Cours d’agriculture (Rozier)/PIGEON

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 660-674).


PIGEON. Columba. Le caractère du genre est d’avoir quatre doigts dénués de membranes, trois devant & un derrière, tous séparés environ jusqu’à leur origine. Le bec droit, le bout de la mandibule supérieure un peu renflé & courbé. Les narines à demi couvertes d’une membrane épaisse & molle. Tous les pigeons n’ont pas le bec d’une égale longueur ; les uns l’ont très-court & assez épais ; les autres l’ont plus long, plus menu, plus alongé. Ces oiseaux vivent de grains qu’ils avalent sans mâcher.

On divise communément les pigeons en domestiques & en sauvages. Les premiers sont appelés pigeons proprement dits, & les seconds bisets. On peut, par des soins continués, domestiquer les sauvages, & rendre sauvages les domestiques. Le pigeon ramier est peut-être l’espèce première. Toutes les espèces s’accouplent ensemble & produisent, preuve assez claire qu’elles sont toutes de la même famille, & que l’éducation, le climat, la nourriture, ont produit la variété des individus. La domesticité, la mollesse dans laquelle vivent les pigeons domestiques, leur a fait perdre l’habitude de se percher sur les arbres ; le besoin de conserver leurs jours, d’éviter les renards & autres quadrupèdes carnaciers, leur démontre bientôt la nécessité de se percher lorsqu’ils préfèrent la liberté aux aisances de la vie ; ainsi ce caractère ne distingue aucune espèce.

« Les pigeons, dit M. de Buffon, quoiqu’élevés dans l’état de domesticité, & en apparence accoutumés comme les autres à un domicile fixe, à des habitudes communes, quittent ce domicile, rompent toute société, & vont s’établir dans les bois. D’autres apparemment moins courageux, moins hardis, quoique également amoureux de leur liberté, fuient nos colombiers pour aller habiter solitairement quelques trous de muraille, ou bien en petit nombre se réfugient dans une tour peu fréquentée, & malgré les dangers, la disette & la solitude de ces lieux, où ils manquent de tout, où ils sont exposés à la belette, aux rats, à la fouine, à la chouette, & où ils sont forcés de subvenir en tout temps à leurs besoins par leur seule industrie, ils restent néanmoins continuellement dans ces habitations incommodes, & les préfèrent pour toujours à leur premier domicile ; ils ne se perchent pas comme les premiers, & sont néanmoins beaucoup plus près de l’état libre que de la condition domestique. La troisième nuance est celle de nos pigeons de colombiers, dont tout le monde connoît les mœurs, & qui, lorsque leur demeure leur convient, ne l’abandonnent pas, ou ne la quittent que pour en prendre une qui convient encore mieux, & ils n’en sortent que pour aller s’égayer ou se pourvoir dans les champs voisins. Or, comme c’est parmi ces pigeons même que se trouvent les fuyards & les déserteurs dont on vient de parler, cela prouve que tous n’ont pas encore perdu leur instinct d’origine, & que l’habitude de la libre domesticité dans laquelle ils vivent, n’a pas entièrement effacé les traits de la première nature à laquelle ils pourroient encore remonter ; mais il n’en est pas de même de la dernière & quatrième nuance dans l’ordre de dégénération, ce sont les gros & les petits pigeons de volière dont les races, les variétés & les mélanges sont presque innombrables, parce que, depuis un temps immémorial, ils sont absolument domestiques, & l’homme, en perfectionnant les formes extérieures, a en même temps altéré leurs qualités intérieures & détruit jusqu’au germe de sentiment de liberté. Ces oiseaux, la plupart plus grands, plus beaux que les pigeons communs, ont encore l’avantage pour nous d’être plus féconds, plus gras, de meilleur goût ; & c’est par toutes ces raisons qu’on les a soignés de plus près, & qu’on a cherché à les multiplier malgré toutes les peines qu’il faut se donner pour leur éducation, & pour le succès de leur nombreux produit, & de leur pleine fécondité : dans ceux-ci aucun ne remonte à l’état de nature, aucun même ne s’élève à celui de liberté, ils ne quittent jamais les alentours de leur volière, il faut les y nourrir en tout temps ; la faim la plus prenante ne les détermine pas à aller chercher ailleurs, ils se laissent mourir d’inanition plutôt que de quêter leur subsistance ; accoutumés à la recevoir de la main de l’homme, ou à la trouver toute préparée, toujours dans le même lieu, ils ne savent vivre que pour manger, & n’ont aucune des ressources, aucuns des petits talens que le besoin inspire à tous les animaux. On peut donc regarder cette dernière classe, dans l’ordre des pigeons, comme absolument domestique, captive sans retour, & entièrement dépendante de l’homme ; & comme il a créé tout ce qui dépend de lui, on ne peut douter qu’il ne soit l’auteur de toutes ces races esclaves, d’autant plus perfectionnées pour nous, qu’elles sont plus dégénérées, plus viciées pour la nature. »

