Cours normal d’histoire, de MM. Amgann et Coutant

Cours normal d’histoire, de MM. Amgann et Coutant
Revue pédagogique, second semestre 1883 (p. 554-557).

Cours normal d’histoire, rédigé conformément aux plan d’études et programmes d’enseignement des écoles normales primaires, par MM. Ammann et Coutant ; 2 volumes ; librairie classique N. Fauvé et F. Nathan. — Voici un ouvrage expressément composé, comme son titre l’indique, pour les écoles normales. Il comprendra, paraît-il, trois volumes, un pour chaque année d’enseignement. Deux volumes ont paru, l’un, histoire des temps anciens, histoire du moyen âge, début des temps modernes ; l’autre de 1610 à nos jours. C’est exactement, on le voit, le cours de deuxième et celui de troisième année. Les auteurs ont accepté, tel qu’il est, le programme du 3 août 1581 ; ils l’ont suivi pas à pas, docilement, respectueusement. Le 1er volume a 600 pages ; 200 à quelques unités près sont consacrées à chacun des trois trimestres. Si dans le second volume le premier trimestre a un peu plus d’étendue que les deux autres, c’est qu’il est en effet très chargé ; il embrasse tout le dix-septième, tout le dix-huitième siècle, tandis que le troisième ne va que de 1830 à 1875.

Qu’on ne croie pas que même ainsi comprise, dans des conditions qui semblent modestes, l’œuvre soit d’une exécution facile. Sous un titre qui se fait aussi humble que possible, Éléments d’histoire générale, que comprend le programme si ce n’est l’histoire universelle ? — l’histoire universelle à voir en deux années ! Les instructions ajoutent, il est vrai : « Abrégez, soyez ménagers de détails, ne vous attachez qu’aux grandes lignes. » Encore faudrait-il savoir si l’histoire abrégée est vraiment de l’histoire, si elle profite à l’esprit, si même elle se retient, ou si ce n’est pas précisément par les détails qu’elle prend intérêt et vie.

Et qu’est-ce que ces grandes lignes, comme on les appelle complaisamment, si elles ne supposent pas derrière elles l’ensemble, la masse d’une vaste construction ? Il faut pourtant une mesure, nul ne le conteste ; mais que cette mesure est difficile à garder ! MM. Ammann et Coutant en ont sans nul doute fait l’expérience. Quand je lis dans le premier volume le chapitre où est racontée la grande lutte des plébéiens et des patriciens, lutte pied à pied, lutte où chacun des deux partis déploie tant d’ardeur, de passion, une constance, une ténacité toute romaine, je suis prêt à m’écrier : (Comme cela est court ! — mais je sens bien que les auteurs vont me répondre : Le programme est là qui nous pousse, nous presse, nous jette l’inexorable cri : Marche, marche ! Et j’arrête ma critique, à regret. Quand d’autre part, dans le second volume, je lis par exemple le chapitre sur la Renaissance avec tant de noms d’hommes et d’œuvres, je m’écrie : Comme c’est long ! On me répond : Sans tous ces noms d’œuvres et d’hommes, comment donner une idée de ce grand mouvement des esprits, aux limites mal définies, aux manifestations si variées ? Et je m’arrête… à demi convaincu. Je voudrais tout au moins en tête du chapitre (car je songe à nos élèves que .je vois d’ici un peu perdus) une phrase à laquelle ils pussent s’arrêter, s’accrocher, phrase qui leur dit ce qu’est la Renaissance, phrase de forme calculée, méditée, aiguisée même, à coup sûr décisive, qui entrât dans les esprits, s’y attachât, s’y enfoncât.

Ce que je puis louer sans réserve, ce sont les résumés en forme de tableaux synoptiques qui suivent chaque chapitre. « Ces tableaux, nous disent les auteurs, rendent matériellement visible le plan des différents chapitres… ils font en quelque sorte toucher du doigt l’ordonnance des questions, montrent les faits groupés suivant des divisions naturelles, déterminées logiquement par les idées générales qui les dominent… ils pourront aider, nous l’espérons, à faire de l’étude de l’histoire ce qu’elle doit être réellement, un exercice d’intelligence plus encore que de mémoire. » J’irai encore plus loin et dirai : Ils contribueront, je l’espère, à faire passer dans l’enseignement primaire certaines habitudes d’esprit que nous ne cessons de recommander, celles de dominer les faits, de tâcher de s’y orienter et d’y voir clair, de chercher l’unité logique d’un sujet, d’ordonner, de composer, de se faire un plan.

