Cours d’agriculture (Rozier)/OIE, OISON, JARS

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 174-179).


OIE, OISON, JARS. Le premier nom désigne la femelle, le second, le petit, le troisième, le mâle. Von-Linné appelle cet oiseau de basse cour, anas anser domesticus, & confond son espèce avec celle de l’oie sauvage.

Je n’ai jamais suivi l’éducation des oies ; je ne puis rien dire d’après ma propre expérience ; je vais présenter l’extrait des ouvrages des auteurs qui me paroissent avoir le mieux connu les soins qu’elles exigent.

On connoît deux espèces d’oie domestiques, la grande, & la petite qui en est une variété ; on ne doit s’occuper que de la première, parce qu’elle rapporte plus de profit. Les bonnes oies sont celles qui pèsent dix livres, lorsqu’elles sont engraissées. Leur couleur varie comme dans tous les oiseaux domestiques ; elle est brune, cendrée, ou blanche ou mêlée de brun & de blanc ; le mâle est ordinairement blanc, grand de corps, à col long, ailes amples, la queue ronde, un anneau blanc près du croupion ; le dos élevé & rond, bien moins plat que celui des canards ; le bec pointu vers le bout, plus crochu que celui des canards, rouge ; le bec & les pieds des jeunes sont roux.

L’oie, en colère, siffle comme les serpens, & elle est très-susceptible de conserver de la rancune. Cet oiseau vit très-long-temps ; on dit même plus de quatre-vingts ans.

L’oie a le sommeil très-léger, elle sert de garde dans la basse-cour, & personne n’ignore combien elles furent utiles aux Romains, en avertissant les citoyens par leurs cris, de l’approche de l’ennemi au pied des murs du Capitole.

On élève beaucoup d’oies dans les provinces abondantes en rivières, en étangs, &c., cependant le voisinage des eaux n’est pas indispensable à leur éducation ; il suffit, dans les pays où l’on n’a pas cet avantage, de leur faire creuser un petit réservoir où ces oiseaux puissent barboter.

L’auteur du Dictionnaire raisonné des animaux, Paris, Bauche 1759, dit : « on en voit le long de la Loire, s’assembler en un certain temps de l’année, & faire leur passage en d’autres pays, d’où elles reviennent ensuite, chacune dans leurs maisons, ce qu’elles pratiquent tous les ans. » L’oie est aussi vorace que le canard, elle mange tout ce qu’on lui présente. Sa principale nourriture consiste en grains & en herbes sur pied, comme dans les prairies ; elles font beaucoup de dégâts dans les champs semés en blés, sur-tout lorsqu’ils montent en épi, ainsi que dans les vignes pendant les premières pousses, dans les jardins, &c.

Il n’y a nul profit à élever seulement quelques oies ; mais un grand nombre dédommage amplement de la dépense occasionnée par le guide qu’on leur donne, lorsqu’elles vont paître. J’ai vu cependant en Beaujolois des troupeaux considérables d’oie sortir d’elles-mêmes & sans guides, de l’habitation, gagner les prairies, y rester la journée entière, & chaque soir revenir sans le secours de personne. Une mère élevée à ce manège, conduit ses petits, & l’exemple une fois donné, se perpétue sans que le propriétaire y songe. Il arrive quelquefois qu’une trop grande sécurité est funeste au propriétaire ; des oies sauvages passent, s’abattent près des oies domestiques dans les prairies, il prend fantaisie à ces dernières de recouvrer leur liberté, & elles n’imitent pas celles des bords de la Loire, dont on a parlé. On prévient cet inconvénient en leur tirant quelques plumes des ailes ; ou lorsque l’oiseau est encore jeune, en lui cassant le bout de l’aile, vulgairement nommé fouet. Si on n’a pas des communaux, ou des endroits à soi, où on puisse les laisser paître, si on est obligé de les nourrir dans la basse-cour, elles coûteront plus qu’elles ne rendront. Une nombreuse éducation d’oies, lorsque les circonstances le permettent, assure un bon revenu ; on vend les grandes plumes des ailes, leur duvet, l’animal jeune & engraissé & l’animal confit : ainsi rien n’est perdu.

Il est avantageux de presser la ponte de la femelle, afin d’avoir de bonne heure des oisons ; ils sont déjà gros, lorsque le temps de les vendre jeunes est arrivé, & plus gros dans la saison de les engraisser & de les confire.

