Cours d’agriculture (Rozier)/KERMÈS

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 108-111).


KERMÈS ou Graine D’écarlate. Hist. Nat. Il ne faut pas confondre le kermès de Provence & de Languedoc, avec la cochenille que l’on ramasse dans l’Amérique espagnole sur une espèce de cartus ou figuier d’Inde, qui s’élève en arbre. L’insecte dont il s’agit vit, s’accouple, pond & meurt sur le petit chêne vert. (Voyez ce mot). Le kermès est un galle-insecte. (Voyez ce mot) Je vais tirer ce qui fuir du Dictionnaire d’Histoire Naturelle de M. Valmont de Bomarre.

Kermès aut Chermes, aut coccus tinctorius Ilicis ; est la plus renommée des galle-insectes (d’Europe) ; sa figure approche de celle d’une boule dont on auroit retranché un assez petit segment. Cet insecte vit sur les feuilles du petit chêne vert, & sur ses bourgeons encore tendres. Les femelles sont plus aisées à trouver que les mâles : elles ressemblent dans leur jeunesse à de petits cloportes ; elles pompent leur nourriture en enfonçant profondément leur trompe dans l’écorce des bourgeons ; alors elles courent avec agilité. Lorsque l’insecte a acquis toute sa croissance, il paroît comme une petite coque sphérique membraneuse, attachée contre le bourgeon ; c’est-là qu’il doit se nourrir, muer, pondre, & terminer ensuite sa vie. Les habitans de Provence & de Languedoc ne font la récolte du kermès que dans la saison convenable, & ils considèrent cet animal en trois états différens d’accroissement. Vers le commencement du mois de mars, ils disent que le ver couve, alors il est moins gros qu’un grain de millet… Au mois d’avril, ils disent qu’il commence à éclore, c’est-à-dire que le ver a pris tout son accroissement… Enfin, vers la fin de mai on trouve sous le ventre de l’insecte 1800 ou 2000 petits grains ronds. Ce sont des œufs qui, venant ensuite à éclore, donnent autant d’animaux semblables à celui dont ils sont sortis. Ces œufs sont plus petits que la graine de pavot ; ils sont remplis d’une liqueur d’un rouge pâle ; vus au microscope, ils semblent parsemés de points brillans couleur d’or : il y en a de blanchâtres & de rouges. Les petits qui sortent des œufs blancs sont d’un blanc sale ; leur dos est plus écrasé que celui des autres : les points qui brillent sur leur corps, sont de couleur d’argent ; les gens du pays les appellent la mère du kermès.

Les petits œufs étant secoués, il en sort autant de petits animaux entièrement semblables à l’insecte qui les produit. Ils se dispersent sur le chêne jusqu’au printemps suivant ; ils se fixent dans la division du tronc & des rameaux pour faire leurs petits. On doit observer que lorsque le kermès acquiert une grosseur convenable, alors la partie inférieure du ventre s’élève & se retire vers le dos, en formant une cavité, & de cette manière, il devient semblable à un cloporte roulé. C’est dans cet espace vuide qu’il dépose ses œufs ; après quoi il meurt & se dessèche. Ce cadavre informe ne conserve point, comme la cochenille, l’extérieur animal : ses traits s’effacent & disparaissent. On ne voit plus qu’une espèce de galle, triste berceau des petits œufs qui doivent éclorre. À peine les œufs sont ils éclos, que les petits animaux veulent sortir de dessous le cadavre de leur mère, pour chercher leur nourriture sur les feuilles du petit chêne, non en les rongeant comme les chenilles, mais en les suçant avec leur trompe.

Le mâle du kermès ressemble dans le commencement à la femelle ; mais bientôt après s’être fixé comme elle, il se transforme dessous sa coque en une nymphe qui, devenue insecte parfait, soulève la coque, & en sort le derrière le premier : alors c’est une petite mouche qui ressemble en quelque manière au cousin ; son corps est couvert de deux grandes aîles transparentes ; il saute brusquement comme les puces, & cherche en volant ses femelles immobiles, qui l’attendent patiemment pour être fécondées. Les a-t-il trouvées, il se promène plusieurs fois sur quelqu’une d’elles, va de sa tête à sa queue, pour l’exciter ; alors la femelle, fidelle & soumise au vœu de la nature, répond aux caresses de son mâle, & l’acte de fécondation a lieu.

