Cours de philosophie/Leçon XXXIX. De la vérité; de la certitude

- Leçon XXIV. L'association des idées Cours de philosophie - Leçon LV. Définitions et divisions de la morale




Cours de philosophie


La vérité c'est la conformité de l'esprit et des choses; quand l'esprit est adéquat aux choses, suivant l'expression reçue, il possède la vérité. La certitude est l'état de l'esprit qui sait posséder la vérité: c'est donc l'effet de la vérité sur le moi. La certitude ne s'oppose pas à l'ignorance, dont le contraire est la science, mais au doute. Le doute, c'est l'état de l'esprit qui ne se sent pas en possession de la vérité.

La question capitale qui se pose à propos de la certitude est de savoir ce qui la produit. On y répond immédiatement que c'est la vérité: il semble donc y avoir un signe qui distingue la vérité, puisqu'elle produit la certitude. Ce signe qui en serait la vraie cause est ce qu'on nomme le critérium de la vérité.

Quel est donc ce critérium?

On a dit souvent que c'était l'évidence. Elle est quelque chose d'objectif, qui distingue nettement le vrai du faux. C'est selon l'expression de Descartes une sorte de lumière inhérente à la vérité et qui éclaire l'esprit. On a très souvent attribué à Descartes cette théorie de l'évidence objective; mais l'évidence telle qu'il l'entend, n'est pas telle que nous venons de l'entendre. l'évidence de Descartes ne se produit que si la volonté dirige d'une manière convenable l'entendement. Ce n'est donc pas exactement un signe extérieur à l'esprit: la théorie de l'évidence objective doit donc être rapportée à Spinoza. (Verum index sui)

Cette théorie ne peut pas expliquer la différence des opinions. Si l'évidence est inhérente aux jugements, elle devra produire la certitude chez tous les esprits; et pourtant, il y a un grand nombre de propositions qui sont controversées. Les questions les plus élevées, qui intéressent notre vie de la manière la plus grave, n'ont pas encore reçu de solution unanime, et la plupart ont pourtant sur ces sujets des solutions auxquelles ils donnent la plus parfaite certitude. C'est donc que les jugements ne portent pas en eux de signe objectif auquel on ne puisse se méprendre: les jugements seuls présentent ce caractère qui sont universellement acceptés.

On dira peut-être que cette différence d'opinion vient de la différence des esprits; qu'il y a bien un critérium objectif, mais que les divers esprits ne le reconnaissent pas également. Mais la diversité des intelligences ne va pas jusqu'à la contradiction: or les jugements y arrivent. La différence des esprits ne peut donc expliquer la diversité des jugements.

Ainsi nous ne pouvons pas dire que le critérium de la vérité soit l'évidence; nous venons de distinguer deux sortes de jugement: les uns universellement acceptés; les autres, controversés, apparaissant comme vrais ou comme faux suivant les esprits.

Nous avons donc au moins deux formes de certitude à examiner, et à chercher ensuite comment se produit l'évidence qui en est la cause pour chacune d'elles.

Il y a trois sortes de certitude.

1. Mathématique, résultant de la démonstration mathématique. Quand nous sommes mathématiquement certains, nous en pouvons donner les raisons. En second lieu tous les hommes reconnaissent pour vrais les vérités établies mathématiquement.
2. Physique. Quand nous voyons une chose, nous sommes sûrs que nous la voyons; nous avons une certitude purement intuitive, mais aussi forte que la certitude mathématique; comme la précédente elle est commune à tout le monde. Tous les philosophes ne sont pas d'accord sur le point de savoir si nous sommes libres; mais tous conviennent que nous avons l'idée de la liberté.
3. Morale. Nous sommes souvent certains de choses qui ne sont ni mathématiquement prouvées, ni fait d'observations. Un architecte vient de construire un pont et le croit solide sans pouvoir en donner de preuve mathématique ou d'expérience. Considérez un croyant appartenant à une religion quelconque. Le propre de la foi est d'être au-dessus de la démonstration mathématique: elle se donne au moins pour telle. Et pourtant la foi est le type de la certitude: nous ne sommes jamais si convaincus que quand nos croyons en vertu de la foi. Et pourtant les vérités de cet ordre ne se prouvent ni par les faits, ni par démonstration.

Voilà donc une troisième espèce de certitude et de beaucoup la plus fréquente dans la vie ordinaire. A l'appui de nos idées courantes, nous ne pouvons guère donner de preuves rigoureuses, et pourtant nous sommes convaincus. C'est là la certitude morale.

Nous allons rechercher maintenant les divers causes de certitude.

1. La certitude mathématique se produit toujours à la suite d'un raisonnement déductif. Tout raisonnement déductif peut se ramener à la forme A->B; B->C; A->C. Le raisonnement consiste donc dans une série d'identité. Comment sommes-nous certains que les trois angles d'un triangle valent deux droits? Parce que nous établissons une identité entre les propriétés des angles alternes, internes et correspondant d'une part, la somme des angles formés autour d'une droite et la proposition à démontrer.
Ce qui cause la certitude mathématique est donc l'identité du terme considéré et une autre proposition reconnue pour vraie. Le critérium de la certitude mathématique est donc l'identité.
2. Quand nous constatons un fait, nous sommes certains que nous le voyons. Il est pour ainsi dire doué d'une autorité qui s'impose à l'esprit. C'est cette certitude particulière qui forme l'évidence physique ou du fait.

On pourrait objecter que nous pouvons voir des faits qui n'existent pas. Si nous croyons cela, ce n'est pas qu'à certains moments l'évidence du fait diminue, c'est que nous dépassons le fait et affirmons plus que lui. Si un halluciné voit un fantôme, il ne se trompe pas en affirmant qu'il "voit" un fantôme, mais en affirmant qu'il y a là un fantôme.

L'évidence physique est donc produite par le simple fait.