La lecture des sublimes écrits du Pline françois, m’engagea à suivre de près la dégénérescence de la quatrième espèce, & d’examiner si elle étoit entièrement perdue pour la nature. Je pris six paires de pigeons jeunes, & qui ne mangeoient pas seuls ; lorsqu’ils furent en état de se passer de tout secours, je les mis dans le colombier avec les pigeons bisets. Il y avoit trois paires de pigeons domestiques, un de romain, un de nonain & un turc, & ils furent abandonnés à eux-mêmes ; il en mourut un de chacune des deux dernières espèces, tous les autres imitèrent l’exemple des bisets, & furent chercher leur nourriture dans les campagnes. Pendant l’été suivant, je mis dans le même colombier quatre paires de pigeons dont les plumes des pattes sont disposées en manière d’ailes assez longues ; ils étoient âgés de deux ans, & ils avoient toujours été nourris dans la volière sans en sortir ; cinq furent la victime de leur ancien esclavage, & un des trois autres resta plus d’un mois à rouler sur les toits avant de rentrer dans le colombier après en être sorti. Les pigeons, nés au printemps, eurent des petits en automne, & plusieurs se marièrent avec les bisets ; de leur union est provenu une race mixte. Le patu couvert par un biset, a donné une espèce qui n’est pas plus grosse que le mâle, mais celle du biset couvert par un patu, a été aussi grosse que celle du patu, & les pattes ont été chargées de plumes, ce qui n’a pas eu lieu dans le premier accouplement. Comme dans les provinces méridionales la neige est très-rare, & reste tout au plus 48 heures ; comme les froids y sont peu rigoureux, & de courte durée, plusieurs particuliers ne donnent aucune nourriture à leurs pigeons pendant l’hiver ; j’ai suivi à la fin cet usage économique, il est vrai, mais très-mal entendu, parce que, comme dans ce pays aucune propriété n’est respectée, j’avois la douleur de voir mes pigeons tués les uns après les autres par les chasseurs, dont le nombre est plus multiplié que celui des pièces de gibier. Peu à peu ils ont détruit les grosses espèces ; cependant à la sixième année il en resta encore trois ou quatre paires. Voilà donc des espèces, jadis vraiment esclaves, devenues aussi libres que celles de la troisième nuance dont parle M. de Buffon. Il y a plus ; deux paires sont déjà à la seconde nuance, elles se retirent & nichent en dehors dans des trous, & elles ne couchent plus dans le colombier. Si les chasseurs n’étoient pas si braconniers, peut-être qu’à la longue ces pigeons passeroient à la première nuance. Les pontes de ces différentes espèces de pigeons ne sont pas plus multipliées que celles des bisets ; elles commencent & finissent en même temps que les leurs. Les bisets font ici depuis quatre jusqu’à six pontes par an, & les pattus en font de 8 à 9 ; lorsqu’ils sont nourris & lorsque le froid n’est pas tardif ou trop prématuré en automne, on est au moins assuré de quatre paires dans une année, même en ne donnant aux bisets aucune nourriture pendant l’hiver. Dans le cours de la première & de la seconde année de mon séjour près de Béziers, je jetai dans le colombier 150 paires de pigeons, il y en reste actuellement à peine 50, quoique je n’en aye pas pris une douzaine de paires. Les dimanches & les fêtes sont des jours bien redoutables pour ces pauvres oiseaux. Les individus de l’espèce parvenue à la seconde nuance, n’ont point changé de plumage, & leur grosseur ne paroit pas diminuée.


CHAPITRE PREMIER.

Des principales espèces, ou variétés de pigions.

1. Pigeon Domestique. Columba domestica ; très-varié dans la couleur, mais il a toujours la partie intérieure du dos blanche ; le bec brun ; la membrane qui couvre les narines, couverte d’une matière farineuse qui la fait paroître blanchâtre ; les pieds sont rouges & les ongles noirs.

2. Pigeon romain. Columba romana, B versicolor. Il varie en couleur, du blanc au noir, du roux au cendré, ou de l’ensemble de ces couleurs. Son col est ordinairement orné de couleurs éclatantes & comme mêlées d’or ; le bec est noir dans les uns, rouge ou couleur de chair dans les autres, & tous ont la membrane au-dessus des narines couverte d’une matière farineuse qui la fait paroître blanchâtre ; les pieds sont rouges ; les ongles noirs & quelquefois blancs. Cette espèce de pigeon est beaucoup plus grosse que la précédente, & elle fournit un grand nombre de variétés.

3. Pigeon pattu. Columba dasypes. On le distingue des autres par ses pieds qui sont couverts de plumes jusqu’au bout des doigts. Cette variété fournit un grand nombre de sous-variétés ; entre autres celle dont les plumes des pattes sont rangées en manière d’ailes de deux à trois pouces de longueur, & disposées par gradation dans la forme d’un aviron dont la plus grande longueur est dans le bas ; ces ailes sont placées en dehors de chaque patte.

4. Pigeon Hupe. Columba cristata. Il diffère des autres par les plumes de l’occiput qui sont tournées en haut en forme de hupe.

5. Pigeon de Norvège. Columba norvegica. Il est presqu’aussi gros qu’une poule ; il est d’un blanc de neige ; il a une hupe sur le sommet de la tête & les pieds couverts de plumes.

6. Pigeon de Barbarie. Columba Barbarica. Il a le bec très-court ; les yeux entourés d’une large bande d’une peau nue, remplie de mamelons farineux comme celle du Messager.

7. Pigeon nonain, à bec très court ; les plumes de l’occiput & celles de la partie supérieure du col, sont tournées en haut & forment une espèce de capuchon semblable à celui des moines.

8. Pigeon à gorge frisée. Columba turbita. Il ressemble au précédent par son bec court ; mais il en diffère par les plumes de sa poitrine qui sont retournées de côté & d’autre & comme frisées ; le sommet de sa tête est aplati.

9. Pigeon frisée. Columba crispa. Il est tout blanc, excepté les doigts qui sont rouges. Tout le reste de son corps est couvert de plumes frisées.

10. Pigeon Turc. Columba Turcica. On le distingue par sa couleur obscure ou noirâtre ; par le tour de ses yeux qui est rouge ; par ses membranes qui sont au-dessus des narines & qui sont beaucoup plus épaisses que les autres & entourées de petits mamelons rouges ; le bec est jaune, & les pieds sont d’un rouge pâle.

n. Pigeon messager. Columba tabellaria. Ainsi nommé, parce qu’en se servoit autrefois des pigeons de cette espèce pour envoyer promptement des lettres. Il ressemble beaucoup au pigeon turc. Sa couleur est d’un bleu foncé ou noirâtre ; ses yeux sont entourés d’une peau nue, remplie de tubercules farineux & blanchâtres ; les membranes qui couvrent les narines sont très-épaisses & s’étendent jusqu’à la moitié de la longueur du bec ; elles sont entourées de tubercules farineux, semblables à ceux qui sont autour des yeux ; son bec est d’une moyenne longueur & noirâtre.

