Cours d’agriculture (Rozier)/OIES (Engrais des)


OIES. (Engrais des) Il en est de l’oie comme de tous les animaux qu’on fait passer à la graisse ; il faut saisir l’instant où elle est parvenue à l’obésité complète, vu qu’elle maigriroit bientôt, et finiroit par périr si on ne la tuoit.

On a calculé qu’il falloit environ quarante à cinquante livres de maïs, dans les cantons où l’on a abondamment de ce grain ; ailleurs il est remplacé par l’orge. Il faut environ trois semaines pour amener cet oiseau au maximum d’embonpoint qu’il peut atteindre.

C’est sur-tout dans le Haut-Languedoc que l’oie est d’une belle venue et aussi grande que le cygne ; sa marque distinctive est d’avoir sous le ventre une masse de graisse qui touche à terre au moment où cet oiseau marche. À la vérité, cette graisse n’est bien sensible qu’au mois d’octobre ; elle augmente à mesure que l’oie prend de l’embonpoint ; mais, quand on s’éloigne de Toulouse, en remontant vers Pau et Bayonne, cette masse diminue, et l’espèce s’affoiblit.

Comme la grande espèce d’oie est d’un meilleur rapport, elle est la seule qu’on élève ; mais il seroit possible de trouver, dans les espèces sauvages, des jars qui pourroient s’accoupler avec nos oies domestiques, d’où résulteroient des métis dont la chair seroit peut-être plus délicate.

Il paroît qu’en Espagne, où les rivières et les lacs sont par-tout couverts de canards et d’oies sauvages, ces croisemens ont été tentés avec un grand succès.

Tous les ouvrages d’économie rurale prétendent qu’il faut un jars pour six femelles ; mais, dans le Bas-Languedoc, le simple métayer ne conserve pas de mâle, à cause de la nourriture qu’il coûte et de sa méchanceté ; au printemps, et moyennant une légère rétribution, il conduit la femelle au mâle qu’on a gardé dans les métairies un peu considérables, pour servir d’étalon ; et il est démontré qu’il peut, sans se fatiguer, féconder un bien plus grand nombre d’oies. M. Saint-Genis s’est assuré que les oies s’apparient comme les pigeons et les perdreaux ; il a même remarqué que quand le nombre des mâles excédoit celui des femelles de deux et même de trois, en y comprenant le père commun, il n’est arrivé aucune rixe entre les mâles ; les accouplemens se sont faits sans bruit, et vraisemblablement par les choix respectifs. Il est resté, outre le père, deux mâles qui n’étoient pas pourvus. Les couples restoient continuellement ensemble, sauf quelques écarts momentanés, pendant lesquels les autres mâles, même les deux célibataires, ne se permettoient pas d’approcher la femelle avec laquelle ils n’étoient pas accouplés. Les deux jars alloient toujours ensemble, ce qui fait présumer que l’un d’entr’eux pouvoit être une femelle, quoiqu’ils fussent l’un et l’autre blancs. Mais Saint-Genis s’est encore assuré qu’ils étoient mâles, et il a constaté par là qu’en général les mâles sont blancs, tandis que leurs femelles ont toujours quelques plumes grises. Cette distinction, que l’on croit certaine, n’a été faite par aucun naturaliste ; c’est en vain qu’on chercheroit dans leurs ouvrages les signes caractéristiques des oies mâles et des oies femelles.

Pour engraisser les oies, on saisit deux époques différentes de leur vie, ou lorsqu’elles ont acquis le volume ordinaire. Dans le premier cas, c’est l’affaire de quinze jours ou trois semaines au plus ; dans le second, il faut un mois, plus ou moins. Tout le travail consiste à les plumer sous le ventre, à leur donner une nourriture abondante et une boisson suffisante ; à les enfermer dans un endroit obscur, frais, tranquille, peu spacieux ; à faire en sorte, sur-tout, qu’elles ne puissent pas entendre les cris de celles laissées en liberté pour la propagation de l’espèce, et à ne les en sortir que pour les tuer.

