’École maternelle. 47.
Voyage où il vous plaira. 154.
Manon Lescaut. 211.


Nadaud (Gustave). Dubois d’Australie, comédie en deux actes. (1874.) 145.
Néel de La Rochelle. Voyage de Paris à Saint-Cloud. 153.
Neuvaine de Cythère (La), par Marmontel. 173.
Nodier (Ch.). 6.
Le Bibliophile Théodore.71.
Catalogue. 127.
Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux. 138.
Notice biographique sur A. Sergent, graveur en tailledouce, etc., par Noël Parfait, un vol. (Chartres, chez Garnier.) 13.
Nuit de la garde nationale (Une), vaudeville, par Scribe. 93.


Orientales (Les), par V. Hugo. 169.
Ozanneaux. 86.


Par-ci, par-là, par trois jeunes gens du Havre (Alf. Touroude, Thuillier et Rafano). Le Havre, 1861, in-12. 155.
Parfait (Noël). Notice biographique sur A. Sergent. (Voir à ce titre.) 13.
Petites Misères de la vie conjugale, par Balzac. 169.
Pichot (Amédée). Les Apparitions de Noël, traduit de Dickens. 65.
Planche (Gustave). 211.
Ponsard (Francis). Vers cités 200.
Harmonie, charade en trois tableaux. 204.
Portier des Chartreux (Le). 28.
Pougens (Charles de). Jocko. 110.
Poulet-Malassis. 69.
Bibliothèque. (Catalogue.) 161.
Prévost (L’abbé). Manon Lescaut. 209.
Promenades de Clarisse (Les), ou Principes de la langue française à l’usage des dames, par M. Tournon. 35.
Pyat (Félix). Les Filles de Séjan. 168.


Rachel. Souvenir de M. Laurent à Mademoiselle Rachel, in-4o manuscrit. 9.
Portrait, par Philarète Chasles. 118.
Racine. 183.
Raffet. 185.
Ragois (Le). Histoire de France. 180.
Renan (Ernest). Caliban. 26.
Rétif de la Bretonne. Le Paysan perverti. — Les Contemporaines. — Les Françaises. — Les Parisiennes. — Le Palais-Royal. — Le Drame de la vie. — Le Pornographe. — Les Nuits de Paris. 191.
Monsieur Nicolas. 192.
Richepin (Jean). La Chanson des gueux. 49.
Rochefort (A. de). Mémoires. 59.
Jocko. 110.
Roi s’amuse (Le), par Victor Hugo. 169.
Rolland (Amédée). L’Assassin, poème. 49.
Rouget de l’Isle. Les Oies, poésie. 67.
Hymne des Marseillais. (1792.) 161.
Rousseau (J.-J.). Confessions. 210.
Rovigo (René de). Historiettes. Paris, 1851. 203.
Royer (Alphonse). Mademoiselle Beata. (Paris, 1840.) 24.
Ruy Blas, par V. Hugo. 169.


Sade (Marquis de). Dorci, ou la Bizarrerie du sort. 45.
Saint-Maur (Hector de). Dernier Chant. 75.
Sainte-Beuve. 211.
Sandeau (Jules). Mademoimoiselle de la Seiglière. — La Chasse au roman, — Marianna. 169.
Sarasa (Antoine-Alphonse de). L’Art de se tranquilliser dans tous les événements de la vie. (Strasbourg, 1772.) 13.
Sarcey (Francisque). À Voltaire, après avoir lu les satires de Veuillot, poésie. 131.
Sardou (L.-A.). Rabelais. 133.
Scènes de la Bohême, par Henry Mürger. 188.
Schiller. Lettre. 193.
Scholl (Aurélien). 69.
Scribe. Une Nuit de la garde nationale. 93.
Soulary (Joséphin). Vers. 175.
Soury (Jules). Les Filles de Louis XV. 28.
Splendeurs et Misères des courtisanes, par Balzac. 169.
Sterne. 153.
Sully Prudhomme. Un vers. 201.


Théâtre des boulevards. 195.
Thémidore. 202.
Thiboust (Lambert). Couplet. 201.
Thiers (A.). La Monarchie de 1830. (Paris, in-8o.) 134.
Le Titre ne me revient pas, comédie. 107.
Touroude (Alfred). Par-ci, par-là. (Le Havre, 1861, in-12.) 155.


Vadé. La Pipe cassée. 195.
Vallès (Jules). 176.
Vérités à l’ordre du jour. (1798.) 32.
Verlaine (Paul). Vers cité. 201.
Viennet. Vers cité. 201.
Vigny (A. de). Chatterton. 15.
Villette (Marquis de). Œuvres du marquis de Villette. (Londres, 1786, in-18, br.) 113.
Villiers DE l’Isle-Adam. Le Nouveau-Monde, drame. 122.
Vers cité. 201.
Vitu (A.). Le Harem. 140.
Vivant-Denon. Œuvre originale. 173.
Voltaire. Voltaire et l’abbé Prévost. 217.
Voyage à Brindes (Mon), par Jules Janin. 153.
Voyage à ma fenêtre, par Arsène Houssaye. 153.
Voyage dans la rue Saint-Denis, par Arsène Houssaye. 153.
Voyage de Paris à Saint-Cloud, par Néel de La Rochelle. 153.
Voyage et Tribulations d’un lavement, roman humoristique. 129.
Voyage où il vous plaira, par Alfred de Musset et P.-J. Stahl, illustré par Tony Johannot. 154.


Zola (Émile). L’Assommoir. — Le Ventre de Paris. — Pot-Bouille. 191.