Cours d’agriculture (Rozier)/RATAFIA

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 529-532).


RATAFIAT, liqueur spiritueuse faite avec les noyaux de différens fruits ou avec les fruits mêmes.

Les oranges fourniront un exemple. On choisit celles qui sont à leur véritable point de maturité & très-douces ; les oranges rouges de Malthe sont les meilleures : on en coupe quatre, cinq ou six par tranches, suivant la quantité de liqueur qu’on se propose d’avoir ; le tout est jeté dans un vaisseau susceptible d’être bouché exactement & rempli au trois quarts de bonne eau-de-vie. On laisse ce vaisseau exposé au gros soleil pendant un mois environ : trois oranges suffisent par pinte d’eau-de-vie. Après cette époque on tire à clair la liqueur ; on y ajoute une demi-pinte d’eau ou plus suivant le degré de spiritualité de l’eau-de-vie ou de l’esprit de vin dont on s’est servi, ou point du tout si l’eau-de-vie est foible ; on fait cuire presqu’à consistance de sirop deux livres de sucre dans suffisante quantité d’eau que l’on jette sur l’eau-de-vie. Ce ratafiat se conserve dans des bouteilles bien bouchées. Si, après un mois ou deux, on le trouve trop foible ou trop fort, trop ou pas assez sucré, on lui ajoute ce qui lui manque. Telle est la méthode la plus usitée dans les campagnes, & ce n’est pas la meilleure ; ceux qui désirent plus de perfection, plus de finesse dans ce ratafiat, feront très-bien de suivre le procédé indiqué par M. Dubuisson, dans son Traité sur l’Art du Distillateur-Liquoriste. Les proportions qu’il indique sont pour travailler en grand & à la manière des marchands liquoristes ; ainsi les particuliers peuvent les réduire au point qu’ils désireront. L’Auteur va parler :

On choisit vingt-deux ou vingt-quatre oranges de Portugal, dont l’écorce tire plutôt sur la couleur rouge que sur le jaune, & six citrons ; le tout, frais & à écorce bien conservée ; il faut enlever les écorces de ces fruits par petites lames pour qu’il n’y reste que le moins de blanc qu’il sera possible : on laisse tomber ces parties d’écorces dans une terrine de grès qu’on a placée devant soi. Quand cette opération est finie, on met les oranges qui ont été dépouillées, en réserve, pour en user comme ci-après ; puis on place deux grandes terrines l’une à côté de l’autre, dans l’une desquelles on verse huit pintes d’esprit de vin rectifié ; on prend les petites lames d’écorce l’une après l’autre, on les ploie entre les deux pouces & l’index, on exprime sur l’esprit de vin de manière à rompre toutes les cellules qui renferment les globules de l’huile essentielle qui réside dans ces parties d’écorce. Lorsque chacune de ces lames a été exprimée on la plonge en ligne perpendiculaire dans l’esprit de vin, & on la jette dans la terrine qu’on a placée à côté de celle-ci. Quand la totalité a été exprimée, on verse l’esprit de vin dans le vaisseau qui contient toutes les parties d’écorce ; on laisse infuser pendant deux heures ; on place un tamis sur la même terrine qui contenoit l’esprit de vin, & on met la liqueur qui a passé au tamis dans un vaisseau qu’on tient bien bouché ; on jette les écorces dans une cucurbite avec quatre pintes d’eau de rivière ; on la place dans son bain-marie ; on la couvre d’un chapiteau ; on ajuste le récipient ; on lutte les jointures ; on fait distiller en entretenant le feu, de manière que l’opération se termine au soixante-dix huitième degré de chaleur du thermomètre de Réaumur ; puis on démonte l’appareil ; on verse le produit dans la teinture qu’on a mise en réserve, & on jette le surplus comme inutile. On fait ensuite clarifier dix-neuf livres de sucre, & lorsqu’il est cuit à consistance de sirop, on retire le vaisseau du feu, & pendant que ce sirop est à refroidir, on mouille & on tord fortement une serviette fine ; on l’étend sur une terrine ; on l’attache avec une ficelle qu’on passe à la circonférence du vaisseau ; puis on coupe transversalement & par moitié toutes les oranges qu’on avoit mises en réserve, & on place d’abord chacune de ces moitiés du fruit entre le pouce & l’index, la coupure en dessous ; on exprime avec la main droite, on place ces mêmes écorces entre les deux paumes des mains, & on exprime en sens contraire jusqu’à ce que tout le suc en soit sorti, en observant toutefois de ranger la pulpe & les pépins dans un coin de la serviette, parce que l’une & l’autre partie communiqueroit à la liqueur une saveur amère & désagréable. Lorsque la totalité du suc de ces fruits est passée au travers de la serviette, on retire celle-ci ; on mêle & on agite fortement ce suc d’oranges avec le sirop ; on ajoute ensuite l’esprit aromatique ; on agite encore, puis on verse le mélange dans de grandes bouteilles de verre ; On laisse reposer, on colle & on soutire cette liqueur comme ci-dessus. Il arrive quelquefois qu’une partie du dépôt reste sur la superficie de la liqueur : alors on agite le vaisseau de huit en huit jours jusqu’à ce que la totalité de ce dépôt soit précipitée. Le ratafiat de noyaux se fait également comme celui de fruit. Quelques personnes se contentent de jeter les noyaux entiers d’un certain nombre de pêches dans une quantité donnée de bonne eau-de-vie ; d’autres ajoutent à ce mélange des amandes concassées de noyaux de pêches & d’abricots. Après avoir laisse macérer le tout pendant un mois environ, on tire à clair & on ajoute le sirop de sucre. Cette liqueur est plus ou moins âpre & amère suivant la quantité de noyaux &t d’amandes, parce que l’eau-de-vie dissout la partie résineuse qui est nichée sur l’écorce de l’amande, ainsi que dans le bois du noyau de l’abricot surtout ; elle s’approprie également l’une & l’autre, & la liqueur est moins agréable. M. Dubuisson va parler.