C’est au mois de novembre, et quand le froid s’est déjà fait sentir, qu’il faut songer à engraisser les oies ; si on attendoit plus tard, on les nourriroit en pure perte ; elles entreroient en rut, s’occuperoient de la ponte, et l’opération alors n’auroit pas le même succès. Pour y parvenir, on met en pratique plusieurs méthodes : nous allons les décrire toutes. Cet oiseau est d’une ressource trop avantageuse dans nos départemens de l’Ouest et du Midi, pour omettre sur ce point le moindre détail.

M. Puymaurin m’a assuré que dans la seule ville de Toulouse, depuis le mois de juillet jusqu’en octobre, il s’en consommoit cent vingt mille, qui se débitent la plupart par quartiers. Les oies que l’on vend ainsi, sont jeunes sans être engraissées ; elles coûtent cinquante sous et trois livres. Elles fournissent quatre quartiers, sans compter les abatis ; de manière que la soupe et le dîner de l’artisan ne lui coûtent au plus que douze sous.

Première méthode. Lorsqu’on n’a que quelques oies à engraisser, on les met dans une barrique à laquelle on a pratiqué des trous, par où elles passent la tête pour prendre leur nourriture ; mais comme cet oiseau est vorace, et que chez lui la faim est plus forte que l’amour de la liberté, il s’engraisse facilement, pourvu qu’on lui fournisse abondamment de quoi avaler. C’est ordinairement une pâtée composée de farine d’orge, de blé de Turquie ou de sarrasin, avec du lait et des pommes de terre cuites.

Le procédé usité par les Polonais pour engraisser promptement les oies, est à peu près le même ; il consiste à faire entrer l’oison dans un pot de terre défoncé, d’une capacité telle qu’il ne permette pas à l’animal de s’y remuer d’aucun côté ; on lui donne à discrétion la pâtée dont il vient d’être question. Le pot est disposé dans la cage de manière à ce que ses excrémens n’y restent point. À peine les oies ont-elles séjourné quinze jours dans une pareille prison, qu’elles acquièrent tant de volume, qu’on est forcé de briser les pots pour les en tirer.

Seconde méthode. Aussitôt que les oies ne trouvent plus à glaner dans les chaumes, et qu’elles ont ramassé les grains restés sur l’aire, elles sont renfermées, douze par douze, dans des loges étroites et assez basses pour qu’elles ne puissent se tenir debout, ni faire beaucoup de mouvement. On les entretient proprement, en renouvelant souvent leur litière. On enlève à chacune quelques plumes sous les ailes et autour du croupion ; on met dans une auge tout le blé de Turquie, préalablement cuit, qu’elles peuvent consommer, et, dans une écuelle, de l’eau en abondance. Dans les premiers jours, elles mangent beaucoup et à tous momens ; mais leur appétit diminue au bout de trois semaines environ, et dès qu’on s’aperçoit qu’elles commencent à le perdre tout à fait, alors on les souffle ou on les gorge d’abord deux fois par jour, et ensuite trois fois. Pour cet effet, on introduit dans le jabot de l’animal du grain à l’aide d’un instrument ; c’est un entonnoir de fer-blanc dont le tuyau, long de cinq pouces et demi et de dix lignes de diamètre dans toute sa longueur, a le bout coupé en bec de flûte et arrondi, formant un petit rebord soudé et uni pour prévenir toute écorchure nuisible à l’animal ; à ce tuyau s’adapte un petit bâton pour en faire couler la graine. La ménagère, accroupie sur ses genoux, après avoir mis l’instrument dans le cou de l’oie, qu’elle tient d’une main, de l’autre elle prend du grain qui est à sa portée, le laisse tomber doucement, et le baguette à fur et mesure, afin qu’il n’en reste point dans l’entonnoir ; par intervalles, elle met sous le bec de l’animal une écuelle d’eau fraîche. En Alsace, on recommande d’ajouter au fond de l’écuelle une poignée de gravier fin et un peu de charbon pulvérisé, dans la persuasion que cette boisson contribue à engraisser plus vite l’oie, à faciliter le passage du maïs, et à faire grossir davantage le foie. D’autres indiquent des levures de vaisselles ; et lorsqu’elle s’aperçoit que son jabot est à peu près rempli, elle la quitte pour en reprendre une autre.

