Cours d’agriculture (Rozier)/JACINTHE ou HYACINTHE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 720-732).


JACINTHE ou HYACINTHE. Tournefort la place dans la première section de la neuvième classe, qui comprend les herbes à fleurs en lys d’une seule pièce, divisée en six parties, dont le pistil devient le fruit, & il l’appelle hyacynthus. Von-Linné lui conserve la même dénomination, & la classe dans l’hexandrie monogynie. Celui-ci ne fait qu’un genre des muscari & des jacinthes, & celui-là les sépare en deux genres.


Section Première.

Caractère du Genre.


Fleur en forme d’entonnoir, d’une seule pièce, divisée en six à son extrémité ; cette cloche est alongée dans les jacinthes, presque ronde, & resserrée sur ses bords dans les muscari ; les étamines, au nombre de six, & ne dépassent pas la partie supérieure qui déborde l’espèce de tube.

Fruit ; à la fleur succède une capsule à trois côtés, à trois loges, à trois valvules, au milieu desquelles est une espèce de colonne qui les sépare. Chaque loge renferme le plus souvent deux semences presque rondes.


Section II.

De la Jacinthe orientale,


Von-Linné en compte treize, en y comprenant les muscari, & Tournefort plus de cinquante, sans ces derniers. Leur description est inutile au but de cet ouvrage, à l’exception de la jacinthe orientale, qui fait l’ornement des jardins, & les délices des amateurs. Cette jacinthe est l’hyacintus orientalis, de von-Linné & de Tournefort. Les fleuristes en comptent un nombre de variétés qui excède 1500, d’après Voorhlem, & qu’ils regardent comme des espèces. Ce sont des espèces jardinières. (voyez ce mot). Plusieurs ont fait des traités particuliers sur la culture & la beauté de cette fleur, ou en ont parlé en décrivant les fleurs des parterres. On peut consulter à ce sujet le Dictionnaire des jardiniers de Miller ; l’Ouvrage de Vander-Groen, imprimé à Bruxelles en 1672 ; Clarici del Giacinto, imprimé à Venise en 1726 ; le Traité sur la connoissance & la culture des jacinthes, imprimé à Avignon en 1765 ; je crois qu’il a été publié par le père d’Ardennes, de la Congrégation de l’Oratoire ; enfin, l’ouvrage de Van-Zompel est le plus étendu en ce genre.


Description de la Jacinthe orientale en général.


La plante a pour base un oignon écailleux formé de différentes tuniques en recouvrement les unes sur les autres : de sa base il pousse des racines, qui se sèchent après la fructification : du haut de l’oignon part un bouquet de feuilles longues, étroites, luisantes & pliées en gouttières ; du centre de ces feuilles s’élève une tige presque ronde, luisante, creuse, pleine de moelle ; le long de cette tige & vers son extrémité supérieure sont alternativement disposées les fleurs simples ou doubles. Lorsqu’on ne coupe pas les tiges, les fleurs simples produisent des graines que l’on sème, & c’est de leurs semis multipliés, cultivés avec soin, qu’on parvient chaque jour à se procurer de nouvelles espèces.

Comme je n’ai jamais eu le loisir d’être ce qu’on appelle cultivateur fleuriste, je ne puis rien dire d’après ma propre expérience. Je préviens que je vais emprunter tout cet article du supplément à la première édition de l’Encyclopédie, & qui, en grande partie, est l’extrait bien fait de l’ouvrage de Van-Zompel, & du Dictionnaire de Miller.


En quoi consiste le mérite d’une Jacinthe.


De dix mille jacinthes, à peine en trouve-t-on une bleue qui devienne blanche, ou une double qui dégénère en simple. On en a vu, après une durée de cinquante ans, conserver encore leur beauté.

Voici les caractères qui relèvent le mérite d’une jacinthe : 1°. l’oignon doit être passablement gros, sans défaut & non écailleux, ce qui doit être seulement considéré pour la perfection, car on voit presque toutes les plus belles jacinthes rouges n’avoir que de petits oignons, & ceux de la plupart des belles jacinthes pleines, blanches, mêlées de rouge, avoir la peau défectueuse.

2°. Il est à désirer que la jacinthe ne pousse pas de trop bonne heure sa fane. Les gelées de février & de mars pourroient endommager considérablement cette partie encore tendre, & ainsi pénétrer jusqu’à l’oignon.

3°. On Voit de fort belles jacinthes terminer leurs tige par cinq ou six boutons maigres & desséchés ; ce défaut, s’il est habituel, obligeroit à abandonner ces espèces.

