Cours d’agriculture (Rozier)/HÔPITAL

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 492-498).
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HÔPITAL, maison fondée & destinée à recevoir les pauvres malades, les soigner, les nourrir & les médicamenter jusqu’à leur parfaite guérison. Le plus ancien hôpital fondé est celui de la ville de Lyon, & l’on peut dire que son administration doit servir de modèle à tous les autres en ce genre. Il ne s’agit pas ici d’examiner si les hôpitaux, & sur-tout les grands hôpitaux sont utiles ou nécessaires dans les grandes villes ; mais il faut prouver qu’ils sont inutiles & à charge dans la campagne ; enfin, que la dépense, pour leur entretien, excède de beaucoup les services qu’ils rendent. Ceci paroîtra des paradoxes aux yeux de beaucoup de citoyens : je les prie de réfléchir sur les raisonnemens sommaires que je vais leur présenter.

Un hôpital suppose des bâtimens, des frères, des sœurs, un aumônier, un médecin, un chirurgien ; enfin, tout l’attirail de l’établissement. Les individus employés sont nourris, vêtus & stipendiés sur le revenu de la fondation, & souvent leur nombre égale celui des malades. Ces frais de service sont donc une soustraction réelle, & sûrement de moitié, du revenu des pauvres. On doit encore compter pour beaucoup l’entretien des bâtimens, les réparations annuelles & imprévues, l’entretien du linge, des lits, &c. tous ces frais prélevés, je demande ce qu’il reste de net pour le service des pauvres ? Que sera-ce, si l’administration est confiée à des mains incapables de la régir avec une sage économie ? Toute régie, en ce genre, est abusive, parce que les administrateurs n’ont qu’un intérêt général à la chose ; ils s’en rapportent aveuglément à des sous-ordres, qui, dans le fait, sont les seuls administrateurs ; & pourvu que la machine aille à peu près, chacun est content, & croit avoir bien administré. Insensiblement des vices sourds s’introduisent, & on ne les connoît que lorsque la maison est obérée. Combien d’exemples on pourroit citer !

Que faut-il donc mettre à la place des hôpitaux, dans les gros bourgs ou villages ? Dans les villes, les individus sont entassés les uns sur les autres, & sur-tout dans les villes de fabrique, où souvent une seule chambre renferme une famille entière, sans compter les ouvriers. Il n’est pas possible qu’un malade puisse y avoir un endroit à lui, être servi, & avoir le repos & la tranquillité dont il a besoin. Dans les villages, ait contraire, l’espace manque rarerement, & la bienfaisance est assise à côté de la misère. J’ai vu à Rochetaillée, près de Lyon, une pauvre femme, âgée de quatre-vingt-douze ans, infirme, au point que, étendue dans son lit, elle ne pouvoit ni boire, ni manger, ni se tourner, sans le secours de quelqu’un. Cette infortunée, dénuée de tout, étrangère au village, n’a jamais manqué du nécessaire ; ses voisines venoient à tour de rôle, les unes, le matin pour faire son lit, la lever, changer ses linges, lui donner des alimens, attendre qu’elle ait mangé, la recoucher, fermer la porte à clef, placer la clef derrière la chatière, & elles la quittoient pour aller à leur journée à midi. Sur le soir, nouvelle visite, nouveaux soins, & le même zèle qui ne s’est jamais démenti. Cette femme, placée dans un hôpital, auroit été nourrie & servie, j’en conviens ; il auroit fallu que l’hôpital payât & nourrît au moins un serviteur pour elle ; c’est donc doubler la dépense ?

J’ai dit que la bienfaisance étoit assise à côté de la misère, & c’est précisément sur ces deux points que j’ai établi le soulagement des malades. Je ne prétends pas dire que les seigneurs, que les gens riches ne sont pas bienfaisans ; mais comme ils n’ont jamais senti le poids du besoin, ils n’ont en général qu’une idée très-imparfaite de la misère, & la voient dans un lointain qu’ils aperçoivent à peine, tandis que le journalier, la sentant ou la voyant de très-près, secourt son semblable, soit par bonté d’ame, soit parce qu’il présume qu’il aura peut-être besoin d’être secouru à son tour.