Cette opération, quoique praticable par toute personne, est cependant assez délicate pour n’être confiée qu’à des mains adroites. Il faut tenir de l’eau dans la loge ; car une nourriture forcée et surabondante les altère beaucoup et les suffoqueroit sans cette précaution. Dix oies occupent ainsi une femme pendant une heure, soir et matin. On peut les gorger trois fois le jour, si elles digèrent facilement ; mais il seroit dangereux d’y revenir tant que leur digestion n’est pas achevée. En moins d’un mois, les oies prennent une graisse prodigieuse et acquièrent le double de leur poids, c’est-à-dire, de dix-huit à vingt livres chacune.

Troisième Méthode. L’objet de celle-ci est pour faire grossir le foie. Personne n’ignore les recherches de la sensualité pour faire refluer sur cette partie de l’animal toutes les forces vitales, en lui donnant une sorte de cachexie hépatique. En Alsace, le particulier achète une oie maigre qu’il renferme dans une petite loge de sapin assez étroite pour qu’elle ne puisse s’y retourner ; cette loge est garnie, dans le bas-fond, de petits bâtons distanciés pour le passage de la fiente, et, en avant, d’une ouverture pour sortir la tête ; au bas, une petite auge est toujours remplie d’eau dans laquelle trempent quelques morceaux de charbon de bois.

Un boisseau de maïs suffit pour sa nourriture pendant un mois, à la fin duquel l’oiseau se trouve suffisamment engraissé ; on en fait tremper dans l’eau, dès la veille, un trentième qu’on lui insinue dans le gosier, le matin, puis le soir. Le reste du temps, ils boivent et barbotent.

Vers le vingt-deuxième jour, on mêle au maïs quelques cuillerées d’huile de pavot ; à la fin du mois, l’on est averti par la présence d’une pelote de graisse sous chaque aile, ou plutôt par la difficulté de respirer, qu’il est temps de tuer l’oie ; si l’on différoit, elle périroit de graisse. On trouve alors son foie pesant depuis une livre jusqu’à deux, et l’animal se trouve excellent à manger, fournissant, pendant la cuisson, depuis trois jusqu’à cinq livres de graisse, qui sert pour assaisonner les légumes, le reste de l’année.

Sur six oies, il n’y en a ordinairement que quatre (et ce sont les plus jeunes) qui remplissent l’attente de l’engraisseur ; il les tient ordinairement à la cave ou dans un lieu peu éclairé. Les Romains, friands de ces foies, avoient déjà observé que l’obscurité étoit favorable à ce genre d’éducation, sans doute parce qu’elle éloigne des oies toute distraction, et détermine toutes les facultés vers les organes digestifs.

Le défaut de mouvement et la gêne qui survient dans la respiration peuvent y être ajoutés ; le premier en diminuant les pertes, et tous deux en ralentissant la circulation dans le système de la veine porte, dont le sang doit s’hydrogéner à mesure que son carbone s’unit à l’oxigène qu’absorbe ce liquide ; ce qui favorise la formation du suc huileux, qui, après avoir rempli le tissu cellulaire de l’habitude, s’insinue dans les conduits hépatiques, s’y engorge pour pénétrer ensuite le tissu même du foie, et constituer cette substance grasse et abondante qui, fondant dans la bouche des gourmets, flatte délicieusement leur palais. Le foie ne contracte donc qu’un engorgement consécutif, puisque la gêne dans la respiration ne se manifeste qu’à la fin, en empêchant le développement du diaphragme.