4°. Une jacinthe ne doit fleurir ni trop tôt ni trop tard ; elle a un temps limité. La double peut retarder sa fleuraison jusqu’à trois semaines, après la simple, & l’une & l’autre doivent fleurir dans l’intervalle de mars, avril, & un peu au-delà. (Il faut observer que l’auteur écrit pour les provinces septentrionales, car dans celles du midi, la fleur seroit trop précipitée par la chaleur dans le mois d’avril ; d’ailleurs elle est passée à cette époque, à moins que l’hiver n’ait été long & rigoureux). Si les jacinthes avancent beaucoup, la fleur se passe avant qu’on ait pu en jouir ; car, en général, on se soucie moins de voir une seule plante en fleur, qu’une planche bien fleurie. Si elles sont tardives, elles ont le même sort, parce qu’alors leur bouton reste vert. Au reste, si elles sont belles, on peut conserver celle qui est hâtive, afin d’en avoir de primeur, & la tardive à cause de sa singularité, quand même elle auroit de la peine à s’ouvrir. Si la pousse de cette dernière promet beaucoup, on la mettra sous une cloche dès que les boutons commenceront à paroître, & on la rebuttera ensuite si elle n’a rien qui flatte.

5°. Chaque tige doit porter quinze à vingt fleurs, au moins douze si elles sont grandes ; trente, sont ce que l’on peut attendre de mieux dans les doubles & dans les pleines. Il faut rebuter toute jacinthe bornée à six ou sept fleurs.

6°. C’est une beauté dans la jacinthe, qu’une tige bien droite, forte dans toute sa longueur, bien proportionnée, ni trop haute ni trop basse, & dont les feuilles sont dans une direction moyenne entre la droite & l’horizontale ; trop droite, elles empêcheroient qu’on ne vît la fleur ; mais on regarde peu les défauts à cet égard, lorsqu’ils sont d’ailleurs compensés par de grandes beautés,

7°. Les fleurs doivent se détaches de la tige, se soutenir à peu près horizontalement, & garnir également la tige ; celle qui termine doit se tenir droite. Toutes ensemble doivent former une espèce de pyramide, & par conséquent leur pédicule diminue de longueur par degrés, de bas en haut.

8*. Il faut que les fleurs soient larges, courtes, bien nourries, & qu’elles ne passent pas trop vite.

Quelle que soit la jacinthe pleine qui fixe le plus les curieux, la simple a un mérite réel qui lui attire des partisans. 1°. Elle est d’environ trois semaines plus hâtive que la jacinthe pleine ; 2°. elle forme généralement un plus grand bouquet, quelquefois garni de trente à cinquante fleurs ; 3°. une planche entière de jacinthes simples fleurit d’une manière uniforme, ensorte qu’en l’arrangeant avec art, on se procure le spectacle d’un champ ou d’un coteau couvert de fleurs. C’est un agrément qu’on ne peut pas attendre de la jacinthe pleine. Pour avoir une jouissance complette, il faut donc cultiver des pleines & des simples, afin que les plus hâtives transmettent, jusqu’aux plus tardives, une succession de fleurs dans leur beauté.


Section III.

De la Culture.


En général, il faut éloigner tout ce qui a seulement quelque rapport avec du fumier frais… Les terres crétacées & argileuses, sont absolument contraires aux jacinthes. M. Van-Zompel dit avoir vu cultiver avec succès la jacinthe aux environs d’Amsterdam, dans des terrains qu’il qualifie de sulfureux. Pour ce qui est de la terre sablonneuse, il la regarde comme la plus convenable aux jacinthes, pourvu qu’on ait soin d’en ôter le sable rouge, le jaune, le blanc & le maigre ; le meilleur sable, ajoute-t-il, est le gros, lorsqu’il est un peu gluant, gras, & qu’il ne se convertit pas en poussière jaune à mesure qu’il se sèche. La terre sablonneuse qu’il recommande est grise ou de couleur fauve noirâtre, & l’eau qui en découle est douce ; au moins, dit-il, tel est le sol des environs de Harlem, si favorable aux jacinthes.

Quant aux amendemens, les curures récentes des fossés ou des puits ne peuvent que nuire à l’ameublissement de la terre. Le fumier de cheval, de brebis, de porc, capable de hâter le progrès des plantes, occasionne des chancres pernicieux aux oignons. La poudrette, de quelque nature qu’elle soit, & toutes les préparations recherchées ne sont point ici de mise. Le seul fumier de vache suffit pour mettre cette sorte de terre en état de nourrir de belles jacinthes. On peut y substituer les feuilles d’arbres bien consommées,[1] ou le tan réduit en terreau, à force d’avoir servi à d’autres usages dans le jardin… Il y a des gens qui élèvent leurs jacinthes sans terre, dans un mélange de moitié fumier de vache, & moitié feuilles & tan bien consommés. On travaille ce mélange pendant deux ans, & la réussite est aussi certaine que dans les sables gris, pourvu que le tan ait été tiré des fosses deux ans avant de le mêler avec du fumier, ensorte qu’il soit déjà à demi-consommé. Le monceau de ce mélange, ainsi que de tout autre, doit être placé au grand soleil. On indique, comme très-bonne, une composition bien simple, c’est de prendre trois parties de terre neuve, ou de taupinière ; deux parties de débris de couche bien terreautées, & une partie de sable de rivière.