Autres signes qui trahissent chez les auteurs d’heureuses préoccupations pédagogiques : çà et là des cartes ou plutôt des esquisses géographiques telles qu’il convient d’en réclamer de nos élèves à propos d’un traité de paix, ou d’une campagne ; à la fin de chaque chapitre un index géographique qui donne d’une façon succincte la position de tous les lieux dont le nom ne s’était pas encore rencontré précédemment ; à la fin de chaque trimestre un certain nombre de sujets de devoirs, choisis parmi ceux qui ont été donnés aux examens de ces dernières années ou qui ont paru répondre le mieux à l’esprit nouveau du programme ; quelques-uns de ces sujets (trop peu, à mon gré, tant ces indications me paraissent utiles !) sont accompagnés d’un plan développé ; « les élèves, disent les auteurs. pourront ainsi voir par la pratique comment les éléments d’histoire générale donnés dans l’ouvrage doivent se disposer en vue d’un sujet particulier ».

Veut-on un exemple de la manière dont l’ouvrage est écrit, j’entends de la bonne manière ? Je citerai ces lignes qui me paraissent d’une langue nette, sobre, comme il convient à un résumé de cette sorte, mais pourtant assez colorée et d’un relief suffisant pour frapper de jeunes esprits. Il s’agit de l’Égypte, et comment donner une idée de l’histoire de ce pays sans donner une idée de sa géographie, sans parler du Nil ? « L’Égypte est la vallée immense où coule le Nil, depuis les cataractes d’Assouan jusqu’à la Méditerranée ; très étroite dans sa partie supérieure où elle est resserrée entre deux chaînes de collines parallèles, un peu plus spacieuse dans sa partie moyenne, elle ne se développe en une véritable plaine que vers son extrémité inférieure à partir du point où le fleuve se divise en deux bras principaux qui embrassent entre eux un vaste delta. Le pays tout entier « est un don du Nil », suivant le mot célèbre d’Hérodote : sans les eaux du fleuve, dans cette région où il ne pleut jamais, le désert s’étendrait sans interruption ; grâce à ces eaux bienfaisantes, entre les solitudes pierreuses qui bordent la mer Rouge et les sables jaunâtres du Sahara, s’allonge une étroite bande de terre verdoyante, où la fertilité est incomparable, où l’homme obtient sans effort les plus belles moissons. Chaque année, en juillet, ce fleuve mystérieux, qui ne reçoit pas un seul affluent en Égypte, commence à grossir à la suite de la fonte des neiges et des pluies tropicales tombées dans le bassin des grands lacs équatoriaux où il prend sa source. À l’aide de canaux habilement creusés, ses eaux s’étendent le plus loin possible sur ses deux rives, jusqu’au mois d’octobre ; puis elles commencent à diminuer, et en décembre rentrent dans leur lit, laissant sur les champs qu’elles ont arrosés un limon gras et fertilisateur. Toute la partie atteinte par l’inondation est propre alors à la culture, le reste appartient au désert. »

En somme, cet ouvrage, sorti de la collaboration de deux hommes de savoir et d’expérience, rendra de sérieux services aux élèves de nos écoles normales, et à ceux qui se préparent aux mêmes examens qu’eux. Je le recommande particulièrement aux maîtres : ceux-ci en effet, dominés par le temps et la nécessité, ne voulant pas surmener les esprits qu’ils ont à conduire, sauront bien, même avant que les auteurs l’aient fait, resserrer où il peut être nécessaire, éclaircir, élaguer par-ci et par-là. Resserrer, éclaircir, élaguer (j’en demande pardon à MM. Ammann et Coutant), c’est le grand souci de l’enseignement primaire, même à l’école normale, où nos programmes sont si chargés, si touffus, où il y a tant de choses à apprendre et en si peu de temps.