On parle souvent de la maigreur des oies soumises à ce régime : elle n’a pu avoir lieu que sur celles à qui l’on clouoit les pattes après leur avoir crevé les yeux, par suite des souffrances qu’une méthode aussi barbare devoit exciter. Sur cent engraisseurs, à peine s’en trouve-t-il maintenant deux qui la suivent, encore ils ne leur crèvent les yeux que deux ou trois jours avant de les tuer. Ainsi les oies d’Alsace, exemptes de ces cruelles opérations, prennent un embonpoint prodigieux que l’on pourroit appeler à la fin hydropisie graisseuse, suite d’une atonie générale dans le système absorbant, occasionnée par le défaut de mouvement avec une nourriture succulente et forcée, dans une atmosphère trop désoxigénée.

Mais, n’oublions pas de le dire, le canton où l’engrais des oies se pratique avec le plus de succès, c’est le Lauraguais, dans lequel le maïs est généralement cultivé. M. Villèle, placé entre Toulouse et Carcassonne, a fait, en différens temps, des expériences très-intéressantes, dont le résultat, qu’il m’a adressé, sert à prouver que les plus belles oies ne pèsent guères au delà de dix à douze livres, lorsqu’on se borne à les laisser manger à discrétion, sans ensuite les gorger ; que si cette opération s’exécute trop promptement, et qu’on cherche à épargner quelques livres de graisse, on n’obtient que des oies demi-grasses de douze à treize livres, tandis que celles méthodiquement et parfaitement engraissées pèsent jusqu’à vingt livres. Or, cet excédant consistant en graisse, et cette graisse valant seize sous la livre, chaque oie entièrement grasse vaut au moins six livres de plus que celles à demi-grasses, et ces six livres valent trois fois plus de quarante sous ; d’où il suit que quand on cherche à économiser quelques livres de grains dans l’engrais des oies, le profit qu’on en retire ne peut jamais compenser celui qu’on a épargné.

Salaison des oies. En économie domestique, les procédés les plus simples sont précisément ceux qui doivent mériter la préférence, et qu’il faut s’empresser de répandre ; car, pour peu qu’ils paroissent exiger quelques soins et des opérations compliquées, on les rejette même avant de les avoir essayés ; c’est à cette cause qu’est due souvent la lenteur avec laquelle les meilleures pratiques sont adoptées dans les campagnes.

On connoît deux méthodes pour conserver les oies en pot. La première consiste à les employer crues ; dans la seconde, il s’agit de les cuire : toutes deux ont leurs partisans. La première est la plus délicate, mais la plus coûteuse, parce qu’il devient nécessaire alors de se servir d’une graisse étrangère pour condiment.

Pour les préparer cuites, ce qui est d’usage le plus général, on fait rissoler les quartiers des oies dans un chaudron de cuivre où la graisse fond ; quand les os paroissent et qu’une paille entre dans la chair, l’oie est assez cuite ; on arrange les quartiers dans des pots de terre vernissés, au fond desquels on met trois ou quatre brins de sarment pour empêcher les quartiers de toucher au fond, et que la graisse les entoure de tous côtés. Il faut avoir soin de couper les os dont la chair s’est retirée ; c’est la première partie de la salaison qui rancit, et qui gâte le reste. On y verse de la graisse d’oie, de sorte qu’en se figeant elle couvre bien toute la chair, et la garantisse du contact de l’air ; quinze jours après, on verse par-dessus de la graisse de cochon jusqu’à l’ouverture du pot, pour bien remplir les fentes qui se sont faites à la graisse d’oie ; et on couvre le vaisseau d’un papier trempé dans l’eau-de-vie et d’un gros papier huilé ; mais malgré ces précautions, les quartiers les plus élevés contractent au bout de cinq à six mois une odeur légère de rance.

Par une autre méthode, l’oie est salée crue : après avoir coupé la viande en demi-quartier ou l’équivalent, on presse en tous sens un morceau contre le sel égrugé comme du gros sable, et bien sec, et on le place dans le pot avec le sel qu’il a pu prendre ; on continue ainsi, morceau par morceau, ayant le soin, en les plaçant, de les presser fortement les uns contre les autres, et contre les parois du pot, pour ne laisser de vide que le moins possible. On remplit ainsi le pot jusqu’à quatre travers de doigt de rentrée, avant d’y mettre de la graisse : on observe qu’elle ne soit pas bouillante ; on l’y verse peu à peu avec une grosse cuiller de bois : on en remplit le pot. Ordinairement les premiers morceaux sont aussi frais que ceux de l’intérieur. Nous devons ces détails d’économie domestique à M. Puymaurin, dont tous les délassemens ont un objet d’utilité générale.