12. Pigeon grand gosier. Columba gutturroca. Il est de la grosseur du pigeon romain, il varie comme lui, beaucoup en couleur ; mais il en diffère par la facilité qu’il a d’inspirer beaucoup d’air, d’enfler tellement son jabot, qu’il paroît plus gros que tout le reste du corps.

13. Pigeon cavalier. Columba æques. C’est une variété des deux précédentes espèces, & il tient de l’une & de l’autre. Les membranes qui couvrent les narines, sont très épaisses, s’étendent jusqu’à la moitié de la longueur du bec, & sont parsemées de tubercules farineux, de même que le tour des yeux ; cette espèce a également la faculté en inspirant l’air, d’enfler beaucoup son jabot.

14. Pigeon batteur. Columba prœcursor. Cette variété tourne en rond quand elle vole, & elle bat des ailes avec tant de violence qu’elle fait plus de bruit que deux planches que l’on frapperoit l’une contre l’autre ; aussi, le plus souvent les plumes de ses ailes se trouvent rompues, ce qui l’empêche quelquefois de voler.

15. Pigeon culbutant. Columba gyratrix. il est petit & de différentes couleurs ; il se donne en volant différens mouvemens & tourne sur lui-même de même qu’une balle qu’on jette en l’air.

16. Pigeon cuirassé. Columba galeata. Il diffère des autres en ce que sa tête, les plumes de sa queue & les grandes des ailes sont toujours de même couleur, mais différentes de celles du reste du corps, de sorte que si le corps est blanc, la tête, la queue, & les grandes plumes des ailes, sont noires ou de quel qu’autre couleur que ce soit, & ainsi tour à tour.

17. Pigeon paon. Columba laticaudà. Le grand nombre des plumes de sa queue lui a fait donner le nom de pigeon à large queue. On l’appelle aussi pigeon paon, parce que le plus souvent en marchant, il porte sa queue levée & étendue comme un paon ou comme un dindon. Il remue sans cesse la tête & le col de côté & d’autre, ce qui lui a fait donner le nom de trembleur comme au suivant.

18. Pigeon trembleur. Columba tremula. Il diffère du précédent par sa queue qui est beaucoup plus étroite.

19. Pigeon biset. Columba livia. Il est de la grosseur du pigeon domestique. La tête, la partie supérieure du dos, la couverture des ailes, la poitrine, le ventre, les côtés, les jambes, les couvertures du dessus & du dessous de la queue, sont d’un cendré tirant sur le bleu : la partie inférieure du dos est blanche, le col d’un vert doré éclatant & changeant selon qu’il est exposé aux rayons du soleil, en pourpre ou en couleur de cuivre rosette : les grandes plumes des ailes sont d’un cendré tirant sur le noir, ce qui forme sur chaque aile deux bandes transversales noires : les plumes de la queue sont du même cendré que le corps, mais un peu plus foncées & terminées de noir ; & la plus extérieure de chaque côté, a ses barbes extérieures blanches. Le bec est d’un rouge pâle ; les pieds sont rouges ; les ongles noirs.

20. Pigeon de roche ou le roche raye. Columba saxatilis. Environ de la grosseur du biset ; la tête & la partie inférieure du col sont d’un cendré foncé ; les parties supérieures du col, du dos & les couvertures de l’aile les plus proches du corps, sont d’un cendré brun ; les autres couvertures de l’aile, la partie inférieure du dos, le croupion & les couvertures du dessus de la queue, sont d’un cendré clair. Il y a à la partie supérieure du col un peu de ces couleurs brillantes qu’ont la plupart des pigeons. La poitrine est d’une légère couleur vineuse. Le ventre, les côtés, les jambes, les couvertures de dessous la queue, sont d’un cendré clair. Les grandes plumes de l’aile & les moyennes les plus proches du corps, sont brunes ; les moyennes les plus éloignées du corps, sont cendrées à leur origine & noirâtres vers le bout. Il a de plus sur chaque aile deux taches d’un brun noirâtre ; ces taches ne sont que sur les barbes extérieures & vers le bout de chacune des plumes. Toutes les plumes de la queue sont cendrées à leur origine & noirâtres vers leur bout. Le bec est gris ; les pieds sont rouges & les ongles noirs. C’est un pigeon de passage.

21. Le Roche raye blanc. Columba alba saxatilis. Il est à peu près de la grandeur & de la grosseur du précédent, mais sa couleur est différente. Tout son corps est blanc, excepté la tête, le croupion & la queue qui sont d’un beau roux ; le bec est gris ; les pieds rouges ; les ongles sont couleur de chair.

21. Pigeon sauvage. Œnas sive vinago. Il est un peu plus gros que le pigeon domestique. C’est tout au plus une variété du biset, si ce n’est pas le biset lui-même qui a recouvert sa liberté.

23. Pigeon ramier ou Palombe. Il est de la grosseur du pigeon romain. La tête est d’un cendré un peu foncé ; la partie supérieure & les côtés du col, sont d’un vert doré changeant en bleu ou en couleur de cuivre de rosette, selon qu’on les expose aux rayons de lumière : au milieu de ces couleurs brillantes & de chaque côte du col, est une tache blanche qui lui fait comme une espèce de collier ; la partie supérieure du dos & la couverture des ailes, sont d’un cendré brun, & la partie inférieure du dos, le croupion & les couvertures du dessus de la queue, d’un cendré clair ; la partie inférieure du col depuis la tête jusque vers le milieu de sa longueur, est cendrée ; le reste du col, ainsi que la poitrine, est d’une couleur vineuse & mêlée d’un peu de cendré ; le ventre, le côté, les jambes & les couvertures du dessous de la queue, sont d’un joli gris blanc ; les grandes plumes de l’aile, sont brunes, & depuis la seconde jusqu’à la septième inclusivement, elles ont leur bord extérieur blanc ; les secondaires sont d’un gris brun ; l’iris des yeux est d’un jaune pâle ; le bec est jaunâtre & la membrane qui est au-dessus des narines, est rouge & couverte d’une matière farineuse & blanchâtre ; les pieds, qui sont couverts de plumes presque jusqu’à l’origine des doigts, sont rouges ainsi que les doigts, & les ongles sont noirs.

