Cours d’agriculture (Rozier)/MAMALS

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 395-400).


MAMALS. Fours à poulets de l’Égypte. Édifice où, depuis plusieurs siècles, les Égyptiens font éclorre les œufs des poules & des autres oiseaux domestiques. Diodore de Sicile (Lib. 1) parle avec admiration de cet art des Égyptiens ; ce qui peut faire conjecturer que, du temps de cet historien, la pratique en étoit très-perfectionnée, & peut-être déjà au point où nous la voyons aujourd’hui.

Nous allons puiser dans un très-bon ouvrage, & qui a paru depuis peu, (Ornithotrophie artificielle, ou art de faire éclorre &c. in-12. Paris, Morin, rue S. Jacques) tout ce que nous dirons : 1°. de la construction des mamals, ou fours à poulets de l’Égypte ; 2°. de la manière dont on y conduit les nombreuses couvées qu’on y entreprend. Nous ne saurions prendre un guide plus sûr & plus fidèle que l’auteur du livre que nous venons de citer.


Constructions des mamals ou fours à poulets de l’Égypte.


Les mamals, ou fours à poulets de l’Égypte, sont des bâtimens en brique, qui ont peu d’élévation, & qui sont presque entièrement enfouis dans la terre, comme on se voit par la ligne de terre S S, Planche IX figure 2. Le détail de leur construction & de leurs différentes dimensions se comprendra facilement, en suivant l’explication des figures 1, 2.

La figure 1 représente le plan d’un mamal ou four à poulets de l’Égypte, pris dans la ligne x x de l’élévation, figure 2.

A. Chambre circulaire, servant aux usages des conducteurs ou directeurs des fours.

B B. Autres chambres extérieures, ou magasin des œufs.

C C. Conduit aboutissant à l’entrée du mamal ; ce conduit va en descendant par une pente d’environ six pieds en terre, à l’endroit où il se joint à la galerie.

D D. Galerie ou corridor qui sépare les deux rangées parallèles des fours à droite & à gauche, & qui donne entrée dans ces mêmes fours.

d d. Petites élévations en brique, où les conducteurs des fours posent les pieds, pour ne pas écraser les poulets nouvellement éclos, qu’ils élèvent pour leur compte dans la galerie D D.

E. Autre chambre circulaire, où l’on dépose les étoupes dont on a besoin pour boucher les différentes ouvertures du mamal, quand il est nécessaire.

f f. Entrée de la galerie dans les chambres du rez-de-chaussée.

F F. Chambres du rez-de-chaussée où l’on place les œufs.

La figure 2 ne représente que trois de ces chambres de chaque côté de la galerie D D.

De Thévenot assure (Relation d’un voyage fait au Levant, in-4. Bilaine, 1675) avoir vu un mamal qui n’avoit effectivement que trois chambres ou fours de chaque côté, mais il n’y a presque pas de mamal qui n’en ait un plus grand nombre. Les mamals que Vesling a observés, contenoient huit de ces chambres de chaque côté : ceux au contraire que le P. Sicard a vus, n’en avoient que quatre ou cinq ; celui dont M. Niebuhr donne le plan, en avoit six. Le nombre de ces chambres est donc assez arbitraire ; il n’est pas nécessaire de le déterminer pour se former une idée juste des mamals & de leur service : voilà pourquoi nous nous sommes contentés de représenter trois de ces chambres dans la figure 1 ; il est facile d’en imaginer telle suite qu’on voudra. Nous devons encore observer que le P. Sicard donne jusqu’à quinze pieds de longueur à ces chambres.

La figure 2 représente la coupe verticale d’un mamal ou four à poulets de l’Égypte, prise dans la ligne z z du plan, figure 1.

S S. Ligne de terre qui marque comment les mamals sont enfouis dans la terre, & jusqu’à quelle partie de leur hauteur ils le sont.

D D. Galerie servant, comme il a été dit plus haut, de communication aux deux rangées de chambres ou fours parallèles, tant inférieurs que supérieurs.

n n. Endroits où l’on place des lampes pour éclairer la galerie.

H. Ouverture au sommet de la voûte de la galerie, par le moyen de laquelle elle communique avec l’air extérieur. Il y a autant de ces ouvertures dans la longueur de la galerie, que de fours correspondans à droite & à gauche dans chaque mamal.

f f. Entrées de la galerie dans les chambres inférieures F F.

F F. Chambres inférieures ou du rez-de-chaussée, où l’on dépose les œufs. (Voyez F F, fig 1.)

g g. Entrées de la galerie dans les chambres supérieures : ces trous ou entrées ont environ deux pieds de large.

G G. Chambres supérieures & correspondantes à chacune des inférieures F F.

T T. Ouvertures formant la communication des chambres supérieures G G, avec les chambres inférieures F F.

R R. Canaux ou rigoles prolongées le long du plancher des chambres supérieures G G, & où l’on fait le feu.

I I. Trous pratiqués au haut de la voûte des chambres supérieures G G, au moyen desquels ces chambres communiquent, quand on veut, avec l’air extérieur.

