Cours d’agriculture (Rozier)/POIVRE D’INDE ou de GUINÉE, ou POIVRE LONG, ou CORAIL DES JARDINS

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 170-171).


POIVRE D’INDE ou de GUINÉE, ou POIVRE LONG, ou CORAIL DES JARDINS. Tournefort le place dans la septième section de la seconde classe, qui renferme les herbes à fleur en rosette, dont le pistil devient un fruit mou & charnu. Il l’appelle capficum siliquis longis propendentibus. Von-Linné le classe dans la pentandrie monogynie, & le nomme capsicum annuum.

Fleur ; petite, d’une seule pièce, découpée en rosette par cinq segmens pointus & refléchis en dehors.

Fruit ; baie sans pulpe, à deux loges, longue de deux à trois pouces & souvent plus suivant la culture ; arrondie en forme d’œuf, d’un rouge de corail dans sa maturité. Les semences petites, aplaties, de couleur jaune-paille, & en forme de rein.

Feuilles ; luisantes, amples, très-entières, soutenues par de longs pétioles.

Racine ; rameuse, fibreuse.

Port ; tige d’un à deux pieds de hauteur, herbacée, rameuse ; les fleurs sont opposées aux feuilles, soutenues pour l’ordinaire par de longs péduncules, les fruits sont inclinés vers la terre, & les feuilles alternativement placées sur les tiges.

Lieu ; originaire des Indes, cultivée dans nos jardins ; la plante est annuelle.

Culture ; dans la majeure partie de nos provinces du nord, on ne cultive cette plante que pour la décoration des potagers, parce que la couleur rouge & brillante de son fruit contraste très-bien avec le brun luisant de ses feuilles. Il n’en est pas ainsi dans les provinces de l’intérieur, son fruit dans la maturité & quand il est sec, tient complètement lieu de poivre dans les cuisines des grandes & petites fermes. Dans nos provinces du midi, leurs habitans préfèrent un poivron à l’oignon & à l’ail pour le repas du matin. Le poivron est ce fruit encore petit & vert, & qui n’a pas encore changé de couleur. Lorsque sa robe a pris la teinte du corail, il ne sert plus que pour la cuisine. Cette plante est au nombre de celles dont la culture est réglée dans les jardins.

On se hâte d’en semer la graine afin de jouir de bonne heure des poivrons. Les endroits les plus abrités & les plus chauds sont choisis de préférence. On rassemble les fumiers les plus consommés, les terreaux les meilleurs, pour en former une espèce de couche. Je dirai presque que c’est la seule plante, après les fèves, pour laquelle les paysans de Provence & de Languedoc ne plaignent pas les petits soins. Leur attention va jusqu’à couvrir les semis s’ils craignent une gelée blanche, La plus petite gelée les fait peur.

Les plus pressés sèment en février, les autres en mars, & les replantent dans un terrain bien fumé & bien défoncé dès qu’ils ont quatre à six feuilles.

Dans les provinces du nord, on sème la graine dans des terrines, caisses, pots, &c. que l’on enterre dans le fumier chaud & au besoin on couvre le tout avec des pailassons. Cette graine germe & levé facilement, pourvu qu’elle soit pressée, ou par la chaleur qui lui est communiquée par le fumier, ou par celle du soleil. Elle souffre & languit dès que l’une ou l’autre lui manque. On sème le poivre d’Inde en mars sur couche, & on le replante à demeure & en pleine terre dans le mois de mai.

Cette plante n’exige pas un soin plus particulier que les autres de nos potagers. Les jeunes plants sont espacés de 12 à 18 pouces les uns des autres, serfouis au besoin & souvent arrosés. Quoique originaire des Indes, cette plante craint le gros soleil de nos provinces du midi, si elle n’est pas tenue humide. Elle ne demande de la chaleur que lorsqu’on la sème & qu’elle est encore jeune. Les premières gelées d’automne la détruisent & rendent toute la plante fongueuse & comme pourrie des que le soleil survient.

Propriétés économiques. Le fruit tient lieu de poivre à une très-grande partie des habitans de ce royaume. Quelques personnes font confire dans le vinaigre les poivrons, de la même manière que les cornichons. Les marchands de vinaigre ont grand soin d’ajouter une certaine quantité de poivrons murs & secs dans leurs barriques de vinaigre, dont ils augmentent singulièrement la force. Quand je dis la force, il ne faut pas entendre que ce fruit augmente la qualité du vinaigre, mais cette liqueur mixtionnée est plus piquante, irrite plus le palais, & on prend mal à propos cette irritation pour de la force. Un tel vinaigre n’est plus rafraîchissant, il n’est plus lui, c’est un composé échauffant & incendiaire si la dose est un peu forte.

Propriétés médicinales. Le fruit est très-âcre, brûlant au goût, un peu aromatique, digestif, incisif, antiseptique, détersif, corrosif.

Les botanistes comptent un grand nombre d’espèces de capsicum, que l’on nomme piment en Amérique & infiniment plus âcres & plus brûlans que le poivre dont on vient de parler, & qui ne mérite ce nom que par sa saveur approchant de celle du fruit du poivrier qui croît dans les grandes Indes, actuellement dans les Isle de France, de Bourbon, par les soins de M. Poivre leur intendant, & dont la mémoire sera toujours chère aux personnes qui ne se contentent pas d’aimer le bien, mais qui le sont malgré les cabales & les persécutions. Je ne parlerai point de cet arbre, parce que nous ne pouvons le cultiver en France ; sa description est dans tous les livres d’histoire naturelle, où elle est mieux placée qu’ici. Je ne parlerai également pas des pimens que l’on mange en Amérique, comme on mange le poivre long en France.

Le poivre des Indes orientales, piper nigrum, poivre noir, piper album, poivre blanc, que l’on vend dans les boutiques, est d’une odeur piquante, aromatique & d’une saveur âcre ;… ce fruit mâché est échauffant, & irrite le genre nerveux ;… il est estimé, pris intérieurement dans la plûpart des espèces de maladies de foiblesse, entretenues par des humeurs pituiteuses, principalement dans le défaut d’appétit par humeurs pituiteuses ; sous forme de cataplasme & long-temps appliqué sur les tégumens, il les enflamme.