Telles sont les espèces ou variétés de pigeons décrites par M. Brisson, dans son ouvrage intitulé Ornithologie ; à ce nombre, M. de Buffon a ajouté la description de plusieurs autres individus entre autres des pigeons polonois qui sont plus gros que les pigeons pattus, ils ont pour caractère d’avoir le bec très-gros & très-court, les yeux bordés d’un large cercle rouge, les jambes très-basses. Il y en a de différentes couleurs, beaucoup de noirs, de roux, de chamois, de gris piqués & de tout blancs.

Le pigeon cravate est l’un des plus petits pigeons, il n’est guère plus gros qu’une tourterelle, & en les appariant ensemble, ils produisent des mulets ou métis ; on distingue le pigeon cravate du pigeon nonain, en ce que le premier n’a point de capuchon sur la tête & sur le cou, & qu’il n’a précisément qu’un bouquet de plumes qui semblent retomber sur la poitrine & sous la gorge. Ce sont de jolis pigeons, bien faits, qui ont l’air très-propre, & dont il y en a de soupe-en-vin, de chamois, de panachés, de roux & de gris, de tout blancs, & de tout noirs, & d’autres blancs avec des manteaux noirs.


CHAPITRE II.

la conduite des pigeons.

Section première.

Des pigeons bisets ou fuyards.

1°. De la manière de peupler un colombier. Il en existe plusieurs ; toutes ne sont pas également avantageuses. La meilleure, sans contredit, consiste, après que le colombier a été mis en état (consultez ce mot) à choisir vers la fin de l’hiver, une quantité proportionnée de pigeons de l’année précédente & des premières couvées, s’il est possible ; de les jeter dans le colombier dont on aura avec soin fermé la trappe de fil de fer qui interdit aux pigeons la sortie du colombier par les ouvertures ménagées à cet effet. On leur donnera chaque jour de l’eau nouvelle & du grain en quantité suffisante ; la même personne sera toujours chargée de ce foin & elle ira leur donner à manger à la même heure ; au bout de deux ou trois jours, les pigeons seront accoutumés à la voir, ils attendront cette heure avec impatience, ils ne seront plus effarouchés, & l’habitude qu’ils auront contractée, se perpétuera de race en race. Les animaux ne sont qu’habitude ; combien d’hommes leur ressemblent ? Ces oiseaux bien nourris, bien abreuvés & ne s’épuisant pas à courir les champs, ne tarderont pas à entrer en amour. Si on veut accélérer leur ponte, on leur donnera de l’avoine & sur tout de la graine de chenevi, mêlée, si l’on veut, avec un peu de graine de cumin, ou d’anis, ou de telle autre graine de plante ombellifère qui végète naturellement dans les terrains secs… Dès que l’on s’aperçoit que les pontes sont faite, qu’il commence à y avoir des œufs éclos, on ouvre alors la trappe & le mâle ou la femelle, entraînés par leur première éducation, vont dans les champs chercher la nourriture pour leurs petits. On continuera encore pendant quelque temps à leur donner du grain, mais peu à peu on en diminuera la quantité, & après l’incubation de la seconde ponte, on n’en donnera plus. On est assuré par là, de fixer pour toujours dans le colombier les pères, les mères, & leur progéniture, & que les nouveaux nés ne quitteront plus le colombier, s’ils y sont tenus proprement, & qu’ils n’y soient pas inquiétés par les rats, les fouines, ou par les chouettes ; &c. les pères occupés de la seconde ponte, ne songeront pas à fuir, & après qu’elle fera finie, ils seront accoutumés à leur nouveau domicile.

Il convient de choisir au moins à une ou deux, & même à trois lieues de l’endroit, les premières paires de pigeons dont on veut peupler son colombier, dans la crainte que la proximité & la vue de l’endroit où, ils sont nés ne les y rappellent, quoiqu’ils en ayent été séparés depuis plusieurs mois. L’effet des premières impressions est bien difficile à détruire.

Le nombre des premières paires de pigeons à jeter dans un colombier, doit être proportionné à son étendue. Cet oiseau, accoutumé à vivre en société, languit & se déplaît quand il est, pour ainsi dire, dans la solitude ; c’est donc une première dépense à faire, & tout à la fois, afin de hâter sa jouissance, & de retirer ses avances l’année d’après avec usure, même en ne supposant que trois pontes dans cette première année. Dans la supposition, seulement de trois pontes & d’une mise de cent paires, on voit qu’à la fin de l’année le nombre total sera de quatre cents paires, ou au moins de deux cents, en supposant une infinité d’accidens. Si on est prudent, on laissera la seconde année s’écouler encore sans détruire aucune nichée, & l’on est assuré à la troisième d’avoir un produit bien avantageux. Dans le cours des années suivantes, la première ponte demande à être scrupuleusement ménagée ; c’est sur elle qu’est fondée la prospérité du colombier, parce que les pigeons de cette couvée ont toute la force nécessaire pour supporter les rigueurs de l’hiver suivant, parce qu’ils sont accoutumés alors à aller chercher leur nourriture, enfin, parce que (suivant les climats) ils font une couvée dans les mois de septembre ou d’octobre. Si la première couvée n’a pas réussi, ce qui arrive quelquefois par l’intempérie des saisons, on ménage précieusement la seconde, afin de la remplacer. C’est un abus de conserver les pigeons de la troisième, & encore plus de la quatrième & des suivantes. Les pigeons qui en proviennent restent foibles & languissans pendant l’hiver.

