Illustrations par Benjamin Rabier.
Jules Tallandier.

CRÉTINOT
Texte et Illustrations de Benjamin RABIER


Éditions et Publications JULES TALLANDIER, 75, Rue Dareau, PARIS (14e)

Tous droits réservés

Jules Tallandier
1922

 
CRÉTINOT

Jean Crétinot pourrait être classé comme intelligence dans la catégorie des « poids plume ».

Il est la terreur des habitants de Barbizon-le-Grand, son pays natal. Tous les humains, tous les animaux de la contrée sont terrorisés par ce petit épouvantail, dont l’imagination est fertile en tours pendables.

Fort heureusement pour son prochain, tous les tours qu’il imagine ne donnent pas les résultats attendus par leur auteur.

Un beau matin, Crétinot aperçoit la provision de bois de l’instituteur. Les bûches sont soigneusement placées les unes sur les autres, le long d’un mur et maintenues par deux piquets. Il vient aussitôt à l’idée de Crétinot d’enlever les piquets. Quel bon tour je vais jouer ! pense-t-il.

Les piquets enlevés, les bûches se donnent immédiatement du champ, entraînant le jeune malfaiteur.

Le sol était en pente. Le trottoir roulant, improvisé par les bûches, conduisit doucement Crétinot à la rivière voisine dans laquelle il tomba en poussant des cris de désespoir. Heureusement, l’eau était peu profonde.

Crétinot en fut quitte pour un bain glacé qui lui procura le plus beau rhume de cerveau qu’on ait vu en France depuis longtemps.

Jean vient de recevoir d’un oncle un pantin de bois pour sa fête. Tout de suite il veut le suspendre à un clou qu’il plante sur la surface, polie du réservoir. Deux coups de marteau bien appliqués et l’enveloppe du réservoir crève. Un jet d’eau s’échappe du trou et Crétinot est abondamment douché !

Crétinot en a maintenant assez des bains et des douches. Il faut bien savoir varier ses plaisirs.

Le voici se disposant à arroser le jardin avec le tuyau disposé à cet effet. Jean donne un tour de clé à la prise d’eau et… c’est l’arroseur qui est arrosé. Crétinot reçoit dans le dos un jet qui le renverse. Trop d’eau ! murmure l’arroseur en s’enfuyant.

C’est au chat que Jean s’en prend aujourd’hui. Il profite de ce que Blanchet est occupé à déguster son laitage quotidien pour l’attacher par la queue au verrou de l’étable à porcs. Pour se libérer, Blanchet tire sur la ficelle qui, à son tour, tire le verrou de la porte. La porte s’ouvre et un verrat gigantesque, nommé Grogro, fait son apparition et fonce sur Crétinot qui va exécuter à trois mètres du sol un magistral saut périlleux.

Dès qu’il fut remis de son émotion, Crétinot se proposa de révolutionner la basse-cour par un coup de maître.

Il attacha une pierre à l’oreille de chaque animal, au moyen d’une ficelle, puis il s’en fut saupoudrer de poivre et de tabac à priser les écuelles, niches, mangeoires et auges de la ferme. Maintenant, on va rire, se dit-il.

Le résultat de cette manœuvre ne se fit pas attendre longtemps. Les animaux, en respirant le poivre et le tabac, se mirent à éternuer formidablement et les pierres projetées dans tous les sens provoquèrent des scènes tout à fait inattendues.

Lapins, chiens, chèvres et chats s’assommèrent à coups de pierre.

C’était un mélange assourdissant de cris divers : des plaintes, des hoquets, des soupirs douloureux et des clameurs d’effroi.

Par-dessus tout ce vacarme un cri humain se fit entendre. Ce cri était poussé par Crétinot qui venait de recevoir en pleine figure une grosse pierre attachée à l’oreille de Brunette, la vache laitière.