D’autres exigent une terre de potager ordinaire, d’un demi-pied de profondeur.

Quand on fait des monceaux de fumier, mélangés de terre, pour se procurer du terreau propre aux jacinthes, on doit y employer une terre de potager qui n’ait de longtemps servi à ces fleurs.

En Hollande, on mêle ensemble deux parties de sable gris, ou fauve noirâtre, trois parties de fumier de vache, & une partie de feuilles ou tan consommés. On préfère le fumier frais à celui d’un an, parce qu’il se consomme plus vîte, & se marie mieux. On fait le monceau le plus mince que l’on peut, relativement à la place, afin que le soleil ait plus de facilité à le pénétrer. Les matières y sont rangées par lits. Pendant les six premiers mois, on ne remue ce mélange qu’autant qu’il faut pour ôter les mauvaises herbes encore jeunes ; après quoi on le retourne de six en six semaines. Sa préparation ne dure pour l’ordinaire qu’un an ; on peut travailler le tout pendant une seconde année pour le perfectionner ; mais un plus long temps l’affoibliroit. On ne l’emploie à nourrir les jacinthes qu’un an. Lorsqu’on tire à la fin de l’année les oignons que l’on y a mis, on défait cette espèce de couche pour en exposer la terre au soleil & la remuer ; elle est ensuite en état de servir aux tulipes, renoncules, anémones, oreilles d’ours, &c. ; on n’en fait pas usage pour les œillets, parce que l’expérience a prouvé que la jacinthe communique à cette terre une qualité qui leur est contraire.

L’endroit que l’on destine aux jacinthes, doit être bien aéré, élevé, & seulement assez sec pour que les eaux n’y séjournent pas en hiver. Comme on n’est point dans l’usage d’arroser ces plantes, il faut que les oignons trouvent à leur portée en tout temps, certain degré d’humidité, mais une eau stagnante leur est pernicieuse.

( Ce précepte de ne point arroser, est bon pour la Hollande, où le ciel est très-vaporeux & humide, sur-tout pendant la saison où l’oignon est en terre. Il seroit dangereux de s’y conformer dans un climat plus sec & plus serein » Les arrosemens sont nécessaires, mais ils doivent être modérés, parce que toutes les plantes grasses & les plantes à oignons craignent l’humidité par-dessus tout).

L’exposition du levant donne le soleil aux jacinthes moins directement que celui du midi, qui les défend du vent du nord & d’est. La plupart des fleuristes préfèrent le midi ; mais alors il faut avoir un bâtiment ou une haie pour briser le vent de ce côté, qui alongeant la fane diminueroit la beauté de la pyramide, & en même temps pour affoiblir l’action du soleil, & empêcher ainsi la fleur de passer trop vîte.

La jacinthe se multiplie de graine ou par ses cayeux ; pour la multiplier par ses semences, le plus sûr est de prendre de la graine des simples, & à cet effet en semer quantité d’espèces ; en même-temps que l’on cultivera un grand nombre d’oignons de chacune de celles qui promettront davantage. Plus on a de semences plus on se procure de hasards ; c’est aux espèces simples qu’on est redevable de presque toutes les jacinthes qui jouissent d’un grand nom. (Voyez au mot Espèce leS moyens de les perfectionner). Quoique les doubles donnent quelquefois des grains, elles produisent fort rarement des espèces parfaites. C’est cependant un moyen de se procurer plutôt des fleurs doubles & pleines, & on peut en faire usage avec une espèce de satisfaction quand on ne cherche pas à primer.

La couleur ne doit pas déterminer à recueillir la graine de telle jacinthe, préférablement à telle autre. Il est mieux de se régler sur les qualités indiquées ci-dessus. Outre cela, comme on cherche à se procurer des jacinthes pleines, & que celles-ci sont toujours tardives, une culture bien entendue prescrit de faire choix de graines formées plutôt sur des pieds tardifs, que sur des pieds hâtifs. Les curieux recueillent avec grand soin celles qui proviennent des fleurs dont les pétales sont doubles ou triples.

Quand on ne se soucie pas de la graine d’une jacinthe, on coupe les fleurs dès qu’elles ont fait leur effet. L’oignon prend aussi plus de nourriture que si on laissoit former & mûrir la graine.

