Cours d’agriculture (Rozier)/NARCOTIQUE
NARCOTIQUE, Médecine Rurale. Médicament qui fait dormir, en produisant dans les nerfs une espèce de stupeur qui émousse le sentiment, ou en occasionnant une ivresse d’un genre particulier, qui empêche les fonctions du principe de vie.
Quoique les narcotiques n’agissent point d’une manière uniforme sur tous les individus, il est néanmoins prouvé, (& c’est même l’observation générale) que quelque temps après qu’on en a pris une certaine dose, on se sent plus lourd & plus pesant qu’auparavant ; les sens ne sont pas aussi tendus, leur action est beaucoup diminuée, l’assoupissement, ou le sommeil, ne tardent pas à survenir ; le pouls devient moins fort & se développe ; il acquiert plus de souplesse, & devient plus mol ; l’excrétion de la salive, celle de l’urine est diminuée, ou pour mieux dire, est supprimée, tandis que la peau devient moite ; le sommeil est plus ou moins long, plus ou moins profond, relativement à l’activité & à la dose du narcotique administré. Revenu de cet état d’assoupissement, les forces n’en sont pas pour cela mieux réparées ; le malade se sent plus fatigué, & sa tête plus lourde & appesantie ; il est comme engourdi, & éprouve à la région de l’estomac une sorte de poids qui le travaille, & enfin un mal-être qui le jette dans l’abattement & la langueur.
L’habitude, qui est une seconde nature, le tempérament particulier du malade, & certaines causes particulières, peuvent faire varier les narcotiques dans leurs effets ; il est prouvé que chez certaines personnes, ils n’agissent souvent qu’après vingt-quatre heures, & que sur d’autres ils produisent les effets les plus prompts : que, bien loin quelquefois d’exciter le sommeil, ils occasionnent des spasmes, des insomnies, des veilles opiniâtres, la convulsion, des crampes, de violens maux de tête, le vomissement, le délire, & quelquefois la frénésie dans les tempéramens vifs & ardens, & dont les fibres du cerveau sont très-tendues.
L’habitude que les malades ont contractée, & l’usage habituel qu’ils peuvent avoir fait des différens narcotiques, doivent encore en varier les effets. Telle personne accoutumée à l’usage journalier de l’opium, aura besoin d’une plus forte dose pour bien faire toutes ses fonctions, que tout autre qui n’en aura jamais pris. Les turcs en fournissent une preuve bien convaincante ; personne n’ignore que l’opium est pour eux d’une grande ressource, & qu’il est très-propre à les rendre gais & joyeux, à réveiller leur courage, & à les animer aux combats.
Les narcotiques employés dans la suppression des lochies, & d’urine, occasionnée par la tension, l’éréthisme, le spasme de certaines parties, & sur-tout du sphincter de la vessie qui s’oppose à l’évacuation de l’urine, rétabliront ces excrétions en ôtant la cause qui les déterminent, & produiront en même temps des effets diamétralement opposés à ceux qu’ils produisent généralement.
Ce n’est qu’après avoir bien observé tous ces différens effets, qu’ont peut distinguer les cas où les narcotiques sont indiqués, & ceux où ils peuvent être nuisibles ; leur emploi exige beaucoup de précaution & de prudence ; & peut avoir lieu dans les maladies aiguës, spasmodiques, dans les insomnies, & les veilles opiniâtres, dans l’effervescence du sang & des humeurs, dans les pertes considérables, dans les violentes affections des nerfs, dans l’éréthisme des solides, & la convulsion, dans les expectorations supprimées par la tension extrême de certains organes, dans les diarrhées de différentes espèces, dans la dyssenterie & certaines autres évacuations portées à l’extrême.
Mais en général ils sont contre-indiqués dans le commencement des maladies. Leur emploi pourroit bien faire subir au mal une métamorphose capable d’induire en erreur le médecin ; ils sont aussi contre-indiqués dans les affoiblissemens des malades, il vaut mieux alors leur substituer des cordiaux : ils seroient encore très-nuisibles dans le temps des évacuations périodiques ; on les a vu produire les plus grands maux, donnés, dans cette circonstance. Lieutaud nous apprend que leur usage n’est pas moins à redouter dans les rhumatismes goutteux, parce qu’ils sont quelquefois un obstacle aux opérations par lesquelles la nature dissipe communément la maladie, & alors, celle-ci devient & plus grave & plus opiniâtre.
Il faut, avant d’ordonner des narcotiques, interroger les malades sur les effets qu’ils produisent chez eux, supposé qu’ils en ayent déjà usé, sur l’espèce qu’on leur a donné, & à quelle dose on les leur a administré.
Il faut toujours préférer les narcotiques simples aux composés ; leurs effets sont toujours moins dangereux, & conséquemment plus efficaces. Les plus usités sont le pavot, & ses différentes préparations, telles que le sirop de diacode, l’opium, le laudanum solide.
Le laudanum liquide de Sydenham, le nénuphar, le camphre, les pilules de cynoglosse, la liqueur minérale anodine d’Hoffman, le nitre, le sel sédatif d’Homberg, sont aussi des narcotiques qui dans certains cas sont préférables au pavot & à ses préparations, quoique leur action soit plus lente ; nous ne donnerons point la dose de chacun de ces narcotiques ; on consultera les gens de l’art, quand la nécessité d’y avoir recours se présentera. M. AMI.