Des usages économiques des oies. Avant la découverte du nouveau monde, les oies étoient extrêmement communes en France et dans les autres parties de l’Europe ; et il n’y avoit guères de repas un peu splendide où cet animal ne parût avec intérêt sur nos tables. C’étoit le régal que l’avocat Patelin offroit à M. Guillaume. En Angleterre, on mange une oie rôtie le jour de Noël, en mémoire de ce que la reine Elisabeth en avoit une sur sa table au moment où elle reçut la nouvelle de la destruction de la fameuse Armada de Philippe II, roi d’Espagne, qui devoit envahir l’Angleterre et détrôner cette reine. Il y avoit autrefois à Paris un marché particulier affecté au commerce des oies. Ceux qui les vendoient se nommoient oyers ; mais l’acquisition du dindon a pris la place de l’oie, à cause de son volume à peu près égal, et de sa chair beaucoup plus fine et plus délicate. À la vérité, les poussins d’Inde, moins faciles à élever que les oisons, ne sont pas, comme nous l’avons déjà dit, à l’abri de tous les événemens qui menacent leur existence, jusqu’à ce qu’ils aient poussé le rouge : l’oie est donc, de ce côté, supérieure au dindon, et même pour les différens produits ; aussi, dans les provinces où la culture du maïs est en considération, et où il y a des pâturages, l’oie est ce qu’elle étoit, il y a un siècle ; et il faut convenir que sa chair, ses plumes, son duvet, sa graisse, sa fiente, ne sont à dédaigner en aucun endroit où circonstances favorisent sa propagation.

Mais on n’achète pas toujours les oies, dans la vue de les engraisser. De gros propriétaires de la Beauce sont dans l’usage d’acheter des oies au moment de la moisson, et de les faire conduire sur les pièces de blé, après que les gerbes sont enlevées. La, elles ramassent tout le grain, qui seroit perdu sans cette espèce de glanage ; et c’est à peu près l’affaire d’un mois, jusqu’aux labours d’automne. Quoiqu’on ne les vende ensuite guères plus cher qu’on ne les a achetées, elles laissent cependant pour profit à la ferme leurs plumes et leurs duvets, et sur les champs où elles ont pâturé, l’engrais de leurs excrétions et celui qu’elles laissent dans les étables où elles passent la nuit, et qui, quoi qu’on en dise, n’est pas, moyennant quelques soins, nuisible aux champs et aux prairies.

La fécondité de l’oie est connue ; elle fait beaucoup et de gras œufs ; ils sont moins bons que ceux de poule, et servent peu, par conséquent, à la cuisine ; mais on a remarqué qu’ils pouvoient être employés avec avantage dans la pâtisserie, si on ne les destinoit de préférence à la couvaison.

L’oie rôtie est un manger délicieux ; on la sert en Languedoc sur les meilleures tables ; la classe la moins aisée, qui en fait la plus grande consommation, divise cet oiseau en quatre quartiers ; elle fait la soupe avec un de ces quartiers, comme avec du bœuf, et rissole ensuite l’oie à la casserole avec des pois, des fèves, des pommes de terre ou autres légumes, ce qui fournit un plat très-copieux et très-nourrissant ; mais il faut qu’elle ne soit ni trop jeune, ni trop vieille ; dans le premier cas, la chair est trop muqueuse ; dans le second, elle est trop coriace, trop sèche, pour être mangée. Ainsi il vaut mieux la mettre au pot ; et, servie sur la table avec des légumes, elle devient d’un grand profit.