On se dispose à recueillir la graine lorsque la pellicule dont elle est environnée jaunit, commence à s’ouvrir, & laisse échapper la graine dont la maturité s’annonce par une couleur noire ; alors ayant enlevé la tige, on la met dans un vase un peu profond, ou sur une table où le soleil ni la pluie ne puissent pas donner. La semence achève de s’y perfectionner ; après quoi on la nettoie bien, & on la garde dans un lieu sec.

Une terre préparée comme celle ou l’on met les oignons de jacinthe, convient pour les semis de la graine, c’est sur la fin d’octobre que l’on fait cette semaille, dans un climat tel que celui de la Hollande. Si on y devançoit ce temps, les jeunes plantes sortant en hiver, seroient surprise de la gelée qui les feroit périr ; d’un autre côté, en différant davantage, la levée seroit fort incertaine, ou au moins assez retardée pour occasionner une année de perte. En France, suivant le local, On sème depuis le mois d’août jusqu’à la fin d’octobre.

La graine étant couverte d’un pouce de terre, on y répand un peu de tan à demi consommé, pour la garantir du froid lorsqu’elle lèvera.

On ne tire les oignons qui en proviennent, que lorsqu’ils ont passé deux sèves ; durant ce temps on arrache avec précaution les mauvaises herbes qui y naissent sans leur donner le temps de grandir assez pour nuire. Aux approches du premier hiver que ces jeunes plantes doivent soutenir, on les fortifie par un demi-pouce de tan. On n’arrose jamais ces jeunes oignons : durant les sécheresses de l’été, leur végétation est très-lente ; & en tout autre temps ils trouvent une humidité capable de faire pousser leurs racines, souvent à six ou huit pouces de profondeur. Quand une fois on les a levés de terre, on les gouverne comme ceux qui sont plus avancés.

Il y en a un certain nombre qui fleurissent au bout de quatre ans, d’autres au bout de cinq, beaucoup davantage l’année suivante, & communément tous à la septième ; on jette alors ceux qui ne donnent pas.

À chaque fleuraison l’on observe les degrés de perfection que ces fleurs acquièrent, afin de ne pas garder inutilement celles qui paroissent ne pas promettre jusqu’à un certain point.

En Hollande, on regarde les mois d’octobre & novembre comme la vraie saison de planter les jacinthes ; il est également dangereux de le faire ou plutôt ou plus tard. En devançant, on donne lieu aux fleurs de paroître dans un temps où la gelée les fait périr. Si l’on tarde trop, les tiges & les fleurs ne viennent qu’imparfaitement ; d’ailleurs, ceux qui ne plantent les jacinthes qu’au mois de décembre, ont ensuite le désagrément de voir presque toujours les oignons s’épuiser en racines. En France, dans nombre d’endroits, on les met en terre dans les mois d’août & de septembre ; les petits cayeux se mettent en pépinière, à un ou deux pouces de distance, sous un pouce seulement de terre.

Les fleuristes varient entr’eux sur la profondeur où ils enterrent les oignons ; l’usage ordinaire est de quatre à cinq pouces, observant d’enfoncer davantage quelques espèces hâtives, & moins quelques espèces tardives, afin que les unes & les autres fleurissent en même temps. L’oignon enterré à plus de cinq pouces, ne produit communément qu’une tige maigre, & des fleurs qui ne sont pas bien pleines ; moins on l’éloigne de la superficie, plus il produit ; ensorte qu’au lieu de donner des fleurs pendant quatre, cinq, six ans, il se trouve épuisé dès la deuxième ou troisième année.

On plante les oignons à un demi-pied de distance, & au bout de trois ans on les lève ; d’autres les lèvent chaque année.

Entre les oignons qui acquièrent une bonne grosseur, ceux qui pèsent depuis une jusqu’à une once & demie, sont en état de fleurir parfaitement ; deux onces & demie annoncent une vigueur extraordinaire & de longue durée. On voit de tels oignons fleurir quelquefois treize ans de suite avant de commencer à s’épuiser en cayeux.

La jacinthe est moins susceptible des effets de la gelée que la renoncule & l’anémone, mais plus que la tulipe & l’oreille d’ours ; on prévient les fortes gelées en couvrant la terre avec deux ou quatre pouces de tan, ou de feuilles d’arbre que l’on a soin de retirer dès que les gelées sont finies, & mises en réserve dans les crainte d’un nouveau froid.

M. Van-Zompel assure qu’un froid qui ne se fait sentir que jusqu’à deux pouces dans la terre, n’est pas contraire à cette plante, & que ce n’est même pas un mal de laisser la caisse découverte au milieu de l’hiver, si l’on est probablement sûr qu’il ne viendra pas de grandes gelées. Il ajoute que les volets, les châssis vitrés, rendroient un mauvais service si on les laissoit dans le temps de la rosée, qu’il regarde comme très favorable aux fleurs de jacinthe ; c’est pourquoi, durant le printemps, on ne les fermera le soir que très-tard, & on les ouvrira le matin d’aussi bonne heure qu’il sera possible.

