Critique du jugement (trad. Barni)/Tome I/P1/S1/L1/I

Traduction par Jules Barni.
Librairie philosophique de Ladrange (p. 65-67).
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PREMIÈRE SECTION.


ANALYTIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE.


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PREMIER LIVRE.


Analytique du beau.


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PREMIER MOMENT DU JUGEMENT DE GOÛT[1], OU DU JUGEMENT DE GOÛT CONSIDÉRÉ AU POINT DE VUE DE LA QUALITÉ.


§. I.


Le jugement de goût est esthétique.


Pour décider si une chose est belle ou ne l’est pas, nous n’en rapportons pas la représentation à son objet au moyen de l’entendement et en vue d’une connaissance, mais au sujet et au sentiment du plaisir ou de la peine, au moyen de l’imagination l’imagination (peut-être jointe à l’entendement). Le jugement de goût n’est donc pas un jugement de connaissance ; il n’est point par conséquent logique mais esthétique, c’est-à-dire que le principe qui le détermine est purement subjectif. Les représentations et même les sensations peuvent toujours être considérées dans une relation avec des objets (et c’est cette relation qui constitue l’élément réel d’une représentation empirique) ; mais il ne s’agit plus alors de leur relation au sentiment du plaisir et de la peine, laquelle ne désigne rien de l’objet, mais simplement l’état dans lequel se trouve le sujet affecté par la représentation.

Se représenter par la faculté de connaître (d’une manière claire ou confuse) un édifice régulier, bien approprié à son but, c’est tout autre chose qu’avoir conscience du sentiment de satisfaction qui se mêle à cette représentation. Dans ce dernier cas, la représentation est tout entière rapportée au sujet, c’est-à-dire au sentiment qu’il a de la vie et qu’on désigne sous le nom de sentiment de plaisir ou de peine : de là, une faculté de discerner et de juger, qui n’apporte rien à la connaissance, et qui se borne à rapprocher la représentation donnée dans le sujet de toute la faculté représentative dont l’esprit a conscience dans le sentiment de son état. Des représentations données dans un jugement peuvent être empiriques (par conséquent esthétiques) ; mais le jugement même que nous formons au moyen de ces représentations est logique, lorsqu’elles y sont uniquement rapportées à l’objet. Réciproquement, quand même les représentations données seraient rationnelles, si le jugement se borne à les rapporter au sujet (à son sentiment), elles sont esthétiques.


Notes de Kant modifier

  1. Le goût est la faculté de juger du beau, telle est la définition posée ici en principe. Quant aux conditions qui permettent d’appeler beau un objet, l’analyse des jugements du goût les découvrira. J’ai recherché les moments qu’embrasse le goût dans sa réflexion, en prenant pour guide les fonctions logiques du Jugement (car le jugement de goût garde toujours quelque relation avec l’entendement). J’ai examiné d’abord celle de la qualité, parce que c’est celle à laquelle le jugement esthétique sur le beau a d’abord égard.


Notes du traducteur modifier