Le nez en capilotade, le front enflé, la lèvre fendue, Crétinot tomba à terre, à moitié évanoui. Revenu à lui, il se prit à méditer sur les fâcheux résultats de son coup de maître. Dès qu’il fut guéri, les mauvais instincts de Jean le portèrent à vouloir se venger de Brunette qui lui avait porté ce coup terrible. Crétinot prend aussitôt son arc et une flèche ; puis il va se cacher dans un tonneau sur le passage de sa victime.

Quand Brunette passa à proximité de Crétinot, celui-ci envoya par la bonde du tonneau la flèche qui alla se planter dans l’arrière-train de la malheureuse bête.

Brunette poussa un cri de douleur, se retourna brusquement et devina d’où le coup était parti. Elle s’élança furieuse sur le tonneau, les cornes en avant. Celles-ci se plantèrent vigoureusement dans les parois du tonneau.

Et elles se plantèrent si solidement qu’elles ne purent se détacher. Brunette releva la tête, soulevant de terre le contenant et le contenu.

Dans cet appareil, la bête affolée parcourut tout le pays et les environs, poussant des meuglements de fureur et jetant l’effroi sur son passage. Vous devinez dans quel état devait se trouver le locataire du tonneau, secoué d’une façon formidable par le trot de la vache laitière épouvantée.

Quand Crétinot fut remis de son aventure du tonneau, il songea à varier ses tours. Il se propose présentement de faire une partie de cerf-volant. Mais, comme il ne fait rien ainsi que ses semblables, c’est du clocher de l’église qu’il compte lancer le cerf-volant.

Arrivé à destination, il lance le jouet ailé dans l’espace, mais il le fait avec tant de maladresse qu’il laisse échapper son peloton de ficelle.

La ficelle, enroulée autour du bâtonnet se dévide jusqu’au sol. Crétinot dévale l’escalier du monument et veut saisir le bâtonnet. Le cerf-volant, enlevé par le vent, se balance dans l’espace, puis gagne doucement la terre en tournoyant et la ficelle tombe sur le jeune écervelé, l’encerclant de ses capricieux méandres. Tom, le chien de la maison, qui s’est approché de son jeune maître, participe à l’aventure.

Depuis quelques jours, la maman de Crétinot est atteinte d’insomnies. Le médecin, pour combattre cette fâcheuse et fatigante disposition, prescrivit à la malade une potion soporifique. Crétinot s’empara de la bouteille et voulut s’assurer de son efficacité en se livrant à une petite expérience. Tranquillement, avec une calme inconscience, il versa le contenu de la fiole dans la petite mare voisine.

Depuis les sept plaies d’Égypte, jamais on n’avait assisté à pareille catastrophe, à semblable désolation.

En effet tous les animaux du pays venaient se désaltérer dans cette mare, tous burent donc l’eau additionnée du liquide soporifique, et tous, sans aucune exception, furent atteints de la maladie du sommeil.

Moutons, vaches, bœufs, chevaux, volailles, tous les habitants de la ferme, terrassés par un sommeil invincible, roulèrent sur les chemins, dans l’herbe des prairies, au fond des sillons. Le fermier et la fermière ne pouvaient en croire leurs yeux.

Le phénomène dura quarante-huit heures et Jean qui avait goûté à la potion, dormit pendant trois jours…

Crétinot, comme vous le savez, ne manquait pas d’imagination. Malheureusement pour lui, il en faisait un usage déplorable.

Le voici attachant un gros os à moelle à la queue de Médor, collant des échasses aux pattes d’un veau, chaussant le groin du porc Grogro et adaptant au museau de la chèvre un panier à salade en guise de muselière.

Ainsi affublés, les animaux se répandirent dans la campagne environnante, semant partout la curiosité et l’ahurissement sur leur passage. La vache laitière Brunette vint bientôt se joindre à eux.

La pauvre bête promenait deux jeunes lapins accrochés à ses cornes par leurs oreilles, au moyen d’épingles à nourrice.

Pauvres bêtes ! Les voilà mal en point. Les voilà gênées pour prendre leur nourriture.