Comme la tige de la jacinthe est succulente, elle ne résiste pas aux grands vents ; entre les moyens imaginés pour l’assurer contre leur violence, un des meilleurs est d’avoir une baguette souple, bien droite, bien unie, grosse comme le tuyau d’une plume d’oie, & longue d’environ deux pieds, l’enfoncer à une profondeur suffisante pour lui donner du soutien, aussi près de la tige qu’on le peut, sans entamer, ou du moins sans offenser l’oignon, puis lier à volonté la tige & la baguette avec du fil vert, ou encore mieux avec de la laine verte, que l’on noue un peu lâche, au-dessus de la plus basse fleur ; il faut que la tige puisse simplement flotter au gré du vent ; c’est pourquoi un nœud commun à la baguette & à elle, vaut mieux que si l’on nouoit d’abord l’une, puis l’autre, vu que d’ailleurs le fil ou la laine doit avoir l’aisance d’être soulevé par la fleur à mesure que la tige grandit.

Pour conserver la couleur des belles espèces hâtives où le rouge domine en dedans, soit seul, soit avec le blanc, qui s’épanouissent quelquefois de très-bonne heure, on leur donne à chacune un parasol en forme de demi-bonnet, fait de bois léger ou de fer blanc, & supporté par un bâton fiché en terre. L’ardeur du soleil, dans son midi, rendroit tout d’un coup leur couleur pâle, & feroit passer les fleurs bien plus vite. Quand la plupart des autres jacinthes de la planche sont en fleur, on substitue à ces parasols particuliers un parasol général fait de toile, qui demeure toujours tendu en pente au-dessus de la planche, & soutenu par des pieux de bois léger, à une hauteur convenable, pour qu’on puisse se tenir debout commodément dans les sentiers. Il est à propos que cette toile puisse aller & venir au moyen d’un ressort comme celui des stores : car, indépendamment qu’il ne faut pas priver les jacinthes de la rosée, c’est une satisfaction que de voir d’un coup-d’œil toute la planche découverte dans une belle matinée, ou le soir quand il fait beau. La toile doit être tendue toutes les fois que le soleil donne sur la planche, quand il pleut, ou lorsque la nuit est trop fraîche. On la supprime dès que la plus grande partie des fleurs commence à se passer, attendu que les oignons ont besoin de la chaleur du soleil pour profiter.

La manière de lever les oignons est importante ; le temps de le faire est lorsque la fane est presque jaune & sèche. M. Van-Zompel rejette le scrupule de ceux qui prétendent que chaque oignon doit être sorti de terre à ce point, parce que ce seroit nuire à ceux qu’on laisse en terre. Il aime mieux les laisser en terre, quoique leur fane soit entièrement sèche, jusqu’à ce que toute la planche puisse être levée ensemble. Il trouve beaucoup d’inconvénient à se trop presser de les tirer de terre.

On doit avoir la précaution de ne point offenser l’oignon : ayant séparé la fane qui se détache sans peine, on lève l’oignon avec ses racines, sans en ôter les cayeux ni la terre qui peut y tenir. On enlève toutes les enveloppes chancreuses ; si quelques oignons sont altérés, on les nettoie jusqu’au vif ; on met chacun dans une case étiquetée qui fait partie d’une grande layette, distribuée exactement comme la planche. Cette layette est ensuite déposée sur une table, dans une chambre sèche & bien éclairée, dont on ouvre les fenêtres quand l’air est pur & serein, & que l’on ferme soigneusement avant la nuit toutes les fois que le temps est couvert.

