Critique du jugement (trad. Barni)/Tome II/P2/S1/LXV




§. LXV.


Du principe du jugement de la finalité intérieure dans les êtres organisés.


Ce principe peut être défini ou énoncé ainsi : une production organisée de la nature est celle dans laquelle tout est réciproquement fin et moyen. Rien en elle n’est inutile, sans but, ou ne doit être rapporté à un mécanisme aveugle de la nature.

Ce principe, considéré dans son origine, doit être, il est vrai, dérivé de l’expérience, de cette expérience qu’on institue méthodiquement et qui s’appelle observation ; mais l’universalité et la nécessité, qu’il affirme de cette espèce de finalité, prouvent qu’il ne repose pas uniquement sur des principes empiriques, mais qu’il a pour fondement quelque principe a priori, quand ce ne serait qu’un principe régulateur, et quand ces fins ne résideraient que dans l’idée de ceux qui jugent et non dans une cause efficiente. On peut donc appeler ce principe une maxime du jugement de la finalité interne des êtres organisés.

On sait que ceux qui dissèquent les plantes et les animaux pour en étudier la structure, et pouvoir reconnaître pourquoi et à quelle fin telles parties leur ont été données, pourquoi telle disposition et tel arrangement des parties, et précisément cette forme intérieure, admettent comme indispensablement nécessaire cette maxime que rien n’existe en vain dans ces créatures, et lui accordent une valeur égale à celle de ce principe de la physique générale, que rien n’arrive par hasard. Et en effet ils ne peuvent pas plus rejeter ce principe téléologique que le principe universel de la physique ; car, de même qu’en l’absence de ce dernier il n’y aurait plus d’expérience possible en général, de même, sans le premier, il n’y aurait plus de fil conducteur pour l’observation d’une espèce de choses de la nature, que nous avons une fois conçues téléologiquement sous le concept des fins de la nature.

En effet ce concept introduit la raison dans un tout autre ordre de choses que celui du pur mécanisme de la nature, qui ne peut plus ici nous satisfaire. Il faut qu’une idée serve de principe à la possibilité de la production de la nature. Mais comme une idée est une unité absolue de représentation, tandis que la matière est une pluralité de choses qui par elle-même ne peut fournir aucune unité déterminée de composition, si cette unité de l’idée doit servir, comme principe a priori, à déterminer une loi naturelle à la production d’une forme de ce genre, il faut que la fin de la nature s’étende à tout ce qui est contenu dans sa production. En effet, dès que pour expliquer un certain effet, nous cherchons, au-dessus de l’aveugle mécanisme de la nature, un principe supra-sensible et que nous l’y rapportons en général, nous devons le juger tout entier d’après ce principe ; et il n’y a pas de raison pour regarder la forme de cette chose comme dépendant encore en partie de l’autre principe, car alors, dans le mélange de principes hétérogènes, il ne resterait plus de règle sûre pour le jugement.

On peut sans doute, par exemple dans le corps de l’animal, concevoir certaines parties comme des concrétions formées suivant des lois purement mécaniques (comme la peau, les os, les cheveux). Mais il faut toujours juger téléologiquement la cause, qui fournit la matière nécessaire, qui la modifie ainsi et la dépose aux endroits convenables, c’est-à-dire que tout dans ce corps doit être considéré comme organisé, et que tout aussi dans un certain rapport avec la chose même est organe à son tour.


Notes de Kant modifier


Notes du traducteur modifier