Gangloff (p. 116-119).

Une Histoire de Charbonnier.

Tout le moyen âge a retenti de la fameuse histoire de Girard, duc de Bourgogne, qui, vaincu par l’empereur Charles, en fut un jour réduit à « porter le charbon » s. Pas même charbonnier « en chef », mais, hélas ! simple valet de charbonniers.

Ce Girard était une âme violente, farouche, affolée par l’orgueil. Dieu lui envoya la Douleur il fut sauvé.

Pendant je ne sais combien d’années, on vit ce duc altier, qui se croyait l’égal des rois, on le vit travailler de ses mains comme le dernier des manœuvres. Il frémissait en lui-même, il se révoltait contre sa destinée, il rugissait ; mais il baissait la tête, mais il travaillait.

Quand il se rappelait le temps passé, quand il songeait a ces beaux tournois où les dames saluaient les chevaliers vainqueurs à ces superbes et sanglantes batailles où l’on avait, durant quinze heures, la lance au poing, le sang aux mains, la rage au cœur ; à son château qu’il aimait tant, à sa maisnie, à son bonheur pour toujours disparu

Quand ces souvenirs lui traversaient le cœur, il ne pouvait se défendre d’une émotion profonde. Et il pleurait, le pauvre vieux duc, il pleurait à chaudes larmes.

Dieu, cependant, lui avait réservé une consolation et un appui la plus douce des consolations, le plus puissant des appuis. Vous l’avez deviné, — c’était sa femme.

Berthe était une chrétienne et ce seul mot suffit pour peindre une grande âme.

Elle était fille d’empereur et femme de duc ; elle avait porté jadis des robes brochées d’or et, sur ses cheveux blonds, une couronne ou étincelaient les rubis et les émeraudes.

Mais, voyant son mari malheureux, elle avait voulu être malheureuse avec lui. Le voyant charbonnier, elle s’était faite couturière. Et « Berthe la couturières » tirait l’aiguille auprès du vieux Girard, auprès de ce charbonnier qui avait été naguères un duc suzerain.

Pendant que nos femmes cousent, elles peuvent parler, et quelques-unes dit-on, en abusent ; mais Berthe n’était pas de celles-là, et ne parlait guère que pour prêcher à son mari la résignation, l’humilité, la douceur ;

Si bien qu’un jour, elle finit par jeter le vieux Girard sur le cœur de Dieu et entre les bras de l’empereur Charles. Elle le réconcilia, du même coup, avec la terre et avec le ciel.

Ô femme chrétienne, je te reconnais là ; ô femme chrétienne, je te salue.

Tu es notre conseil dans nos heures de doute ; notre bon sens dans nos heures de folie ; notre consolation dans nos heures de tristesse. Ton tranquille sourire n’est pas seulement le charme de nos yeux, mais la règle de notre vie et le relèvement de notre âme.

Ce qu’était Girard le charbonnier près de Berthe la couturière, nous le sommes tous plus ou moins près de la femme chrétienne. Convertisseuses immortelles, Berthes de nos foyers, je vous bénis et je vous aime.