Les oignons demeurent ainsi jusqu’au temps de la plantation, c’est seulement alors qu’on les nettoie de la terre qui y est restée, qu’on en sépare les cayeux, & qu’en examinant l’état de chaque oignon, on lui destine, dans la layette, une place convenable à l’effet qu’il devra produire dans la planche, une autre méthode pour lever & conserver les oignons, consiste à les lever par un beau jour, couper la fane tout contre l’oignon, si elle ne s’en détache pas d’elle-même ; ne frotter, manier, ni nettoyer l’oignon, mais le remettre aussitôt sur le côté, la pointe dirigée vers le nord, dans le même endroit, presqu’à fleur de terre, après avoir rempli le trou & égalisé le terrain ; puis avec la terre qui se trouve auprès de l’oignon, le couvrir de toutes parts en forme de taupinière épaisse d’un pouce. Si le temps est au sec, il faut visiter la terre tous les jours, examiner si elle n’est point descendue & si l’oignon n’est pas à découvert ; car le soleil occasionneroit, durant les premiers jours, une fermentation violente dans les sucs dont l’oignon est rempli, & sa perte seroit certaine. C’est pourquoi il est même avantageux de couvrir les taupinières, seulement pendant les deux ou trois heures où le soleil est plus fort ; elles ne seroient pas couvertes le reste du jour, sans produire une moisissure très-difficile à détruire, & qui altère toujours la fraîcheur & la beauté de l’oignon. On laisse ordinairement les oignons ainsi enterrés l’espace de trois semaines, ou un mois, après quoi on leur trouve la peau unie, saine, rougi ; brillante, & presque aussi dure & sèche que celle de la tulipe ; en les levant alors tout-à-fait, on les nettoie, on les garde dix ou douze jours dans la chambre, comme il a été dit ci-dessas ; puis on peut sans risque les transporter où l’on veut, & les tenir empaquetés & privés d’air pendant cinq à six mois ; ce qui seroit impraticable, si l’oignon n’avoit pas été ainsi mûri, & ses sucs digérés & perfectionnés par l’action de la pluie ou du soleil sur la terre qui les touchoit de toute part. Suivant M. Van-Zompel, il faut attendre à exécuter cette opération, que le plus grand nombre des jacinthes ayent la fane jaune, & ne point imiter la précipitation de ceux qui lèvent les oignons dès que les pointes de leur fane annoncent que sa croissance va se ralentir. Ce cultivateur avertit qu’en empêchant l’oignon de croître davantage, on a presque toujours le chagrin de voir qu’il ne devient ensuite ni mûr ni ferme, & qu’il s’y forme un moisi vert, qui pénétrant l’intérieur, & jusqu’à la couronne des racines, le fait gâter, malgré tous les soins de cette méthode laborieuse & assujettissante.

Au reste, cette économie n’est pas sans inconvénient, lors même qu’on l’a observée avec le plus d’exactitude. Il y a, par exemple, des années où les mois de juin, de juillet & août sont fort chauds, & s’il y survient de la pluie, la surface de la terre entre en fermentation ; les oignons s’y cuisent, deviennent infects, & sont morts lorsqu’on les lève : on prévient, néanmoins cet accident, si on met les oignons sur une petite élévation, d’où l’eau s’écoule promptement, & si on a soin de les couvrir pendant les deux ou trois heures du grand soleil, comme il a été dit ; il peut encore être utile de les garantir de la pluie & même du soleil, quand la chaleur est excessive.

Si on a dessein de garder les oignons, on les dépose dans une boite remplie de sable bien desséché, & on les met par couches alternatives de sable & d’oignons. On peut les conserver ainsi dans un lieu bien sec, pour les planter dans les mois d’avril, de mai ou de juin, afin qu’ils donnent des fleurs en juillet & en août. On ne sauroit cependant conserver ces oignons au-delà de l’année.

Les oignons étant ainsi perfectionnés, si on veut les transporter au loin, on a soin, pour tout empaquetage, de les envelopper chacun à part, dans un papier doux & bien sec, & ensuite on les met dans une boîte fermée de manière qu’il n’y pénètre absolument ni air ni humidité ; après quoi on peut envelopper la boîte avec de la toile cirée, & il faut recommander avec grand soin que cette boîte soit placée dans l’endroit le plus sec d’un navire. M. VanZompel blâme la pratique d’empaqueter les oignons de jacinthe avec de la mousse d’arbres, quelque sèche qu’elle soit, parce que ces oignons demeurant toujours remplis d’un suc abondant, communiquent à la mousse une humidité qu’elle pompe très-vite, & qui de-là passant à la couronne, fait pousser de longues racines, au grand préjudice pour l’oignon renfermé, au lieu qu’il est d’expérience que le papier doux & sec ne favorise nullement de telles productions : tout ce qui peut arriver est que dans l’espace de plusieurs mois, la pointe de l’oignon s’alonge d’un ou de deux pouces ; mais il n’en résulte aucun mal, & quand cet oignon sera mis en terre, formera promptement de belles racines ; en un mot, tout oignon de jacinthe bien aoûté, se conserve mieux dans du papier doux & sec, sans autre enveloppe, que ceux qui demeurent exposés à l’air dans une chambre sèche.

On peut avoir des jacinthes en fleur dès le mois de janvier, en plantant quatre ou cinq oignons d’espèces hâtives, sous un pouce de terre, dans des pots que l’on plonge dans une couche de tan échauffé. Si on a une serre chaude, on y tient ces pots près d’une fenêtre, & on les arrose quand ils en ont besoin.

Les oignons de jacinthes doubles fleurissent toujours plus tard, même avec ces soins ; mais en les entremêlant avec les simples, on peut se former des planches artificielles dont la saison sera de durée, surtout si l’on a soin d’y observer la gradation de hâtives & de tardives.

