Cours d’agriculture (Rozier)/GRÊLE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 365-373).


GRÊLE, Physique, Économie Rurale. La grêle n’est rien autre chose que les vapeurs aqueuses des nuages, condensées & réduites en glaçons, qui, par leur pesanteur, sont précipitées vers la terre. Ce funeste météore est accompagné & suivi communément de circonstances terribles ; c’est au sein des orages qu’il se forme, au milieu des tonnerres qu’il se prépare, parmi les nuages sombres & obscurs qui nous dérobent la clarté du jour, qu’une tempête impétueuse semble lancer de l’horizon : on apperçoit des petits nuages blanchâtres, leur vue jette l’effroi dans l’ame de l’habitant de la campagne, qui, instruit par l’expérience journalière, sait que ces nuages renferment dans leur sein un fléau d’autant plus terrible, qu’il ne produit ses ravages qu’au moment, pour ainsi dire, que l’espoir d’une brillante récolte consoloit le laboureur de ses peines & de ses fatigues. Déjà la foudre gronde au loin, les éclairs sillonnent les airs ; ces nuages blanchâtres s’étendent, deviennent plus considérables, se détachent des nuages obscurs qui les environnent, & descendent vers la terre ; un bruit sourd se fait entendre ; le cliquetis des glaçons augmente & devient plus sensible, à mesure que le nuage le rapproche de la terre ; mais ce n’est plus un nuage, c’est un amas de glaçons, qui par leur chute accélérée, acquièrent une pesanteur considérable, brisent tout ce qu’ils frappent, & détruisent en un instant les récoltes prêtes à être moissonnées. Tout est ruiné : les campagnes désolées n’offrent qu’un spectacle de calamité ; les blés hachés sont couchés dans la poussière, les plantes & les fleurs sont coupées sur leurs tiges ; souvent même les branches des arbres sont mutilées. Le tonnerre redouble, la grêle augmente en grosseur & en abondance ; les bestiaux & leurs gardiens, le malheureux laboureur & le voyageur, surpris par cet orage impétueux, sont mutilés sous les coups redoublés des glaçons énormes qui se précipitent des cieux. De tous côtés, un désastre affreux annonce le passage de ce météore terrible ; & long-temps après qu’il est épuisé, les amas de glaçons qui recouvrent les champs, retardent & arrêtent souvent la fructification des végétaux par un refroidissement subit.

Quelle est la cause de ce funeste fléau ? & l’homme, qui fait actuellement commander au tonnerre, & lui prescrire la route qu’il doit suivre, peut-il avoir l’espoir consolant de le détourner, ou au moins d’en diminuer les effets, en détruisant une partie de l’intensité de la cause ? Il ne seroit peut-être pas aussi téméraire de s’en flatter, qu’on le penseroit : dès l’instant que l’on assignera la vraie cause de ce météore, que l’on en démontrera le principe dans l’électricité actuelle des nuages, qui peut empêcher d’espérer que les paratonnerres, en même temps qu’ils soutireront l’électricité des nuages, détruiront nécessairement une partie de la cause de la grêle ? Arrêtons-nous un instant sur la manière dont elle se forme.

On en a donné différentes explications, qui ont été abandonnées successivement à mesure que la physique a fait des progrès ; nous n’en ferons aucune mention. En 1777, M. de Morveau en proposa une dans le Journal de Physique, qui porte sur trois faits incontestables : les nuages sont électriques, l’électricité hâte l’évaporation, & l’évaporation produit du froid. L’application qu’il en fait à la formation de la grêle, est juste jusqu’à un certain point ; mais il me parut, dans le temps, que la solution du problème de la formation de la grêle n’étoit pas exacte : j’en hasardois une qui rentre en partie dans celle de M. de Morveau, & qui résout tous les phénomènes qui accompagnent ce terrible météore. Je vais la donner ici.

Les nuages sont toujours, & en tout temps, électriques : mais d’où leur vient cette électricité ? comment la conservent-ils ? comment la perdent-ils ? Voilà trois questions qu’il faut nécessairement résoudre avant que de chercher à expliquer la formation de la grêle, parce qu’elles sont la base de cette nouvelle théorie. Il faut consulter ce que nous avons dit des phénomènes électriques au mot Électricité.

