Cours d’agriculture (Rozier)/INCENDIE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 627-631).


INCENDIE, grand embrasement. Les incendies peuvent avoir lieu de trois manières ; savoir, par malice, par négligence, ou par force majeure.

L’action qui résulte de l’incendie de la première espèce, se poursuit criminellement par la voie extraordinaire ; & non-seulement, dans ce cas-là, les incendiaires sont tenus des pertes qu’ils occasionnent, tant dans les lieux où ils ont mis le feu, que dans les maisons voisines qui ont souffert de l’incendie ; mais, d’après les loix, il sont en outre punis de mort.

Avant qu’on arrêtât en France les mendians vagabonds, ils étoient la terreur des campagnes. Si on ne leur donnoit pas ce qu’ils demandoient, ils menaçoient de brûler, & l’on a vu l’exécution suivre les menaces… Dans plusieurs de nos provinces les enfans sont conducteurs de troupeaux ; ils se rassemblent auprès d’une haie, d’une forêt, allument de petits feux qu’ils n’étouffent pas en se séparant ; un coup de vent survient, fait voler des étincelles, le feu gagne de proche en proche, & l’incendie se manifeste quand il n’est plus temps de le réparer.

Lorsque le feu gagne une forêt, & que l’on voit clairement que les secours seront insuffisans pour l’éteindre, le plus court & le plus sage parti est de circonscrire l’incendie, d’abattre, à une certaine distance du lieu incendié, tous les arbres, d’en retirer les troncs & les branches, de les porter à l’écart ; enfin, d’ouvrir un large fossé de séparation, dont la terre sera jetée du côté non incendié. Alors cette terre recouvrira les petites branches, les feuilles, & les mettra à l’abri des étincelles & des approches du feu. Dans ces circonstances l’on craint trop de perdre, & par une parcimonie mal entendue, on fait le retranchement presque toujours trop près du lieu incendié. Il est des cas où il faut se décider tout à coup à faire un sacrifice. Pendant que l’on travaille, le feu gagne & il est souvent au-delà du fossé qu’il est à peine bien commencé. Le premier point est d’abattre les arbres qui doivent être incendiés, si on ne peut les en retirer, & les renverser du côté de l’embrasement ; le second est d’employer dans le même temps le plus grand nombre d’ouvriers qu’on pourra, pour ouvrir le fossé & peler la surface du terrain par derrière & à une certaine distance. Ce que je dis des forêts s’applique aux moissons, aux prairies prêtes à être fauchées ; bien entendu, si en a le temps, car la flamme vole d’une rapidité surprenante, pour peu qu’elle soit animée par un courant d’air. C’est ici le cas de peler le sol, d’enlever une couche de terre tout autour de la pièce incendiée si le vent est variable, & s’il est fixe, au dessous du vent, afin de préserver les pièces voisines.

Dans les provinces où l’on est dans la fâcheuse habitude, que la pauvreté rend quelquefois indispensable, de former le toit avec du chaume, le plus léger incendie y devient souvent un embrasement général par les flamèches emportées par les vents sur les toits voisins. L’humanité, le spectacle affreux, l’idée de dévastation, de destruction, tout, en un mot, porte chaque habitant à voler au secours de la maison incendiée, afin de sauver les meubles, les grains, les bestiaux, &c. je suis bien éloigné de blâmer ce zèle, mais est-il assez éclairé ? Si les progrès du feu sont rapides, les secours médiocres, l’eau rare, à quoi aboutiront tous les travaux ? à rien ; l’incendie gagnera de proche en proche, & le village sera la proie des flammes, pour peu que les maisons soient rapprochées. Une seule année ne se passe pas sans voir renouveler ces scènes d’horreur. Le seul parti à prendre est de couper les poutres qui supportent les toits des deux maisons voisines ; c’est un malheur, j’en conviens, pour les propriétaires ; ils ne l’auroient pas moins éprouvé par le feu ; mais au moins on sauvera les autres maisons voisines. Si dans les campagnes, comme dans les grandes villes on avoit la ressource de l’eau, des pompes, des seaux, de la multiplicité des bras, à force de secours prompts & bien dirigés, la sape seroit moins nécessaire, & se réduiroit au toit de la maison en proie aux flammes ; au lieu que dans les campagnes on trouve à peine quelques cruches, & souvent l’eau est très-éloignée. Règle générale, abattre & couper tout ce qui environne la partie incendiée, est le moyen le plus prompt, le plus sûr, si l’on sait prendre son parti à propos. Le moment est critique, on ne doit donc pas le perdre, mais plutôt le devancer.