Pour exécuter l’établissement dont je veux parler, je n’ai besoin que du concours du seigneur, du curé de la paroisse, de celui de quelques uns des principaux habitans, & des femmes notables du bourg ou du village, qui deviendront dames de charité. C’est sur les soins, le zèle & l’inspection de ces dernières, que je fonde mes plus grandes espérances. Personne n’a le coup-d’œil des femmes pour les objets de détail, pour les petites économies si essentielles ; enfin, personne n’est aussi patient, aussi zélé, aussi adroit auprès des malades. Toutes les voisines de la malade seront les premières à les seconder dans leurs travaux, & le malade sera mieux soigné que dans aucune des maisons de charité les mieux rentées. A-t-on jamais vu dans un village un seul malade abandonné ? Au contraire, le zèle des bonnes gens a un défaut, celui de remplir la chambre de monde, & de prodiguer la nourriture. Sur ce fait, je m’en rapporte aux témoignages de ceux qui habitent les campagnes. Ils y auront vu plus d’une fois le cultivateur partager avec le malade jusqu’à son strict nécessaire, & regretter de ne pouvoir en faire l’entier sacrifice. Que seroit-ce donc si cette pitié, cette bienfaisance étoient dirigées & ménagées avec prudence !

Dans un bourg, dans un village, dans une petite ville, tout le monde se connoît, & les facultés de chacun sont en évidence. Dès-lors on ne craint plus que l’individu aisé réclame des charités, & il est facile de régler jusqu’à quel point le secours doit s’étendre, suivant la faculté de chaque individu. Ce point supposé, que faut-il de plus ? quelques matelas, draps & couvertures que le seigneur, ou le curé, ou les notables prêteront aux nécessiteux, & qui par conséquent appartiendront à la communauté ; un pot au feu proportionné au nombre des malades ; du pain ; une petite collection de remèdes pharmaceutiques & de plantes médicinales, voilà tout le détail de la régie qui doit en faire les fonds. Le seigneur donnera l’exemple. Le curé, à proportion de ses moyens, fournira des secours ; il exhortera tout habitant aisé, & pour peu qu’il soit aiguillonné, ou par un motif de religion ou d’amour-propre, il s’empressera de concourir à la bonne œuvre générale. Il faut un homme de l’art pour l’administration des remèdes. Stipendiez-le suivant le travail, s’il n’est pas assez généreux ou assez aisé pour sacrifier son honoraire aux pauvres ; mais dans tous les cas on doit stipendier une sage femme instruite, & domiciliée dans la paroisse. Tous les six mois, ou à la fin de chaque année, on rendra compte, dans une assemblée de charité, de la recette & de la dépense, en faisant connoître de ce qu’on a reçu de chaque particulier. Je sais que l’Évangile dit que la main gauche ne doit pas savoir ce que donne la main droite ; voilà la perfection ; mais comme les hommes ne sont pas parfaits, il importe peu au malheureux qu’un tel ait donné par vanité, ou tel autre par motif de religion, pourvu qu’il soit secouru. Qu’il est consolant, qu’il est beau le rôle du seigneur, du curé, du notable ! Avec un peu d’enthousiasme, de force d’ame & de sagacité, on fait des hommes tout ce que l’on veut.

Ce que je dis des hôpitaux destinés aux malades, s’applique également aux bureaux de charité consacrés au soulagement des pauvres. Celui de ville de Castres fournit un exemple frappant de ce que j’avance. Avec de modiques secours, ce bureau est parvenu au point de faire disparoître l’affligeante mendicité. Les idées que je présente sont de simples apperçus auxquels il est facile de donner la plus grande & la plus utile étendue ; mais ce seroit s’écarter du but de cet Ouvrage.

Cependant je ne puis m’empêcher de jeter encore un coup-d’œil sur les hôpitaux des grandes villes, & démontrer, par une expérience en grand & de 25 années, combien les enfans-trouvés & les orphelins qu’on y entasse, peuvent être utiles à l’agriculture. Nous manquons de bras, c’est un point de fait reconnu & démontré jusqu’à l’évidence. Les multiplier, soulager les hôpitaux, assurer une santé vigoureuse aux enfans-trouvés ou orphelins dont ils sont chargés, c’est dans une seule opération réunir les plus grands points d’utilité. En effet, que l’on considère la figure pâle & blême des enfans qu’une pieuse charité rassemble en masse dans un même lieu ? que l’on considère les ravages causés par le scorbut, les humeurs scrophuleuses, la gale, &c. ? & l’on se convaincra aisément, sans avoir recours à l’expérience, que des individus dont l’enfance a été si malheureuse, ne seront jamais des hommes robustes lorsqu’ils parviendront à la virilité. Admettons que leur santé n’ait point été altérée ; mais à quoi les emploiera-t-on ? On les mettra en apprentissage, on leur donnera un métier ; enfin, ils seront artisans, & dès-lors les voilà fixés pour toujours dans des villes, comme si les villes, semblables à des gouffres, n’attiroient pas vers elles la population de ses environs. Si l’on calcule actuellement la dépense de nourriture & d’entretien de ces enfans, depuis le moment de leur entrée dans l’hôpital, iusqu’à celui où leur apprentissage finit, ils ne seront plus à charge à la maison, & l’on verra que chaque enfant lui coûte annuellement au moins 200 liv. ; mais comme il est employé à de petits travaux, Il peut gagner 50 liv. La dépense réelle est donc de 150 liv. Il est aisé actuellement d’avoir le montant de la masse de dépense par le nombre d’enfans dont on est chargé. À quoi a servi cesse dépense ? à prolonger tout au plus l’existence valétudinaire de ces individus, hors d’état, pour la plupart, de gagner leur vie. Dans les hôpitaux où l’on reçoit les gens âges, l’expérience prouve que ceux qui ont été élevés dans la maison, forment le tiers franc de ces individus ; les deux autres tiers ont fini leur carrière avant l’époque fixée pour la réception. Il résulte de-là que les hôpitaux sont chargés & de l’enfance de la vieillesse des mêmes individus.