On se rappellera long-temps de l’année où parurent les brouillards secs, ou électriques, dont chacun a voulu deviner la cause & l’expliquer ; j’observai à Béziers, que sur plus de cent couvées il n’y en eut pas dix dont les pigeons vinrent à bon port, il en fut de même des poules, & surtout des couvées de dindes.

Il y a deux saisons où l’on garnit communément les nouveaux colombiers, c’est avec les jeunes pigeons du mois de mai, ou avec ceux du mois d’août ; la première est à préférer.

Plusieurs auteurs ont avancé que les pigeons ne se nourrissoient dans les champs que des grains semés par la main de l’homme, & que par conséquent on devoit les nourrir pendant tout le temps où ils n’en trouvoient pas. Si cette assertion étoit vraie, que deviendroient les pigeons auxquels on ne donne aucune nourriture ? ils devroient mourir de faim un mois ou deux après les semailles ; car depuis cette époque jusqu’à la récolte, il s’écoule près de huit mois, & davantage, suivant les climats. La graine de toutes les plantes à fleurs en croix, & à fleurs papilionacées & sauvages, ainsi que celles de la nombreuse famille des graminées, leur fournissent une nourriture suffisante. Ils préfèrent, il est vrai, le froment, le seigle, l’orge, l’avoine, le maïs, le sarrasin, & sur-tout les vesces. Les bisets ne demandent donc qu’à être nourris jusqu’à un certain point pendant la saison de la neige & du froid, & s’il survient des pluies longues & continuelles dans les autres temps de l’année, car le pigeon craint la pluie & les orages, & il aime mieux ne pas sortir de plusieurs jours que de s’exposer à être fortement mouillé. Comme la faim est un besoin cruel, elle force ceux à qui on ne donne rien à manger, dé braver le mauvais temps. On doit juger par là, que son habitation lui devient pénible, qu’il languit, qu’il souffre, & que s’il trouve une autre habitation préférable à la première, il s’y rend de préférence. Tout propriétaire qui entretiendra bien ses pigeons, y attirera sans aucune ruse ceux du voisinage qui sont mal nourris.

Une des causes qui contribue beaucoup à les faire fuir, c’est la mauvaise odeur qu’exhalent leurs excréments nommés colombine, qu’on laisse séjourner trop long-temps dans le colombier Elle doit être enlevée tous les huits jours pendant l’été, & tous les quinze jours ou tous les mois, pendant l’hiver, suivant le plus ou moins grand nombre de pigeons. Ces excrémens vicient l’air, & le pigeon ne niche que dans les boulins supérieurs. À l’article colombier nous avons indiqué un moyen sûr de dissiper l’air méphitisé.

Si c’est toujours la même personne qui porte à manger aux pigeons, qui nettoie les boulins, & si c’est toujours à la même heure, l’animal n’est point effarouché, il ne sort pas brusquement de dessus ses œufs, de dessus ses petits, & par ses efforts trop rapides il ne les précipite pas brusquement en bas du boulin.

Enfin les bisets sont relativement à leur pourvoyeur ce que sont ceux de volière pour le leur. J’en ai de si familiers, qu’ils viennent manger le pain sur ma table.

Dans les grandes métairies, il est aisé de se procurer des grains pour la nourriture d’hiver des pigeons ; mais s’il faut l’acheter, la dépense excédera le produit à moins qu’on ne soit dans la proximité d’une grande ville, où la volaille est vendue à un bon prix. Le pigeon aime beaucoup les pepins de raisins : on les sépare des pellicules après les avoir fait sécher, en les battant avec le fléau, & les vanant ensuite comme le blé. Cette nourriture ranime leurs forces pendant le froid, & j’ose répondre, d’après l’expérience & contre l’assertion de plusieurs auteurs, que ces pepins n’empêchent pas les bisets ni les pigeons de volière de pondre, c’est le froid qui les retient. Si le colombier est dans une position allez chaude, si le froid ne s’y fait pas sentir, si la donnée en pepins est assez abondante, car ils contiennent beaucoup moins de substance nutritive que les grains farineux, on verra que les pontes se continueront pendant toute l’année, excepté pendant celui où le pigeon mue. On doit cependant observer que trop d’abondance en grains rend les pigeons paresseux, qu’ils quittent avec peine le colombier, & s’ils vont à la campagne, ce n’est plus que pour s’égayer. Une pareille nourriture devient très-dispendieuse.

Dans les pays secs, dans ceux où l’eau des fontaines, des ruisseaux, &c. est très-éloignée, on fera bien d’avoir dans le colombier une ou plusieurs pompes faites de la même manière que celle des volières ordinaires, mais beaucoup plus grande & en nombre proportionné à celui des pigeons. On changera & on renouvellera au moins, tous les deux ou trois jours, l’eau de ces pompes ; si on la laisse plus long-temps, elle devient nuisible aux pigeons. La terrine sur laquelle porte cette pompe, & dans laquelle son col est renversé, doit être soutenue par deux morceaux de bols de 3 à 4 pouces d’équarrissage, afin qu’il règne un courant d’air entre la terrine & le plancher ; sans cette précaution, la fraîcheur, de la terrine, l’humidité qui se concentre par-dessous, pourrissient la partie du plancher qui y correspond, & très promptement s’il est en bois. On peut encore, au défaut des terrines, établir de petits réservoirs en bois ou en pierre, dans la cour de la ménagerie, les laver & les remplir d’eau chaque jour, & deux fois par jour dans les provinces méridionales. L’eau pure est un point essentiel pour le pigeon ; il boit beaucoup.