L L. Portes ou ouvertures qui font la communication d’une chambre supérieure avec celle qui l’avoisine.

e. Porte de la chambre E, située au fond de la galerie ; cette porte est vue dans l’éloignement.

Pour ne pas multiplier les planches sans nécessité, nous nous sommes abstenus de donner le plan des chambres supérieures du mamal, lesquelles en forment le premier étage. Le plan du rez-de-chaussée ou des chambres inférieures suffit pour se former du tout une idée exacte ; ce que le plan de ce premier étage offriroit de particulier, se trouve indiqué sur celui de la figure 1.

Ainsi t, fig. 1. représente par les lignes ponctuées, l’ouverture T, qui fait la communication d’une chambre supérieure G (fig. 2) avec une inférieure correspondante F. (figures 1, 2) Le P. Sicard dit que cette ouverture est ronde, comme toutes celles qui servent d’entrée dans les chambres tant supérieures d’inférieures : cela pouvoit être dans les mamals qu’il a vus. On comprend que la forme de ces ouvertures est absolument indifférente ; l’essentiel est qu’elles soient les plus petites possibles : en ce cas, les ouvertures rondes pourroient avoir quel qu’avantage sur les ouvertures carrées.

r r désignent les rigoles ou canaux qui sont pris dans l’épaisseur du plancher des chambres supérieures G G, (fig. 2) où l’on allume du feu.

Ainsi l’espace compris entre les lignes ponctuées l l, dénote les ouvertures latérales par où les chambres supérieures communiquent entr’elles. (Voyez L L, fig. 2) Nous avons jugé qu’il suffisoit d’indiquer ces particularités à l’une des chambres du plan ; on conçoit qu’elles se trouvent dans toutes les chambres semblables.

On voit donc qu’il faut sur-tout s’attacher à bien comprendre la disposition d’une chambre inférieure & de sa supérieure correspondante : c’est la réunion de ces deux pièces qui forme, à proprement parler, le four à poulet de l’Égypte ; tout ce que présenteroit le mamal ou l’édifice entier, ne seroit que la répétition d’un plus ou moins grand nombre de ces fours, réunis à droite & à gauche par leur rapprochement, & par une galerie commune.

Qu’on se représente donc bien nettement, à l’aide de la figure 2, une première chambre à rez-de-chaussée F, de huit pieds de longueur environ, sur cinq de large, & au plus de trois pieds de, haut, communiquant avec une seconde chambre G, qui lui est supérieure par une ouverture T du plancher qui les sépare ; qu’on se figure cette chambre supérieure de la même longueur & largeur que la chambre inférieure, ayant environ quatre pieds de haut sous le sommet de sa voûte, & un trou l de huit à neuf pouces dans cette même voûte ; qu’on se représente des canaux ou rigoles R R, de quatre à cinq pouces d’ouverture & de deux de profondeur, rampant sur le plancher le long des quatre murailles de cette même chambre ; qu’on se représente enfin ces deux chambres avec des ouvertures très-petites f, g, par lesquelles elles communiquent à la galerie commune D D, & par où un homme ne peut entrer qu’en se glissant la tête la première : on saura tout ce qu’il faut savoir d’essentiel sur les mamals égyptiens, & tout ce qui est nécessaire pour en bien comprendre le service que nous allons expliquer.


Service des mamals ou fours à poulets de l’Égypte.


Le service des fours à poulets se fait de la manière suivante :

1°. Ou dépose cinq à six mille œufs, selon le P. Sicard, & sept mille, selon Vesling, dans la chambre inférieure F ; on les met sur de la paille ou sur des nates : mais on a l’attention de laisser une place vide au-dessous de l’ouverture T du plancher de la chambre supérieure G, afin qu’un homme puisse entrer, quand il en est besoin, dans la chambre inférieure, par cette ouverture.

2°. Cet arrangement fait, on allume du feu dans les rigoles R R, r r (fig. 1, 2) de la chambre supérieure. Pendant qu’il brûle, on bouche avec des tampons de paille ou d’étoupes le trou F, aussi bien que celui 1 de la voûte de la chambre supérieure G ; mais on laisse ouvert le trou latéral g, faisant l’entrée de cette même chambre. C’est par ce trou que la fumée passe & se décharge dans la galerie D D, où elle enfile les trous H H de sa voûte, qu’on tient aussi ouverts dans le temps qu’on fait du feu.,

La matière qu’on brûle dans les rigoles est de la bouze de vache & de la fiente, soit de chameau, soit de cheval, mêlée avec de la paille ; on en forme des espèces de mottes qu’on fait sécher au soleil : c’est le chauffage ordinaire du pays.

La chaleur de la chambre supérieure reflue dans l’inférieure où sont les œufs, par le trou T, qui fait la communication des deux chambres.

