Cours d’agriculture (Rozier)/REMISE

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 571-572).
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REMISE. Petit bois, formé d’arbrisseaux & destiné à la conservation du gibier, attendu qu’il se plaît beaucoup mieux dans les broussailles que dans les bois élevés & touffus. On garnit ces remises en arbres qui viennent fort vite, ou en arbrisseaux dont les fruits attirent les oiseaux : il est à propos de planter aussi avec les broussailles des arbres de bonne essence, qui par la suite prennent le dessus & forment des boqueteaux utiles, à la place de ceux qu’on n’avoit d’abord plantés que pour l’agrément de la chasse : c’est pourquoi dans le temps qu’on cessera de cultiver ces arbrisseaux, on fera bien d’y répandre du gland, il s’y élevera beaucoup de chênes : c’est ainsi que s’exprime l’Auteur du Dictionnaire économique. Ma manière de voir est bien différente de la sienne & des Auteurs qui ont écrit sur ce sujet ; je donnerois au contraire des règles sûres pour que toutes les remises fussent détruites dans les vingt-quatre heures. Eh quoi ! parce qu’il a plu à un grand seigneur de venir pour ses menus plaisirs attaquer ma propriété, prendre une partie de mon champ sans la payer, planter un bois sans mon agrément, n’est-ce pas le signe de ]esclavage le plus honteux pour le propriétaire, du despotisme le plus outré de la part du grand seigneur ? Quand même, à prix d’argent, il me forceroit à lui céder cette partie de mon héritage, la tyrannie n’en seroit pas moins évidente & odieuse : la modique valeur qu’il me cédera en échange de mon patrimoine, me dédommagera-t-elle du tort continuel que les lièvres & le gibier feront à mes récoltes ? Équivaudra-t-elle aux funestes effets des gelées blanches que cet amas d’arbres appelle sur mon champ ? Enfin, a-t-il plus de droits sur la vie du gibier qui se trouve dans mon patrimoine, que moi aux dépens duquel il vit ? La loi du plus fort a établi, mais non pas consacré ce droit odieux. Cette vérité fondée sur la justice naturelle a frappé le grand Duc actuel de Toscane : ce grand homme sait que le premier devoir d’un monarque est de rendre son peuple heureux, & que son bonheur fait sa gloire. Il a permis à tous les individus de ses états de tuer le gibier qu’ils trouveroient dans leurs champs, & même jusque sur les terrains qui lui appartiennent. Je pourrois citer un exemple bien frappant du tort affreux que le gibier fait au malheureux cultivateur : une pièce de terre est affermée six livres chez un seigneur de ma connoissance & près de Paris, tandis que la même étendue n’est affermée que quatre livres dans la terre située à sa droite, & quarante sous dans celle du seigneur à sa gauche ; le premier laisse détruire autant de gibier qu’il s’en trouve ; le second permet des battues autant qu’on en demande ; & le troisième ne voit que le gibier, & ne pense qu’à sa conservation. Cette différence dans le prix des fermes est une preuve sans réplique de la nécessité de supprimer les remises & de détruire le gibier ; en effet, le plaisir de chasser une fois ou deux sur une terre peut-il être comparé à la dévastation faite par le gibier aussi multiplié dans les champs que le font les oiseaux de basse-cour dans une forte métairie.