En multipliant la nourriture & sur-tout le grain, comme l’avoine, l’orge, le maïs ou gros millet, en faisant coucher la femelle dans un lieu chaud, &, s’il se peut, derrière un four qu’on chauffe une fois par semaine, il est sûr qu’elle se hâtera de couver : on connoîtra que le moment est venu, lorsqu’on verra l’oie porter de la paille à son bec, pour construire son nid. Alors on multipliera les brins de paille sèche & courte près de l’endroit qu’elle aura choisi. Si cet endroit n’est pas naturellement chaud, & éloigné du bruit, il convient de la détourner du premier choix, de rassembler dans le lieu qu’on désire pour elle, de la paille, des orties, (elles en aiment l’odeur) & d’y commencer un nid. Elle ira y déposer successivement ses œufs, sur-tout si on a l’attention de mettre de la nourriture près de là, ainsi qu’un grand vase plein d’eau, où elle puisse se laver, même pendant qu’elle couve. Lorsqu’on s’appercevra, après chaque ponte, qu’elle commence à rester plus long-temps sur ses œufs que de coutume, c’est une preuve qu’elle ne tardera pas à couver. L’oie connoît ses œufs, rarement elle se soumet à couver les œufs étrangers qu’on lui présente, & souvent elle les abandonne tous. Elle mange peu pendant l’incubation, mais il est bon qu’elle trouve du grain & de l’eau à sa portée.

La chaleur du lieu ou de l’année fait un peu varier la durée de la couvée ainsi que celle de la ponte. L’oie pond 11 à 15 à 17 œufs, & couve de 17 à 30 jours ; 13 ou 15 œufs suffisent à une ponte ordinaire. Pourquoi dans tous les pays, le nombre impair est-il préféré ? je l’ignore.

Quelques auteurs conseillent, lorsque l’oie quitte son nid pour aller manger, de retourner ses œufs si elle ne l’a pas fait. Précaution superflue, l’instinct des animaux leur est plus utile & plus sûr que notre inquiète prévoyance.

Des œufs éclosent souvent un, deux & même trois jours avant les autres, il faut les tirer de dessous la mère ; parce que sentant sous elle de nouveaux-nés, elle abandonne souvent le reste de la ponte : après les avoir séparés, on les tient bien chaudement dans la laine, il n’est pas même nécessaire de se presser de leur donner à manger, il faut qu’ils digèrent la partie intérieure de l’œuf dont ils se sont nourris avant de sortir de la coquille. (Voyez le mot Œuf) Lorsque toute la couvée est sortie, on rend les premiers éclos à la mère.

Pour les nouveaux nés on prépare une nourriture faite avec de l’orge gruée, trempée dans du lait, ou avec du lait caillé ; le son peut la suppléer.

Si le soleil est chaud, on laissera sortir la mère avec ses petits pendant quelques heures seulement. Si le temps est froid, il faut les enfermer dans leur chambre. Les froids leur sont très-préjudiciables, sur-tout à ceux qui proviennent d’une ponte accélérée. L’ordre de la nature est que tout soit dans sa saison. Si nous dérangeons cet ordre admirable, il faut donc que des soins assidus réparent & obvient aux contre-temps ; c’est ainsi qu’on leur fait passer les quinze à dix-huit premiers jours : après cette époque, ils ne demandent aucun soin particulier, sinon de veiller à ce que la nourriture ni l’eau ne leur manquent pas.

On engraisse les oies à deux époques : ou lorsqu’elles sont encore oison, ou lorsqu’elles sont parvenues à leur grosseur, c’est-à-dire en automne : tout le travail consiste à leur donner une abondante nourriture, bien substancielle, & à ne pas leur laisser faire d’exercice. À ces deux époques, si le lait est abondant dans le pays, il sert de base aux pâtées ; on fait cuire & bouillir avec lui de l’avoine, de l’orge, du maïs surtout ; aucune substance ne les engraisse mieux & plus vite : la pomme de terre cuite & pétrie avec le lait, produit le même effet : afin que la digestion se fasse plus lentement & que la nourriture se change en graisse, on renferme les oies dans un lieu peu spacieux, tranquille, & où il y ait peu de jour ; l’eau blanchie par le lait, ou par l’eau de son, doit être leur seule boisson ; si le lait est trop cher, on le supplée par l’eau, & on augmente un peu la quantité du grain. Il faut que l’oie trouve sans cesse à manger, & on doit proportionner la masse qu’elle consomme à la durée de trois heures : en lui présentant ainsi, & à de petits intervalles, une nouvelle masse de nourriture fraîche, elle mange beaucoup plus, & engraisse plus vite : si dans le nombre des oies mises à l’engrais, on laisse des oies habituées à crier, on doit se hâter de les séparer ; leurs cris inquiètent les autres, & elles restent plus long-temps à parvenir au point que l’on désire.