Ces abus ou plutôt cette charité mal-entendue, fit ouvrir les yeux aux administrateurs des hôpitaux de Lyon ; & par une opération ben simple, ils trouvèrent le moyen de débarrasser leurs maisons de plus de deux nulle enfans à la fois, de manière qu’il ne reste aujourd’hui dans l’hôpital appelé Hôpital de la Charité, que les enfans contrefaits ou estropié.

Je n’aimerai pas dans les détails de cette belle administration, cela me mèneroit trop loin ; mais un simple précis de ce qui concerne les enfans trouvés & orphelin suffira pour donner une idée de l’opération. Les administrateurs des hôpitaux des autres villes, qui désireront des instructions plus étendues, n’ont qu’à s’adresser à ceux de Lyon.

Il p a deux hôpitaux à Lyon, l’un appelé Hôtel-Dieu ou grand hôpital, & l’hôpital de la charité & aumône générale.

On distingue trois classes d’enfans, enfans trouvés, orphelins, enfans délaissés.

1°. Les enfans trouvés sont à la charge de l’Hôtel-Dieu, depuis le jour de leur réception jusqu’à six ans & demi, époque à laquelle il les envoie à l’hôpital de la Charité.

1°. Les ""orphelins : l’Hôtel-Dieu adopte ceux qui n’ont pas 7 ans, & les envoie à la Charité sept ans ou six ans & demi. Ce déplacement ne se fait qu’une fois par an. La Charité adopte directement les enfans de 7 ans & au-dessus.

3°. Les délaissés ; ou enfans abandonnés des pères & mères fugitifs. L’admission & la remise sont les mêmes que dans l’article précédent.

Dans tous les temps l’Hôtel-Dieu a fait nourrir à la campagne tous les enfans de ces trois classes, & l’hôpital de la Charité y a reçu un grand nombre de ceux qui lui appartenoient par l’âge ; cependant on faisoit communément revenir ceux adoptifs, qui, ayant des parens connus, paroissent destinés à la ville.

Depuis 1758, on laisse beaucoup d’adoptifs à la campagne, & sans exception, tous les enfans-trouvés & tous les délaissés.

Les deux hôpitaux reçoivent sans exception tous les enfans trouves, tous les orphelins, sans famille capable d’en prendre soin, & tous les enfans délaissés. Il y avoit au 10 juillet 1783, à la charge de l’hôpital de la Charité, environ trois mille enfans. Les infirmes, les estropiés qu’on ne peut placer à la campagne, coûtent de 120 à 130 liv. par an ; mais il faut une administration semblable, pour que leur entretien & nourriture soient aussi peu dispendieux.

Avant l’époque de 1758, l’hôpital de la Charité nourrissoit dans l’intérieur de sa maison, & payoit l’apprentissage des trois classes d’enfans, lorsqu’ils avoient l’âge requis ; enfin, il n’en étoit débarrassé que lorsque chaque individu pouvoit vivre de son travail, époque fixée à 17 ans. Chaque tête lui coûtoit donc de 12 à 1300 liv., tandis qu’actuellement chaque tête ne coûte, depuis l’âge de sept jusqu’à dix-sept ans, que 100 liv. environ. Il y a donc au moins 1000 liv. d’économie par personne, objet de 300 000 1. par an.

Lorsque l’administration eut arrêté le projet de fixer les enfans à la campagne, elle fit distribuer à dix lieues à la ronde de la ville, des imprimés semblables à celui ci-dessous ; & c’est aux sollicitations de cette vigilante administration, que fut rendue l’ordonnance de 1765, concernant les milices. À peine eut-on connoissance de la résolution du bureau, que de toutes parts on lui demanda des enfans, & qu’on est obligé aujourd’hui de se faire inscrire six mois d’avance pour en avoir.