Cette chaleur seroit trop forte, par rapport au climat de l’Egypte, si on entretenoit continuellement du feu dans les rigoles ; on n’en allume que pendant deux, trois ou quatre heures par jour, en différens temps, selon la saison, & même vers le huitième ou le dixième jour de la couvée, on cesse absolument d’en faire, parce qu’à cette époque la masse entière du mamal a acquis un degré de chaleur convenable, & qu’il est possible de le lui conserver pendant plusieurs jours sans une diminution trop sensible, en donnant au mamal moins de communication avec l’air extérieur. Pour cet effet, on bouche habituellement toutes les ouvertures de la galerie & des chambres on ne ferme cependant qu’à demi les ouvertures l l des voûtes des chambres supérieures, afin d’y ménager une petite circulation d’air.

3°. La conduite du feu est sans doute le principal objet de l’industrie des directeurs des fours, mais ils ont encore d’autres soins à prendre durant le temps de la couvée ; tous les jours, & même quatre ou cinq fois par jour, ils remuent les œufs, pour établir entr’eux tous la plus juste répartition de chaleur qu’il est possible.

4*. Vers le huitième ou le dixième jour de la couvée, temps où, comme il a déjà été dit, on cesse de faire du feu, les ouvriers exécutent une grande opération dans les fours ; ils retirent les œufs qu’ils trouvent clairs & qu’ils reconnoissent alors très-aisément en les regardant à la lumière, puis ils transportent sur le plancher de la chambre supérieure une partie des œufs qui, jusque là, avoient tous été placés dans la chambre inférieure, ce qui les met plus à l’aise, & facilite sur-tout le remuement des œufs & l’examen de ceux qui se trouveroient gâtés.

5°. Enfin arrivent le vingtième & vingt-unième jours, qui récompensent les directeurs de leurs peines, & qui mettent fin aux travaux de la couvée. En effet, aussitôt que les poulets sont éclos, les conducteurs des fours n’ont presque plus rien à faire ; les poulets vivent fort bien deux jours sans avoir besoin de nourriture ; ce temps suffit pour les livrer aux personnes qui ont fourni les œufs, ou pour les vendre à ceux qui en veulent acheter.

Le climat heureux de l’Égypte dispense de prendre des précautions bien pénibles pour élever les poulets nouvellement éclos ; le plus grand soin qu’ils exigent, c’est celui de leur fournir une nourriture convenable. Paul Lucas (Tome II, page 9) prétend qu’on les nourrit dans les commencemens avec de la farine de millet.

Les conducteurs des fours, comme il a déjà été observé, mettent dans la galerie D D (fig. 1) les poussins qui leur appartiennent, & qu’ils veulent élever dans le premier âge avec plus de soin ; la chaleur douce qu’ils y éprouvent doit contribuer à les fortifier en peu de temps.

Tels sont les procédés au moyen desquels les Égyptiens savent multiplier, à leur gré, une espèce aussi utile que celle des oiseaux de basse cour : on comprend que leur art doit également réussir sur toutes les sortes d’oiseaux dont elles sont fournies, comme oies, canards, dindons, &c.

Selon le P. Sicard, les seuls habitans d’un village nommé Bermé, situé dans le Delta, ont l’industrie de conduire les fours à poulets ; ils se transmettent les uns aux autres la pratique de cet art, & en font un mystère à tous ceux qui ne sont pas du village : la chose est d’autant plus croyable, que, ne conseillant pas l’usage du thermomètre, le tact seul & une longue habitude peuvent les guider sûrement dans leurs opérations.

Lors donc que la saison est favorable, c’est-à-dire vers le commencement de l’automne, trois ou quatre cens Berméens quittent leur village, & se mettent en chemin pour aller prendre la conduite des fours à poulets, construits dans les différentes contrées de l’Égypte ; ils reçoivent pour leur salaire la valeur de quarante ou cinquante écus de notre monnoie, & sont nourris par les propriétaires des fours où ils travaillent.

L’ouvrier ou directeur des fours est chargé de faire le choix des œufs, pour ne conserver que ceux qu’il croit propres à être couvés ; il ne répond que des deux tiers de ceux qu’on lui confie. Ainsi le propriétaire remettant, par exemple, quarante-cinq mille œufs entre les mains du Berméen, directeur de son mamal, n’exige de lui que trente mille poussins à la fin de la couvée ; mais comme il arrive presque toujours que les œufs réussissent au-delà des deux tiers, tout le profit n’est pas pour le directeur, le propriétaire y a sa bonne part ; il rachette de son fournier pour six médins (environ neuf sous de notre monnoie) chaque rubba, ou trentaine de poussins éclos au-delà des deux tiers, & il les vend tout au moins vingt médins ou trente sols de notre monnoie.

Chaque mamal a vingt ou vingt cinq villages qui lui sent annexés ; les habitans de ces villages sont obligés d’apporter leurs œufs à leur mamal respectif ; il leur est défendu, par l’autorité publique, de les porter ailleurs, ou de les vendre à d’autres qu’au seigueur du lieu, ou aux particuliers piluliers des villages de leur district. Au moyen de ces précautions, les marnais ont toujours des œufs en suffisante quantité. (Voyez Incubation) M. l’abbé Copineau.