1°. Un nuage est un composé de molécules aqueuses extrêmement tenues, qui se sont élevées de la surface de la terre par l’affinité de l’air avec l’eau, par la raréfaction & la chaleur de l’air, par le mouvement que la lumière du soleil produit dans tous les corps qu’elle pénètre. L’eau, en s’élevant, entraîne nécessairement les particules du fluide électrique disséminé dans toutes les substances sublunaires ; ou peut-être même, cette eau se charge-t-elle de molécules de lumière qui, en s’insinuant dans les pores des corps, s’y combinent avec eux, & adhèrent assez fortement pour qu’elles accompagnent les vapeurs & les exhalaisons dans leur ascension à travers l’atmosphère. De plus, les nuages s’électrisent encore dans les régions élevées de l’air, en s’imbibant du fluide lumineux, sur-tout, si celui-ci est le principe de l’électricité, comme je le pense, & que tout porte à le croire.

2°. Le nuage ainsi électrisé restera dans cet état jusqu’à ce que quelques causes étrangères lui soutirent cette quantité ; mais il ne s’en dépouillera pas de lui-même : comme une bouteille de Leyde, le Tableau magique, l’Electrophore de M. Volta, ne perdent leur électricité que lorsque l’air ambiant, moins électrisé, pompe, pour ainsi dire, & s’approprie la quantité dont on avoit surchargé ces corps. Mais quand l’équilibre est rétabli, l’électricité est insensible & dans le corps électrisé & dans les corps environnans. De même, le nuage, tant qu’il ne sera pas électrisé en plus, ne donnera aucun signe d’électricité, quoique cependant il en contienne.

3°. S’il n’électrise en plus, ou par son mouvement rapide dans l’atmosphère, (car le nuage peut être comparé, dans ce moment, au plateau d’une machine électrique, & l’air aux coussins) ou par quelques causes par séculières, il doit se garnir d’aigrettes, tendre à se dépouiller de cette surabondance d’électricité ; ce qui arrivera à l’approche d’un nuage qui en contiendra moins. Le fluide, pour se mettre de niveau, s’élancera de celui qui en contiendra davantage, dans celui qui en contiendra moins. Si ce nuage vient à passer près d’une haute montagne, il en sera attiré, il descendra & rendra au grand réservoir, c’est-à-dire à la terre, une portion de son superflu. Cette décharge & ce dépouillement se fera par le moyen d’une étincelle proportionnée à la quantité d’électricité renfermée dans son sein. Voilà tout naturellement le tonnerre.

Feriunt…… summos fulmina montes.

Si, au contraire, ce nuage rencontre des pointes, il se dépouillera insensiblement sans bruit & sans éclat.

Tel est l’état d’un nuage considéré comme électrique, c’est-à-dire, tel est l’état du fluide électrique intimément uni aux vapeurs d’un nuage. Mais comment se comportent ces vapeurs ainsi électrisées ?

Suivant l’idée ingénieuse de M. de Morveau, il s’établit une évaporation dès le premier instant de l’électricité du nuage. Je croirai, au contraire, que cette évaporation n’a lieu que lorsque le nuage électrisé en plus, & surabondamment chargé, commence à s’en dépouiller d’une partie : car, autrement, le nuage étant continuellement électrique, l’eau s’évaporeroit continuellement, & nous aurions, au lieu de pluie, une grêle, ou au moins une neige continuelle ; ce qui est opposé à l’expérience journalière. De plus, on sait que l’évaporation n’est que le mouvement d’un fluide occasionné, ou par l’échappement d’un autre fluide qui, traversant le premier, entraîne avec lui ses parties les plus subtiles, (telle est l’évaporation de l’eau sur le feu, ou qu’on électrise) ou par l’attraction & la dissolution opérée par une substance qui repose sur ce fluide, & qui le rencontre dans sa sphère d’activité (comme l’air & la lumière sur les liqueurs, un fer rouge au-dessus d’une masse résineuse). Aucun de ces cas ne peut convenir au nuage qui n’est pas électrisé en plus ; dès-lors, point d’évaporation.

Mais, dira-t-on, on ne s’apercevroit de l’électricité des nuages que lorsqu’ils en seroient surabonamment chargés, ou plutôt ils le sont donc dans toute l’année, puisqu’ils en donnent des signes ?