L, nommé
Agé de a été remis à          
Paroisse d
Avec les hardes & les gages ci-après ; Savoir,
Les nourriciers qui voudront avoir des Certificats pour les habillemens & pour le paiement de leurs gages, seront tenus de représenter les enfans à MM. les Curés. À sept ans, une chemise, un bonnet, & dix-huit livres de gages par année, jusqu’à dix ans, payables à Pâque de chaque année
À la Toussaint suivante, une robe, un bonnet, une chemise, une paire de bas, & quinze sous pour des sabots,
Que ceux qui ne présenteront pas, les Enfans à MM. les Recteurs, lors de leurs visites au frères qui sont chargés de les faire, seront privés de six mois de gages. À huit ans & demi, le même habillement, comme ci-dessus énoncé
À neuf ans & demi, une grande veste, une culotte, un bonnet, une paire de bas, une chemise, & quinze sous pour des sabots,
À dix ans & demi, aussi le même habillement que ci-dessus, & douze livres de gages, payables à Pâque, jusqu’à l’âge de trize ans,
À onze ans & demi, le même habillement que ci-dessus, & quinze sous pour des sabots,
Les Nourriciers qui rendront les Enfans, sont avertis de rendre toutes les hardes & linges appartenans auxdits Enfans. À douze ans & demi, l’on donnera, pour dernier habit, un bonnet, une grande veste à plis, un gillet, une paire de culottes, une paire de bas, deux chemises, & quinze sous pour des sabots,
De treize à dix-sept ans, six livres de gages par an, payables à Pâque de chaque année, sans habillement,
Lorsque le Nourricier apportera un Certificat de M. le Curé, que l’Enfant a fait, sa première Communion, il lui sera payé six livres de gratification.
Les personnes chargées des Enfans n’ajouteront pas foi aux Lettres qui leur seront adressées pour rendre lesdits Enfans, qu’autant qu’elles seront imprimées avec les Armes des la Maison, & signées par un de MM. les Recteurs. Défenses très-expresses sont faites aux Nourriciers de remettre à d’autres les Enfans dont ils sont chargés, sans le consentement du Bureau, ou de MM, les Curés, qui sont priés de vouloir bien y donner leurs soins.
L’on ne Paiera aux Nourriciers les gages énoncés dans la présente Feuille, qu’autant qu’ils apporteront un Certificat de M. le Curé,
Lorsqu’un Enfant s’évadera, le Nourricier sera tenu d’en faire, sous huitaine, une déclaration à M. le Curé, qui est prié d’en instruire l’Administration.
L’on ne donnera aucun Enfant, sans le Certificat de Catholicité & de bonnes mœurs, fait par M. le Curé de la Paroisse où il doit aller.
Délivré à l’Hôpital général de la Charité & Aumône générale de Lyon, le

Observez que, par l’Article XXIV de l’Ordonnance du 27 Novembre 1765, concernant les Milices, il est porté ce qui suit :

Un Enfant trouvé, mâle, lequel, parvenu à l’âge de dix-huit ans, aura toutes les qualités nécessaires pour porter les armes, sera admis à tirer au sort de la Milice, au lieu & place d’un des Enfans propres, Frères ou Neveux de tout Chef de Famille, qui saura élevé dans sa Maison.

Ce Chef de Famille aura la liberté de dispenser de tirer à la Milice, celui de ses Enfans propres, Frères ou Neveux, vivant dans sa Maison ou à sa charge, qu’il voudra faire représenter par ledit Enfant trouvé.

Et si un Chef de Famille se charge d’élever, dans sa Maison, plusieurs Enfans trouvés, ladite exemption aura lieu pour autant de ses Enfans propre, Frères ou Neveux, qu’il aura d’Enfans trouvés à présenter, ayant l’âge &, les qualités ci-dessus prescrites.

Ladite exemption sera maintenue non-seulement par rapport aux Enfans trouvés sortant de l’Hôpital général, mais encore par rapport à tous ceux qui, étant à la charge des autres Hôpitaux, Communautés, ou des Seigneurs, dans les Provinces du Royaume, auront été confiés par eux à des Chefs du Famille, sous les mêmes conditions.

En ne portant qu’à, 1000 le nombre de personnes par année, répandues dans les campagnes, on sent combien la population s’est augmentée depuis 1758. La tache de naissance n’empêche pas leur établissement, & on a même vu des cultivateurs auxquels la mort avoit enlevé tous leurs enfans, venir demander en grâce qu’on leur laissât celui de l’hôpital, & l’adopter.

Puisse un si bel exemple donné par une administration aussi sage, influer sur les autres du royaume ! Les hôpitaux seront allégés d’un grand fardeau, & les campagnes auront des bras pour les cultiver.