La récolte du kermès est plus ou moins abondante selon que l’hiver a été plus ou moins doux. On a remarque que la nature du sol contribue beaucoup à la grosseur & à la vivacité du kermès ; celui qui vient sur des arbrisseaux le long de la mer, est plus gros & d’une couleur plus vive que les autres. Des femmes arrachent avec leurs ongles le kermès avant le lever du soleil. Il faut veiller, dans ce temps de récolte, à deux choses ; 1°. aux pigeons, parce qu’ils aiment beaucoup le kermès, quoique ce soit pour eux une assez mauvaise nourriture ; 2°. on doit arroser de vinaigre le kermès que l’on destine pour la teinture, & le faire sécher ; cette opération lui donne une couleur rougeâtre ; sans cette précaution, l’insecte, une fois métamorphosé en mouche, s’envole & emporte la teinture. Lorsqu’on a ôté la pulpe, ou poudre rouge, on lave ces grains dans du vin, on les fait sécher au soleil, on les frotte dans un sac pour les rendre lustrés, ensuite on les enferme dans des sachets où l’on a mis, suivant la quantité qu’en a produit le grain, dix à douze livres de cette poudre rouge par quintal. Les teinturiers achettent plus ou moins le kermès, selon que le grain produit plus ou moins de cette poudre. La première poudre qui paraît sort d’un trou qui se trouve du côté par où le grain tenoit à l’arbre : ce qui paroît s’attacher au grain vient d’un animalcule qui vit sous cette enveloppe, & qui l’a percée, quoique le trou ne soit pas visible. Les coques de kermès sont la matrice de cet insecte ; c’est ce qu’on appelle graine d’écarlate, dont on tire une belle couleur rouge, la plus estimée autrefois, avant qu’on se servît de la cochenille.

On connoît encore un kermès appellé de Pologne, & qui donne une très-belle teinture rouge avec les préparations précédentes. L’insecte vit sur les racines de la renouée ou trainasse, poligonum aviculare. Lin. Les personnes proposées à cette récolte sont fort soigneuses d’examiner, vers le solstice d’été, si ces grains sont parvenus à leur maturité, & s’ils sont pleins d’un suc rouge ; alors, avec une espèce de truelle, ils soulèvent la racine de la plante, cueillent les grains, & mettent la plante dans le même trou dont elles l’ont tirée. On sépare ensuite toutes les impuretés mêlées avec ces grains, par le moyen d’un crible destiné à cet usage. Lorsqu’on voit que les vermisseaux sont prêts à sortir de ces grains, on arrose avec du vinaigre ou avec de l’eau très-froide jusqu’à ce qu’ils soient morts ; après cela on les fait sécher dans une étuve ou au soleil, mais lentement ; car si on les desséchoit trop & trop vite, ils perdroient ce beau pourpre qui fait tout leur prix. Quelquefois les ouvriers tirent les vermisseaux de la coque, ils les entassent & en font une masse. Cette préparation exige encore beaucoup de précaution, car si on pressoit trop ces vers, on en exprimeroit le suc, qui en est la partie la plus précieuse. Les teinturiers font plus de cas de cette masse de vers entassés, que des coques en entier, aussi se vend-t-elle beaucoup plus cher.

Je suis très-persuadé que si on vouloit, en France, prendre la peine de visiter les racines des renouées, plantes si communes sur nos grands chemins & sur le bord des champs, on y récolteroit tout autant de kermès qu’en Pologne… Celui qui vit sur la vigne, ne donneroit-il pas une semblable couleur ? Ce fait mérite d’être vérifié.

Kermès Animal. Préparation pharmaceutique, avec la substance appellée graine de kermès, n’est autre chose que l’animal dont nous venons de parler… ces graines s’opposent quelquefois au vomissement par foiblesse… à la diarrhée par foiblesse d’estomac & des intestins, & à la diarrhée séreuse… à la dyssenterie, quand les forces vitales sont abbatues, lorsque l’inflammation & la douleur sont diminuées… à la disposition pour l’avortement par foiblesse des parties contenantes… aux hémorrhagies internes qu’il est essentiel de suspendre par degrés insensibles. Le sirop de kermès est indiqué dans les mêmes maladies ; la dose des graines est depuis quinze grains jusqu’à deux drachmes, incorporées avec un sirop, ou délayées dans quatre onces d’eau… la graine concassée depuis une drachme jusqu’à une once, en macération au bain-marie dans cinq onces d’eau. Le sirop se prescrit depuis une once jusqu’à trois, seul ou étendu dans cinq onces d’eau.

On a dit dans l’article précédent, que les pigeons se jetoient sur le kermès ; cette nourriture, très-mal saine pour eux, communique une teinte rouge à leurs excrémens ; lorsqu’on s’en apperçoit, il faut mettre dans le pigeonnier plusieurs pains d’argille, imbibés d’eau nitrée, & ensuite bien paîtrie.

Kermès Minéral. Préparation pharmaceutique. À petite dose, il excite des nausées, purge légèrement sans colique ni foiblesse considérable ; il favorise l’expectoration & la résolution des maladies inflammatoires de la poitrine, & il y est employé avec succès. On a souvent observé qu’il aidoit à la détersion & à la cicatrice de plusieurs espèces d’ulcères internes & externes, exempts de vices scrophuleux, scorbutiques & vénériens. À dose médiocre, il procure un vomissement très-rarement accompagné de mauvais effets, excepté chez les malades dont la poitrine est délicate ou disposée à cracher du sang. Après avoir fait vomir, il laisse pour l’ordinaire un mal-aise universel, une anxiété qui ne tarde pas à se dissiper si le sujet est robuste… À haute dose, il produit de violens efforts pour vomir, il purge considérablement, cause un vomissement excessif, des maux de cœur, des coliques, des convulsions, un froid presque général, & quelquefois la mort.

On le prescrit comme altérant depuis un quart de grain jusqu’à un grain, délayé dans un véhicule aqueux, ou incorporé avec un sirop ; comme vomitif, depuis deux grains jusqu’à six.