Le feu pris à une cheminée dans une grande ville tire à peu de conséquence, parce que les murs sont bâtis solidement, & le briquetage est fort. À la campagne, tout se ressent d’une économie forcée, & tout par conséquent est dans un état de médiocrité qui va presque à la détresse. On se hâte de monter sur les toits, de boucher l’ouverture supérieure avec des linges mouillés, de même que l’ouverture inférieure, afin que le feu n’étant plus animé par le courant d’air, il s’étouffe de lui-même. La précaution est très-bonne lorsqu’on est assuré de la solidité de la cheminée ; mais s’il se trouve la plus petite lézarde, le plus petit jour entre les briques, la fumée y pénètre, la flamme la suit, & l’incendie gagne le reste de la maison. Dans tous les cas d’incendie de cheminées, le meilleur parti à prendre est de retirer le bois & le charbon, les cendres au milieu de la chambre, à moins que le plancher ne soit en bois. Alors le courant d’air change en grande partie, il se dirige sur ce nouveau feu, & diminue d’autant celui de la cheminée. D’ailleurs, les émanations de feu, l’air fixe qu’il exhale, vicie l’air atmosphérique, & attiré ensuite par la cheminée, il éteint la flamme qui ne peut subsister dans l’air fixe. (Voyez ce mot). Il y a ici, comme on le voit, deux actions purement mécaniques : la première est la diminution du courant d’air moteur & soutien de la flamme dans la gaine de la cheminée ; la seconde, l’action directe de l’air fixe sur la flamme qui éteint le feu.

Si l’embrasement est considérable, ce premier moyen est insuffisant, sur-tout si on n’a pas la facilité de se procurer promptement de l’eau & en quantité suffisante ; car un peu d’eau sur un foyer très-animé, donne des ailes à la flamme & l’augmente. Toute personne qui craint le feu, devroit avoir chez soi une à deux livres de fleurs de soufre ; la dépense est médiocre, & la conservation facile. Aussitôt que l’incendie se manifeste, jetez sur le brasier qui couvre l’âtre de la cheminée quelques poignées éparses de fleurs de soufre, & bouchez le bas ou ouverture de la cheminée, avec une couverture de laine bien mouillée. D’abord, soustraction du courant d’air, point essentiel ; destruction de l’élasticité de l’air, par l’ignition du soufre, & sans élasticité dans l’air la flamme ne peut subsister. Si on présume que le brasier de l’âtre est encore trop ardent, quelques poignées de soufre jetées de nouveau, ralentiront son activité. On dira peut-être que la cessation de l’incendie tient à la masse d’air fixe produite par le soufre, je ne le crois pas ; mais que ce soit par une cause ou par une autre, peu importe, pourvu que l’opération réussisse. J’ai été deux fois dans des cas très-urgens de la mettre en pratique, & toujours avec le plus grand & le plus prompt succès.

On vient d’annoncer dans les papiers publics, qu’une certaine quantité d’oignons de cuisine, coupés par tranches, & jetée sur le brasier de l’âtre, produisoit le même effet. Comme je ne l’ai point éprouvé, je désire que la chose soit ainsi.

Jeter du sel de cuisine dans la cheminée après l’avoir bouchée, est un moyen qu’on ne doit pas négliger. Tirer des coups de fusil, agit encore très-bien si la gaine est bonne & solide. À tous je préfère le soufre, j’en ai l’expérience.

L’incendie des forêts est toujours la suite de quelque imprudence ou de la méchanceté ; mais voici un fait qui mérite de trouver ici sa place, & qui semble prouver qu’il peut y avoir des incendies spontanés, lorsque plusieurs circonstances y concourent.

Le 8 septembre 1774, dans la paroisse de Saint-Cyr-la-Lande, à trois lieues de Blaye, au territoire appelé Vergnottes, on s’aperçut, à la sortie de la messe, que le feu étoit dans le lieu des Vergnottes, & dans la partie plantée & semée en bois, d’environ 600 journaux.

On vit la fumée s’élever en colonne du milieu de la forêt, grossir successivement, & enfin prendre un volume considérable. Sur les deux heures de l’après-midi l’incendie s’étendit dans le bois, de manière qu’à la fin du jour tout fut généralement enflammé, & les secours, quoique très-multipliés, furent inutiles. D’Angoulême & de Périgueux on appercevoit la lumière éclatante que répandoit cet embrasement : on peut juger par ces distances quelle fut son activité,

Il faut observer que le sol de cette forêt est composé d’une couche de tourbe, seulement de quelques pieds d’épaisseur, de 18 à 48 pouces dans la plus grande totalité. Cette couche est sur une couche d’argile. Les plantes, les arbres, la tourbe, tout a été calciné & réduit en cendres, à l’exception de quelques endroits sablonneux, & par compartimens.