La réponse est facile. 1°. Les nuages, quoique toujours électriques, ne le sont pas toujours en plus, 2°. Quelque foible que soit cette surabondance, elle doit être soutirée par la pointe d’un électromètre, & agir sur ses deux petites boules. Toutes les fois qu’à une quantité donnée d’électricité, vous en ajouterez une nouvelle, le corps qui en sera le dépôt en donnera des signes par la répulsion. Tel est l’état de l’hectomètre à l’approche d’un nuage. Si ce nuage électrisé, naturellement formé très-haut, vient à descendre, dès cet instant il s’électrisera positivement, & plus il descendra des régions supérieures de l’atmosphère, plus il les parcourra avec rapidité, plus il se surchargera. La pointe isolée soutirera alors cette surabondance : mais si le nuage s’est formé dans une région moyenne, qu’il ne s’élève ni ne s’abaisse point, & que son mouvement horizontal soit très-peu considérable, la surabondance sera presque nulle, & l’indication de l’électromètre très-foible. Remarquons cependant que, dans quelqu’état que soit le nuage, c’est toujours un amas de vapeurs, dont les molécules extrêmement fines & divisées sont plus légères qu’un pareil volume d’air, & que, pour que nous ayions des gouttes tombantes, soit en pluie, soit en grésil, il faut une autre cause violente, qui rassemble ces vapeurs, & les condense en glace.

Comment donc la grêle se formera-t-elle ? le voici : tant que le nuage n’aura pas une surabondance d’électricité, point d’évaporation ; car s’il se faisoit une évaporation, les vapeurs, loin de descendre, monteroient plus haut, devenant plus tenues & plus légères. Point d’évaporation, par conséquent point de nouveau degré de froid ; car s’il survenoit un nouveau degré de froid sans évaporation, les molécules de vapeurs se condenseroient, formeroient des gouttes & tomberoient en pluie. Les molécules flotteront donc tranquillement les unes à côté des autres à une hauteur proportionnée à leur pesanteur. Si, tout d’un coup, un nuage surchargé d’électricité vient à passer à côté du premier, ou au-dessus ou au-dessous de lui, il se dépouillera de son excès. S’il le fait tranquillement, par communication & sans étincelle, les molécules des vapeurs électrisées en plus s’attireront tout doucement, se réuniront en petites gouttes, redescendront dans les régions inférieures de l’atmosphère, jusqu’à ce que, rencontrant une zône d’air assez chaude pour les raréfier de nouveau, elles se dépouilleront de leur surabondance d’électricité, se rediviseront & remonteront dans les régions supérieures. C’est à l’instant de ce dépouillement, s’il s’est fait assez proche de la terre, que les électromètres deviendront sensibles[1]. Le mouvement alternatif de condensation & de raréfaction, de montée & de descente des nuages, n’est point chimérique & imaginaire : je l’ai observé un très-grand nombre de fois, sur-tout à midi, en regardant par l’ouverture verticale d’un observatoire. Tout le monde peut remarquer que les nuages sont tantôt plus épais, tantôt plus déliés, tantôt plus élevés, tantôt plus bas ; effet produit par le mouvement alternatif dont je viens de parler.

Mais si une vive étincelle, une commotion violente sert de dépouillement d’un nuage à l’autre, ou si cette étincelle est produite à l’approche d’une haute montagne, d’un édifice très-élevé, il se fait un bouleversement subit & total dans le nuage vers l’endroit de la communication. Les molécules s’amoncelant les unes contre les autres, se réunissent, forment de grosses gouttes. Toutes ces grosses gouttes contiennent chacune une portion d’électricité surabondante à celle qu’elles avoient auparavant surchargées, elles tendent à s’en dépouiller. Dès cet instant, les aigrettes commencent, & l’évaporation s’établit. Augmentant de volume & de pesanteur, elles se précipitent vers la terre, oh elles arrivent avec une impétuosité proportionnelle à leur masse & à la hauteur d’où elles tombent. C’est dès ce premier instant de l’évaporation & de la chute, que se commence la congélation ; elle dure jusqu’à ce que le glaçon soit bien formé.

Voici à peu près comme je conçois cette formation. La chaleur est produite & conservée par le mouvement né, ou par le frottement, comme entre la lime & le fer limé, ou par l’action d’un fluide en mouvement sur un autre, comme entre le feu & l’eau, la lumière & l’air ; & ce mouvement doit être un mouvement propre à chaque partie de la masse échauffée. Si l’évaporation fait cesser ce mouvement intestin, dès-lors, l’évaporation produira le froid. L’évaporation occasionnée par l’électricité, celle de l’esprit de vin, de l’éther &c. &c. n’est absolument qu’une évaporation de surface, évaporation qui divise les corps en molécules infiniment petites. En les divisant, elle les écarte, en dégage l’air, & le feu qu’elles pouvoient contenir durant leur réunion. Séparées, elles s’élèvent dans l’air & forment autour du corps une atmosphère qui chassera devant elle l’air qui l’environnoit, & occupera sa place. Tout cet espace rempli par ce nouveau fluide, perd sa chaleur par le renouvellement rapide des nouvelles molécules. On conçoit assez que plus la substance qui s’évapore sera composée de molécules tenues, plus la chaleur se dissipera facilement, plus le froid augmentera. Ainsi l’eau en produira moins que l’esprit de vin, l’esprit de vin que l’éther ; & la rapidité de la congélation sera en raison de la vivacité de l’évaporation.

