Cours d’agriculture (Rozier)/PLUMBAGO, DENTELAIRE, MALHERBE

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 66-69).


PLUMBAGO, DENTELAIRE, MALHERBE. Ces trois noms appartiennent à une plante qu’il importe à bien des gens de connoître ; c’est un spécifique contre la gale. On la trouve chez les auteurs sous la synonymie suivante. Dentellaria Rondeletii, J. Bauh. 2. 941… Lepidium Dentellaria dictum, C. Bauh. Pin 97… Plumbago quorundam Clusii Hist. L. V. 123. Tournefort l’appelle de même & la place dans la cinquième section de la deuxième classe, c’est-à-dire, des herbes à fleur d’une seule pièce en entonnoir, & à une seule semence.

Von-Linné l’a nommée Plumbago Europœa, pour la distinguer des autres espèces qui viennent dans l’Inde & en Amérique ; il la classe dans la pentandrie monogynie.

Fleur ; calice tubulé, persistant, à cinq côtés & à cinq dentelures, velu, chargé de glandes à pédicule, & glutineuses ; corolle, d’une seule pièce en entonnoir, surpassant le calice, divisée en cinq découpures ovales ; cinq étamines portant sur autant d’écailles qui sont au fond de la corolle.

Fruit. Il consiste en une seule semence ovale, tuniquée & farineuse.

Feuilles ; simples, entières, embrassant la tige, ovales, renversées ou plus rétrécies vers leur base, lisses & ciliées ou bordées de petits poils, alternes.

Racine ; rameuse ; la plante est vivace.

Port. Tige herbacée, grêle, cylindrique, cannelée, rameuse, haute d’environ deux pieds ; les fleurs terminales ramassées en bouquet, azurée ; fleurit en été, périt en hiver jusqu’au collet.

Lieu. Les sentiers, les bords des chemins & lieux incultes dans les provinces méridionales, principalement aux environs de Montpellier.

Propriétés. Toute la plante est âcre, corrosive, vulnéraire, détersive. La racine a plus de vertu que les autres parties, elle est aussi plus aromatique.

Usages. Rondelet l’employoit contre la douleur de dents, comme on fait de la pyrèthre. On applique les feuilles sur la tempe dans le même cas. Mâchée, elle enflamme la bouche ; ce qui doit la faire rejeter quand il n’y a pas carie aux dents.

On avoit cru observer que l’application des feuilles fraîches du Plumbago, ou même infusées dans l’huile, pouvoient changer en mieux les ulcères cancéreux & détruire les chairs fongueuses. Ces succès n’ont pas été constans. Les remèdes externes ne peuvent opérer une guérison parfaite lorsque la masse des humeurs est viciée ; & le vice cancéreux est un des plus rebelles. Les topiques n’ont un plein succès que lorsque la maladie est locale, ou lorsque leur action est soutenue par celle des remèdes internes.

C’est peut-être ce même remède que j’ai vu employer mystérieusement & non sans quelque succès, par un empirique intrépide, sur de vieux ulcères phagédéniques aux jambes. Après la chute des escarres on vit l’hideuse circonférence des ulcères se rétrécir sans pouvoir être amenés à cicatrice. Heureux accident qui a sans doute prolongé les jours du malade !

La vertu anti-galeuse du Plumbago est mieux avouée. Quelques auteurs en ont parlé, nommément Garides, dans son Histoire des Plantes des environs d’Aix, qui dit en avoir vu des effets un peu violens : c’est le propre des remèdes actifs, lorsqu’ils sont employés sans précautions. Le peuple de Provence connoît cetts plante sous le nom d’Herbo dei rascas, c’est-à-dire, herbe des galeux ; ce qui annonce l’ancienneté de son usage. M. Sumeire, médecin à Marignane, à confirmé en dernier si cette propriété par ses propres observations, dans un mémoire qui a été couronné par la société royale de médecine, en 1780. Cette compagnie savante a fait répéter ces expériences par des commissaires, & le succès a assez répondu à leur attente.