La chèvre muselée ne put attraper la moindre feuille sèche, le veau trop haut sur pattes ne put se baisser jusqu’à sa mangeoire, le porc Grogro manqua d’étouffer dans sa botte et Brunette devint folle de terreur et ses yeux conservèrent longtemps un strabisme accentué.

Le plus malheureux de tous fut Médor. Semblable à ce clown qui courait en vain après un papillon attaché au bout d’une ficelle, il courut pendant des jours entiers après l’alléchant os à moelle sans parvenir à l’attraper.

Fort heureusement, un soir, l’os se mit en travers des cornes d’une chèvre, la ficelle se cassa dans la secousse et Médor fut délivré.

À quelques jours de là, Crétinot se promenait dans la campagne en compagnie de son fidèle Tom, fils de Médor. Le promeneur trouva sur un petit chemin un gros obus non éclaté qui provenait de la dernière guerre. Le malfaisant garçon résolut de jouer, en se servant de cet engin, un bon tour aux poissons d’un vivier tout proche. Crétinot se trouvait sur un talus qui surplombait le vivier ; il poussa devant lui l’obus qui roula sur l’herbe.

Entraîné par la pente, l’obus dévala dans la direction du vivier. Quel bon tour je vais jouer aux carpes, aux gardons et à tous ces poissons !… Quel pavé dans la mare que cet obus qui pèse au moins deux cents kilos !

L’obus arriva au bord du talus, bascula et piqua dans le vivier. Le détonateur rencontra une pierre et l’engin fit explosion.

Par la force de l’explosion, le vivier fut mis entièrement à sec. Tous les poissons furent projetés à des centaines de mètres de là. Tout le pays reçut des carpes, des gardons, des goujons, des brochets.

Les habitants avaient bien entendu parler de nuages de sauterelles, mais jamais de nuages de poissons. Chacun eut sa part de friture.

À ce moment arrivait près du vivier un pauvre pêcheur qui rentrait bredouille à la maison.

En apercevant cette pêche miraculeuse et céleste, car les poissons semblaient tomber du ciel, il s’évanouit. Il fallut de grands soins pour le rappeler à la vie. Le soir, une odeur de friture couvrit le pays tout entier.

L’explosion eut de curieux effets. Crétinot reçut sur la nuque une anguille qui s’enroula autour de son cou et faillit l’étrangler. À peine remis de son émotion, il reprit le cours de ses promenades quotidiennes, aventureuses et mouvementées.

Depuis quelques jours, Crétinot a une idée fixe. Il veut faire de l’équitation et c’est le porc Grogro qu’il choisit comme monture.

Il passe à travers la gueule de l’animal un bâton en guise de mors. Et le voilà chevauchant Grogro qui ne comprend rien à ce qui lui arrive.

Le porc, peu habitué à ce genre de sport, prend le mors aux dents, part à toute vitesse à travers la ferme et se met à galoper d’une façon effrénée, jetant l’effroi parmi les paisibles habitants du lieu.

Grogro, après avoir décrit quelques cercles, se retrouva devant la porcherie. Son premier soin fut d’aller chercher le repos chez lui. Il pique une tête vers la porte, entraînant dans sa course son cavalier. Mais hélas ! La porte n’est pas assez haute pour donner passage à la monture et au cavalier et celui-ci vient frapper de sa tête le fronton de la porte. Crétinot eut le nez écrasé, deux dents cassées et un œil au beurre noir.

Ce matin, Crétinot est parti muni d’un bâton, d’une ficelle et d’une épingle recourbée pour pêcher les grenouilles. C’est un passe-temps qui, d’ordinaire, ne fait de tort à personne… qu’aux grenouilles… Mais, quand Crétinot pêche, c’est autre chose ! Il cache la première grenouille attrapée dans le sucrier de sa marraine Zéphirine. Quand celle-ci voulut sucrer son café, la grenouille lui sauta au nez et Zéphirine ne but pas de café ce jour-là…

Une autre grenouille fut attachée par Crétinot à la queue de Médor. Le pauvre chien, fou de terreur, se mit à gambader d’une façon désordonnée. Un moment la grenouille vint se poser sur le museau de l’animal, ce qui acheva de lui enlever le peu de raison qui lui restait encore.