La goutte d’eau formée dans le nuage, de la manière que nous l’avons déjà dit, s’évaporant rapidement par son excès d’électricité, & d’autant plus que l’électricité a plus d’énergie, c’est-à-dire, que la surabondance est plus forte, est bientôt environnée d’une atmosphère dont la chaleur &. le mouvement qui lui sont propres, sont bannis. Cette atmosphère lui communique insensiblement le froid qu’elle acquiert, de proche en proche, de couches en couches jusqu’au centre de la goutte ; le mouvement cesse, la fluidité s’interrompt & la glace se forme en filets qui laissent encore, quelques momens, un passage à de nouvelles évaporations. Mais grossissant insensiblement, les passages s’obstruent, la glace devient solide, jusqu’au point que, formant une enveloppe autour de la goutte d’eau, l’évaporation produite par l’électricité cesse. Alors l’eau, l’air, le fluide électrique, enchaînés par cette enveloppe, ne peuvent plus s’échapper, & sont retenus pêle-mêle au centre. Bientôt il survient une autre évaporation bien plus énergique, parce qu’elle est plus active. C’est celle qui est occasionnée par la chute de la goutte d’eau, & par son transport rapide des régions élevées de l’atmosphère, jusque sur la surface de la terre. Ce glaçon traversant, avec une vitesse accélérée, les différentes couches de l’air, éprouve à son passage le même effet que la boule du thermomètre imbibée d’esprit de vin ou d’éther, sur laquelle on souffle continuellement. À chaque nouvel instant de cette chute, il se produit un nouveau degré de froid par le renouvellement continuel des surfaces ; la dureté du glaçon augmente, & la congélation pénètre jusqu’au centre de la goutte.

En deux mots, voici tout mon système. 1°. Les nuages sont tous électriques naturellement, & ne s’électrisent en plus qu’accidentellement.

2°. Il n’y a point d’évaporation électrique dans le premier cas ; elle ne peut avoir lieu que dans le second.

3°. Dès que l’évaporation électrique commence dans une goutte de pluie, il se forme autour d’elle une atmosphère de sa propre substance, qui intercepte le mouvement & la chaleur répandue dans l’air ambiant.

4°. Cette cessation de mouvement produit le froid dans cette atmosphère.

5°. Ce froid & cet engourdissement se communiquent à la goutte d’eau successivement jusqu’à son centre.

6°. La glace se forme alors.

7°. Quand la croûte de glace est formée, l’évaporation électrique cesse.

8°. Enfin, le glaçon, en tombants s’évapore, se refroidit, & se durcit de plus en plus en parcourant les couches de l’atmosphère.

Avec ces huit données, je crois que l’on peut facilement résoudre presque tous les phénomènes qu’offre la grêle ; je vais parcourir les principaux.

1°. La grêle qui se trouve sur le sommet des montagnes, est plus petite que celle qui se rencontre dans les vallées. Au rapport de M. Scheuzer, du célèbre Beccaria, de M. Fromond & de plusieurs voyageurs, quand le glaçon atteint le sommet des montagnes, il ne fait que de naître encore, il est très-petit. Plus il descend dans les vallées, plus il se refroidit, plus, par conséquent, il se dilate ; le froid, augmentant d’intensité, raréfie la glace. De plus, le glaçon parcourant l’atmosphère, s’attache toutes les molécules aqueuses qu’il rencontre, les entraîne en les glaçant autour de lui. Souvent aussi cet accroissement est sensible par une espèce de farine blanchâtre, dont sa surface est saupoudrée : mais si la grêle traverse la pluie ou tombe avec elle, elle se lave, & paroît nette sans cette poussière glacée.