On a publié plusieurs recettes dans la vue d’attirer dans le colombier les pigeons du voisinage. La loi défend ces stratagèmes ; en supposant qu’ils produisent l’effet qu’on en attend, il est contre la probité de les employer. Heureusement ils ne produisent aucun effet nuisible aux colombiers où les pigeons sont conduits avec soin. Si au contraire on les néglige, si on les laisse entièrement à eux-mêmes, il est clair qu’ils iront chercher les commodités de la vie, & encore ils ne cèdent qu’à la nécessité. Ou n’ayez pas de pigeons, ou ne leur refusez pas ce dont ils ont besoin. Un colombier mal soigné rend très-peu, & même rien, & à la fin il se dépeuple.

Après la plus grande propreté dans le colombier, d’où dépend la salubrité de l’air, après l’eau en quantité suffisante & nette, après une nourriture convenable pendant la mauvaise saison, il est encore Une précaution très-avantageuse & qui fixe le pigeon dans sa première demeure. On voit sur les bords de la mer ces Oiseaux venir souvent de plus de deux à trois lieues, becqueter les petits cristaux de sel qui se forment contre les falaises, les rochers, &c ; ce sel n’est pas du sel marin pur, il est un peu nitreux. On voit également les pigeons becqueter les parois des murs, & sur-tout : ceux qui sont revêtus de plâtre ; c’est du vrai sel de nitre qu’ils y trouvent. L’instinct de l’oiseau nous indique ses besoins ; & puisque l’homme a rendu le pigeon domestique, il doit donc les satisfaire. À cet effet, prenez, par exemple, 20 livres de vesces ou pesettes, ou tel autre grain farineux que vous voudrez ; jetez-les dans un vase quelconque, ayez de l’argile bien corroyée & assez molle pour pouvoir être pétrie, & rendue telle par une eau dans laquelle on aura fait dissoudre 8 liv. de sel de cuisine, &c encore mieux six livres de nitre ou salpètre, amalgamez & pétrissez les grains avec cette argile, de manière qu’ils y soient bien enchâssés ou bien séparé ; faites avec ce mélange des cônes que vous exposerez à l’ardeur du plus fort soleil, ou que vous placerez dans un four modérément chaud, jusqu’à ce que toute leur humidité soit dissipée ; tenez ensuite ces cônes ou pyramides dans un lieu bien sec. On en place trois ou quatre dans le colombier, & le pigeon vient les becqueter. On s’imagine peut-être qu’il doit être sans cesse à les becqueter, à les tourmenter, afin d’en arracher le grain, & cependant il n’en est rien. J’ai observé que la saison pendant laquelle il l’attaque le plus, est l’hiver, pendant les pluies de durée, pendant qu’il nourrit ses petits, &c beaucoup plus pendant l’époque de la mue & c’est ce que j’ai suivi & observé avec beaucoup d’attention. Ils n’en prennent qu’au tant que le besoin l’exige : c’est un remède pour eux, & rien de plus. En 1765 ou 1766, ou 1767, (je ne me rappelle, pas précisément l’époque) il régna une maladie épidémique sur les pigeons, & cette maladie dépeuploit les colombiers, ceux auxquels on donna du nitre, en furent préservés ou guéris. On doit juger d’après ce fait combien cette petite & peu dispendieuse précaution est nécessaire.

On lit dans la Maison Rustique, publiée par Liger, & dans les Ouvrages de presque tous ceux qui ont écrit après lui sur les pigeons, l’article suivant.

« De la manière de purger le colombier de vieux pigeons. Le pigeon donne des fruits dans son jeune âge, & lorsqu’il est vieux, il empêche les autres d’en donner, ou les détruit lorsqu’ils sont au jour ; du moins, c’est ce qu’assez de gens s’imaginent, quoique nous voyons tous les jours des colombiers très bien garnis, malgré qu’on ne fait aucune attention sur le nombre des vieux. Quoi qu’il en soit, il est certain que les vieux pigeons qui ont sept ans, couvent beaucoup moins que les jeunes, ils ne sont même bien féconds que les quatre remières années[1], & au-delà ils ne font que détruire & empêcher le profit ne les jeunes pourroient faire. La difficulté est de les connaître, & pour y parvenir, on croit qu’il n’y a point de moyen plus sûr que celui-ci ».

» Dès le commencement qu’on met des pigeons dans un colombier pour le garnir, il faut, en les y jetant, leur couper à chacun avec des ciseaux la moitié d’une griffe seulement[2], & marquer le temps auquel ou le fait, puis l’année suivante à pareil temps, lorsque les pigeons sont tous retirés dans le colombier, deux hommes, après que tout y a été fermé, & que l’on n’y voit plus goutte, s’y introduisent sans bruit avec une lanterne sourde, qui ne donne de la lueur qu’autant qu’il en faut pour visiter un nid, L’un de ces hommes tient la lanterne pour éclairer l’autre, qui prend généralement tous les pigeons dans leur nid, sans en oublier aucun, pour leur couper une seconde fois la moitié d’une griffe d’un autre pied, & ainsi successivement tous les ans, jusqu’à ce qu’on les ait marqués quatre fois, sans crainte que cette visite épouvante les pigeons dans le colombier, pour n’y plus rentrer un. »

» La quatrième année passée, on entre dans le colombier de la même manière qu’on a dit, excepté seulement qu’on porte avec soi deux cages, qu’on jugera suffisantes pour pouvoir contenir tous les pigeons de ce colombier. Dans l’une seront mis ceux qui auront quatre marques, pour être ensuite envoyés au marché ou à la cuisine, & dans l’autre, ceux qu’on connoitra par ces marques ne pas encore avoir atteint l’âge de quatre ans, & devoir par conséquent être conservés. »

Pour faciliter cette opération difficile, pour ne pas dire impossible, lorsque les boulins sont au-dessus de la portée naturelle de l’homme, on a imaginé de supposer tous les colombiers de forme ronde, & de placer dans le milieu un arbre ou pivot perpendiculaire, tournant sur son axe dans le bas & dans le haut, ou il est fixé dans un anneau contre une des poutres du toit. Cet arbre est garni de distance en distance de quelques barres qui correspondent près des boulins, & qui sont placées à des hauteurs proportionnées, afin d’atteindre commodément par-tout ; c’est sur ces barres que montent les opérateurs, & qu’ils font le tour du colombier.