Heureusement pour Médor, un canard arriva et mangea la grenouille. Depuis ce jour, le pauvre chien est tombé en enfance.

Crétinot est maintenant occupé à un singulier manège. Il visite tous les endroits où des objets de toilette ont été mis à sécher après la lessive. Parmi ces objets, Jean ne choisit que les bas. Quand il en posséda un certain nombre, il se rendit dans le cellier de son père et y prit la petite casserole qui contenait la cire à cacheter les bouteilles. Il se rendit ensuite à l’entrée d’un terrier à lapins et introduisit la casserole dans le terrier après avoir mis le feu à la cire.

La fumée qui se dégageait de la cire en combustion se répandit dans le terrier et les lapins, pour échapper à l’asphyxie, gagnèrent précipitamment la sortie. C’est là que Crétinot les attendait.

Assis au-dessus du terrier, il tenait dans ses mains un bas de telle façon que l’ouverture de l’objet de toilette encadrait l’entrée du terrier.

Chaque lapin qui sortait du trou s’engouffrait dans le bas. Crétinot lâchait celui-ci et le bas, habité par le lapin qui l’emportait dans sa course, était remplacé par un autre bas pris sur le tas.

Bientôt la prairie fut parcourue en tous sens par des bas multicolores qui semaient l’effroi sur leur passage.

Médor croisa sur son chemin un de ces bas animés. « Singulier animal ! » pensa le chien en happant l’extrémité du bas. Sa stupéfaction se changea en ahurissement en se trouvant en présence du lapin qui venait de se libérer.

Un deuxième lapin recouvra sa liberté en s’accrochant aux cornes d’une chèvre. Un troisième affolé entra dans la salle-à-manger de la ferme.

Mais le chat Blanchet arrêta sa course. Il était temps pour le lapin qui, en continuant sa course, serait peut-être tombé dans la marmite où mijotait la soupe du soir. Les autres bas animés s’accrochèrent aux ronces du chemin ou aux buissons épineux et, petit à petit, les rongeurs reprirent leur liberté et regagnèrent avec joie le terrier familial.

Crétinot qui a toujours de grandes idées en tête, résolut un jour de donner à ses jeunes voisins une grande course de taureaux.

Il amène Brunette, peu défiante, au milieu d’une petite cour, ferme les portes et les accès de la cour, et, devant un auditoire bénévole, installé sur la crête des murs, il commence la course en enfonçant dans le cou de l’animal des banderilles représentées par des fléchettes.

Brunette qui n’entend rien aux sports espagnols, commence par la trouver mauvaise ; elle fonce, cornes en avant, sur le jeune toréador. Mais sur son chemin, elle rencontre un tabouret qu’elle envoie voltiger en l’air d’un coup de cornes.

Sur ce tabouret, Crétinot avait disposé une vingtaine de fléchettes qui furent projetées à dix pieds de hauteur et retombèrent pointes en avant.

Crétinot, pour sa part, reçut une douzaine de fléchettes sur son individu. Hurlant de douleur, il s’enfuit, accompagné de Tom et des Coin-Coin qui, eux aussi, avaient été banderillés. Jean, dès qu’il fut remis de ses piqûres, alla faire un tour du côté du poulailler. Apercevant Joliette, la belle pondeuse, qui couvait ses œufs, il la chassa et lui enleva sa précieuse couvée qu’il cacha dans ses poches et dans le fond de son béret.

Nanti des œufs de Joliette, Crétinot se promena sur la route. Distrait comme toujours, il n’entendit pas la trompe d’une automobile qui le happa au passage et le projeta à dix pas de là, dans l’herbe.

Quand Crétinot se releva, il était enduit de la tête aux pieds d’un liquide transparent et onctueux.