2°. Le centre de la grêle renferme presque toujours une espèce de noyau opaque & blanchâtre, entouré d’une croûte assez transparente. Tant que l’évaporation électrique dure, l’air que l’eau tenoit en dissolution s’échappe avec les petites molécules aqueuses, & ne s’oppose point par conséquent à la transparence de la glace ; mais, dès que la croûte glacée est formée, l’air ne pouvant plus s’échapper, reste au centre de la goutte interposée entre les molécules d’eau : enclavé dans ses interstices, il détruit sa transparence. Ajoutez que le noyau n’étant jamais aussi dur, la glace est bien moins homogène. Tout Physicien fait que plus la glace est pure, moins elle contient d’air, plus elle est transparente. Il peut se faire que quelquefois le noyau intérieur sera très-dur, si l’intensité du froid produit par la seconde évaporation a été très-forte, c’est-à-dire, si la grêle tombe de très-haut.

3°. La grêle, après sa chute, est électrique. l’évaporation électrique ayant été suspendue, la surabondance du fluide électrique n’a pu se perdre ; on doit donc encore retrouver cet excès après sa chute.

4°. Il grêle quelquefois sans tonnerre. Il faut peut-être ajouter, sans tonnerre sensible. Il peut très-bien se faire qu’il y ait eu du tonnerre sans que nous l’ayons entendu ou remarqué : mais si le bouleversement peut se produire dans le nuage par une étincelle qui occasionne le même effet avec une détonation foible, comme par des aigrettes qui attirent & repoussent les molécules d’eau comme les aigrettes d’un conducteur attirent & repoussent les petites feuilles de métal, nous aurons de la grêle ; dans ce cas, les grains en seront petits. Cet effet semble avoir lieu, sur-tout dans les giboulées de mars, où la grêle qui tombe est très-menue, & que l’on désigne par, la nom de grésil. Au reste, jamais les glaçons ne sont si gros qu’immédiatement après de violens coups de tonnerre, que dans les orages affreux, comme nous l’apprennent toutes les observations faites à cet égard. Je ne citerai ici que deux observations que l’on peut voir dans l’Histoire de l’Académie des Sciences, années 1703 & 1753, où il est dit que, près d’Iliers, dans le Perche, il tomba une quantité de grêle prodigieuse, dont les plus petits grains étoient gros comme les deux pouces, les moyens, comme des œufs de poule, & les plus gros, comme le poing, & pesoient cinq quarterons. Dans l’orage de 1753, qui ravagea le pays de Toul, le 11 juillet, il est à remarquer qu’il commença par quelques coups de tonnerre qui paroissoient éloignés : immédiatement après, ajoute l’historien, tomba une grêle monstrueuse par sa grosseur.

Je me contenterai d’ajouter ici le détail d’un orage observé à Paris par M. Adanson, le 7 Juillet 1769. « L’orage s’annonça, dit-il, par de grosses gouttes de pluie très-écartées, accompagnées d’éclairs & de coups de tonnerre assez forts & assez fréquens. À ce prélude succéda une pluie forte, mêlée de grêle, & chassée par un vent d’ouest assez fort, &c. » On peut facilement remarquer, dans ce dernier exemple, qu’il s’étoit bien fait un mouvement violent dans la nuée, puisqu’il tomba de grosses gouttes écartées ; mais ce mouvement n’avoit pas été produit par une décharge électrique, & la grêle ne commença à se manifester, que quand elle eut été occasionnée par l’évaporation électrique, nécessaire à la congélation de ces grosses gouttes.

5o. La grêle, ainsi que la pluie, redouble après & à chaque coup de tonnerre. Cet effet n’a pas besoin d’explication après tout ce que nous avons dit.

6o. La figure de la grêle varie beaucoup, mais on peut la réduire à ces deux-ci : des cubes arrondis, & des parallélépipèdes & polyèdres irréguliers. Les gouttes d’eau sont ordinairement rondes, mais en tombant elles s’allongent & forment des ellipses ou des sphères aplaties à la partie inférieure & sur les côtés. St elles se glacent dans cette forme, on aura des espèces de sphères aplaties en différens sens, ou plutôt des cubes presque ronds. Dans leurs chutes, ces glaçons se choquent & se brisent. Si plusieurs ensemble se touchent & ayant même poids tombent uniformément ensemble, ils se collent les uns contre les autres, & l’on aura ces polyèdres irréguliers de différentes grosseurs, armés d’une espèce de nervure[2] formée par l’assemblage d’autres grêlons plus petits qui y adhèrent. Ces brisemens & ces agrégations en mille & mille manières, forment cette variété de figures que l’on remarque dans la grêle. Ne peut-on pas ajouter que la forme de la cristallisation de la glace, étant des aiguilles alongées, la grêle doit nécessairement offrir des surfaces planes, longues ou cubiques, plutôt que des surfaces rondes ?

