Cours d’agriculture (Rozier)/SUBSTITUTION DE SEMENCES

Marchant (Tome douzièmep. 580-581).


SUBSTITUTION DE SEMENCES. Si on sème un gros et un petit gland, dans des circonstances absolument semblables, le premier produira un arbre beaucoup plus fort et plus vigoureux que l’autre. Si on sème le petit dans une très-bonne terre labourée, et le gros dans une très-mauvaise, le petit au contraire donnera un plus bel arbre que le second.

Cette expérience, choisie entre mille, s’applique également et généralement à toutes les graines ; et si elle n’est pas sensible dans les plus petites, c’est que la différence de leur grosseur est trop peu considérable.

On se rend très-facilement raison de ce fait, en considérant que c’est au moment même de leur développement que la radicule et la plantule des graines germantes acquièrent l’amplitude de force vitale qui doit servir de base à leur croissance pendant toute la vie de la plante qu’elles commencent, et que plus ces parties trouvent de nourriture dans le cotylédon ou les cotylédons qui les accompagnent toujours et dans la terre où elles sont placées, et plus elles complètent leurs moyens d’activité vitale.

Ainsi la plus belle graine semée dans un mauvais terrain ou dans un bon terrain mal cultivé, donnera des productions médiocres. Il en sera de même de celle qui aura été transportée dans un sol ou dans un climat contraires à la nature de la plante à laquelle elle appartient, mais cela avec des modifications sans nombre, tenant à diverses causes.

On dit dans ces deux cas que les graines ou les plantes sont dégénérées.

Presque toutes les graines dégénérées peuvent être ramenées à leur première beauté en les semant une ou plusieurs années de suite dans une terre ou un climat plus favorables, ou au moins aussi favorables à la végétation des plantes qu’elles fournissent, que celui dont on les avoit primitivement tirées.

Ce petit nombre de faits, dont on ne peut contester la justesse, suffit pour résoudre la question qui divise les cultivateurs relativement à l’utilité ou l’inutilité du changement des semences des céréales et autres plantes cultivées, soit dans tous les sols en général, soit dans chaque espèce de sol en particulier ; c’est-à-dire que la grosseur, la beauté seule de la semence doit avoir, et a en effet de l’influence sur la beauté des récoltes, lorsque toutes les autres circonstances sont égales.

Les mauvaises terres et les terres médiocres, étant plus fréquentes que les bonnes, il n’est pas étonnant que l’expérience paroisse généralement être pour ceux qui soutiennent qu’il faut changer de temps en temps les semences des céréales, et sur-tout du blé, la plus précieuse d’entr’elles, pour obtenir de belles récoltes. Mais quand on consulte les cultivateurs sur les motifs de leur pratique à cet égard, on s’aperçoit qu’ils ne les connoissent pas. Par exemple, dans tel lieu on soutient qu’il faut tirer les semences du Midi ; dans tel autre, du Nord ; ici, de la montagne ; là, de la plaine, etc., etc. Le vrai est que par-tout on les tire du pays voisin le plus fertile, qu’on achète les meilleures, et qu’on peut toujours éviter ce changement en choisissant les plus belles de sa récolte.

Quant aux époques auxquelles le renouvellement des semences doit avoir lieu, dans le cas où on a négligé de choisir, les années précédentes, les plus belles de sa récolte, elles varient selon la nature plus ou moins mauvaise du sol, c’est-à-dire qu’on doit les rapprocher d’autant plus que ce sol est plus stérile.

Je ne parle pas des cas où on change de semences, uniquement parce que celles de sa récolte sont trop mélangées d’ivroie, de nielle, et autres mauvaises graines, car c’est toujours la faute du cultivateur lorsque ses champs ou ses grains ne sont pas nettoyés convenablement.

Si des graines des céréales, on passe à celles des plantes employées dans les arts, on trouve, pour changer les semences, les mêmes motifs, et, de plus, d’autres tirés de l’influence du climat, influence qui agit plus sur elles que sur celles des céréales.

Ainsi la garance, qui est une plante des pays chauds, donne en France des racines d’une couleur d’autant plus foible, qu’il y a plus long-temps qu’on l’y cultive, et on augmente ou rétablit l’intensité de cette couleur en faisant venir des graines de Smyrne.

Un autre fait, três-remarquable, en ce qu’il a lieu par une double cause, c’est celui que présente le lin. Tout le monde sait que cette précieuse plante est également originaire des pays chauds où elle reste courte et fournit une filasse assez grossière, mais qu’elle se cultive facilement dans les pays froids, s’y élève beaucoup et donne une filasse fine. Les habitans de la Flandre, qui ont besoin de la filasse la plus fine et la plus longue pour le fil destiné à la fabrication de leurs dentelles et de leurs batistes, ont reconnu, par une expérience de près de deux siècles, que ce n'est qu’en tirant chaque année leur graine du Nord qu’ils pouvoient se la procurer telle. Aussi appellent-ils lin de fin, celui qui provient directement de la graine venue de Riga, et lin de gros, celui de celle qu’ils ont récoltée chez eux, même la première année de l’exportation. On voit ici que c’est une dégénérescence par régénérescence, si on peut employer cette expression, puisque ce lin n’a diminué de valeur que parce qu’il s’est rapproché de son état naturel en croissant dans un climat plus doux que celui d’où venoit sa graine.

Il faut encore citer la rave, plante qui aime les terres fraîches et légères, et qui dégénère promptement dans les sols chauds et argileux. Aussi est-ce, parmi les objets de culture, un de ceux dont les variétés sont les moins durables lorsqu’on les change de localité ; il faut donc avoir continuellement recours au type originel pour pouvoir les conserver autre part, témoin les navets de Freneuse, les turneps l'Angleterre, etc., etc.

Je pourrois encore rapporter beaucoup d’autres faits analogues à ceux-ci ; mais l’objet de cet article n’est pas de faire un traité des semis. J’ai seulement voulu prouver que la substitution des semences, quelles qu’elles soient, n’est utile que lorsque les plantes auxquelles elles appartiennent ont dégénéré par une cause quelconque, et qu’on peut presque toujours l’éviter, même dans les plus mauvais sols, en choisissant constamment les plus beaux grains de sa propre récolte. (Bosc.)