Depuis plusieurs jours le temps étoit très-chaud, & le soleil étoit brûlant. Le 8 septembre l’incendie se propagea sous le vent comme sur le vent. Le centre du foyer d’où s’éleva la première colonne de fumée étoit dans des pépinières très-fortes, très-fourrées, feuillées.

Depuis l’époque de cet embrasement, la superficie du sol s’est affaissée dans divers endroits depuis dix jusqu’à quinze à dix-huit pouces. L’affaissement est relatif à l’épaisseur de la couche de tourbe. Ainsi l’épaisseur actuelle de la couche de cendres, varie depuis 4 jusqu’à 8 pouces. Depuis cette époque l’herbe ne sauroit y croître, & il faudra peut-être 30 années pour que du gazon couvre la superficie de la cendre.

Il y a environ 50 ans, à dater jusqu’en 1774, qu’une forêt voisine de celle dont on parlé fut incendiée. Elle en étoit séparée seulement par un chemin, & portoit sur une semblable couche de tourbe.

D’après les perquisitions les plus exactes, il n’a pas été possible de découvrir le plus léger indice capable de faire soupçonner que le feu avoit été mis, ou par imprudence ou méchamment. On a seulement dit que le papier qui servoit de bourre au fusil d’un chasseur pouvoit avoir causé l’embrasement : mais comment un petit morceau de papier qui, dans cet état d’ignition le consume sans flamme, auroit-il pu incendier l’herbe du voisinage, précisément dans le milieu de la forêt ; & dans une pépinière très fourrée, très-feuillée, & haute de 12 à 15 pieds, & sous l’ombre épaisse de laquelle aucune plante ne pouvoit végéter, enfin, dans l’endroit le plus frais de la forêt ?

Il existe un ancien usage dans ce canton ; lorsque l’on passe des baux à ferme, on y prévoit & stipule le cas de pareils incendies ; ce qui prouve qu’ils y sont anciennement connus.

Ici la couche de tourbe diffère des autres tourbes en général, dont les couches ont une très-grande épaisseur, & sont communément situées dans le voisinage des rivières, & peu élevées au-dessus de leur lit. Alors la tourbe, semblable à des tubes capillaires, pompe l’eau, se maintient fraîche jusqu’à sa superficie, & brave les plus dévorantes chaleurs. Ici au contraire, la tourbe porté sur une couche de glaise, & n’a d’autre humidité que celle fournie par les pluies. Il n’est donc pas extraordinaire de la voir se dessécher jusqu’à sa base, lorsque la chaleur & la sécheresse se soutiennent pendant l’été.

De ces circonstances réunies ne peut-on pas conclure que l’embrasement a été spontané, & que, pour causer ignition il a suffi du développement de l’air inflammable, toujours très-abondant dans les tourbes ? Je ne regarde pas cette conjecture comme dénuée de vraisemblance.

Qui sait encore si cette tourbe n’étoit pas pyriteuse, en tout ou en partie, comme le sont celles de Picardie, & dont il sera question au mot tourbe ? Dans ce cas, la cause de l’embrasement est toute trouvée, puisqu’il suffit que ces dernières soient exposées à l’air ; alors elles commencent à tomber en efflorescence, s’échauffent, s’embrasent, & jettent de la flamme.

Un particulier très-digne de foi, m’a assuré avoir perdu une forêt placée sur une tourbière, mais les arbres ne furent point consumés.

L’ignition s’établit entre deux terres, gagna de proche en proche, dévora les racines des arbres ; la superficie du terrain s’affaissa également, les arbres restèrent debout jusqu’à ce qu’un premier coup de vent les abattit, comme les enfans renversent en soufflant une file de cartes.

Le sol actuel de la première forêt ne peut être mis en valeur, sans une forte dépense ; son étendue effraieroit l’entrepreneur ; cependant la chose n’est pas impossible, sur-tout si on ne défriche pas au-delà, de ses forces, & si on ne se pressé pas trop de jouir. On a une couche de cendres, & par-dessous une couche d’argile. Or, en ouvrant des tranchées de deux à trois pieds de profondeur, l’argile sera mélangée avec la cendre ; de compacte & imperméable à l’eau, elle sera rendue meuble & bien divisée.

Mais comme la partie cendreuse est très-saline, il est impossible que pendant les premières années les herbes dont on y aura semé la graine, y végètent pendant l’été, ou avant le temps que l’humidité, occasionnée par les pluies de l’hiver ou du printemps, soit évaporée. (Voyez les expériences citées au mot Arrosement). Ce n’est qu’à la longue que l’excédent salin sera entraîne par les pluies ; alors le sol sera très-productif.