7o. Elle tombe presque toujours avec la pluie lorsqu’elle est petite, mais lorsqu’elle es grosse, elle la précède toujours. Si la quantité d’électricité communiquée d’un nuage à un autre n’est pas trop abondante, le fluide électrique ne se répandra pas dans toute la masse du nuage ; les gouttes seront petites, il y aura peu d’évaporation & la pesanteur spécifique des grains de grêles & des gouttes de pluie étant presque la même, ils tomberont tous à la fois ; mais si la détonation a été violente, les gouttes très-grosses, l’évaporation vive, il se formera de gros glaçons qui, par leur poids, acquerront un mouvement très-accéléré dans leur chute, tomberont précipitamment & devanceront la pluie.

Tous les autres phénomènes de la grêle s’expliqueront avec la même facilité. Un plus long détail, loin d’intéresser, deviendroit fatigant.

Les grêles passagères, peu abondantes, & dont les grains sont petits, ne font pas grand mal aux plantes qui couvrent la surface de la terre, d’autant plus qu’elles sont communément accompagnées de pluie ; au contraire, on pourroit croire qu’elles leur seroient avantageuses, parce que ces grains étant imprégnés d’électricité, ils s’en dépouilleroient d’une partie qui, rentrant dans le réservoir commun, iroit augmenter la masse si nécessaire à la végétation. L’effet le plus funeste que la grêle un peu considérable produise, c’est de mutiler & de briser tout ce qu’elle frappe. Quand elle est très-abondante & fort grosse, alors elle est longtemps à fondre & refroidit considérablement les terrains qu’elle recouvre. C’est ce refroidissement subit & prolongé qui altère les plantes ; ce qui a induit les gens de la campagne à croire que la grêle renfermoit dans son sein une espèce de poison qui faisoit périr les plantes.

Rarement dans la nature le mal est-il seul & isolé ; il est toujours certains rapports sous lesquels il se rapproche vers le bien. Aux yeux du philosophe, rien n’est absolument mauvais dans la nature ; son œil clairvoyant y découvre souvent un côté avantageux, qui annonce une sagesse intelligente qui veille sur tout. La grêle est un effet nécessaire d’une cause physique ; ses ravages ne sont pas moins nécessaires, quoique terribles. L’homme ordinaire ne voit qu’un malheur affreux, sans faire attention s’il peut en résulter un bien quelconque ; cependant on peut observer deux effets avantageux qui suivent ordinairement la chute de la grêle. 1°. Ce même degré de froid qui altère les plantes, fait périr les insectes & leurs larves, qui sont si communs au temps des orages, & qui ordinairement couvrent la terre dans cette saison. C’est un fait, que dans les cantons ravagés par la grêle, l’année suivante voit éclore infiniment moins d’insectes, la génération précédente ayant été presque détruite, & par la chute des glaçons & par le refroidissement qui a résulté de leur long séjour sur la terre.

2°. L’abondante électricité que ces mêmes glaçons renferment, qui pénètre la terre, se distribue dans les racines des plantes vivaces, ou reste, pour ainsi dire, en réserve, en attendant qu’elle soit employée par les plantes que le cultivateur doit confier au même sol ; l’eau que ces glaçons rendent en se fondant, & qui, comme celle des pluies & de la neige, est imprégnée de toutes les substances & des exhalaisons disséminées dans l’atmosphère, au moment de la formation de l’orage ; cette eau, dis-je, est une espèce d’engrais qui fertilise la terre, non-seulement pour le moment, mais encore pour l’année suivante. Cela est si vrai, que l’on voit tout reverdir & tout végéter à merveille après la chute d’une grêle, même considérable, si de grandes sécheresses ne viennent pas empêcher son bon effet ; & très souvent l’on a vu des blés semés sur un terrain abymé par la grêle, rendre plus qu’à l’ordinaire. M. M.


  1. On a remarqué souvent que les électromètres donnoient des signes d’électricité, sans apparence d’orage, & même sans nuage ; ne pourroit-on pas dire que ces signes étoient produits par l’électrice, dont se dépouillent les vapeurs aqueuses en se redilatant ?
  2. Voyez l’Histoire de l’Académie, 1753, page 74.