Sans se lasser, Crétinot poursuit le cours de ses méfaits. Un peintre paysagiste était allé déjeuner dans une auberge voisine abandonnant dans la prairie ses ustensiles et ses couleurs.

Quelle bonne aubaine pour le malfaisant jeune homme !

Le voici installé sur l’herbe, armé de la palette et des pinceaux du peintre, dessinant sur le poil ou la plume des bêtes attirées par la curiosité, les choses les plus folles et les plus abracadabrantes.

Sur les flancs de Brunette, il osa même dessiner le portrait de M. Marginot, l’instituteur.

Tous les animaux du pays ainsi métamorphosés regagnèrent leur demeure. La tante de Crétinot faillit mourir de peur en voyant un chat quadrillé lui sauter au cou. Tom, tacheté comme un léopard, répandait la terreur dans la contrée, tandis que M. Marginot, en regardant son portrait sur les flancs de Brunette, convenait qu’il était très ressemblant.

Parmi les animaux ainsi maquillés se trouvait l’âne Alfred que Crétinot, au moyen de bandes noires, avait transformé en zèbre. Alfred fut acheté un bon prix par un directeur de cirque, tandis qu’un dompteur capturait le chien Briffaut, recouvert d’un quadrillage.

Pendant ce temps, Jean exerçait son adresse en prenant comme but l’estomac de l’oie Georgette sur lequel il avait peint une cible.

Crétinot a pris son arc et sa flèche. Médor qui l’accompagne, en passant près d’un gros arbre, tombe en arrêt, oreilles levées, devant un lapin. Crétinot vise le lapin, lâche la flèche qui va traverser l’oreille de Médor et se piquer dans le tronc de l’arbre.

Médor aboie douloureusement. Crétinot le délivre de sa fâcheuse position et s’en va plus loin continuer le cours de ses exploits.

Un lapin juché sur une pierre broutait paisiblement de la mousse au pied d’un platane. En entendant du bruit, le rongeur se mit brusquement debout et dressa ses oreilles avec inquiétude.

Crétinot visa l’animal et lâcha le trait qui vint clouer les oreilles du pauvre lapin sur le tronc d’arbre. Jean prenait plaisir à ce petit jeu d’adresse.

Avant de partir, Crétinot enleva la pierre sur laquelle reposait le lapin et ce dernier resta suspendu dans le vide par ses oreilles.

La mère du pauvre animal arriva sur ces entrefaites et, pour amuser la galerie aux dépens de son rejeton, elle poussa celui-ci, qui se mit à se balancer doucement dans le vide. Seul le pauvre lapin-balançoire ne riait pas.

En se promenant aux environs de la ville, une affiche attira les yeux de Crétinot. C’était une affiche de cirque qui vantait un phénomène inconnu : le léopard quadrillé. Crétinot reconnut dans ce léopard quadrillé, qu’un dompteur peu scrupuleux exhibait dans son établissement comme phénomène, le chien Briffaut. La nuit venue, Crétinot s’introduisit dans le campement du cirque et rendit la liberté au phénomène.

Briffaut s’enfuit à toutes pattes vers la ferme hospitalière. Le chien en paraissant au milieu de ses anciennes connaissances produisit un formidable effet, car il n’avait pas été reconnu sous sa couche de peinture.

Médor épouvanté chercha un refuge sur le dos de Brunette, tandis que la servante affolée piquait une tête dans le baquet de lessive.

Des poules s’enfuyaient en pondant de frayeur des œufs qui venaient s’écraser sur le sol.

Une oie, coiffée d’un pot de fleurs, se heurtait à tous les obstacles, tandis que les habitants de la ferme assistaient dans le plus complet ahurissement aux péripéties de cette apparition fantastique.

Briffaut ne chercha pas à prolonger son succès ; il songea tout de suite à se séparer de son quadrillage fantaisiste. Il s’achemina vers l’étang, plongea, roula dans les herbes aquatiques et reparut à la surface de l’eau à peu près débarrassé de son déguisement.