Comme l’efficacité des remèdes dépend de l’à-propos, c’est-à-dire, de leur juste application, si l’on veut éprouver toute celle du Plumbago, on se conformera an procédé qu’indique M. Sumeire, il est aussi simple que peu coûteux : deux grands avantages pour les gens de la campagne.

Prenez deux ou trois poignées de racine de Plumbago, pilez-les dans un mortier de marbre, jetez dessus une livre d’huile d’olive bouillante, qu’on agitera pendant trois ou quatre minutes avec la racine ; passez le tout au travers d’un linge & exprimez fortement. On forme un nouet avec la racine restée sur le linge.

Pour faire usage du remède, il faut que l’huile soit bien chaude. Alors on y trempe le nouet avec lequel on agite le dépôt qui s’est formé au fond de l’huile & on s’en sert pour frotter un peu rudement la superficie du corps. On doit réitérer les frictions, dit le mémoire, de douze en douze heures, & les continuer tant qu’il y a des restes de gale.

Nous devons prévenir que le premier effet de ce remède est bien différent de celui qu’on attend ordinairement d’un topique, qui est de faire disparoître le mal. Celui-ci l’excite au contraire ; ce qui ne doit pourtant pas alarmer. L’éruption des boutons galeux devient alors plus considérable, mais bientôt ils le dessèchent sans qu’on ait à craindre de rétropulsion.

Ce remède, qui n’est pas aussi désagréable que ceux où entre le soufre, dispense aussi d’avoir recours aux médicamens internes, si toutefois la gale n’est pas compliquée.

Nous observerons encore que ce topique ne doit pas être appliqué indistinctement sur toutes les personnes atteintes de la gale, & qu’il faut respecter certaines parties, par exemple, on ne doit point en frotter la tête ; il convient moins aux jeunes personnes qui ont la peau délicate ou qui sont trop sensibles, aux enfans à la mamelle, &c. Nous croyons qu’on peut dans bien des cas mitiger le remède en mettant plus d’huile & moins de racine. Il ne faudroit peut-être pour amortir la force de ce topique, que laisser sécher la racine avant d’en faire usage. On doit éviter aussi que l’huile soit trop chaude quand on en frotte la peau ; car, quoiqu’il faille que l’huile soit bouillante pour se charger du principe médicamenteux du Plumbago, il seroit imprudent de l’employer dans cet état. Ce seroit vraiment un supplice & faire subir au malade l’épreuve de l’huile bouillante. On en a vu à cause de cela de très-mauvais effets. Que ce soit un avertissement pour ceux qui se droguent sans avoir pris l’avis des gens de l’art.

Quelques gens de la campagne, à qui j’ai fait connoître ce remède, & à qui il convenoit mieux qu’à tous autres, s’en sont bien trouvés. La même préparation a servi pour oindre toute une famille infectée de gale. J’ai conseillé d’en faire usage pour les chiens & pour les brebis galeuses, après leur avoir coupé le poil ou la laine. Il seroit plus à propos, pour les animaux, d’en préparer une pommade qu’on leur laisseroit appliquée pendant quelques jours, & qu’on couvriroit d’une toile assujettie par des bandes pour les empêcher de se lécher. Quelques chasseurs connoissent fort bien ce remède ; il y en a qui s’en sont servis contre la rage.

Remarque. Plus une plante est utile, plus il importe d’en avoir une exacte connoissance & de ne point varier sur sa dénomination. C’est pourquoi nous jugeons nécessaire de faire mention ici d’une erreur au sujet du Plumbago, que nous avons déjà relevée dans la gazette de santé n°. 45, ann. 1785. Il ne convient point de changer le nom imposé au Plumbago, & de le franciser comme on l’a déjà fait par celui de Plumbagine : celui-ci appartient à une substance minérale qui, si malheureusement elle étoit employée en friction ou en emplâtre, sur une personne atteinte de la gale, occasionneroit une rétropulsion assez subite & qui pourroit avoir des suites funestes. Tel est l’inconvénient qui résulte quelquefois des dénominations fausses ou de la confusion des noms. A. X. F.