Cours d’agriculture (Rozier)/LABOUREUR

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 148-149).


LABOUREUR. C’est celui qui laboure ou fait profession de faire labourer & cultiver des terres. Conduire une charrue paroît une action bien facile ; cependant, sur vingt laboureurs, on en trouve à peine un excellent, deux passables, & le reste au-dessous du médiocre. On reconnoît un bon laboureur à la manière aisée dont il conduit & manie sa charrue ; à la facilité que l’habitude lui a donnée de la faire enfoncer ou soulever à volonté ; à l’art d’ouvrir des sillons égaux & droits ; au versement des terres sur le bord du sillon, &c. Enfin, un bon laboureur est celui qui ne fatigue pas ses bêtes, & qui fait proportionner la profondeur du sillon à la qualité de la terre. Quant aux laboureurs ordinaires, tout sol à leurs yeux est le même ; ce sont autant de machines traînées plutôt par les bêtes confiées à leurs soins. Un bon laboureur s’affectionne à ses animaux ; il les aime, les caresse, les bat rarement, & ils obéissent à sa voix. Si la fatigue est considérable, il fait ce qu’il peut pour la diminuer, en redoublant ses efforts. À peine le bétail est-il rentré dans l’écurie, qu’il le bouchonne, s’il est en sueur, le couvre au besoin, veille à lui procurer une bonne litière, le panse & l’étrille plusieurs fois chaque jour, & son zèle souvent trop empressé, le porte à procurer à l’animal beaucoup plus de fourrage qu’il ne doit en consommer : j’en ai vu qui partageoient avec lui le pain de leur déjeuner. L’on observe presque toujours que les laboureurs qui ne savent pas travailler, s’attachent rarement à leurs bêtes ; elles sont sales, crottées, mal soignées, mal nourries ; & cette négligence vient de ce qu’ils labourent sans le désir de bien faire, en un mot, parce qu’ils sont obligés de travailler pour vivre. De ce peu d’aptitude, de cette indifférence, naît l’insouciance où ils sont de la conservation du bétail. Il est battu, mal nourri & mal soigné. Dès que vous connoîtrez un bon laboureur dans le canton, n’épargnez ni soin ni argent pour vous le procurer, & tâchez de vous l’affectionner par de bons procédés, & sur-tout par de bons gages ; votre argent sera placé à gros intérêt.