On a attribué beaucoup de propriétés à la graisse d’oie employée à l’extérieur. Dépouillée, par la liquéfaction au feu, de ses matières albumineuses et de son humidité surabondante, elle acquiert une sorte de consistance, la faculté de se garder pendant un certain temps, et de servir à accommoder les viandes, et même à confire les cuisses d’oie. Chez les Romains, elle passoit pour quelque chose d’exquis. Les peaux et les membranes qui restent sur la passoire sont également mises dans des pots, pour en faire, pendant l’été, les soupes des gens de la ferme.

Au reste, la chair et la graisse d’oie servent aux mêmes usages que celle de porc, dans la majeure partie de la France ; le journalier en fait la soupe toute l’année, et le riche en assaisonne les mets délicats qui couvrent sa table. Les cœurs d’oies cuits sur le gril, sont un excellent manger. Les pattes cuites à demi, et frites ensuite, de même que les langues, méritent de trouver place dans l’Almanach des gourmands.

Les oies gorgées donnent des foies très-volumineux qui pèsent quelquefois jusqu’à une livre et demie ; ils sont d’un blanc pâle, et très-délicats ; cependant ils ne valent pas, pour le goût, les foies de canards. En les gardant un certain temps, ils contractent une teinte rougeâtre, ce qui les fait rejeter des cuisiniers ; mais, si les foies d’oies sont une bonne spéculation pour ceux qui les engraissent, le bénéfice des pâtissiers est encore plus considérable. Il en existe tout au plus trois à quatre, à Strasbourg, qui jouissent à cet égard d’une grande réputation ; ils envoient de ces pâtés jusqu’à Pétersbourg, et font entrer dans leurs comptoirs plus de cinquante mille écus par an : ces foies, remplis d’une graisse fine et délicate, conservent le parfum des aromates dont on assaisonne les pâtés, parmi lesquels la truffe du Périgord joue le premier rôle.

On a vu une de nos reines dépenser quinze cents livres pour engraisser trois oies dont elle vouloit rendre les foies plus délicats.

Les oies fournissent une fiente qu’on peut compter parmi les moyens d’engrais les plus puissans. On a prétendu, il est vrai, qu’elle étoit corrosive, et brûloit l’herbe sur laquelle l’oiseau la déposoit ; il est bien possible qu’une trop grande quantité de cet engrais, appliqué immédiatement sur les prairies, soit capable de leur nuire, comme cela arrive pour les engrais des autres volailles, qu’on emploie également sans proportion ni modification.

Ce n’est donc pas de l’engrais même contre lequel on est en droit de se plaindre, mais plutôt du mauvais usage qu’on en fait ; il seroit donc nécessaire, pour en tirer un meilleur parti, de le faire préalablement sécher et réduire à l’état de poudrette, ou bien de le mélanger avec d’autres engrais qui brideroient son action trop vive.

Indépendamment des deux maladies qui affectent communément l’oie, et pour lesquelles Rozier a indiqué les rémèdes, le froid et le brouillard sont très contraires à cet oiseau. On doit avoir soin, quand il est encore jeune, de ne le laisser sortir que par le beau temps, lorsqu’il peut aller chercher sa nourriture sans guide. Quand une pareille cause l’affecte, on lui administre une boisson tonique ; mais la farine d’orge est excellente.

Un autre fléau non moins redoutable pour les oisons, ce sont les petits insectes qui se mettent dans leurs oreilles et leurs naseaux, qui les fatiguent et les épuisent ; alors ils marchent les ailes pendantes et secouant la tête. Le secours proposé par tous les agronomes, c’est de présenter aux oisons, au retour des champs, de l’orge au fond d’un vase rempli d’eau, pour la manger ; ils sont obligés de plonger la tête dans l’eau, ce qui force les insectes à fuir et d’abandonner leur proie.

Il faut avoir soin, en outre, d’arracher toute la ciguë qui peut croître dans les alentours de l’habitation et dans les endroits où les oies vont pâturer ; l’oison en est très-avide : à peine en a-t-il avalé un brin, qu’il étend les ailes, tombe en convulsions, et meurt ; la jusquiame est également un poison pour lui, et ces plantes ne sont pas assez multipliées pour qu’il soit si difficile d’en délivrer le canton pour le salut de toute la volaille. (Parm.)