Cours d’agriculture (Rozier)/RAJEUNIR

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 516-518).


RAJEUNIR. Terme de jardinage. C’est tailler un arbre sur les branches de la nouvelle pousse, & supprimer la plus grande partie du vieux bois ; cette excellente définition est de M. l’abbé Roger-Schabol. Beaucoup de jardiniers confondent ce mot avec celui de couronner un arbre. S’il est déjà vieux ou sur le retour, il est bien rare que cette forte opération ne soit l’avant-coureur de sa mort, quand même on recouvriroit la plaie avec l’onguent de St. Fiacre, aussitôt après l’amputation ; dans cet arbre, tous les canaux de la sève sont déjà oblitérés en partie, l’écorce est extérieurement devenue ligneuse, gercée, raboteuse ; tout, en un mot, annonce, si j’ose m’exprimer ainsi, l’ossification ; & cette écorce, auparavant si tendre, ne ressemble pas mal aux apophises, qui s’ossifient dans les vieillards, & rendent leur marche & leurs mouvemens lents, pénibles, & comme par ressort. Pour que ce vieil arbre couronné ne périsse pas, il faut absolument que de nouveaux bourgeons percent à travers cette vieille écorce, & si l’arbre ne conserve plus encore une certaine vigueur, la chose devient impossible, & l’arbre meurt. Le couronnement sur les arbres jeunes & vigoureux, est sans conséquence ; il vaudroit cependant mieux les rajeunir par la diminution de quelques branches, sagement conduites, à moins qu’on n’ait besoin de couronner cet arbre afin de le greffer sur ses nouvelles pousses. Il est très-peu de cas où il faille couronner, & beaucoup où il convient de rajeunir.

Supposons un poirier taillé en espalier & conduit d’après la méthode de M. de la Quintinie ; supposons-le encore de qualité à produire naturellement beaucoup de bois, quand il est dans sa vigueur ; supposons-le, enfin, garni de 5, 7 à 9 greffes branches qui s’élèvent presque perpendiculairement du tronc, ou si l’on veut, de deux mères branches qui s’étendent près de la superficie du sol, & servent de base aux branches perpendiculaires. Tant qu’un pareil arbre conservera de la vigueur, on aura beau tailler court ou long le bourgeon du sommet de ces branches, l’œil supérieur de ce bourgeon poussera avec force l’année suivante, attirera à lui la plus grande partie de la sève. On aura beau le pincer, l’arrêter, vers le mois d’août, l’œil au-dessus de la taille n’en poussera pas moins, & à la taille d’hiver, il faudra de nouveau rabaisser, non-seulement le jet qui s’est formé pendant l’été, mais encore une partie du bois du premier jet du bourgeon ; c’est-à-dire que tout le travail de la nature se réduira à vous donner des fagots, & à appauvrir le bas de la tige droite, pour nourrir sa supérieure, que vous êtes forcé de rabaisser.

Pendant-que la sève gagne toujours le haut de la tige, le milieu & le bas se garnissent de boutons à fruit, de brindilles, de bourses, (consultez ces mots) & tous deviennent si nombreux, qu’il ne perce plus de boutons à bois ; il en résulte des toupillons de petites branches informes, des têtes de saules &c ; les canaux des vieux rameaux à fruit s’oblitèrent, les bourses, à force d’avoir donné du fruit, se dessèchent ainsi que les brindilles devenues boutons à fruit ; enfin, toute la partie inférieure de cet arbre est hideuse, pendant que la supérieure présenté les signes de la vigueur.

Un jardinier prudent commence par couper au niveau du tronc, la branche du milieu la plus perpendiculaire, laisse les deux voisines & les incline, s’il le peut, à l’angle de 45 degrés, afin de faire refluer la sève dans la partie inférieure, & empêcher qu’à l’avenir elle ne s’emporte vers le sommet ; les deux branches suivantes sont abattues comme celle du milieu ; enfin les deux dernières sont inclinées de manière quelles tiennent le milieu entre la surface de la terre & le point qu’occupent les deux autres branches dirigées sous l’angle de 45 degrés.