Les inventeurs de ces opérations, de ce mécanisme, ont à coup sûr eu beaucoup moins de peine à les décrire qu’à les exécuter, & l’on peut dire en général, qu’ils connaissaient bien peu la manière d’être des pigeons. Leur ton affirmatif m’a déterminé à répéter ces expériences, & en voici le résultat.

Le sommeil du pigeon n’est pas fort ; le moindre bruit l’effraie, & si un ou deux d’entre eux sort de sa place & vole, tous les autres suivent son exemple. La mère qui couve ses œufs s’envole avec précipitation, & les entraîne avec elle. Tel a été le résultat de ma première incursion quoique faite avec le moins de bruit possible. Je savois, à ne pas me tromper, le placement des boulins dans lesquels étoient différentes nichées ; j’entrai une seconde fois dans le colombier, si fort à pas de loup, que je parvins à un des boulins ; je mis la main étendue sur une femelle qui convoit, & je lui empêchai de se débattre & de produire aucun bruit par le mouvement de ses ailes, mais je ne pus jamais empêcher le son guttural qu’on peut rendre à peu près par ces mots houm houm, le cris d’alarme ou de frayeur fut bientôt répété par les pigeons voisins, & il gagna de proche en proche à la ronde. Pendant cette circulation je serrai le bec du pigeon que je tenois, & sur-tout bouchant ses marines, je parvins à étouffer le cri, & je restai sans bouger jusqu’à ce que la tranquillité fut rétablie dans le colombier, ce qui fut l’affaire de quelques minutes. Tous les pigeons cependant restèrent réveillés : dans cet intervalle l’ongle fut coupé à celui que je tenois, & je le remis doucement dans son boulin ; mais dès qu’il eut la liberté il s’envola à tire d’aile, se heurtant à droite, à gauche, contre les mars du colombier, de manière que les autres époivantés, se mirent également à voler, & tout fut bientôt dans une confusion extrême. Il est encore bon d’observer que j’étois dans la plus grande obscurité, sans lanterne sourde, dont la lumière, qui est supposée donner dans le boulin, est nécessairement aperçye par les pigeons, qui sont placés en face, & dans tous les points qui y correspondent. Ceux qui ont proposé ces opérations, ont sans doute été plus heureux que moi, supposé qu’ils les ayent faites, & j’ose dire y avoir apporté la plus grande attention. Je n’ai pas expérimenté l’arbre tournant, parce que dans mon colombier une poutre le traverse par le milieu sur le tiers de sa hauteur, elle supportoit autrefois un plancher qui séparoit les bisets des pigeons pattus, & j’ai observé à différentes reprises que plusieurs couchoient sur cette poutre. Je conclus que le moindre mouvement imprimé à l’arbre tournant, suffiroit pour effaroucher les pigeons, & que l’on manqueroit son but… Au surplus, je connois un grand nombre de colombiers très-vastes, & très peuplés, où les pigeons sont livrés a eux-mêmes, ils y vivent tant qu’ils peuvent, ne dérangent point les autres ; rarement & très-rarement, vû le nombre, trouve-t-on de vieux pigeons morts dans le colombier, à moins que, blessés par le plomb des chasseurs, ils ayent encore la force de se rendre à leur gîte. Il y a sans doute apparence, que, plus foibles que les autres, ils deviennent la victime de l’oiseau de proie.

On recommande encore l’incinération des plantes aromatiques dans le colombier. Le feu purifie l’air, il est vrai, n’importe quelle espèce de bois que l’on brûle ; la fumée masque pour un temps la mauvaise odeur, & ne neutralise point les miasmes, c’est la flamme qui agit, & des chenevottes vaudroient mieux que toutes les plantes odorantes, parce qu’elles donnent une flamme claire & sans fumée. Tenez les colombiers bien propres, nettoyez souvent les boulins, & toute espèce de fumigation deviendra inutile… Les amas de tiges de lavande destinées aux nids, n’ont pas un mérite plus réel que des brins de paille non écrasée ; : les pigeons choisissent indifféremment les uns ou les autres, je puis le certifier.


Section II.

Des pigeons de volière.

Il y a une différence entre la durée de la ponte de ceux-ci & celle des bisets. Ces derniers couvent ordinairement vingt-un jours, & c’est environ vers le quarante-cinquième, que la femelle pond de nouveau. La femelle du pigeon de volière ne met que quarante jours d’une ponte à une autre. Cette femelle passe la nuit sur ses œufs & y reste jusqu’à dix ou onze heures du matin, alors le mâle prend sa place & y demeure jusqu’à la nuit close. C’est ainsi qu’ils se conduisent chez moi, peut-être dans le nord y a-t-il quelque différence.

Si on n’a que des pigeons de volière, & si on leur laisse la liberté de sortir, ils ne s’écartent guères des environs de la métairie ; s’ils se mêlent avec les bisets, ils deviennent fuyards, ainsi qu’il a déjà été dit. Le pigeon de volière qui sort, pond moins souvent que le pigeon entièrement captif ; celui-ci sent peu le prix de sa liberté, s’il est né dans la volière, & qu’il ait toujours été dans l’esclavage. Il engraisse, grossit & se reproduit beaucoup plus vite que ceux qui voltigent dans les cours. L’abondance de nourriture qui ne doit jamais leur manquer, ni l’eau fraîche, au moins changée tous les deux jours en été, & leur auge bien lavée, est la cause de cette différence. Lorsque le mâle sort de l’œuf, il est pendant huit ou dix jours plus petit que l’individu femelle éclos dans le même temps que lui ; mais il reprend bientôt le dessus. Ces pigeons, (toutes circonstances égales) n’ont atteint leur plus forte corpulence qu’à la fin de la seconde année.