M. Pingeron, ancien colonel au service de Pologne, dit : (Journal économique 1768, p. 544) « l’oie est un oiseau domestique extrêmement vorace & glouton ; il fait peu de cas de la liberté, pourvu qu’on lui fournisse à manger. Les Polonois défoncent un pot de terre, dans lequel ils font entrer l’oie encore jeune, elle ne peut, en aucune manière, avoir la facilité de se remuer. On lui donne à manger autant qu’elle le désire. Le pot est disposé dans la cage, de manière que les excrémens de l’oiseau n’y restent point. À peine les oies ont-elles passé quinze jours dans une pareille retraite, qu’elles deviennent prodigieusement grasses & grosses. On brise le pot pour les en retirer, elles sont alors un mets délicieux. On nourrit ces oies avec la farine de maïs, (voyez ce mot) mêlée avec des raves bouillies, pour une plus grande économie. »

Ces nourritures farineuses & humectées rendent la chair délicate, produisent beaucoup de graisse, mais cette graisse est molle, & n’a pas le caractère de fermeté & de consistance nécessaires aux oies que l’on veut confire. Celles-ci demandent une nourriture plus sèche, les grains en nature, & les pommes de terres cuites ; le sarrasin, (voyez ce mot), est le moins nourrissant. Il faut environ quarante livres de maïs pour engraisser une oie, ou environ cinquante d’orge ou d’avoine. Dans les provinces où les figues sont abondantes, on a soin d’en faire sécher pendant la saison, & on leur en fait une pâtée avec d’autres grains, quand elles sont à l’engrais ; dans l’espace de quinze jours à trois semaines, les oisons & les oies sont au point de graisse qui leur convient. Quelques auteurs conseillent de leur plumer le ventre, avant de commencer leur engrais : je ne vois pas la nécessité de cette opération. Il est essentiel de tenir les oies prisonnières dans un lieu où elles ne puissent pas entendre les cris des oies en liberté. Les oies aiment beaucoup à avoir, dans tous les temps, leur coucher tenu proprement.

Si le goût carnassier de l’homme l’invite à donner des soins aux oiseaux de sa basse-cour, au moins ces pauvres victimes vivent gaiement, puisqu’elles ignorent le sort qui les attend ; mais l’oie infortunée, à peine voit-elle le jour depuis deux mois, qu’elle est plumée pour la première fois ; elle l’est encore un peu moins rigoureusement à la fin d’octobre, & elle seroit mise à nu, si l’avarice, plus forte que la compassion, ne faisoit trembler pour ses jours, par la crainte du froid. On plume aux jeunes oies le cul, le dessous des ailes & le dessous du ventre. En mars & en septembre on arrache les grosses plumes de l’aile, & après en avoir passé, à plusieurs reprises, le canon dans la cendre chaude, on les lie en paquet : l’opération de la cendre chaude dégraisse le canon de la plume & la dépouille d’un étui mince, membraneux & blanchâtre ; on appelle cette opération hollander les plumes.

« Lorsque les oies sont bien engraissées, (Journal économique, décembre 1757) on les tue, & on les laisse quatre ou cinq jours se faisander, après quoi on enlève proprement les cuisses de dessus la carcasse, ainsi que les ailes, la peau, la chair & le lard qui tiennent tout ensemble, de manière qu’il ne reste, à peu de chose près, que le squelette. On coupe cette dépouille en quatre quartiers, dont chacun fait une aile ou une cuisse. On les sale un peu, & on les laisse prendre le sel pendant deux jours ; on les fait cuire ensuite dans une chaudière avec la graisse même des oies ; la graisse se fond & couvre bientôt tout ce qui est dans la chaudière, On connoît que le tout est suffisamment cuit, lorsque la graisse fondue est devenue parfaitement claire, que les os des Cuisses & des ailes sont bien à découvert, & que la chair s’en est toute détachée.