Est-ce par le secours des quatre branches laissées que l’arbre doit être rajeuni. Oui & non. Oui, si elles sont encore assez jeunes pour donner, sans peine, de nouveaux bourgeons, après en avoir rigoureusement supprimé tous les chicots, les bois morts, les bourrelets, nommés grognons par les jardiniers, les têtes de saule, &c. ; enfin, après les avoir réduites à ne conserver que de bon bois. On doit bien prévoir que ces branches une fois nettoyées & fixées à leur place, exigent que chaque plaie soit recouverte sans délai avec l’onguent de S. Fiacre ; parce que, étant nécessairement en très-grand nombre, elles feroient beaucoup souffrir l’arbre & peut-être même lui donneroient la mort. Mais si au contraire ces branches ne sont pas vigoureuses, je les soumets également à l’angle de 45 degrés, du moins les deux supérieures, après les avoir nettoyées & appropriées comme les précédentes, non pour qu’elles forment les mères branches de l’arbre, mais pour qu’elles en tiennent la place jusqu’à ce que de nouvelles pousses mettent dans le cas de les supprimer entièrement. Je les incline à l’angle de 45 degrés, afin que la sève ne trouvant plus de ligne perpendiculaire, reflue avec moins d’abondance à leur partie supérieure & reste plus long-temps dans le bas & près du tronc où elle aidera & facilitera la sortie de nouveaux bourgeons.

C’est par le secours de ces nouveaux bourgeons que le jardinier habile rajeunit un arbre, & que l’arbre perdant sa forme hideuse, permet à ses jeunes branches de se prêter à la disposition qu’exige un palissage sagement conduit ; enfin ces bourgeons remplacent les dernières vieilles branches que l’on supprime ensuite. Ce qu’on a le plus à redouter dans ces circonstances, c’est la multiplicité de ces bourgeons qui deviennent souvent, dans l’année, des gourmands trop forts pour se prêter à une douce direction. C’est au jardinier attentif à supprimer tous ceux qui lui seront inutiles & à commencer à leur donner la direction qui leur convient, à mesure qu’il les palisse, & il doit les palisser souvent.

Ce qui vient d’être dit d’un vieux arbre en espalier, s’applique également à un vieux arbre disposé en buisson, (consultez ce mot) sur-tout si on n’a pas eu le soin de conduire, en taillant, chaque bourgeon de manière que la poussée des deux yeux du haut fasse la fourche. Ces fourches ménagées à six ou huit ou dix pouces les unes au dessus des autres, interrompent le canal perpendiculaire, parviennent à tenir lieu de l’inclinaison à l’angle de 45 degrés, & donnent l’évasement nécessaire pour que la partie supérieure de l’arbre forme bien le gobelet. Si on mesure alors le sommet de la dernière fourche, comparé à sa base, on trouvera que la ligne d’inclinaison s’éloigne de celle de 45 degrés ; mais si les fourches sont trop éloignées les unes des autres, la direction totale de la branche s’éloignera trop de celle de 45 degrés ; si les fourches sont trop peu multipliées, la sève montera avec trop de facilité au sommet des branches, & donnera trop de vigueur aux bourgeons aux dépens des parties intérieures.

Les gourmands offrent de belles ressources, si le jardinier sait en profiter, quand il s’agit de rajeunir un arbre. Un seul gourmand suffit souvent pour décider à abattre une branche vieille & qui languit ; l’amputation d’un certain nombre de branches, fait refluer dans les autres la sève qu’elles absorboient ; mais si ces autres sont supposées très-vieilles, elles ne peuvent plus recevoir que la quantité dont elles ont besoin & le reste sert à faire de nouveaux bourgeons ; c’est ainsi qu’on rajeunit réellement un arbre en le ramenant peu à peu par la taille sur le nouveau bois.