Si, pour plus richement jouir, vous tenez renfermée cette race rendue esclave, ayez au moins l’attention de tenir leur demeure dans le plus grand état de propreté, les boulins faits en plâtre, en briques, en facilitent bien plus les moyens que ceux construits avec des planches. On nettoye aisément les premiers, on les lave au besoin afin d’empêcher que la vermine ne s’y engendre. Le pigeon qui s’en trouve attaqué, ne prospère pas autant que les autres.

Lorsque les pigeons ont du grain en abondance, ils choisissent & font avec leur bec rouler les vesces ou autres grains sur le plancher. Dès qu’on s’en apperçoit, on ne doit rien leur donner à manger, jusqu’à ce que le besoin les force à rechercher ce qu’ils rejettent mal à propos. Ils n’en vaudront que mieux si un jour on leur donne des vesces, le lendemain du maïs, une autrefois de l’avoine, &c ; cette diversité de mets leur plaît ; & on observera que celui dont ils mangeront le moins, doit être celui qu’on ne leur donnera que de loin en loin. Au surplus, ces petits raffinemens ne sont pas d’une grande nécessité, mais ils concourent à donner plus de force aux pigeons.

Si on s’aperçoit que dans la volière il y ait un mâle ou une femelle surnuméraires, on doit les en exclure. Cependant j’ai vu un mâle servir deux femelles & donner les mêmes soins aux deux pontes séparées. Les besoins de la femelle ont dans ce cas sans doute été plus forts que les sentimens de jalousie ; mais il n’en est pas ainsi lorsqu’un mâle est dépareillé, il met toute la volière en rumeur.

Si on ne récolte pas dans ses possessions les grains nécessaires à la nourriture des pigeons, s’il faut qu’on les achète, la dépense excédera de beaucoup le produit, à moins qu’on ne soit à la proximité d’une ville riche & de grande consommation. Si ces menus grains proviennent des récoltes faites après celles des blés, l’objet n’est plus le même, puisqu’elles sont surnuméraires. On peut alors, sans rien perdre, & même avec bénéfice, faire de telles éducations.

Lorsqu’on ne laisse aucune liberté aux pigeons, on doit au moins placer une cage en fil de fer devant leur demeure & dont la grandeur soit proportionnée au nombre des pigeons ; c’est une volière extérieure, dont la base doit être en planches & dont les côtés, le devant & la partie supérieure sont en grillage. Elle leur sert à aller prendre l’air & à se chauffer au soleil, ce qu’ils aiment beaucoup. Il est inutile que l’ouverture du devant de la volière intérieure soit aussi grande que celle de l’extérieure ; il vaut beaucoup mieux qu’un vitrage les sépare l’une de l’autre, & que la suppression d’un seul carreau de vitre dans le bas, serve à établir la communication de l’une à l’autre. Lorsqu’il fait froid, on ferme ce petit passage au moyen d’une trappe, & les pigeons bravent la rigueur des saisons. Cependant si le froid est assez considérale pour geler l’eau dans les pompes, dans les augets ; il convient de leur porter deux fois par jour de l’eau dégelée. Il est encore très-bon, dans la belle saison, de placer au milieu de la volière, une ou deux grandes terrines plates, hautes de deux à trois pouces, pleines d’eau, le pigeon vient s’y baigner avec plaisir, sur-tout quand le temps menace d’orage ; c’est un plaisir que de le voir avec son bec, avec sa tête, faire voler l’eau sur tout son corps ; ces différentes attentions sont plus minutieuses que fatigantes, & toutes contribuant à la bonne santé des captifs.

Olivier de Serres propose différens moyens d’engraisser les pigeons, je ne les ai pas éprouvés & le dernier répugne à ma sensibilité. « Vous engraisserez, dit-il, tous pigeonneaux pattus & en perfection, si estants jà fortifiés, avant toutefois qu’ils puissent voler, leur arrachez des grosses plumes des ailes pour les arrester au nid, ou leur attachez les pieds, afin de n’en pouvoir bouger, ou bien leurs brisez les os des jambes. Dont ne pensant qu’à manger, dans peu de temps deviendront gras au superlatif degré. De tous ces moyens, le dernier est le plus efficacieux, d’autant que dans trois ou quatre jours seront délivrés de la douleur de leurs jambes, & à cause de la rupture d’ocelles auront perdu l’espérance de pouvoir sortir du nid, ce qui n’advient par les deux autres, parce que cuidans se replumer & se délier, se tourmentent continuellement à l’intérêt de leur graisse. »

Dans chaque espèce de pigeon, le père & la mère avalent le grain & le dégorgent ensuite dans le bec ouvert des petits. Comme le pigeon avale sans mâcher, il est à présumer que le grain sec & dur ne conviendroit pas aux petits, & qu’il doit avoir acquis dans l’estomac du père ou de la mère le premier degré de ramollissement & de digestion. On observe également ce fait sur les pigeons de volière comme sur les bisets.


  1. Cela est vrai ; mais il est très-faux que les vieux dérangent les jaunes, surtout lorsque les boulins sont assez multipliés
  2. Tourment & précaution inutiles, puisque les ongles des pigeons, comme ceux des hommes, repoussent sans cesse ; & l’année suivante on ne s’aperçoit plus de la soustraction faites précédemment. Si par le mot griffe on n’entend pas la corne, mais la partie charnue du doigt ; à la quatrième année ce malheureux individu sera obligé de marcher sur le moignon du pied, puisqu’il n’a que quatre doigts. Quand l’opération a lieu successivement aux deux pieds, il ne lui reste plus qu’un doigt par devant & un doigt par derrière.