Et Briffaut fit son entrée chez ses maîtres où il fût reçu avec la joie que vous pensez.

Crétinot traverse la campagne armé d’un grand râteau de jardinier. Où va-t-il ? Que prépare-t-il dans sa cervelle ? Nous ne tarderons pas à le savoir.

Crétinot s’arrête au pied d’un moulin à vent. Il grimpe aussitôt sur la balustrade qui entoure le moulin actuellement au repos et attache solidement le râteau à l’aile basse.

Puis, son coup fait, Crétinot se prépare à sauter au bas de la balustrade. Mais, à ce moment précis, le moulin qui vient d’être mis en marche par le meunier, se met à tourner. Crétinot n’eut pas le temps de sauter à bas de la balustrade. Il fut cueilli en chemin par les pointes du râteau qui s’accrochèrent à sa culotte, le soulevèrent et le projetèrent dans la campagne.

Crétinot décrivit une magistrale trajectoire dans l’espace et s’en vint tomber, tête en avant, dans la cheminée de la ferme de Fougerolles.

Réglisse, le corbeau du bois, avait suivi de l’œil le trajet de Crétinot. Lorsque celui-ci disparut dans la cheminée, il s’approcha de l’orifice et souhaita bon voyage au pauvre voyageur aérien.

Crétinot tomba, tête en avant, dans la marmite où se préparait à cuire un magistral pot-au-feu.

Sa chute fut amortie par les pommes de terre et les carottes qui garnissaient le fond de la marmite. Mais quelle peur ! mes enfants. Les fermiers qui se trouvaient là crurent que le diable tombait dans la cheminée.

Crétinot roula avec la marmite jusqu’au milieu de la salle à manger. Enfin il réussit à sortir de sa prison et reprit ses sens après avoir éternué pendant quelques minutes. Il ouvrit les yeux, se débarrassa des carottes et des pommes de terre qui formaient une purée dont sa tête était couverte et quitta la ferme de Fougerolles, se promettant bien une autre fois de n’y rentrer que par la porte.

Dès que Crétinot fut remis de sa chute dans la marmite, il pensa à occuper de nouveau ses loisirs. Cette fois, le jeune garçon songea à faire du commerce. Il avait remarqué à la dernière fête du pays un Italien qui vendait des statues de plâtre, animaux et personnages, et qui semblait réaliser de sérieux bénéfices. « Voilà un négoce qui est bon, pensa Crétinot. Je vais moi aussi vendre des statues de plâtre. »

Dans la cour de la ferme, des ouvriers qui procédaient à des réparations avaient préparé un bassin de plâtre pour leurs travaux près du clapier.

Crétinot ouvrit le clapier et tous les lapins, un par un, furent trempés dans le plâtre et accrochés à une corde de séchage. Au bout d’une heure, le jeune négociant possédait quelques statues de plâtre représentant des lapins dans des poses fort naturelles.

Crétinot installa ses statuettes sur une table et attendit les acheteurs. Il s’en présenta. Mais ceux-ci étaient accompagnés d’un chien de chasse qui flaira immédiatement les lapins.

Ce dernier sauta sur la table et bouscula les statuettes qui tombèrent à terre et brisèrent le plâtre, rendant la liberté aux pauvres bêtes.

Celles-ci regagnèrent le clapier familial à toute vitesse, heureuses d’être délivrées de ce carcan de plâtre qui les étouffait.

Mais les fermiers avaient déposé une plainte à la gendarmerie qui mit enfin un terme aux exploits de Crétinot en le conduisant au violon. Il eut une telle peur qu’il en attrapa la jaunisse et demeura alité pendant deux grands mois.

Pendant ces deux mois, livré à ses pensées, il comprit que ses fantaisies malfaisantes ne le conduiraient à rien de bon. La raison lui vint, et avec la raison le goût des études et le respect de son prochain. Et c’est aujourd’hui le meilleur élève de sa classe, un fort en thème, qui donne de sérieuses espérances.

FIN