Cours d’agriculture (Rozier)/INDIGESTION

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 647-649).


INDIGESTION, Médecine Rurale. C’est un défaut de coction des alimens dans l’estomac ; cette incommodité survient pour l’ordinaire à la suite de quelque excès commis dans le boire & le manger.

Les tempéramens les plus forts n’en sont pas exempts. Les personnes foibles & délicates y sont plus exposées, & éprouvent très-fréquemment cette maladie.

L’indigestion peut être grave ou légère. Cette dernière n’est jamais dangereuse, & cède presque toujours à une ample boisson d’eau chaude. La première au contraire expose aux plus grands dangers de perdre la vie, ceux qui en sont attaqués, & l’on voit très-souvent des gens mourir presque subitement d’une forte indigestion, sans avoir le temps de leur donner les moindres secours. L’indigestion légère s’annonce toujours par des maux de tête, un pouls petit, foible & lent, & parfois entrecoupé par des rapports d’un goût d’œuf pourri, par le hoquet, par des maux de cœur, des défaillances & des nausées : peu de temps après le vomissement survient ; quelquefois les malades, ne peuvent rejeter par la bouche les matières indigestes qui surchargent l’estomac. C’est alors que les douleurs de colique se font violemment sentir ; elles sont pour l’ordinaire l’annonce d’un cours de ventre, qui ne tarde pas à paroisse, & qui peut être très-salutaire.

L’indigestion grave n’exclut point tous les symptômes dont on vient de faire mention. Outre ceux-là, elle est accompagnée de gonflement considérable du bas-ventre, de douleur, de colique très-aiguë, de délire, de convulsion, d’assoupissement & de fièvre.

Les causes qui peuvent disposer & exciter l’indigestion, sont de deux sortes ; les unes sont internes, les autres externes. Dans les premières, on doit comprendre le peu d’énergie des organes digestifs, leur faiblesse & leur défaut de ressort. Le vice des humeurs qui concourent à la digestion, vice qui peut consister dans la mauvaise qualité des sucs gastrique & pancréatique, & dans celle de la bile, qui se séparant trop lentement dans le foie, est trop tard, & en trop petite quantité, versée dans l’intestin duodenum. On doit y joindre encore l’érétisme de l’estomac, la trop grande sensibilité de ce viscère, & une surcharge de matières indigestes.

Dans les causes externes, nous renfermerons le défaut d’exercice, un embonpoint extrême, une fatigue excessive, le défaut de sommeil, une compression trop forte faite sur l’estomac immédiatement après le repas, des coups violens portés sur ce viscère, enfin un excès dans le manger, & l’usage abusif de viandes pesantes, dures, coriaces, & de difficile digestion.

Parmi toutes ces causes, je n’en connois pas de plus puissante que le dégoût que certaines personnes éprouvent à la vue de certains mets ; par exemple, du riz, du poisson, &c. L’estomac de plusieurs personnes ne s’accommode point avec des viandes salées, épicées, & fumées ; elles les vomissent un instant après les avoir avalées. D’après cela, il est aisé de voir que cette maladie dépend quelquefois de l’ydiosincratie de certains sujets.

Pour pouvoir combattre avec succès cette maladie, le médecin doit plutôt tâcher d’en découvrir la cause. L’indigestion, quelque légère qu’elle puisse être, est susceptible d’un traitement méthodique. D’après ce principe, dans une indigestion quelconque, on ne doit pas avoir recours, comme on le pratique presque toujours, aux odeurs très-fortes, aux liqueurs spiritueuses, & aux eaux cordiales ; ces remèdes incendiaires sont plus nuisibles que salutaires, & ne font qu’aggraver le mal, en allumant la fièvre, & en excitant un degré de chaleur qui accable les malades, lors sur-tout que cette maladie dépend du choc des passions, de la tension des fibres de l’estomac ; leur emploi ne peut avoir lieu que lorsque la maladie a pour cause une foiblesse naturelle ou accidentelle de l’estomac, & un abattement des forces.

On remédiera à l’indigestion par surcharge putride dans l’estomac & les premières voies, en faisant boire beaucoup d’eau tiède aux malades, afin de provoquer le vomissement, qui communément emporte avec lui la cause & les effets. Si, malgré cette quantité d’eau chaude, le vomissement ne survient pas, on doit alors donner au malade, en deux prises, la dissolution de deux grains de tartre émétique dans un verre d’eau commune, ou tout autre vomitif qu’on pourra avoir, tel que l’ipécacuanha en poudre, à la dose de 18 à 20 grains, ou quelques gouttes du sirop émétique de glaubert ; remède excellent dans ce cas, pour les enfans. On aide à l’efficacité de ces remèdes, par beaucoup d’eau chaude que l’on fait avaler en différentes reprises.

La saignée est mortelle dans l’indigestion ; il est néanmoins des cas où l’on doit la pratiquer lorsqu’il y a pléthore, tendance d’humeurs vers la tête, délire, assoupissement, convulsion, fièvre forte, & douleur très-vive ; mais il faut avoir l’attention de ne la pratiquer que vingt-quatre heures après l’invasion. Il paroît que les médecins modernes se sont soumis à l’action victorieuse de la saignée ; (Voyez Journal de Médecine, Février 1759). mais cette pratique est proscrite par trop d’événemens malheureux. Il vaut mieux recourir à des moyens moins puissans, & pas si dangereux. Les bains de jambes peuvent y suppléer, & apporter quelque soulagement. L’indigestion est quelquefois si considérable, que l’estomac n’a pas la force de se soulever, ni de produire les différens symptômes que nous avons rapportés, & qui sont autant de preuves des efforts qu’il fait pour se débarrasser de ce qui le charge ; aussi voit-on, dans ce cas, les personnes attaquées d’indigestion, tomber tout à coup sans connoissance & sans mouvement, tout comme si elles étoient frappées d’apoplexie. Il faut alors leur donner l’émétique, & aider l’effet salutaire de ce remède, par beaucoup d’eau tiède ; les lavemens purgatifs produisent un changement très-avantageux. Pour l’ordinaire, les malades reprennent l’usage de leurs sens à mesure qu’ils s’évacuent. Les purgatifs seront employés, & seront aussi plus ou moins répétés, après qu’on aura délayé les matières indigestes & putrides, & qu’on les aura rendues plus propres à l’évacuation. Il est toujours prudent de se purger à la suite d’une indigestion grave. On tarit & on enlève en même temps le foyer qui reste & qui pourroit reproduire une nouvelle indigestion.

Le thé, la sauge, la camomille, pris en infusion, sont des remèdes souverains pour l’indigestion légère ; ils sont même suffisans pour la prévenir. L’eau de luce, l’alcali volatil fluor, sont des remèdes trop actifs ; on ne doit s’en servir que lorsqu’on a en vue de réveiller les malades qui sont dans un état soporeux, ou d’exciter la nature languissante qui a besoin de toutes ses forces pour surmonter ce qui l’accable.

Les personnes foibles, dont l’estomac est paresseux, & conséquemment très-sujettes à l’indigestion, préviendront cette maladie, en se privant de tout aliment grossier, & difficile à digérer. Elles feront très-bien de prendre un peu de café immédiatement après le repas, ou des glaces au citron ou au verjus, si elles peuvent s’en procurer : rien au monde de plus efficace pour soutenir les forces digestives, & redonner aux organes affoiblis, ce ton naturel si nécessaire pour opérer une digestion parfaite. M. AMI.