» On sort alors de la chaudière ces cuisses & ces ailes, sans les dépecer le moins qu’il est possible, & on les arrange séparément dans des pots de grais bien vernissés & bien nets, ou dans des barils de bon bois de saule, si on veut les envoyer loin. On ne les y comprime point en les arrangeant, & on n’en remplit pas tout le vaisseau ; mais on a soin d’y laisser quatre doigts de bord.

» Quand on les a ainsi bien arrangées, on verse par-dessus la graisse toute bouillante, qui est dans la chaudière, en la faisant passer à travers un linge fin pour en ôter l’écume & tout ce qui est grossier. On ne remplit pas totalement le pot ou le baril, de cette graisse, on en met seulement assez, pour couvrir un peu tout le dessus des viandes.

» La graisse d’oie est trop liquide & trop molle de sa nature, pour souffrir les mouvemens du transport sans se répandre : on a même l’expérience qu’elle ne conserve pas si bien la viande que la graisse de porc, qui d’ailleurs est beaucoup plus ferme. C’est pourquoi, lorsque la graisse d’oie est figée dans les pots ou dans les barils, on achève de les remplir avec de la graisse de porc, qu’on fait chauffer assez pour la rendre liquide & la pouvoir verser. Cette graisse étant plus ferme, lorsqu’elle est refroidie, sert comme de couverture pour conserver le tout. On peut de cette maniere conserver les ailes & les cuisses de dindon. » C’est ce qu’on appelle confire les oies. On prépare ainsi une quantité considérable d’oies du côté de Bayonne, dans la partie du Languedoc qui avoisine Toulouse : de semblables provisions sont très-utiles à ceux qui habitent la campagne, parce qu’on les conserve très-longtemps.

On sale la chair de l’oie comme celle du cochon ; mais il faut auparavant la dépouiller de toute sa graisse qui couleroit en pure perte. Il est inutile pour cette salaison de prendre des oies engraissées ; les oies criardes, les vieilles mères sont destinées à cet usage.

Les oies sont sujettes à deux maladies : la première est une diarrhée, & elle devient souvent épizootique. On leur fait prendre avec succès du vin chaud, dans lequel on a fait cuire des pelures de coings, ou gros comme une noisette de thériaque, ou des glands de chêne.

La seconde ressemble à un vertige qui les fait tourner quelque temps sur elles-mêmes, elles tombent & meurent, si elles ne sont promptement secourues : c’est à peu près la même maladie que celle du mouton ; le sang leur porte à la tête en trop grande abondance : on saigne l’animal avec une épingle, une aiguille &c., en perçant une veine assez apparente, située sous la peau qui sépare leurs ongles.

Je crois déjà avoir dit, dans le cours de cet Ouvrage que la fiente d’oie n’étoit pas aussi dévorante, aussi nuisible aux prairies, que le prétendent presque tous les auteurs : parmi un grand nombre que j’ai consulté pour présenter cet extrait, je n’ai trouvé de mon avis que M. Hall, auteur de l’Ouvrage intitulé, le gentilhomme cultivateur.

Il est certain que la fiente de l’oie, du pigeon, des poules, en un mot, de tous les animaux qui digèrent promptement, est remplie de beaucoup de sels ; que la quantité de ces sels brûle l’herbe sur laquelle ils sont rassemblés, c’est-à-dire, détruit leurs feuilles, les dessèche, mais ne pénètre pas jusqu’aux racines : il en est de ces fientes comme du sel de cuisine employé dans les expériences rapportées au mot arrosement. (Voyez ce mot) Il survient une pluie & l’herbe repousse plus vivement que jamais. On se garde bien de laisser les oies aller paître, lorsque les blés élancent leurs tiges, lorsque l’herbe des prairies pousse ; alors les oies causent un mal réel avec leur bec, en broutant l’herbe ; à la même époque, leurs excrémens seroient dangereux, & ils le seroient beaucoup : mais après que les fenaisons sont achevées, il importe peu que les oies, les bœufs, les chenaux gâtent l’herbe par leurs excrémens ; les pluies d’hiver remédieront à tout. Est-il avantageux de laisser ainsi un libre parcours aux bêtes ? Cet objet a déjà été traité à l’article commune, communaux, & très-au long dans l’article bétail. (Consultez ces mots)