Cours d’agriculture (Rozier)/MAL DE CERF

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 377-379).


MAL DE CERF. Médecine Vétérinaire. Le cheval qui est atteint de cette maladie éprouve une tension spasmodique dans les muscles de la mâchoire postérieure, dans ceux des yeux, des oreilles, dans ceux de l’encolure du corps, de la croupe, de la queue, & dans ceux des extrémités. Ce spasme n’est pas toujours général, il se borne quelquefois aux muscles de la mâchoire postérieure ; pour lors on le nomme tic de l’ours ; d’autres fois il saisit les muscles du globe de l’œil, alors on lui donne le nom de strabisme. (Voyez ces mots)

Les signes qui caractérisent le mal de cerf, ou le spasme qui attaque généralement toutes les parties qui composent le cheval, s’annoncent par une roideur qui s’empare tout-à-coup des muscles du corps, & serre si fortement les mâchoires de cet animal, qu’il n’est presque pas possible de les ouvrir. Il élève d’abord sa tête & son nez vers le râtelier, ses oreilles sont droites, sa queue est retroussée, son regard est empressé comme celui d’un cheval qui a faim, & auquel on donne du foin ; l’encolure est si roide, qu’à peine peut-on la mouvoir ; s’il vit quelques jours dans cet état, il s’élève des nœuds sur les parties tendineuses, tous les muscles de l’avant-main & de l’arrière-main éprouvent un spasme si violent, qu’on diroit, en voyant les jambes du cheval ouvertes & écartées, que ses pieds sont cloués au pavé ; sa peau est si fortement collée sur toutes les parties de son corps, qu’il n’est presque pas possible de la pincer ; les muscles de ses yeux sont si tendus, que si on ne regardoit qu’à l’immobilité de ces organes, on croiroit que l’animal est mort : mais il ronfle & il éternue souvent, ses flancs sont fort agités, sa respiration est très-pénible.

Quant à l’évènement de cette maladie, elle cède ou fait mourir le cheval en peu de jours.

La cause immédiate du spasme, connu parmi les maréchaux sous le nom de mal de cerf, réside dans la crispation des nerfs qui tend la fibre dont ils sont composés, au point de les faire résister à l’action du sens intérieur ; cette crispation est occasionnée par l’âcreté de quelques matières qui irritent le genre nerveux en général, ou qui agissant sur une seule partie, communique l’irritation qu’elle y produit à toute la machine, parce que ses ressorts réagissant tous les uns sur les autres, l’un ne sauroit être vivement ébranlé sans que les autres y participent.

La blessure d’un tendon, & principalement celle de la dure-mère, peut produire un spasme, qui roidit & rend immobile tout le corps de l’animal qui en est atteint, car l’expérience nous apprend, qu’en portant l’extrémité inférieure de la tête du cheval au poitrail, si l’on plonge un poinçon de fer entre l’occipital & la première vertèbre cervicale, sur le champ son corps & ses membres deviennent roides, & il meurt dans un vrai état de spasme, ce qui n’arrive point si on l’égorge, & qu’on le laisse mourir par la perte de son sang ; il périt alors dans des mouvemens convulsifs, parce que l’affpiblissement successif de ses forces rend ses organes incapables d’une action régulière ; tandis que dans le premier cas, la cause qui détruit l’animal est violente & prompte, de sorte que le spasme est la suite de la destruction subite des forces centrales, parce que celles de la circonférence n’éprouvant plus de leur part cette réaction qui maintenoit leur équilibre, se développent autant qu’il est en elles, ce qui donne à la fibre nerveuse une tension qui ne lui permet plus aucun mouvement.

Nous concluons de ce qui vient d’être dit, que le spasme universel, ou le mal de cerf, dépend de deux causes prochaines ; l’une, de l’âcreté de quelques humeurs qui irritent vivement le genre nerveux, & l’autre, de la blessure de certaines parties tendineuses ou aponévrotiques, dont l’ébranlement & l’irritation se communiquent à toute la machine.

La cure. L’indication que présente la première cause, est d’adoucir ou d’expulser l’humeur irritante ; mais comme les accidens de cette maladie menacent le sujet d’une mort prochaine, on est souvent oblige de travailler à les calmer avant de s’occuper à en détruire la cause. Les bains, les fomentations émollientes sont pour cela le remède le plus prompt & le plus sûr qu’on puisse employer, ils produisent un relâchement qui ne manque jamais de soulager l’animal, & comme souvent le premier siège de l’irritation se rencontre dans la région épigastrique, ou à l’estomac, ou au diaphragme, & que d’ailleurs ces organes sont le centre de toutes les forces animales, il est très-intéressant d’en relâcher les ressorts qui sont alors dans une très-grande tension. L’usage de l’huile d’olive, de celle de graine de lin, des boissons émollientes, opère de très-bons effets.

Les saignées, par le relâchement qu’elles procurent ; les narcotiques, par leur vertu d’engourdir le genre nerveux & de le rendre moins irritable ; sont aussi des remèdes qui doivent être employés & réitérés suivant la nature & l’intensité des accidens.

Quand on a calmé les symptômes les plus pressans, & que le danger est devenu moins instant, on doit travailler à en détruire la cause, & pour cela il faut s’assurer de sa nature, afin de la combattre par des remèdes convenables.

Si c’est une transpiration supprimée qui a occasionné le spasme, connu sous le nom de mal de cerf, il faut employer les diaphoniques, les sudorifiques, étriller, brosser & bouchonner fortement l’animal pour la rétablir.

Si on a lieu de soupçonner que quelque humeur âcre irrite l’estomac & les intestins, telle qu’une bile érugineuse, & quelques substances vénéneuses, prises avec les alimens, il faut avoir recours aux purgatifs & aux lavemens.

Quant à l’indication curative que présente la seconde cause, il faut avoir promptement recours à tous les moyens capables de détruire l’irritation que souffre la partie tendineuse ou aponévrotique blessée. Si elle est causée par le déchirement ou la section imparfaite de quelques nerfs, il faut dilater la plaie, & même couper en entier le tendon ou l’aponévrose, si une simple dilatation ne suffit pas.

Mais si l’importance ou la situation de la partie blessée, demande des ménagemens dans les incisions qu’on voudroit faire, il faut avoir recours aux topiques émollients & relâchans, & lorsqu’ils sont insuffisans, on employe les dessicatifs qui détruisent a sensibilité dans l’endroit blessé. L’huile de térébenthine réussit assez souvent à calmer les accidens de la blessure des tendons ; si elle ne suffit pas, il faut se servir de l’huile bouillante, & même du cautère actuel ou potentiel.

Et s’il arrive que l’irritation soit entretenue par la présence d’un corps étranger, ou par l’âcreté de quelques humeurs, qui, n’ayant pas une issue facile, séjournent dans la partie blessée & s’y corrompent, dans le premier cas, il faut, par tous les moyens qu’indique la chirurgie vétérinaire, faire l’extraction du corps étranger ; dans le second, il faut donner issue à la matière, en dilatant la plaie & en faisant, si le cas l’exige, des contre-ouvertures, & chercher en même-temps à adoucir l’âcreté de l’humeur par des détersifs adoucissans, onctueux, mucilagineux, tels que le miel rosat, l’huile d’amande douce, l’onguent d’althæa, les mucilages de psillium, de mauve, &c. M. B. R.