Ratafiat de noyaux de péches. On rejette le bois des noyaux d’abricots, parce qu’il communique un goût désagréable à la liqueur ; on admet au contraire celui des noyaux de pêches, parce que la teinture qu’on tire du bois de ces noyaux, est non-seulement plus huileuse ; mais on remarque aussi, quand on jette dans l’eau-de-vie rectifiée ces noyaux sortans du fruit, que la teinture donne l’odeur & la saveur agréables de ce fruit & de la vanille. Or comme de ces principes balsamiques dépendent tout l’agrément & la majeure partie des propriétés de cette liqueur, pour mieux extraire ces principes, on verse dix pintes d’eau-de-vie rectifiée, dans une bouteille de quatre pintes, dont le goulot soit assez large pour laisser partir les noyaux, & dans laquelle on a soin de les jeter aussitôt qu’on les tire des pêches. Lorsque ce vaisseau est rempli, on verse la même quantité d’eau-de-vie rectifiée, dans une autre bouteille qu’on remplit également de noyaux de pêches, & ainsi de suite jusqu’à ce qu’on ait le nombre suffisant pour la quantité qu’on veut faire de liqueur. Puis on laisse infuser jusqu’à ce que l’eau-de-vie se soit chargée de l’huile essentielle des noyaux. Quand on veut accélérer l’opération de l’infusion, on jette le tout dans une cucurbite qu’on place dans son bain marie ; on lutte la jointure, 0n échauffe & on entretient le liquide pendant cinq ou six jours au soixante-dixième degré, de chaleur, & on agite autant de fois que la liqueur se refroidit, puis on laisse reposer ; on démonte le vaisseau, on soutire par inclination, & on verse sur le marc autant de chopines d’eau qu’on avoit de bouteilles remplies de noyaux & d’eau-de-vie. On fait encore infuser pendant cinq ou six heures ; on coule la liqueur à travers un tamis ; on rejette les noyaux comme inutiles ; on verse le dernier produit avec la teinture, & on y fait infuser une quantité suffisante de vanille qu’on a préalablement coupée par morceaux. Quand on veut passer à la composition, on fait clarifier autant de livres & demie de sucre qu’on a de pintes de teinture ; & lorsque l’écume est blanche, on fait cuire en consistance de sirop, on retire le vaisseau du feu, on laisse refroidir, on mêle le tout ensemble.

Si on désire faire du ratafiat avec les amandes des noyaux d’abricots, car le bois est à rejeter, il convient de jeter ces amandes dans l’eau chaude, de les y laisser pendant quelques minutes, afin de pouvoir facilement enlever leurs écorces. On fait ensuite sécher promptement les amandes dépouillées ; enfin on en jette une certaine quantité dans des bouteilles que l’on remplit d’eau-de-vie, &c.