On se procure encore des fleurs de jacinthe en hiver dans les appartemens, au moyen de caraffes de verre, hautes de sept à neuf pouces, dont la partie supérieure soit assez large pour que l’oignon y pose commodément. Ayant choisi parmi les oignons de simples & doubles hâtives, certaine quantité de ceux qui sont bien ronds, & qui semblent avoir pris toute leur croissance ; on met vers le 10 octobre assez d’eau de pluie fraîche dans chaque caraffe, pour qu’une partie de l’oignon, au-dessus du cercle des racines, y baigne. Il ne s’agit plus que de renouveler cette eau de quatre en quatre semaines ; quelques personnes jettent, tous les quinze jours, dans l’eau une pincée de nitre. On voit profiter les racines & la tige, & quand on en a beaucoup en fleurs, on peut les ranger sur un théâtre.

Ces caraffes réussissent très-bien sur les tablettes des cheminées où l’on fait habituellement du feu. Cependant, si la chaleur de ces tablettes devient assez forte pour échauffer sensiblement l’eau, cette liqueur se décompose, contracte une mauvaise odeur, les racines se pourrissent, augmentent l’infection, & la plante périt sans avoir fleuri. Lors donc que l’on fait grand feu, on doit être attentif à renouveler souvent l’eau des caraffes.

Il y a des personnes qui distribuent les caraffes en divers endroits d’une chambre où l’on entretient une chaudière d’eau bouillante, dont la vapeur contribue beaucoup à la réussite des jacinthes, soit en se répandant sur elles en forme de rosée douce & très-fine, soit en entretenant l’air dans une température proportionnée à celle qui est favorable à leurs progrès.

Les oignons qui ont ainsi fleuri en hiver, étant ensuite mis en terre, puis levés dans la même saison que les autres, y reprennent de la vigueur, mais il ne sont pas en état de donner une seconde fois cet agrément ; tout ce que l’on a droit d’en attendre, est que l’année suivante, ils jetteront quantité de cayeux.

On voit donc que la culture des jacinthes n’a pas plus de difficultés & d’inconvéniens que celle des tulipes ou des oreilles d’ours.

Les jacinthes peuvent être cultivées avec succès dans toute l’Europe, quoiqu’en général un climat tempéré soit celui qui leur convient le mieux : elles réussissent très-bien en Italie, & particulièrement à Rome, où il y a des curieux qui le disputent en ce genre aux Hollandois. La France embrassant dans son étendue différens climats, de chauds, de froids, & son climat principal étant tempéré, elle possède de grands avantages pour la culture de cette belle fleur. Les Hollandois, sous un ciel moins favorable, ne priment sur les François que par leur application laborieuse & intelligente au moyen d’étuves ou serres chaudes, les pays septentrionaux peuvent se procurer la même jouissance.


Section IV.

Des maladies des Jacinthes.


Les plantes sont, sujettes 1°. à une espèce de chancre caractérisé par un cercle ou demi-cercle brun, ou couleur de feuille morte, qui s’étend depuis la surface dans tout l’intérieur de l’oignon, & répond à la couronne des racines : c’est une corruption dans les sucs de l’oignon. Quand le mal n’a pas fait de grands progrès, il n’occupe qu’une partie de l’oignon, & on s’en apperçoit rarement tandis que la plante est en terre, en sorte qu’on est surpris de trouver ce vice en levant telle jacinthe qui aura bien fait dans la même année ; mais dès que le cercle est entièrement formé, la maladie est mortelle ; l’oignon ne profite plus, & l’état de sa fane au printemps indique qu’il est prêt de périr. Lorsque ce vice attaque d’abord la couronne, il gagne tout l’intérieur sans qu’on s’en aperçoive, & il se déclare au dehors quand il n’y a plus de remède. Si au contraire il commence par la pointe, on en arrête le progrès en coupant en dessous, jusqu’à ce qu’on ne découvre plus aucune marque de la contagion ; l’oignon réduit même à moitié, se répare ensuite, & si on l’expose au soleil derrière un verre, aussitôt après l’opération, la partie se sèche, & cicatrise promptement.

Ce mal étant contagieux, il faut jeter tous les oignons qui en sont infectés sans espérance de remède, tout ce qui en proviendroit auroit le même vice ; il faut donc visiter chaque oignon avant de le planter, & enlever avec un couteau tous les endroits suspects ; si le dessous est blanc on n’a rien à craindre. Les autres préservatifs sont de ne pas planter des oignons auprès de ceux qui ont le mal, ne point se servir de terre qui ait nourri des jacinthes plusieurs fois de suite, & coup sur coup ; ne pas mettre ces plantes dans un endroit ou l’eau séjourne pendant l’hiver, n’y employer aucun fumier de cheval, ni de brebis ni de cochon, à moins qu’il ne soit absolument consommé.

