Cours de numismatique

Un auditeur
Le cours de numismatique de M. Prou, au Collège des sciences sociales
Revue internationale de l’enseignement, volume 37, juin 1899, Texte établi par François PicavetSociété de l’enseignement supérieur37 (p. 330-331).

UN COURS DE NUMISMATIQUE
AU COLLÈGE DES SCIENCES SOCIALES[1]

M. Prou, bibliothécaire au département des médailles et antiques de la bibliothèque nationale, a inauguré au Collège libre des sciences sociales, que dirige avec tant d’autorité le docteur E. Delbet, un cours de numismatique. Cette science n’a donné lieu jusqu’ici qu’à de très rares conférences, bien loin qu’elle ail pris place dans l’enseignement. La connaissance des monnaies est cependant indispensable à l’historien. Car les renseignements que ces monuments fournissent à la chronologie, à l’histoire de l’art, à celle des institutions, et surtout à l’étude du développement économique des différents peuples sont nombreux et variés ; ils tirent une particulière valeur de leur précision.

En consacrant ses deux premières conférences (des 3 et 16 mars derniers) à l’histoire du droit de monnaie du IVe au XIIIe siècle, M. Prou a cherché à montrer le parti qu’on peut tirer du rapprochement et de la combinaison des monnaies avec les documents écrits.

Le droit de monnaie, à partir de Dioclétien, appartint exclusivement à l’empereur, à qui était réservé le privilège de faire transformer les métaux en espèces monétaires, dont il fixait le litre, le poids et la valeur. Les rois barbares qui s’établirent dans les limites de l’empire n’eurent garde de laisser échapper un droit dont le fisc royal tirait profit. Comme des monnaies frappées à leur nom, n’auraient pas été acceptées sur les marchés, ils se bornèrent à contrefaire les pièces impériales.

Ce n’est qu’au milieu du VIe siècle que Théodebert, chez les Francs, et à la fin du même siècle, Léovigild, chez les Wisigoths, osèrent substituer leur nom à celui de l’empereur sur les monnaies d’or ; car l’empereur était particulièrement jaloux de son droit d’effigie sur ces espèces. Mais le maintien de la figure impériale sur les monnaies d’or n’avait aucune portée politique et n’était nullement la conséquence d’une suzeraineté exercée par l’empereur à l'égard des rois barbares. Les rois francs abandonnèrent peu à peu la fabrication des monnaies à des gens de métier, les monetarii, qui percevaient les profits du monnayage, et qui, au cours du VIIe siècle, échappèrent en partie au contrôle de l’autorité publique. Les rois négligèrent même de signer les espèces. Les officines se multiplicrent. De là un désordre considérable dans le système monétaire, une variété infinie dans le poids et le titre des monnaies ; de telle sorte qu’au VIIIe siècle, celles-ci n’étaient plus reçues qu’au poids, au moins pour les gros paiements. Le droit de monnaie avait cependant conservé son caractère régalien : mais il était sans effet pratique pour le souverain. La fonction monétaire était restée théoriquement et en principe le privilège du roi, Pépin, et surtout Charlemagne, rendirent à ce droit toute sa valeur ; ils ressaisirent dans son intégrité l’exercice du droit de monnaie.

Et d’abord Pépin reprit la signature des espèces. Le souverain carolingien, sous Charlemagne et Louis le pieux, a sur les monnaies le droit le plus étendu ou du moins il y prétend : il fixe le titre, le poids et le type des monnaies ; il en surveille la fabrication, il décrie les monnaies qu’il veut faire tomber d’usage et donne cours aux nouvelles ; il poursuit et punit les faux-monnayeurs. Mais il délègue ses pouvoirs aux comtes dans les diverses cités. La moneta fait partie du comitatus, si bien que lorsque les comtes rompent les liens qui les rattachent au pouvoir central et se rendent propriétaires de leurs fonctions, la monnaie échappe au roi avec le comitatus. Dès la fin du IXe siècle, dans la plupart des cités, la monnaie était passée dans le dominium et sous la potestas du comte. Telle est l’origine des monnaies dites baronales. Il est donc inexact de dire que sous le régime féodal le droit de monnaie était un droit seigneurial ; c’est tout au moins ne pas s’exprimer avec assez de précision. Ceux-là seuls parmi les seigneurs eurent le droit de monnaie qui étaient les successeurs des comtes carolingiens. Les rois avaient eux-mêmes contribué au démembrement du droit régalien de monnaie par les concessions qu’ils avaient faites à certaines églises, d’abord au IXe siècle, du droit d’exploiter les officines royales de monnaies, puis au Xe siècle, du droit de frapper des monnaies à leur marque particulière.

Au Xe siècle, chaque atelier a acquis son indépendance. Hugues Capet devenu roi ne frappa monnaie que dans les localités où il avait exercé le comitatus avant son avènement au trône. Il n’y a plus au Xe siècle de monnaies royales. Ce qui distingue une monnaie royale c’est son uniformité dans toute l’étendue d’une souveraineté ; c’est aussi qu’elle a cours partout où le roi exerce son pouvoir. La monnaie royale ne reparaît que sous Philippe-Auguste ; encore n’a-t-elle cours forcé que dans le domaine royal. Et lorsque le roi veut en imposer l’usage dans le domaine d’un seigneur qui a le droit de monnaie, il ne le peut qu’en concluant avec lui une convention et en lui délivrant une charte de non-préjudice.

Par ce procédé, Philippe Auguste répandit ses monnaies parisis et tournois au delà des limites de son domaine ; il ouvrit la voie à saint Louis et Philippe-le-Bel qui rendirent au droit de monnaie son caractère régalien. Mais tandis que saint Louis trouva dans les institutions de son temps et sans violer les droits reconnus aux seigneurs ni les coutumes du royaume, le moyen de faire accepter ses monnaies dans toute la France, et mème de s’ingérer dans la réglementation du monnayage seigneurial, Philippe-le-Bel, moins soucieux des droits acquis, plus pressé d’arriver à ses fins, harcelé par les besoins de son Trésor, inaugura Île régime du bon plaisir, et fit poser par ses légistes un principe qui, tout légitime qu’il fût, apparaissait aux seigneurs contemporains — oublieux de l’usurpation qui était à l’origine de leur droit — comme un abus de pouvoir : « Au roi seul appartient et de son droit royal de faire monnaie, et à nul autre », principe qui nous ramène au point de départ, c’est-à-dire au caractère régalien du droit de monnaie, à un principe du droit public romain.

  1. Compte rendu d’un auditeur (N. de la Réd.).