Gangloff (p. 81-83).

L’Écrivain public.

Les écrivains publics, en France et surtout à Paris, deviennent de moins en moins nombreux. Quand toutes les femmes seront institutrices, quand tous les hommes seront instituteurs, il n’y aura plus chez nous de scribes en plein vent. Mais, de bonne foi, en saurons-nous mieux écrire ?

Je la vois encore, je la vois d’ici, l’échoppe du petit écrivain public. C’était une baraque en bois, mal défendue contre la bise, et où le pauvre calligraphe grelottait en hiver, grillait en été.

Qu’importe ! La boutique était bien achalandée. La clientèle se composait surtout de bonnes et de militaires.

On se figure trop aisément qu’on n’y écrivait que des lettres d’amour. L’erreur est profonde.

Le conscrit venait là, et disait au scribe populaire : « C’est que je voudrais bien écrire au vieux père qui est là-bas. – Où, là-bas ? — Au village, donc. — Quel village ? — Eh Chassagne, donc, en Auvergne. — Et que veux-tu lui dire, au vieux père ? — Dame ! que je pense bien à lui, et que l’argent manque un peu. Mais faut pas qu’il s’en prive. »

La fillette venait là, et, à voix basse « Écrivez à la mère qu’on se conduit. bien, qu’on n’oublie pas le bon Dieu, et qu’on lui envoie vingt francs pour qu’elle s’achète une robe bien chaude, cet hiver. »

Le vieillard venait là, et, d’une voix chevrotante : « C’est les enfants qui sont partis au pays, le mois dernier, et qui n’ont pas encore donné de leurs nouvelles. Les jeunes ménages, ça n’écrit guère ; mais je voudrais être sûr qu’il ne leur est pas arrivé malheur. »

Ah ! si l’on connaissait toutes les lettres touchantes, affectueuses, chrétiennes, qui ont été écrites dans ces pauvres échoppes d’écrivains publics

Un souvenir me revient à l’esprit, et il se rapporte à ce chef-d’œuvre, encore trop peu célèbre, à cette incomparable Lettre de Jean, de Paul Féval, que mes lecteurs, j’en suis sûr, connaissent et admirent.

Hélas ! l’auteur de ces deux pages, qui méritent vingt fois d’être immortelles, le cher Féval n’est plus là. L’œuvre restera pour son plus grand honneur, pour le bien des âmes… et à la gloire des écrivains publics.