2°. La seconde maladie presque toujours mortelle, est un gluant infect qui, corrompant d’abord l’extérieur de l’oignon, en pénètre ensuite toute la substance. Quand le mal est à ce point, la plante périt nécessairement ; l’oignon contracte cette viscosité dans la terre, surtout quand il n’est pas à une certaine profondeur, & que la terre est trop humide ; il en est bien susceptible quand on l’a fait aoûter en terre, ainsi qu’on l’a indiqué ci-dessus, après l’avoir levé. On prétend que c’est un insecte qui est la cause du mal, & que, pour y remédier, on doit mettre ces oignons tremper dans l’eau distillée du tabac, ou dans une forte décoction de tanaisie, on les y laisse environ une heure, & on les met ensuite sécher dans un lieu bien aéré, mais à l’ombre.

3°. Lorsqu’on voit au printemps la pousse nouvelle sortie de terre s’affoiblir & se sécher, on peut conjecturer que les racines ont été endommagées, soit par la gelée, soit par quel qu’autre accident ; on y remédie en levant l’oignon pour nettoyer les racines & en retrancher les endroits malades, puis couper toute la pousse, après quoi on remet l’oignon en terre, de sorte qu’il ne soit couvert que très-légèrement ; il s’y sèche, & peut l’année suivante donner des cayeux qui réussiront bien.

4°. On ne doit pas regarder comme une maladie de cette plante l’avortement de sa fleur prête à se former ; cet accident est presque toujours l’effet de la pression que souffre la plante dans la terre gelée, & il attaque moins les oignons plantés au mois de novembre, que ceux que l’on a mis plutôt en terre.

5°. À la surface de l’oignon qui est hors de terre, il se trouve quelquefois des peaux mal saines qui le rongent pendant tout le temps qu’il reste à l’air. Avant que les peaux gâtent les racines, il faut les couper, & si on néglige de le faire, elles y portent la mort. Quand la cause du mal est ôtée, la plaie se sèche promptement, & on peut être tranquille pour l’avenir ; seulement l’oignon est diminué de grosseur, mais il redevient vigoureux dans la terre.

6°. On doit être également soigneux d’ôter un moisi vert qui se forme à la surface de l’oignon, & qui ordinairement devient dangereux quand l’oignon n’a pas été aoûté, puis gardé bien sèchement.

Si ces divers accidens font périr beaucoup de jacinthes, on trouve de grandes ressources dans la multitude de cayeux que cette plante fournit. Sa faculté reproductive est même si féconde, qu’il naît des cayeux au bord de toutes les plaies qui arrivent aux tuniques de l’oignon, soit par l’effort de la sève abondante qui les divise, soit par les incisions que l’on peut y faire.

Cette observation a suggéré un moyen de multiplier abondamment certaines espèces indolentes qui ne sont pas disposées à produire des cayeux. Un peu avant le temps de lever les oignons, on tire de terre celui que l’on veut exciter à la génération ; & l’ayant fendu en croix depuis le bas jusque vers le tiers de sa hauteur, on le remet en terre, en ne le couvrant que de l’épaisseur d’un pouce. Quatre semaines après on l’aoûte, on le retire, & on le fait sécher comme les autres, puis on le replante en même temps qu’eux. Il ne donne plus de fleurs, mais l’année suivante il produit quelquefois jusqu’à dix cayeux, lesquels sont en état de bien faire au bout de deux ans.

On peut diviser l’oignon en un plus grand nombre de parties, au moyen d’incisions qui, de divers points de la circonférence, en prenant au-dessus de la couronne de racines, pénètrent jusqu’au cœur ces incisions doivent même être de biais, en montant & en tournant, de sorte que la partie inférieure de l’oignon & son cœur se détachent en un morceau. Si l’opération est bien faite, ce morceau peut ensuite former un nouvel oignon, & la partie supérieure, consistant en un cercle de plusieurs tuniques assemblées, donne quelquefois naissance à vingt ou trente cayeux, mais cette dernière division n’est pas sans danger pour le chef.

Quoique je ne fois pas fleurimane, je vais proposer un moyen bien simple de multiplier les oignons, soit qu’ils soient composés d’écailles placées en recouvrement les unes sur les autres, comme celles du lys, &c. ou par des tuniques contiguës, comme dans les oignons ordinaires, ceux des jacinthes, &c : c’est de les diviser en croix du haut en bas, de séparer chaque morceau des tuniques, de les laisser pendant quelques jours à l’ombre, dans un lieu sec & aéré, enfin jusqu’à ce que le bord de chaque morceau soit desséché & cicatrisé ; alors on met en terre ces morceaux, & chacun produit dans la suite un oignon.


  1. Note de l’Éditeur. J’ai vu, chez un fleuriste, une planche entière de jacinthes languir ou périr, pour avoir employé des feuilles de noyer à la préparation du terrain.